Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Asclépiade 1

La bibliothèque libre.

◄  Artémise
Index alphabétique — A
Asclépiade  ►
Index par tome


ASCLÉPIADE, natif de Phlie [a] au Péloponnèse, tient un rang considérable parmi les anciens philosophes. Il fut disciple de Stilpon [b], et il attira Ménedème à la même école ; Ménedème, dis-je, avec qui il contracta une si tendre amitié [c], qu’on pouvait la comparer à celle d’Oreste et de Pylade (A). Après avoir étudié sous Stilpon à Mégare, ils passèrent à Élide, et y conférèrent avec les disciples de Phédon [d]. Ils étaient tous deux fort pauvres, et il fallut qu’à la sueur de leur corps ils gagnassent de quoi vivre (B). Ils ne laissèrent pas de s’appliquer à l’étude, et de devenir de bons philosophes. Ménedème était plus jeune que son ami [e] : ils ne se réglèrent point sur la différence de leur âge, quand ils voulurent se marier. Leur dessein était de vivre ensemble, de loger ensemble, après même leur renoncement au célibat. Ils jugèrent donc nécessaire de choisir leurs femmes avec une précaution qui leur pût promettre la concorde domestique, et ils crurent avoir trouvé leur fait dans une famille où il y avait une femme mère d’une fille, l’une et l’autre en état d’être mariées. Ménedème épousa la mère, et Asclépiade la fille [f]. Celle-ci étant morte, Ménedème céda son épouse à son ami, et se maria avec une fille riche ; mais il voulut que tout le gouvernement de la maison fût entre les mains de la femme d’Asclépiade. Il ne lui fut pas difficile de trouver un bon parti, car il avait la principale autorité dans la ville où il demeurait [g] : je veux dire dans Érétrie, son lieu natal. Asclépiade y mourut fort vieux [h]. Il vécut avec beaucoup de frugalité dans l’opulence du logis de son ami [i], et il supporta tranquillement le malheur qu’il eut de perdre la vue (C). On put connaître que sa mort n’éteignit point l’amitié que Ménedème avait sentie pour lui (D). Puisque j’ai dit qu’il fut disciple de Stilpon, il n’est pas nécessaire que j’observe qu’il a fleuri un peu après la mort d’Alexandre. Il eut un fils, qui se gouverna très-mal, et que Ménedème chassa du logis, sans daigner lui dire un mot. Cela fut cause que ce jeune débauché se corrigea [j].

(A) On pouvait comparer son amitié pour Ménedème à celle d’Oreste et de Pylade. ] Voici les paroles de Diogène Laërce. Φίλος τε ἦν μάλιςα (Μενέδημος) ὡς δῆλον ἐκ τῆς πρὸς Ἀςκληπιάδην συμπνοίας, οὐδέν τι διαϕερούσης Πυάδου ϕιλοςοργίας [1]. Amicitias pièque sanctèque tuebatur (Menedemus) ut ex eâ quæ cum Asclepiade fuit conjunctione constat, quæ profectò adeò insignis erat, ut nihil à Pyladis distaret benevolentiâ. Après cela, cet auteur rapporte qu’Archépolis ayant voulu leur donner une bonne somme d’argent, sa libéralité leur fut inutile ; car il s’éleva entre eux une louable contestation à qui prendrait le dernier ; et, comme ils ne purent finir cette dispute, ils ne prirent rien ni l’un ni l’autre.

(B) Il fallut qu’à la sueur de leur corps, lui et son ami gagnassent de quoi vivre. ] Ils firent le métier d’aide à maçon. Asclépiade n’en eut point autant de honte que Ménedème : il ne se souciait point qu’on le vit nu [2], portant du mortier sur le toit de la maison ; mais, pour Ménedème, il s’allait cacher s’il voyait venir quelqu’un [3]. Athénée, qui ne parle point de cela, fait un autre conte encore plus singulier. Les Aréopagites, dit-il [4], firent ajourner Ménedème et Asclépiade, deux jeunes hommes, étudians en philosophie, et fort pauvres, et leur demandèrent : « Comment faites-vous pour être si gras ? Vous n’avez rien ; vous passez toute la journée sans travailler ; vous ne l’employez qu’à ouïr des philosophes. » « Faites venir un meunier, » répondirent ces deux écoliers. On en fit venir un, qui déclara qu’ils venaient toutes les nuits au moulin, et qu’ils travaillaient à moudre, et gagnaient deux dragmes. L’aréopage, admirant cette conduite, leur fit l’honneur de leur donner deux cents dragmes. On les eût punis, s’ils n’eussent pas indiqué un fonds de leur subsistance.

(C) Il supporta tranquillement le malheur qu’il eut de perdre la vue. ] Je ne doute point que ces paroles de Cicéron ne concernent notre Asclépiade. Asclepiadem ferunt non ignobilem, nec inexercitum philosophum. Quùm quidam quæreret quid ei cœcitas attulisset, respondisse ut puero uno esset comitatior [5]. « La perte de mes yeux, disait notre philosophe, me procure cet avantage, que je ne vais jamais seul : j’ai toujours un garçon de plus à ma compagnie. »

(D) La mort n’éteignit point l’amitié de Ménedème... pour lui. ] Ayant su que ses valets fermaient la porte au mignon d’Asclépiade, il commanda qu’on le fît rentrer : Sachez, dit-il, qu’Asclépiade, quoi qu’il soit dans le tombeau, lui ouvre ma porte. Ὅτι Ἀσκληπιάδης αὐτῷ, καὶ κατὰ γῆς ὢν, τὰς θύρας ἀνοίγει [6]. Asclepiades, etiam sepultus, ei januas aperit. Ce mignon se présentait afin de dîner avec Ménedème.

  1. Φλιάσιος, Phliasius, Diog. Laërt., de Vitis Philos., lib. II, in Menedemo, circa initium, pag. 153, edit. Amstel. ann. 1692.
  2. Diogen. Laërt., lib. II, pag. 153.
  3. Idem, ibid., pag. 159, num. 137.
  4. Idem, ibid., pag. 153, num. 126.
  5. Diog. Laërt., pag. 159, num. 137.
  6. Idem, ibid.
  7. Idem, ibid.
  8. Idem, num. 138.
  9. Συζήσας τῷ Μενεδήμῳ σϕόδρα εὐτελῶς ἀπὸ μεγάλων. Cùm in magnis opibus frugaliter admodùm vixisset cum Menedemo. Diogen. Laërtius, lib. II, num. 138.
  10. Plutarchus, de Discrim. Adulat. et Amici, pag. 55.
  1. Diogen. Laërt., lib. II, num. 137.
  2. Je crois qu’il faut entendre ceci, non pas d’une nudité proprement dite, mais de l’état où se mettent les ouvriers dans un temps chaud.
  3. Diog. Laërt., lib. II, num. 131.
  4. Athen., lib. IV, cap. XIX, pag. 168.
  5. Cicero. Tusculan., Quæstion., lib. V. cap. XXXIX.
  6. Diogen. Laërt., lib. II, num. 138.

◄  Artémise
Asclépiade  ►