Dictionnaire des sciences philosophiques/2e éd., 1875/Clémangis

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H. Bouchitte
Dictionnaire des sciences philosophiques
par une société de professeurs et de savants

CLÉMANGIS (Nicolas-Nicolaï), né à Clamange, près Châlons-sur-Marne, et connu sous le nom de Nicolas de Clémangis, eut pour maîtres Pierre d’Ailly et Gerson au collége de Navarre, où il entra à l’âge de douze ans. D’un esprit plus délicat que la foule des scolastiques, dont toute la littérature se bornait à la connaissance de la langue à moitié barbare de l’école, il avait un goût particulier pour la culture des lettres. Soupçonné d’être, par intérêt, défavorable à la résolution de Charles VI de retirer l’obédience à Benoît XIII, dont il était secrétaire, il fut persécuté et se retira dans l’abbaye des Chartreux du Valprofond, d’où il chercha une retraite plus solitaire encore dans un lieu appelé Fons in Bosco. C’est là qu’il composa son traité de Studio theologico, et, peu de temps après, le livre de Corrupto Ecclesiæ statu. Nonobstant ce dernier ouvrage, peut-être même à cause de lui, il n’assista pas au concile de Constance. On pense qu’il mourut vers 1440. Il avait été successivement trésorier de Langres et chantre à Bayeux. Fidèle à l’idée d’une réforme dont il avait démontré la nécessité, il ne consentit jamais à posséder plusieurs bénéfices à la fois, et il refusa une prébende qu’on voulait lui faire accepter dans l’église du Mans, ajoutant spirituellement (Epist. lxxvi) : Ne quo minus mihi restat viæ plus viatici quæsisse merito arguas. Ses liaisons avec Benoît XIII ne l’empêchèrent pas de le quitter, lorsqu’il ne douta plus que l’ambition ne fût l’unique mobile des actions de ce pontife.

Il n’est pas facile de savoir quelle direction philosophique suivit Nicolas de Clémangis. Ses lettres, conservées au nombre de cent trente-sept, ses nombreux écrits sur les vices des ecclésiastiques, et les abus invétérés dans l’Église, son traité même de Studio theologico, ne donnent point de lumières à ce sujet. Ce qui paraît certain, c’est le peu de cas qu’il faisait de la scolastique. Aussi sommes-nous disposés à penser que, s’il a adopté les idées de Pierre d’Ailly, son maître dans les matières alors controversées, ce fut sans attribuer à la dialectique une grande importance. Quelques indices nous portent à croire que, fatigué des arguties sans résultat de la philosophie des écoles, et dégoûté des vices qui réduisaient le clergé à l’impuissance, il chercha quelques diversions dans la culture des lettres et dans la lecture des livres saints. Il reproche, en effet, aux théologiens la négligence qu’ils mettaient à étudier l’Écriture sainte, et leur applique cette parole de saint Paul à Timothée : Languere circa quæstiones et pugnas verborum (I, c. vi, v 4) ; quod est sophistarum, ajoute-t-il, non theologorum. On n’apprend pas sans intérêt, par le passage qui suit immédiatement cette citation (Spicileg., t. VII, p. 150), quelle supériorité les scolastiques de ce temps attribuaient à la raison sur la parole de la Bible ; c’est, sous une forme moins hardie, la querelle des temps modernes entre la raison et la foi, et la recommandation que fait Nicolas de Clémangis de se soumettre à la parole sainte est presque un rappel à l’autorité. Nous croyons donc que cet écrivain, justement célèbre par l’élégance et la pureté de son style, plus lettré d’ailleurs que philosophe, partagea plutôt la réserve de Gerson que la confiance avec laquelle d’Ailly se voua à la dialectique qui fit sa puissance et sa gloire. Ses œuvres ont été publiées à Leyde, 1613, in-4.

H. B.