Dictionnaire des proverbes (Quitard)/ami

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ami. — Au besoin on connaît l’ami.

Proverbe tiré de ce passage de l’Ecclésiastique (ch. 12, v. 9) : In bonis viri, immici illius in tristitia, in malitia illius amicus agnitus est : quand un homme est heureux, ses ennemis sont tristes, et quand il est malheureux, on connaît quel est son ami.

Amicus certus in re incertâ cernitur.

(Ennius.)
La bonté du cheval se connaît à la guerre, et la fidélité de l’ami dans la mauvaise fortune.
(Plutarque.)

Le faux ami ressemble à l’ombre d’un cadran.

Cette ombre se montre lorsque le soleil brille, et elle n’est plus visible quand il est voilé par les nuages.

Les anciens comparaient les faux amis aux hirondelles, qui paraissent dans la belle saison et disparaissent dans la mauvaise.

Donec eris felix, multos numerabis amicos
Tempora si fuerent nubila, solus eris.

(Ovide, élég. 5.)

(Tant que vous serez heureux, vous aurez des amis ; mais si la fortune vous devient contraire, ils vous laisseront seul.)

Nous avons encore une comparaison proverbiale qui a inspiré cet ingénieux quatrain à Mermet, poëte du seizième siècle :

Les amis de l’heure présente
Ont le naturel du melon :
Il faut en essayer cinquante
Avant d’en trouver un de bon.

Rien de plus commun que le nom d’ami, rien de plus rare que la chose.

Vulgare amici nomen, sed rara est fides.

(Phædr., lib. iii, fab. 9.)

Heureux celui qui, dans sa vie, peut trouver l’ombre d’un ami ! disait, dans une comédie de Ménandre, un jeune homme qui n’osait croire à la réalité d’un bien si précieux.

Aristote s’écriait : Ô mes amis, il n’y a plus d’amis ! et Caton prétendait qu’il fallait tant de choses pour faire un ami, que cette rencontre n’arrivait pas en trois siècles.

L’amitié est bien bête de compagnie, disait Plutarque, mais non pas bête de troupeau. Remarque très vraie, car les amitiés célèbres n’ont jamais existé qu’entre deux personnes.

C’est un assez grand miracle de se doubler, a dit Montaigne ; n’en connaissent pas la hauteur ceux qui parlent de se tripler.

On connaît cette boutade spirituelle de Chamfort : Dans le monde, vous avez trois sortes d’amis : vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent.

Hélas ! pourquoi faut-il que ces chers amis à qui nous donnons notre confiance ne soient presque toujours que de chers ennemis !

Qui cesse d’être ami ne l’a jamais été.

Qui desinit esse amicus, amicus non fuit.

Ce bel adage se trouve en grec dans le troisième discours de Dion Chrysostôme, qui l’a développé, en disant que le caractère de l’amitié est de ne point changer, et que si quelqu’un est infidèle à une personne avec qui il était lié, il déclare par cette conduite qu’il ne l’aimait point véritablement, car s’il eût été son ami, il serait demeuré tel. C’est exactement la pensée que le père de Neuville a exprimée d’une manière si heureuse dans un de ses sermons, en parlant de la cour, où les heureux n’ont point d’amis, puisqu’il n’en reste point aux malheureux.

Un bon ami vaut mieux que cent parents.

Ce proverbe a sa raison dans cet autre : Beaucoup de parents et peu d’amis.

Delille a dit :

Le sort fait les parents, le choix fait les amis.

Dorat avait dit avant Delille :

C’est le hasard qui fait les frères
Et la vertu fait les amis.

Un ami est un autre nous-même.

Mot de Zénon, fondateur de la secte des stoïciens.

Qui n’est pas grand ennemi n’est pas grand ami.

C’est-à-dire, celui qui n’est pas capable de bien haïr, n’est pas capable de bien aimer ; celui qui ne peut mettre beaucoup d’ardeur à se venger de ses ennemis, ne peut non plus en mettre beaucoup à servir ses amis. — L’auteur des Loisirs d’un Ministre d’état désapprouve très fort ce proverbe, qui mesure sur les degrés de la haine les degrés de l’amitié. « Distinguons, dit-il, entre les excès dans lesquels les passions peuvent nous entraîner et les suites d’une liaison sage et réfléchie. L’amitié ne doit être que de ce dernier genre. Si elle devenait passion, elle cesserait d’être aussi estimable et aussi respectable qu’elle l’est ; elle aurait tous les dangers de l’amour, qui fait faire autant de fautes que la haine et la vengeance. Dieu nous garde de trop aimer aussi bien que de trop haïr ! Cependant, il faut bien aimer jusqu’à un certain point : le cœur de l’homme a besoin de ce sentiment, et ce sentiment fait du bien à notre esprit, quand il ne l’aveugle point. Mais la haine et le désir de la vengeance ne peuvent jamais que nous tourmenter. On est heureux de ne point haïr ; mais en aimant d’une manière sensée, ne peut-on pas servir ardemment ses amis, mettre de la vivacité, de la suite, même de la ténacité dans les affaires qui les intéressent ? Eh ! faut-il donc être cruel pour les uns parce que l’on est tendre pour les autres, persécuteur pour être serviable ? non. Pour moi, je déclare que je suis un faible ennemi, non-seulement en force, mais en intention, quoique je sois ami très zélé et très essentiel. »

Ami jusqu’aux autels.

C’est-à-dire dans tout ce qui n’est pas contraire à la religion.

Ce proverbe, rapporté par Aulu-Gelle et par Plutarque, est une réponse de Périclès à un de ses amis qui l’engageait à faire un faux serment en sa faveur. Il est fondé sur l’usage antique de jurer, la main posée sur un autel.

François Ier en fit une noble application lorsque, en 1534, il écrivit au roi d’Angleterre, Henri viii, qui lui conseillait de se séparer de l’église romaine comme il venait de le faire : Je suis votre ami, mais jusqu’aux autels.

On ne peut dire ami celui avec qui on n’a pas mangé quelques minots de sel.

Aristote et Plutarque se sont servis de ce proverbe, dont le sens est que l’amitié ne peut se former subitement, et qu’elle a besoin d’être confirmée par le temps. « Semblable aux vins généreux dont les années augmentent le prix, dit Cicéron, plus elle est vieille, plus elle est parfaite ; et c’est avec raison qu’on pense qu’il faut manger ensemble plusieurs boisseaux de sel pour la consommer. »

L’amitié est aussi comparée au vin dans l’Ecclésiastique (ch. 9, v. 15) : Vinum novum amicus novus : vetarescet et cum suavitate bibes illud. Le nouvel ami est comme un vin nouveau : il vieillira, et alors tu le boiras avec plaisir.

Amicitia pactum salis, amitié, pacte de sel, est un proverbe du moyen âge pour exprimer que l’amitié doit s’établir lentement et être toujours durable. Les mots pactum salis sont employés dans les livres saints, où ils signifient une alliance inviolable, par allusion à la nature du sel qui empêche la corruption. Num ignoratis quod Dominus Deus Israël dederit regnum David super Israël in sempiternum ipsi et filiis ejus in pactum salis. Il était recommandé dans le Lévitique d’offrir du sel dans tous les sacrifices, In omnii oblatione tuâ offeres sal (lib. ii, cap. 13). Homère a donné au sel l’épithète de divin ; Pythagore le regardait comme le symbole de la justice, et il voulait que la table en fût toujours pourvue. Vatable croit que les Francs admettaient le sel dans leurs pactes, pour montrer qu’ils dureraient toujours ; et quelques auteurs ont pensé que le nom de loi salique a pu dériver de cet usage.

Il vaut mieux perdre un bon mot qu’un ami.

Ce proverbe doit être fort ancien. Quintilien a dit, dans ses Institutions oratoires, I. vi, ch. 3 : Lædere numquam velimus, longe que absit propositum illud : potius amicum quam dictum perdidit. Un ami en amène un autre.

Une personne invitée dans une maison y mène quelquefois une autre personne qu’on n’attendait pas, et la présentation se fait avec des excuses auxquelles on répond : Un ami en amène un autre.

Ami de Platon, mais plus ami de la vérité.

Amicus Plato sed magis amica veritas.

Ce proverbe est un mot d’Aristote attaquant quelques opinions philosophiques de son maître Platon.

Ami au prêter, ennemi au rendre.

Proverbe qui paraît pris de cette pensée de Plaute : Si vous redemandez l’argent que vous avez prêté, vous trouverez souvent que d’un ami votre bonté vous a fait un ennemi.

…Si quis mutuum quid dederit,
Cum repetit, inimicum amicum beneficio invenit suo.

(Trinum, act. iv, sc. 3.)

On trouve dans G. Meurier : Au prêter Dieu, au rendre diable.

Les Espagnols ont ce proverbe : Qui prête ne recouvre ; s’il recouvre, non tout ; si tout, non tel ; si tel, ennemi mortel.

Les Anglais disent : Qui prête son argent à son ami perd au double. C’est-à-dire l’argent et l’ami.

Vieux amis et comptes nouveaux.

Pour dire que c’est un moyen de conserver ses amis que d’avoir ses comptes toujours bien réglés avec eux. Les vases neufs et les vieux amis sont les meilleurs, disaient les Grecs et les Latins, dans un sens analogue.

Les bons comptes font les bons amis.

Proverbe dont on fait ordinairement l’application pour s’excuser de revoir un compte ou un mémoire présenté par un ami.

Il ne faut pas compter avec ses amis.

Ce proverbe, en opposition avec les deux précédents, signifie qu’il faut se montrer plutôt généreux qu’intéressé dans les affaires qu’on peut avoir avec ses amis.


Les Turcs disent : L’amitié mesure par tonneaux et le commerce par grains.

Entre amis, tout doit être commun.

Ce proverbe est fort ancien. Épicure blâmait Pythagore de l’avoir appliqué littéralement en obligeant ses disciples à mettre en commun tout ce qu’ils possédaient. — « Si j’ai un véritable ami, disait-il, ne suis-je pas aussi maître de ses biens que s’il m’en eût fait le dépositaire ? Y a-t-il moins de mérite à donner son cœur que ses richesses ? Je ne dois pas abuser de la tendresse de cet ami ; ce qu’il possède, je dois le ménager comme ma propre fortune : mais je lui fais un outrage si j’exige qu’il la confie à un tiers pour nos besoins communs. »

Il faut aimer ses amis avec leurs défauts.

C’est-à-dire qu’il faut être indulgent pour les défauts de ses amis, car l’indulgence augmente l’amitié, et la sévérité la diminue. Il ne s’agit ici que de ces petits défauts qui ne tirent point à conséquence. La complaisance pour les vices des amis serait contraire à la morale et même à l’amitié.

Pour les cœurs corrompus l’amitié n’est point faite.

(Voltaire.)

Il faut éprouver les amis aux petites occasions et les employer aux grandes.

Il faut louer tout bas ses amis.

Madame Geoffrin établissait comme autant de règles, 1o qu’il faut rarement louer ses amis dans le monde ; 2o qu’il ne faut les louer que généralement et jamais par tel ou tel fait, en citant telle ou telle action, parce qu’on ne manque jamais de jeter quelque doute sur le fait ou de chercher à l’action quelque motif qui en diminue le mérite ; 3o qu’il ne faut pas même les défendre lorsqu’ils sont attaqués trop vivement, si ce n’est en termes généraux et en peu de paroles, parce que tout ce qu’on dit en pareil cas ne sert qu’à animer les détracteurs et à leur faire outrer la censure.

Ces conseils sont le développement de notre proverbe, qui est pris du passage suivant des Proverbes de Salomon (ch. 27,

v. 44) : Qui laudat amicum suum voce altâ erit illi loco maledictionis. Qui loue son ami à haute voix, attire sur lui la malédiction.

Les amis de nos amis sont nos amis.

C’est-à-dire qu’ils ne doivent pas nous être indifférents, et qu’ils ont des droits à nos égards.

Il est bon d’avoir des amis partout.

Ce proverbe a donné lieu à un vieux conte qui a été mis en rimes de la manière suivante par je ne sais quel auteur :

Une dévote, un jour, dans une église,
Offrit un cierge au bienheureux Michel,
Un autre au diable. — Oh ! oh ! quelle méprise !
Mais c’est au diable. Y pensez-vous ? ô ciel !
— Laissez, dit-elle, il ne m’importe guères ;
Il faut toujours penser à l’avenir.
On ne sait pas ce qu’on peut devenir,
Et les amis sont partout nécessaires.

L’abbé Tuet rapporte qu’un Visigoth arien, nommé Agilane, disait un jour sérieusement à Grégoire de Tours, qu’on peut choisir, sans crime, telle religion que l’on veut, et que c’était un proverbe de sa nation, qu’en passant devant un temple de païens et une église de chrétiens, il n’y a point de mal de faire la révérence devant l’un et devant l’autre. Ce Visigoth, faisant son offrande à saint Michel, n’aurait sûrement pas oublié l’estalier du bienheureux.

Il faut se dire beaucoup d’amis et s’en croire peu.

Parce que, en se disant beaucoup d’amis, on peut obtenir quelque considération, et, en se croyant peu d’amis, on est moins exposé à se laisser tromper par ceux qui abusent de ce titre.

Dieu me garde de mes amis !
Je me garderai de mes ennemis.

On peut se garantir de la vengeance d’un ennemi déclaré, mais il n’y a point de préservatif contre la trahison qui se présente sous les couleurs de la bienveillance et de l’amitié.

Stobée rapporte (pag. 721) que le roi Antigone, sacrifiant aux dieux, les priait de le protéger contre ses amis, et qu’il répondait à ceux qui lui demandaient le motif de cette prière : C’est que connaissant mes ennemis, je puis m’en préserver.

On lit dans l’Ecclésiastique (ch. 6, v. 13) : Ab inimicis tuis separare et ab amicis tuis attende. Séparez-vous de vos ennemis, et gardez-vous de vos amis.

Les Italiens disent comme nous :

Di chi mi fido quarda mi Dio !
Degli altri mi guardaro io.

En visitant les pozzi du palais du doge, à Venise, j’ai trouvé ces deux vers sur un mur dans un de ces cachots où le conseil des Dix enfermait ses victimes ; ils y avaient été tracés de la main d’un prêtre qui avait eu le bonheur d’échapper à son horrible captivité par une issue qu’il s’était ouverte en arrachant du pavé une large dalle posée sur un égout aboutissant au canal voisin.

Les Allemands ont le même proverbe, et Schiller l’a employé dans une de ses tragédies.

Le plus bel âge de l’amitié est la vieillesse.

Le temps qui flétrit tout embellit l’amitié.

Il faut découdre et non déchirer l’amitié.

Mot de Caton l’ancien, rapporté par Cicéron en ces termes : Amicitiæ sunt dissuendœ magis quàm discindendæ.

C’est quelquefois un malheur nécessaire de renoncer à certains amis ; alors il faut s’en éloigner insensiblement, sans aigreur et sans colère, et faire voir qu’en se détachant de l’amitié on ne veut pas la remplacer par l’inimitié ; car il n’y a rien de plus honteux que d’être en guerre ouverte après une liaison intime.

« Il ne faut pas croire, dit très bien madame de Lambert, qu’après les ruptures vous n’ayez plus de devoirs à remplir ; ce sont les devoirs les plus difficiles, et où l’honnêteté seule vous soutient. On doit du respect à l’ancienne amitié. Il ne faut point appeler le monde à vos querelles ; n’en parlez jamais que quand vous y êtes forcé pour votre propre justification ; évitez même de trop charger l’ami infidèle, etc. »

Il ne faut pas laisser croître l’herbe sur le chemin de l’amitié.

Il ne faut pas négliger ses amis. Les Celtes disaient : « Sachez que, si vous avez un ami, vous devez le visiter souvent. Le chemin se remplit d’herbes, et les arbres le couvrent bientôt si l’on n’y passe sans cesse. »

L’amitié rompue n’est jamais bien soudée.

Les Espagnols disent par la même métaphore : Amigo quebrado, soldado, mas nunca sano. Ami rompu peut bien être soudé, mais il n’est jamais sain.

Il n’y a guère de réconciliation tout à fait sincère ; la défiance ou la trahison s’y mêlent presque toujours. Asmodée, parlant de sa dispute avec Paillardoc, a dit avec autant de vérité que de finesse : « On nous réconcilia, nous nous embrassâmes, et, depuis ce temps, nous sommes ennemis mortels. »

Il y a un proverbe patois fort ingénieux, dont voici la traduction littérale : L’amitié rompue ne se renoue point sans que le nœud paraisse ou se sente.