Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Artaxata

La bibliothèque libre.

◄  Artavasde
Index alphabétique — A
Artaxias Ier  ►
Index par tome


ARTAXATA (A) était la ville capitale de l’Arménie sur la rivière d’Araxe. Ce fut Annibal qui non-seulement en traça le plan, mais qui en dirigea aussi la construction, à la prière d’Artaxias, roi d’Arménie, chez qui il s’était retiré après la défaite d’Antiochus [a]. On peut croire qu’une situation, qui avait été choisie par un si grand capitaine, était fort avantageuse (B), soit en temps de guerre, soit en temps de paix. Cette ville fut brûlée par Corbulon, l’an de Rome 811 [b]. Ce grand capitaine n’aurait point exercé cette rigueur contre les habitans, qui lui avaient porté les clefs de la ville dès qu’il l’eut fait investir, si les lois de la guerre ne l’y eussent comme forcé (C). C’était une grande ville, qu’il ne pouvait garder sans une grosse garnison ; il ne pouvait y laisser autant de soldats qu’il y en fallait, sans affaiblir de telle sorte son armée, qu’il eût été hors d’état de rien entreprendre ; et il n’y eût eu ni profit ni gloire à la conquête d’une place qu’on aurait abandonnée toute telle qu’on l’aurait prise. Il se résolut donc à la ruiner, et y fut encouragée par un grand miracle (D), si credere dignum est. La ville fut couverte tout d’un coup d’un nuage épais d’où partaient une infinité d’éclairs, pendant que le soleil luisait comme de coutume jusqu’à l’enceinte des murailles. Cette ville fut rebâtie quelque temps après par Tiridate, qui la nomma Néronée, pour faire honneur à Néron [c], duquel il avait reçu nulle caresses à Rome, où il était allé lui rendre hommage l’an de Rome 819.

  1. Plutarc., in Lucullo, pag. 513. Strabo, lib. XI, pag. 364. Voyez l’article d’Artaxias Ier., citation (c).
  2. C’est le 58e. de Jésus-Christ.
  3. Xiphil. in Nerone.

(A) Artaxata. ] Plutarque observe que cette ville tira son nom de celui du roi Artaxas (ou Artaxias) à qui Annibal en proposa la construction [1]. Ce que MM. Lloyd et Baudrand remarquent, que Tacite l’appelle Artaxie, n’est pas vrai : il l’appelle constamment Artaxata. Ce qu’ils ajoutent, que Strabon la nomme Artaxiasata [2], n’est point exact ; car c’est clairement insinuer qu’il ne la nomme qu’ainsi, ou que du moins c’est le principal nom qu’il lui donne. Or il est certain qu’il l’appelle principalement Artaxata, et qu’il se contente de dire une fois qu’elle avait le nom d’Artaxiasata. Pinedo a eu raison de changer Ἀρταξιασώτα en Ἀρταξιάσατα dans Étienne de Bysance, qui sans doute n’a point parlé autrement que Strabon, puisqu’il le cite. Il est sûr, du moins, qu’il n’a pas nommé cette ville Artaxia, comme Ortelius le lui impute aussi faussement qu’à Tacite. L’omission que Pinedo reproche à cet Étienne est inexcusable ; car qu’Annibal réfugié dans l’Arménie, et remarquant une situation très-avantageuse, ait conseillé au prince son hôte d’y faire bâtir une ville, et qu’il se soit chargé de la direction de ce travail, est une circonstance que l’on ne doit pas supprimer dans un dictionnaire de villes. Je dirais volontiers qu’Étienne, ayant Strabon devant les yeux, quand il fit l’article d’Artaxata, n’oublia point ce qu’il y vit touchant Annibal, et que c’est à son abréviateur, moins habile homme que lui, qu’il faut imputer la négligence dont Pinedo a fait une juste plainte. Il n’y a peut-être point d’ouvrage qui demande plus de discernement et de bon goût que l’abrégé d’un gros livre [3]. Je ne me lasse point de faire cette remarque, parce que je porte chaque jour la peine de la négligence des abréviateurs. Ils sont cause que je trouve des obscurités embarrassantes en cent endroits, qui apparemment étaient fort intelligibles dans l’auteur qu’on a abrégé. Voyez ce que M. Gronovius observe contre les auteurs du Synopsis Criticorum [4].

(B) Sa situation était fort avantageuse. ] Strabon nous apprend qu’Artaxata était bâtie dans un endroit où la rivière faisait une péninsule, de sorte que les murailles étaient entourées de cette rivière, comme d’un cercle presque entier. Son traducteur n’a pas entendu la chose, et Pinedo le lui a fort justement reproché [5]. Si l’on ne consultait que la version, on croirait que cette ville était sans murailles, hormis l’endroit où la rivière ne l’entourait pas : Cincta muri loco flumine, nisi qua isthmus est. Le grec ne dit point cela : Τὸ τεῖχος κύκλῳ προϐεϐλημένον τὸν ποταμὸν, πλὴν τοῦ Ἰσθμοῦ.

(C) Elle fut brûlée par Corbulon…… que les lois de la guerre y avaient comme forcé. ] Plus on considère les suites inévitables de la guerre, plus se sent-on porté à détester ceux qui en sont cause. Voilà Corbulon qui réduit en cendres une grande et belle ville, et qui jette dans la dernière désolation une infinité de femmes, d’enfans, de vieillards, qui ne lui avaient jamais fait aucune injure. Demandez à ceux qui entendent le plus à fond le métier des armes s’il fit bien, ils vous répondront qu’il fit très-bien, et qu’au cas qu’il ne l’eût point fait, il aurait agi en très-malhabile général, comme il eût été aisé de l’en convaincre par les raisons que Tacite a exposées. Artaxatis ignis immissus, deletaque et solo æquata sunt, quia nec teneri sine valido præsidio ob magnitudinem mœnium, nec id nobis virium erat quod firmando præsidio et capessendo bello divideretur, vel si integra et incustoditar elinquerentur, nulla in eo utilitas aut gloria quòd capta essent [6]. Les insultes que l’on fait à son ennemi, lorsqu’il abandonne ses conquêtes sans les mettre hors d’état de lui nuire, ou qu’il ne les garde qu’en affaiblissant trop ses armées, le rendent si méprisable que, pour maintenir sa réputation, l’un des plus grands ressorts de la guerre, il ne faut jamais donner lieu à ces insultes. C’est donc par une fatale et malheureuse nécessité, que les dures lois de la guerre obligent à priver son ennemi de ce dont on ne saurait profiter soi-même.

(D)... et qui y fut encouragé par un grand miracle. ] Tacite, avec tout son grand esprit, donnait d’aussi bon cœur qu’un autre homme dans ce merveilleux dont on aime à se repaître. Les habitans d’Artaxata cherchèrent sans doute à se consoler de la ruine de leur ville, entre autres raisons, par quelque miracle qui les assurât que les dieux ne l’avaient point agréée ; et ils crurent aisément tout ce que l’on inventa dans cette vue. Mais ils n’ont point eu d’historien qui ait fait parvenir jusqu’à nous ce qu’ils crurent. Les Romains, de leur côté, ne manquèrent pas de gens qui surent tourner la médaille. Nous le savons, grâces à Tacite : Adjicitur miraculum velut numine oblatum, nam cuncta extrà teclis hactenùs sole inlustria fuêre, quod mœnibus cingebatur ità repentè atrâ nube coopertum fulguribusque discretum est, ut quasi infensantibus deis exitio tradi crederetur [7].

  1. Plutarch., in Lucullo, pag. 513.
  2. C’est apparemment par une faute d’impression qu’on lit Arraxiasatra dans M. Baudrand.
  3. Voyez ci-dessus la fin de la remarque (C) de l’article Achille [tom. I, pag. 147], et la remarque (C), num. VII, de l’article Arsinoé.
  4. Gronovius, in Tractatu de Judâ Proditore. Consultez les Nouvelles de la République des Lettres, mai 1684, art. VI, pag. 276.
  5. Pinedo, in Stephan, de Urbibus, pag. 117.
  6. Tacit., Annal., lib. XIII, cap. XLI.
  7. Idem, ibidem.

◄  Artavasde
Artaxias Ier  ►