Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arodon

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ARODON (Benjamin d’), juif allemand, auteur d’un livre rempli de préceptes pour les femmes. Il a été traduit d’allemand en italien par le rabbin Jacob Alpron. Cette version fut réimprimée à Venise, l’an 5412, selon le calcul des Juifs [a], après avoir été exactement corrigée par le rabbin Isaac Lévita. Ce livre est fort chargé d’observances, non-seulement pour la propreté du corps, mais aussi pour la pratique des prières et des bonnes œuvres. Les observances du premier ordre contiennent souvent des minuties, ou des régularités superstitieuses, et il y a quelquefois un grand rigorisme dans celles du second ordre (A). C’est ce que l’on verra plus amplement dans la remarque qui accompagne cet article.

  1. Je crois que cela répond à notre année 1652.

(A) Il y a un grand rigorisme dans les observances que contient son ouvrage. ] Car, par exemple, on ordonne au mari et à la femme de ne dire mot pendant le devoir conjugal, et de n’avoir que des pensées pieuses, sans aucune application au plaisir ; et on leur déclare que, s’ils agissent d’une autre manière, leurs enfans naîtront difformes. Ogni persona deve esser avvertita, tanto l’huomo, come la donna, nel tempo che si congiungono insieme non devono parlar, nè haver niun cattivo pensiere, nè debbano scoprire li luoghi occulti e vergognosi, perche quelli che parlano in quel tempo che si congiungono insieme, quella creatura che viene conceputa in quell’ instante, riuscisse dal ventre della madre con qualche מקרה, o zoppo, o muto, o guercio, o simili mancamenti, o del tuto distrutto, e mal conditionato… non devono haver intentione in quell’ instante alli piaceri, ma solo per adempir il voler divino.. [1] : ambidui devono pensarin quell’ instante, che questo non lo fanno per il lor giovamento ed adempir di lor appetit carnali, ma solo per mantener il precetto.... ogn’ huomo da bene fa quello, che deve pensare in quell’ instante, perche si deve pensar solo a pensieri santi e pii [2]. Cette morale est très-belle, et très-rigide tout ensemble. Voyez ce que l’on a dit dans les Nouvelles de la République des Lettres [3] touchant un livre de M. Yvon, ministre des Labadistes. Une si grande pureté est de ces sortes de biens qu’il est plus facile de souhaiter que d’espérer ; mais néanmoins, les casuistes sont fort louables, quand ils insistent là-dessus, et qu’ils tâchent d’introduire la pureté où les fureurs d’une convoitise brutale ne règnent que trop. Si notre rabbin avait cru, comme église romaine, que le mariage est un sacrement, il n’aurait pas exigé que ceux qui y participent eussent des dispositions plus saintes que celles qu’il leur demande. Il leur impose tout à la fois la loi du favete linguis [4], dont les païens recommandaient l’observation dans les grands mystères, et celle du sursùm corda, que l’ancienne église n’oubliait jamais de notifier dans la célébration de ses plus augustes cérémonies. En un mot, il est certain que si cet homme eût reçu avec une entière foi la doctrine de Jésus-Christ, et s’il eût été animé de l’esprit de grâce, il n’eût pas donné des conseils plus dignes de la pureté évangélique. Cela doit faire honte aux docteurs de relâchement qui sont si communs parmi les chrétiens.

Notez que le dogme de ce rabbin ne s’accorde guère avec le conseil des docteurs en médecine. Ceux-ci prétendent qu’un enfant conçu sous des distractions d’esprit, je veux dire, sous des pensées sérieuses, graves, immatérielles, est niais, sot et imbécile [5] ; et ils donnent de tout autres conseils à ceux qui désirent des enfans [6] : mais pour peu qu’on soit raisonnable, on demeurera d’accord qu’ils mènent les hommes à une très-mauvaise école de chasteté : leurs préceptes ne sont faits que pour des gens qui voudraient borner toutes choses à une vie animale, terrestre, sensuelle, épicurienne. Il faut aller à l’école du rabbin, si l’on veut apprendre à se comporter dans cette partie des devoirs, en créature douée d’une âme spirituelle, et qui ne veut point se rendre digne de cette censure,

O curvæ in terras animæ et cœlestium inanes [7] ;


On comprendra mieux combien la morale de ce Juif est belle et sublime, si l’on se souvient qu’elle est directement opposée aux maximes de ces docteurs de corruption, qui ont rempli leurs poésies de tant de lascivetés. Ces dangereux empoisonneurs se gardent bien de conseiller le silence ; et c’est ce qui a fait trouver à un moderne quelques preuves de l’interprétation qu’il a donnée aux paroles d’un poëte grec, qui contiennent la description de l’antre des nymphes. Pour le regard du murmure agréable dont Homère parle, dit-il [8], ce sont sans doute ces paroles obligeantes des amans, cet ohime cor mio des italiens, ce ζωὴ καὶ ψυχὴ des Grecs, et cet alma de mi alma des Espagnols, qui accompagnent les plus favorables privautés, et qui font dire au plus savant de tous les poëtes en l’art d’aimer :

Accedant questus, accedat amabile murmur,
Et dulces gemitus, aptaque verba joco [* 1].


Voyez comme il parle ailleurs :

Et mihi blanditias dixit, dominumque vocavit ;
Et quæ prætereà publica verba juvant [* 2]


Je ne vous apprendrai pas que le terme juvare est tout-à-fait érotique, et consacré aux dernières délices de l’amour, qu’expriment encore, aussi bien que le murmure, ces deux vers du même auteur :

Me voces audire juvat sua gaudia fassas,
Utque morer, me, me, sustineamque roget [* 3].


..... L’épithalame célèbre de l’empereur Gallienus, que Trebellius Pollio préfère à ceux de cent poëtes qui s’exercèrent aussi sur le même sujet, représente merveilleusement bien encore ce sourd et obligeant murmure, et les caresses qui en sont inséparables. L’on veut que tenant la main des enfans de ses frères qu’il mariait, il leur prononçât ces vers de sa façon :

Ite, Ite, ô pueri, pariter sudate medullis.
Omnibus inter vos, non murmura vestra columbæ,
Brachia non hederæ, non vincant oscula conchæ.


Certes il est difficile de rien dire de plus pathétique, ou de plus passionné là-dessus. Être diamétralement opposé à ces faux docteurs, à ces pestes de la jeunesse, c’est un grand éloge, c’est un préjugé légitime que la morale que l’on avance est d’une admirable pureté. Il faut joindre à tout ceci la judicieuse réponse qui fut faite par le célèbre M. Drelincourt à un évêque qui s’était servi d’une remarque tout-à-fait indigne, je ne dirai pas d’une personne de son caractère, mais aussi d’un laïque qui aurait eu quelque dégoût du style badin. Au lieu d’effacer de ses larmes, ce sont les paroles de M. Drelincourt [9], ces façons de parler, que la vierge Marie est l’esprit et la vie des chrétiens, il les défend par des railleries qu’il ferait beaucoup mieux de laisser à ceux qui montent sur le théâtre. Vous autres, dit-il, messieurs les pasteurs de l’église protestante, qui avez des chères moitiés, non tant comme des accidens inséparables de votre substance, que comme les os de vos os, et la chair de votre chair, voire, qui n’êtes qu’une chair en deux personnes, dites bien d’autres termes plus caressans à ces âmes de vos âmes, à ces vies de vos vies, à ces vies de vos cœurs et de vos âmes, à ces âmes de vos vies et de vos cœurs, que le monde n’entend pas : car vous êtes ces spirituels, qui jugez tout le monde, voire les anges, à plus forte raison les Romains, sans pouvoir être jugés de personne. Je ne sais qui lui en a tant appris, et ne puis pas répondre de ceux qui ont des femmes à la dérobée. Mais un personnage grave, qui vit en un chaste mariage, ne s’étudie point à une si extravagante rhétorique. Le prélat répliqua d’une façon si burlesque que rien plus [10].

  1. (*) Ovidius, lib. II, vs. 723, de Arte amandi.
  2. (*) Lib. III Amorum, Eleg. VII, vs. 11.
  3. (*) Lib. II de Arte amandi, v. 689.
  1. Precetti da esser imparati dalle Doune Ebree, cap. LXX, pag. 41, 42.
  2. Là même, cap. LXXI, pag. 43.
  3. Mois de novembre 1685, pag. 1290.
  4. Horat., Od. I, lib. III. Voyez là-dessus ses commentateurs.
  5. Voyez la remarque (C) de l’article François d’Assise, dans le second alinéa.
  6. Voyez Roderic de Castro, de Naturâ Mulierum, lib. III, cap. V.
  7. Persius, Sat. II, vs. 61.
  8. Hexameron rustique, IVe. journée, pag. 112 et suiv.
  9. Drelincourt, Avant-Coureur de la Réplique à M. le Camus, évêque de Belley, pag. 36, 37.
  10. Voyez sa Réponse à l’Avant-Coureur de M. Drelincourt, pag. 156.

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