Dictionnaire des proverbes (Quitard)/croix

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croix.Chacun porte sa croix en ce monde.

Chacun a son affliction. Les peines, dit La Rochefoucauld, sont jetées également dans tous les états des hommes. — Ce proverbe est tiré de l’évangile où le Sauveur dit : Si quis vult me sequi deneget semetipsum et tollat crucem suam (Saint Marc, ch. viii, v. 34 ; Saint Luc, ch. ix, v. 23). Celui qui veut me suivre doit renoncer à lui-même et porter sa croix.

Le mot croix, pris dans le sens d’affliction, s’employait de même chez les Latins. Plaute, Térence, Cicéron, Columelle et d’autres auteurs en offrent plusieurs exemples.

À dix il faut faire une croix.

Proverbe qu’on emploie après une énumération de certaines qualités ou de certains défauts pour indiquer le nombre ou le degré élevé qui paraît y mettre le comble.

Mascarille, comptant les bévues de l’Étourdi, dans cette comédie de Molière (acte i, sc. 11) s’écrie :

Et trois :
Quand nous serons à dix nous ferons une croix,

« Ce proverbe vient peut-être de ce que, pour marquer dix en chiffres romains, on fait ce qu’on appelle une croix de saint André[1], ou croix de Bourgogne, X. — Court de Gebelin, dans son excellente Histoire de la parole, in-8, p. 123, dit que la croix fut la peinture de la perfection de dix, nombre parfait. » (Bret., Commentaire de Molière).

Faire une croix à la porte de quelqu’un.

Cette expression, dont on se sert pour dire qu’on ne veut plus aller dans la maison de quelqu’un, est fondée sur un usage des chevaliers qui, passant devant le château d’une personne de mauvaise renommée, ne daignaient pas y entrer, et fesaient une note d’infamie à la porte en y traçant une croix.

Jouer à croix et à pile.

Tout le monde connaît le jeu désigné par cette expression, qui est venue de ce que les monnaies du temps de saint Louis et de quelques-uns de ses successeurs, portaient sur une face l’empreinte d’une croix, et sur l’autre celle de deux piles ou piliers. Les uns pensent, avec l’historien italien Villani, que ces piles représentaient des bernicles, instruments de torture dont ce roi avait été menacé durant sa captivité, et dont les figures devaient rester pour rappeler un tel affront jusqu’à ce que lui ou ses barons en eussent tiré vengeance. Les autres croient qu’elles étaient des colonnes pareilles à celle que Louis-le-Débonnaire avait fait mettre sur ses monnaies où elles soutenaient une église surmontée d’une croix, avec cette légende : Xristiana religio[2].

Les monnaies de plusieurs villes de la Grèce et celles de Rome offraient d’un côté la tête de Janus, et de l’autre un vaisseau, qui était quelquefois remplacé chez les Grecs par une guirlande. Ces signes avaient été choisis en raison de ce que Janus passait pour l’inventeur de l’argent monnayé, des vaisseaux et des guirlandes. Les Romains jouaient comme nous en jetant en l’air une pièce de monnaie, et ils disaient : Caput aut navis, tête ou vaisseau. Macrobe et saint Augustin parlent de ce jeu. Les Italiens disent : Fiore o santo, fleur ou saint, parce que les monnaies de Florence et de quelques autres villes sont marquées de ces signes. L’expression des Espagnols est : castillo y léon, par allusion aux figures empreintes sur leurs pièces, dont un côté présente un château qui forme les armes du royaume de Castille, et l’autre un lion qui forme les armes du royaume de Léon. En Angleterre, on appelle king’s side, côté du roi, celui où est l’effigie du monarque, et cross’ side, côté de la croix, celui où se trouve ce signe du christianisme.

Jeter une chose à croix et à pile.

C’est abandonner une chose aux chances du hasard.

N’avoir ni croix ni pile.

C’est n’avoir pas le sou.

  1. Cette croix, composée de deux pièces de bois en sautoir, a été ainsi nommée, parce qu’elle fut l’instrument du martyre que l’apôtre saint André subit à Patras.
  2. Borel a rapporté d’autres explications que voici : « Pile vient d’un ancien mot qui signifie prince (aussi est-ce le côté où est la tête du prince qu’on nomme pile), ou bien de pileus, bonnet, parce que le pileus étant la marque de la liberté, on l’avait mis sur certaines monnaies ; ou bien encore de pyle qui en ancien gaulois se disait pour navire (d’où dérive pilote), car en la première monnoie, qui fut celle de Janus ou Noé, était représentée le navire ou arche, et j’en ai plusieurs de telles (monnaies) tant d’argent que de bronze. » (Antiq. gauloises.)