Dictionnaire des proverbes (Quitard)/figue

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figue. — Faire la figue à quelqu’un.

C’est lui montrer le pouce placé entre le doigt du milieu et l’index, pour lui faire nargue. Cette expression est fort ancienne ; car elle se trouve dans le roman de Jauffre, que M. Raynouard dit avoir été composé, au plus tard, vers le commencement du treizième siècle.

Et li fets la figa denant :
Tenetz, dis-el, en vostra gola.

On prétend qu’elle est fondée sur un fait historique rapporté par plusieurs auteurs, entre autres, Albert Krantz, Saxonia, lib. vi, c. 6 : — Herman Comerus, Apud Eccard, ii, 729 ; — Paradin, de antiq statu Burgundiæ, 1542, pag. 49 et 50 ; — et Rabelais, liv. iv, ch. 15. Les Milanais, disent ces auteurs, s’étant révoltés, en 1162, contre Frédéric Ier, chassèrent de leur ville la princesse Béatrix, épouse de cet empereur, après l’avoir promenée sur une mule nommée Tacor, le visage tourné vers la queue, qu’elle était obligée de tenir à la main, en guise de bride. Frédéric, brûlant de venger un tel affront, marcha précipitamment contre les rebelles, les réduisit à l’impossibilité de résister, fit placer par le bourreau une figue dans l’anus de la mule, ordonna que chacun l’en retirât avec les dents et la remit en place de la même manière, après l’avoir présentée à l’exécuteur des hautes-œuvres, en disant : Ecco la fica, voilà la figue ; le tout sous peine d’être pendu à l’instant. Quelques-uns aimèrent mieux périr que de se soumettre à cette humiliation ; mais la crainte du supplice y détermina tous les autres. Les Italiens, depuis lors, quand ils veulent mortifier les Milanais, leur reprochent un acte si honteux par le signe de dérision qui s’appelle, chez eux, Far la fica, et chez nous, Faire la figue.

M. Sismonde-Sismondi regarde ce fait comme faux ; parce qu’il ne l’a trouvé consigné dans aucun écrit contemporain et pour d’autres raisons qu’il a exposées dans l’article Béatrix de la Biographie universelle. S’il en est ainsi, et je crois qu’il n’est guère permis d’en douter lorsqu’on a lu ce que dit ce savant historien, l’expression doit avoir une origine différente de celle qui lui est attribuée. D’où est-elle donc venue ? Le mot fica, figue, n’y désigne-t-il pas une tout autre chose qu’un fruit ? Et Rabelais ne semble-t-il pas avoir voulu indiquer ce qu’il faut entendre par ce mot, lorsqu’il a donné à la mule le nom hébreu de Tacor, signifiant un fic qui s’engendre au fondement ? Tout porte à croire qu’il s’agit d’une allusion obscène que saisiront facilement ceux qui savent l’extension de sens de fica dans les écrits licentieux de l’Arétin. Ce qui ajoute encore à la probabilité de la conjecture, c’est qu’en Italie il y a aussi l’expression Far la castagna (faire la châtaigne), tout à fait synonyme de Far la fica. Or le terme de castagna, comme celui de fica, prend très fréquemment une acception déshonnête dans le langage de ce pays, ainsi que dans nos patois méridionaux.

Les Latins disaient : Ostendere medium unguem. Mais cette locution employée par Juvénal (sat. x, v. 53) n’exprimait pas la même chose que la nôtre. Millin s’est étrangement trompé lorsqu’il l’a traduite par montrer la moitié de l’ongle ou le bout du ponce entre deux doigts ; elle signifiait : montrer le doigt du milieu, la partie y étant prise pour le tout, et elle était la même que cette autre : Digit un porrigere medium. Il n’y avait pas, chez les anciens, de plus forte marque de mépris que de narguer quelqu’un avec le doigt du milieu, nommé verpus, à verrendo podice, suivant l’abbé Tuet. Perse appelle ce doigt infâme, et Martial impudique.

Moitié figue, moitié raisin.

Moitié de gré, moitié de force, en partie bien, en partie mal. — Les Italiens disent : Moitié mâle, moitié femelle ; et les Auvergnats : Moitié chien, moitié lièvre.