Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arnauld 3

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ARNAULD D’ANDILLI (Robert), fils aîné du précédent, a été une personne de grand mérite. Voyez son éloge dans le Dictionnaire de Moréri, et dans les hommes illustres de M. Perrault. Il épousa mademoiselle de la Bodrerie, fille de celui qui a été si long-temps ambassadeur en Angleterre, et petite-fille d’une sœur du chancelier de Silleri. De ce mariage sortirent cinq filles, toutes religieuses à Port-Royal (dont l’aînée, sœur Angélique de saint Jean, a passé pour un prodige d’esprit, de savoir, et de vertu), et trois fils. L’aîné est M. l’abbé Arnauld, abbé commandataire de Chomes. [a] qui, ayant porté les armes long-temps pour le service du roi, dans le régiment d’Isaac Arnauld son cousin, mestre-de-camp des carabins, se retira auprès de M. l’évêque d’Angers son oncle. Le second est Henri Arnauld, sieur de Luzancy, qui a passé sa vie dans la solitude. Le troisième est Simon Arnauld marquis de Pompone, ci-devant ministre et secrétaire d’état, et à présent encore ministre d’état, connu par ses ambassades de Hollande et de Suède [b]. M. Arnauld d’Andilli fut mis de bonne heure dans le grand monde. Il y a eu divers emplois qui l’attachaient à la cour, et à la suite du feu roi, et il ne se laissa point corrompre au mauvais air que l’on y respire (A). On peut voir dans le recueil de ses lettres le différent qu’il eut avec le président de Grammond, qui avait parlé de lui dans son histoire latine autrement qu’il ne devait. Ceux qui forgèrent le roman de l’assemblée de Bourg-Fontaine, désignèrent par les lettres A. A. l’un des prétendus complices du dessein que l’on suppose qui y fut pris d’introduire le déisme ; et quand ils virent que ces lettres ne pouvaient pas convenir à M. Arnauld le docteur, ils indiquèrent une autre personne, savoir Arnauld d’Andilli, comme on s’en est enfin expliqué fort nettement [c]. Mais l’auteur des factums des petits-neveux de Jansénius a fait voir par de solides raisons, que cette seconde application des deux A. A. était absurde (B). M. d’Andillli se retira au couvent de Port-Royal, en 1644 (C), et y a passé le reste de ses jours dans une application continuelle à des ouvrages de piété. Il y composa beaucoup de livres [d], que le public a reçus favorablement, et qui sont en telle quantité, qu’on en a imprimé huit volumes in-folio [e]. Il y mourut le 27 de septembre 1674, dans la quatre-vingt-sixième année de son âge [f].

Il avait perdu sa femme, l’an 1637, et il est bon de savoir la réflexion de Balzac sur cette perte (D).

  1. Il est mort au mois de février 1699.
  2. Tiré du Mémoire inséré dans le Mercure Galant, au mois de décembre 1693.
  3. Dans la Réponse du père Hazart, au factum des petits-neveux de Jansénius. Voyez leur IVe. factum, pag. 14.
  4. Voyez-en la liste à la fin de son Éloge, dans le Journal des Savans, du 9 de septembre 1675.
  5. Perrault, Hommes illustres, pag. 142, édition de Hollande.
  6. Moréri, pag. 346.

(A) Il eut divers emplois... à la cour,..... et il ne se laissa point corrompre au mauvais air que l’on y respire. ] C’était « l’un des hommes de France qui a eu pendant toute sa vie à la cour, à Paris, et dans les provinces, une réputation mieux établie [* 1], et plus généralement reconnue de piété et de probité, n’y ayant personne qui n’ait souscrit de bon cœur à ce qu’a écrit de lui, il y a plus de cinquante ans, un auteur célèbre, qu’il ne rougissait point des vertus chrétiennes, et ne tirait point de vanité des morales ». Voilà ce qu’on trouve dans le IVe factum des petits-neveux de Jansénius [1]. On y trouve aussi [2], « qu’avant même qu’il eût quitté le monde, et lorsqu’il était à la cour, il a voulu que tout ce qu’il avait de génie pour les vers ne fût consacré qu’à la gloire de son Sauveur, et à faire goûter les vérités chrétiennes ; car il ne s’était point encore retiré, quand il a fait son poëme de la vie de Jésus-Christ [3], et ses stances sur les plus belles et les plus édifiantes vérités de notre religion. »

(B) On a fait voir …… que l’application qu’on lui faisait des deux A. A., pour le faire membre de l’assemblée de Bourg-Fontaine, était absurde. ] Je ne rapporterai pas toutes les raisons qu’on a alléguées pour le montrer, je dirai seulement qu’on a observé, entre autres choses, qu’il était de tous les voyages que le roi Louis XIII faisait toutes les années, avant et après le temps de l’assemblée chimérique de Bourg-Fontaine [4], pour dompter ceux de ses sujets que leur fausse religion avait engagés dans la révolte [5]. Ce lui était une occasion, ajoute-t-on [6], d’avoir plus de zèle pour la religion catholique, par l’aversion que ces sortes de guerres font avoir de l’hérésie ; mais ce n’était pas un moyen de devenir théologiens n’ayant jamais étudié en théologie, comme il aurait fallu être pour soutenir le personnage qu’on fait jouer à tous les auteurs de la fable de Bourg-Fontaine. Il savait de la religion ce qu’un homme de grand esprit en peut apprendre par le catéchisme, par les livres de piété, par la conversation avec des personnes fort saintes, en lisant la parole de Dieu et l’entendant prêcher ; mais moins il savait ce qu’on en enseigne dans l’école, plus il était incapable de former des doutes sur la vérité de nos mystères [7], parce qu’il s’était accoutumé de bonne heure à captiver son esprit sous l’autorité divine, qui nous est manifestée par l’Église, et que jamais personne n’a été plus éloigné de chicaner avec Dieu, et de vouloir comprendre par la raison faible et superbe ce que l’on se doit contenter de croire par une humble foi.

(C) Il se retira dans le couvent de Port-Royal. ] Continuons à citer le IVe. Factum. « Ce fut à Port-Royal des Champs qu’il se retira l’an 1644, où ses neveux, M. le Maître l’avocat, et un de ses frères, qui était d’épée, s’étaient retirés il y avait cinq ou six ans, lorsqu’il n’y avait point encore de religieuses. Car ce ne fut qu’en 1648, que la maison de Paris obtint de M. l’archevêque d’envoyer une partie des religieuses à leur maison des Champs. » C’est à mon lecteur à choisir entre l’auteur de ce factum et M. Richelet [8], qui ne donne pour lieu de retraite à M. Arnauld d’Andilli que sa maison de Pompone : je me contente de mettre de front ces deux diverses autorités [* 2], et je rapporte d’autant plus agréablement ce que l’on va lire, que l’on y trouve quelques-unes de ces choses particulières concernant la vie des grands personnages, desquelles tant de gens sont si curieux. « Arnaud d’Andilli… servit vingt ans le roi et l’état. On lui donna pour récompense de ses services huit mille livres de pension, qui furent réduites à six : avec cela, il se retira à Pompone, village à 7 ou 8 lieues de Paris. Là, s’étant détrompé des vanités du monde, et menant une vie véritablement chrétienne, il composa plusieurs ouvrages. Ses lettres, le poëme sur la vie de Jésus-Christ [9]... Josephe, de l’Histoire des Juifs, les œuvres de sainte Thérèse, et celles de Davila, sont les fruits de sa solitude... La meilleure de ses traductions est celle de Josephe [10]. Un jour que Richelet l’alla voir à Pompone, qu’il n’y avait pas long-temps qu’elle était publiée, la conversation, en suite de quelques discours, tomba sur la manière dont les auteurs travaillaient. Comme il savait que Richelet connaissait particulièrement le célèbre d’Ablancourt, il lui demanda combien de fois cet excellent homme retouchait chaque ouvrage qu’il donnait au public : Six fois, répondit Richelet : Et moi, lui répliqua M. Arnauld, j’ai refait dix fois l’Histoire de Josephe ; j’en ai châtié le style avec soin, et l’ai beaucoup plus coupé que celui de mes autres œuvres. Arnauld d’Andilli... dans sa retraite, après 7 ou 8 heures d’étude chaque jour, se divertissait à prendre les plaisirs de la campagne, et surtout à cultiver ses arbres. Il lui venait de si beaux fruits, qu’il en envoyait tous les ans à la reine Anne d’Autriche ; et cette princesse les trouvait si à son goût, que dans le temps elle demandait qu’on lui en servît. » Cette application au jardinage, et à philosopher profondément sur la nature des arbres, est attestée par M. Perrault, dans ses Hommes illustres, à la page 143 de l’édition de Hollande.

(D) Il perdit sa femme en 1633. Voici la réflexion de Balzac sur cette perte. ] Ce qu’il écrivit là-dessus fait beaucoup d’honneur à notre Robert Arnauld, et à sa famille. « La nouvelle de la mort de madame d’Andilli m’a touché sensiblement. Je prends part à tous les bons et mauvais succès d’une famille qui doit être chère à la France, et qui est née pour la gloire du nom français. Mais je plains particulièrement notre ami qui, n’ayant jamais eu de passion défendue, perd en sa femme toutes ses maîtresses et tous ses plaisirs. Il est néanmoins si savant en la doctrine chrétienne, et a tant de savans de sa race à l’entour de lui, qu’il n’a pas besoin de la philosophie stoïque, ni d’aucun autre secours étranger, pour se défendre contre les attaques de la fortune. Tout raisonne, tout prêche, tout persuade, en cette maison, et un Arnauld vaut une douzaine d’Épictètes [11]. »

  1. * Dans une lettre à Bernard, insérée d’abord dans les Nouvelles de la République des Lettres, avril 1704, et qui se retrouve, soit dans les éditions des Lettres de Bayle, soit dans les Œuvres diverses de Bayle, Des Maizeaux, sur le témoignage de Dubois d’Annemetz, page et favori du duc d’Orléans, peint Arnauld d’Andilli sous de bien vilaines couleurs. Le père Bougerel écrivit à ce sujet une lettre à des Maizeaux ; il y prend vigoureusement la défense d’Arnauld. Des - Maizeaux, frappe des raisons du père Bougerel, envoya sa lettre aux rédacteurs d’un journal, et joignit un petit billet dans lequel il reconnaît avoir eu tort. Jordan, qui dans son Voyage littéraire, pag. 120, loue des Maizeaux de s’être retracté, et Joly qui copie Jordan en le citant, n’indiquent ni l’un ni l’autre où l’on peut trouver la lettre de Bougerel et le billet de des Maizeaux. La Bibliothéque historique de la France ne mentionne pas même ces deux pièces, qui sont imprimées dans la Bibliothéque raisonnée des Ouvrages des Savans, tom. V, pag. 356, et tome VI, pag. 71.
  2. * Leclerc dit qu’Arnauld, retiré en 1644 à Port-Royal des Champs, y resta jusqu’en 1664 ou environ. Il alla alors à sa terre de Pompone où Richelet le vit en 1667. Il se retira dans la suite à Port-Royal et y finit ses jours.
  1. À la page 12.
  2. Page 18,
  3. Voyez ci-dessous la remarque (C), citation (9).
  4. Ce temps est l’année 1621.
  5. IVe. Factum des petits-neveux de Jansénius, pag. 18.
  6. Là même.
  7. Ces paroles sont très-notables, et confirment ce que plusieurs soupçonnent, qu’il n’y a guère de gens moins persuadés que ceux qui emploient le plus de temps à disputer et à enseigner dans les écoles.
  8. Voyez le jugement qu’il fait de M. Arnauld d’Andilli à la tête du recueil des Lettres, qu’il a publié, pag. 10, édition d’Amsterdam en 1694.
  9. Cela est contraire à ce qui a été dit ci-dessus dans la remarque (A), citation (3).
  10. Les critiques y trouvent beaucoup de fautes. Voyez les Sentimens de quelques théologiens de Hollande. J’ai ouï dire que M. le Moyne fut prié par les amis de M. d’Andilli de marquer les endroits il croyait que le traducteur se serait trompé, et qu’il s’en excusa, crainte d’en marquer trop.
  11. Balzac, lettre XIX du IIe. livre à Chapelain, datée du 14 d’août 1637, pag. 82.

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