Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Athénée 1

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ATHÉNÉE (A) était un édifice public dans Rome, bâti par l’empereur Hadrien (B), pour servir d’auditoire aux docteurs, et à ceux qui voulaient lire leurs ouvrages en présence de beaucoup de monde. Il paraît par le commencement des satires de Juvénal, que ces sortes de lectures étaient fort fréquentes, et que Fronton prêtait sa maison et ses jardins aux poëtes qui voulaient réciter leurs vers devant une nombreuse compagnie [a]. Plusieurs autres voulurent bien que leurs maisons servissent à cet usage [b] ; mais, par malheur pour les poëtes, ils leur laissaient souvent bien des frais à faire (C) : c’était à celui qui devait lire son ouvrage, à garnir la chambre ; c’était lui qui payait le louage des chaises. Il y a quelque apparence que l’empereur Hadrien, qui aimait et qui entendait les sciences, se proposa entre autres fins, quand il fit construire l’Athénée, de ne plus laisser les auteurs sous le joug de ces incommodités. Il ne faut point douter que ce lieu ne servît aussi de collége [c] : non-seulement on y lisait des ouvrages, mais on y faisait aussi des leçons. Je trouve même que le sénat s’y assemblait quelquefois [d]. On a étendu le nom de ce lieu sur toutes sortes de colléges destinés à l’explication des sciences et des langues, car on les appelle en latin Athenæa. Il y en a même qui croient que les bibliothéques ont porté le nom d’Athenica [e].

  1. Frontonis platani convulsaque marmora clamant,
    Semper et assiduo ruptæ lectore columnæ.

  2. Stella, dans Martial, Epigr. VI du IVe. livre ; Titinnius Capito, dans Pline, Lettre XII du VIIIe. livre ; Quadratus, dans l’Epict. d’Arrien, livre III, chap. XXIII.
  3. Voyez la remarque (A).
  4. Voyez la remarque (A), sur la fin.
  5. Salmas., in Trebell. Pollion. de Trigenta Tyrannis.

(A) Athenée. ] Ce nom vient de Minerve, en grec Ἀθηνὴ, la déesse des beaux-arts et des sciences : on trouva juste qu’un édifice fait en faveur des savans portât le nom de cette déesse. Quelques-uns ont cru que c’était un temple qui lui était consacré ; mais Aurélius Victor ne nous en donne pas cette idée. Gymnasia, dit-il [1], en parlant de l’empereur Hadrien, doctoresque curare occœpit, adeò quidem ut etiam ludum ingenuarun artium quod Athenæum vocant, constitueret. Les autres historiens qui en parlent ne le représentent que comme un lieu à leçons, à déclamations, à lectures : Ad Athenæum audiendorum et græcorum et latinorum rhetorum vel poëtarum caussâ frequenter processit : c’est ainsi que Lampridius parle touchant Alexandre Sevère. On cite ce passage dans Calepin, peu après avoir débité que l’Athénée était consacré à Minerve, et que les poëtes et les autres écrivains grecs y apportaient leurs ouvrages, comme les écrivains latins apportaient les leurs dans le temple d’Apollon. Jugez par-là de l’exactitude de ceux qui ont composé, ou corrigé ce gros dictionnaire. Cruquius use du même partage ; il envoie les poëtes latins au temple d’Apollon, et les poëtes grecs dans le temple de Minerve, lequel il nomme Athénée [2]. Mais continuons à voir ce que les anciens ont dit du lieu en question. Cùm Pertinax eo die processionem quam ad Athenæum paraverat, ut audiret poëtam, ob sacrificii prœsagium distulisset [3]. Un autre dit que Gordien, qui fut empereur, avait déclamé dans l’Athénée : ubi adolevit, in Athenæo controversias declamavit [4]. Philostrate dit que le sophiste Adrien, qui tint le haut bout à Rome, n’avait pas plus tôt annoncé qu’il haranguerait, que les sénateurs, les chevaliers et tout le monde, accouraient à l’Athénée : Δρόμῳ ἐχώρουν ἐς τὸ Ἀθήναιον ὁρμῆς μεςοὶ [5]. Contento cursu et studio inflammato in Athenæum convolabant. Ajoutons encore ces paroles de saint Jérôme : Quandò omne Athenæum scholasticorum vocibus personabat [6] ; et celles-ci de Sidonius Apollinaris : Dignus omninò quem plausibilibus Roma foveret ulnis, quoque recitante crepitantis Athenæi subsellia cuneata quaterentur [7]. L’étymologie que Dion nous donne est une nouvelle raison contre ceux qui ont pris l’Athénée pour un temple de Minerve : il dit que ce lieu s’appelait ainsi, à cause des exercices des gens de lettres ἀρὸ τῆς ἐν αὺτῶ τῶν πεπαιδευμένων ἀσκήσεως [8]. Il nous apprend aussi que le consul assembla le sénat dans l’Athénée, lorsqu’il eut su que les cohortes prétoriennes avaient arrêté les meurtriers de Pertinax. L’objection qu’on pourrait tirer de ce que le sénat ne s’assemblait que dans des lieux consacrés par les augures ne balance nullement les raisons qui montrent que l’Athénée n’était point un temple de Pallas. Au reste, ceux qui disent que le premier lieu qui a été nommé Athénée était dans Athènes [9] auraient bien de la peine à le prouver. Le bon M. de Marolles se faisait de ce mot-là une idée beaucoup plus fausse, car il a dit dans sa traduction d’Aurélius Victor, qu’Hadrien fit venir des doctes et des gens de lettres de toutes parts, comme s’il eût voulu mettre Athènes dans Rome.

J’observerai par occasion que, dans la ville d’Alexandrie, c’était au temple des Muses, que les poëtes, les rhétoriciens et les grammairiens s’assemblaient pour faire montre de leur esprit : Ἀπάγει παρὰ τὸ τέμενος τῶν Μουσῶν, ἔνθα ποιηταὶ, καὶ ῥήτορες, καὶ τών γραμματιζῶν οἱ παῖδες ϕοιτῶντες, ποιοῦνται τὰς ἐπιδείξεις. Abducit ad Musarum templum, quò poëtæ, rhetores, grammatici ventitantes, præbent suorum ingeniorum specimina. C’est ainsi que parle de la pratique de son temps un auteur du VIe. siècle, je veux dire Zacharie de Mitylène, dans son livre De mundi opificio. Voyez la page 339 du onzième tome de la Bibliothéque des Pères, imprimée à Paris l’an 1644.

(B) Il fut bâti par l’empereur Hadrien. ] Je l’ai prouvé par le passage d’Aurélius Victor : ainsi Casaubon est très-bien fondé à se moquer de Théodore Marsilius, qu’il traite assez durement sans le nommer [10]. Cet homme emploie beaucoup de verbiage dans son commentaire sur Perse pour prouver que l’Athénée, et le temple d’Apollon Palatin, étaient la même chose. Vossius lui a relevé la même faute, et lui a donné pour complice le père Raderus sur l’épigramme LXX du livre X de Martial [11]. Il aurait pu lui donner pour second complice Savaron, qui, par ces paroles d’Horace

..............Hæc ego ludo,
Quæ nec in æde sonent certantia judice Tarpâ [12]


entend qu’Horace ne voulait pas que ses vers fussent lus dans l’Athénée [13]. Il donne cette explication comme les propres paroles d’un ancien scoliaste. Lipse se sert de la même autorité, quoiqu’il avoue qu’un autre vieux scoliaste entend là par ædem le temple d’Apollon Palatin [14]. Si ce savant homme avait songé au passage d’Aurélius Victor, il n’eût point préféré l’explication du premier de ces scoliastes, à celle du dernier [15]. Voyez en son lieu l’article Tarpa.

(C) Ceux qui prêtaient leurs maisons aux poëtes, pour y réciter leurs ouvrages, leur laissaient bien des frais à faire. ] L’auteur du dialogue de Causis corruptæ Eloquentiæ m’en est garant, lorsqu’il dit, Domum mutuatur, et auditorium exstruit, et subsellia conducit, ut beatissimus recitationem ejus eventus consequatur. Juvénal me servira de second témoin ; car il menace les poëtes du chagrin de ne trouver aucun grand seigneur, qui leur donne de quoi se rembourser de la dépense qu’ils auront faite :

Nemo dabit regum quanti subsellia constent,
Et quæ conducto pendent anabathra tigillo,
Quæque reportandis posita est orchestra cathedris [16].

Je ne voudrais pas nier qu’ils n’aient quelquefois récité dans une maison de louage ; mais je ne saurais m’empêcher de dire que Vossius le soutient sans nulle raison, puisque les témoignages qu’il en allègue ne signifient rien moins que ce qu’il prétend. Le premier passage qu’il cite est celui du dialogue de Causis corruptæ Eloquentiæ, où l’on vient de voir domum mutuatur, ce qui signifie maison d’emprunt, et non pas maison louée. Le second est de Juvénal, et consiste en ces paroles :

..... Cùm jam celebres notique Poetæ
Balneolum Gabiis, Romæ conducere furnos
Tentarent [17] ;

Ce qui ne marque que la maudite stérilité du métier, qui avait pensé contraindre les poëtes à faire banqueroute aux muses, afin de gagner leur vie dans quelque emploi mécanique, comme vous diriez la profession de baigneur, de boulanger, de crieur. Le troisième témoignage est tiré de ces paroles du même Juvénal :

Ipse facit versus, atque uni cedit Homero
Propter mille annos ; et si dulcedine famæ
Succensus recitet, Maculonis commodat ædes [18].

Il est si manifeste que, dans ce passage, non plus que dans le précédent, il n’est point dit que les poëtes louassent la chambre où ils récitaient leurs poésies, qu’on ne saurait comprendre comment de telles méprises ont pu échapper à la vue du savant Vossius. Remarquez qu’elles se trouvent dans un livre qui fut imprimé durant la vie de l’auteur [19], et qui a pour titre, de Imitatione cum oratoriâ tum præcipuè poëticâ, deque Recitatione Veterum. Ce dernier sujet a été traité amplement par Cresollius dans son Théâtre des anciens sophistes.

  1. Aurelius Victor, in Hadriano.
  2. Cruquius, in Horat., Sat. X, lib. I.
  3. Julius Capitolin., in Pertinace.
  4. Capitolin., in Gordiano.
  5. Philostr., in Adriano.
  6. Hieron., de Obitu Paulinæ ad Pammach.
  7. Sidon. Apollin., Epist. XIV, lib. IX. Vide etiam Epist. IX ejusd. lib. et Epist. VIII, lib. IV.
  8. Xiphilin., in Didio Juliano, sub fin. Xilander traduit Ἀθήναιον par Templum Minervæ.
  9. Le Thesaurus Fabri, édition de 1692.
  10. Casaubon. Comment. in Capitol. Vit Pertin.
  11. Vossius, de Imitat., pag. 36.
  12. Horat., Satir. ult., vs. 37, lib. I.
  13. Savar., in Sidon, Apollon., Epist. XIV, lib. IX.
  14. Lipsius, Epist. XLVIII, Centuriæ II, ad Belg.
  15. Voyez Vossius, de Imitat., pag. 61.
  16. Juvenal., Satirâ VII, vs. 45.
  17. Juvenal., Satirâ VII, vs. 3.
  18. Idem, ibid., vs. 38.
  19. À Amsterdam, en 1647, avec les Institutiones poëticæ.

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