Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Augustin

La bibliothèque libre.

◄  Auge (Daniel d’)
Index alphabétique — A
Aulnoi (Marie-Catherine le Jumel de Berneville)  ►
Index par tome


AUGUSTIN (Saint), l’un des plus illustres pères de l’Église, naquit à Tagaste dans l’Afrique le 13 de novembre 354. Son père, nommé Patrice, n’était qu’un petit bourgeois de Tagaste ; sa mère s’appelait Monique, et avait beaucoup de vertu. Leur fils n’avait nulle inclination pour l’étude (A). Il fallut néanmoins qu’il étudiât : son père le voulut avancer par cette voie, et l’envoya faire ses humanités à Madaure. Il l’en retira âgé de seize ans, pour l’envoyer faire sa rhétorique à Carthage. Saint Augustin y alla vers la fin de l’an 371 [a]. Il s’avança fort dans les sciences, mais il se plongea dans la débauche des femmes (B). Il voulut lire l’Écriture Sainte ; mais la simplicité du style l’en dégoûta : il était encore trop grand admirateur de l’éloquence païenne pour trouver son compte dans la Bible. Il avait en général une forte envie de connaître la vérité ; et ayant cru la trouver dans la secte des manichéens, il s’y engagea, et en soutint la plupart des dogmes avec beaucoup de chaleur. Ayant demeuré à Carthage quelque temps, il retourna à Tagaste, où il enseigna la rhétorique avec tant d’applaudissemens, que l’on félicitait sa mère d’avoir un fils si admirable. Cela n’empêchait pas cette sainte femme de s’affliger extrêmement à cause de l’hérésie de son fils, et de la débauche où il se plongeait. Il retourna à Carthage l’an 580, et y enseigna la rhétorique avec une réputation très-glorieuse. Ce fut alors qu’il fixa son incontinence, qui avait été vague et répandue sur plusieurs objets. Il prit une concubine, et s’en contenta, et en eut un fils qu’il appela Adeodatus, Dieu-donné, et qui eut beaucoup d’esprit (C). Il devint un peu flottant dans sa secte, parce qu’il ne trouvait personne qui répondit pleinement aux difficultés qu’il avait à proposer (D) : néanmoins il ne changea pas de profession ; il attendit de plus grands éclaircissemens. Monique, sa bonne mère, l’alla trouver à Carthage, pour tâcher de le tirer de l’hérésie et de la luxure, et ne désespéra de rien, quoiqu’elle vît que ses remontrances fussent inutiles. Il chercha un nouveau théâtre à son esprit, et se résolut d’aller à Rome ; et pour n’être pas détourné de ce dessein, il s’embarqua sans en rien dire à sa mère, ni à Romanien son parent, qui l’avait entretenu dans les écoles [b]. Il enseigna dans Rome la rhétorique avec le même succès qu’à Carthage : de sorte que Symmaque, préfet de la ville, ayant su qu’on demandait à Milan un habile professeur en rhétorique, le destina à cet emploi l’an 383. Saint Augustin fut fort estimé à Milan : il alla rendre visite à saint Ambroise, et en fut fort bien reçu. Il allait à ses sermons beaucoup moins par un principe de piété, que par un principe de curiosité critique. Il voulait voir si l’éloquence de ce prélat méritait la réputation à quoi elle était montée. Dieu se servit de ce moyen pour le convertir : les sermons de saint Ambroise firent une telle impression, que saint Augustin se fit catholique l’an 354. Sa mère, qui l’était venue trouver à Milan, fut d’avis qu’il se mariât, afin de renoncer à la vie déshonnête qu’il menait. Il consentit à cette proposition et renvoya en Afrique sa concubine ; mais comme la fille qu’on lui destinait pour épouse ne devait être en âge nubile qu’au bout de deux ans, il ne put faire une si longue résistance à son naturel : il reprit le commerce d’impureté. Enfin la lecture des Épîtres de saint Paul, les sollicitations et les larmes de sa mère, les bons discours de quelques amis, attirèrent sur lui le dernier coup de la grâce ; il se sentit bon chrétien, prêt à tout quitter pour l’Évangile : il renonça à sa profession de rhétorique, et il se fit baptiser par saint Ambroise, la veille de Pâques, l’an 387. L’année suivante, il s’en retourna en Afrique. Il avait perdu sa mère à Ostie, où il devait s’embarquer [c]. Il fut ordonné prêtre l’an 391, par Valère, évêque d’Hippone. Quatre ans après, il devint coadjuteur de ce prélat, et il rendit des services très-importans à l’Église par sa plume et par sa piété, jusques à sa mort qui arriva le 28 d’août 430 [d]. Le détail de sa vie épiscopale et de ses écrits, serait ici superflu : on peut le trouver dans le Dictionnaire de Moréri, et dans la Bibliothéque de M. du Pin ; et si ces messieurs n’avaient passé trop légèrement sur la vie déréglée de saint Augustin, j’aurais pu me dispenser entièrement de cet article. Mais, pour la plus grande instruction du public, il est bon de faire connaître les grands hommes à droite et à gauche. L’approbation, que les conciles et les papes ont donnée à saint Augustin sur la doctrine de la grâce, fait un grand bien à sa gloire ; car sans cela, les molinistes dans ces derniers temps, auraient hautement levé la bannière contre lui, et mis à néant son autorité. Nous avons fait voir ailleurs [e], que toute leur politique n’a pu les contraindre à bien sauver les apparences, et à ne lui point porter indirectement de rudes coups. Il est certain que l’engagement où est l’église romaine de respecter le systême de saint Augustin, la jette dans un embarras qui tient beaucoup du ridicule (E). Les arminiens, n’ayant pas les mêmes ménagemens à garder, en usent sincèrement avec ce saint père de l’Église (F). Un savant critique français a beau se servir de termes respectueux, on ne laisse pas de connaître qu’il méprise de tout son cœur les Commentaires de saint Augustin sur l’Écriture (G). M. Claude, qui a condamné dans ce père l’approbation des lois pénales en matière de conscience, se serait exposé lui-même à une rude censure, s’il avait encore vécu trois ou quatre ans (H).

Un médecin de Paris a publié une remarque assez singulière : il a prétendu que ce grand saint avait la force de boire beaucoup, et s’en servait quelquefois, mais sans s’enivrer. Nous rapporterons ses raisons, et celles d’un journaliste qui le réfute (I). Je ne dirai pas beaucoup de choses sur les éditions des Œuvres de saint Augustin (K). Plusieurs de ses traités ont été traduits en notre langue.

(A) Il n’avait nulle inclination pour l’étude. ] Par le portrait que saint Augustin a fait lui-même de son enfance, on peut connaître qu’il était ce qu’on appelle un garnement. Il fuyait l’école comme la peste ; il n’aimait que le jeu, et que les spectacles ; il dérobait tout ce qu’il pouvait chez son père ; il inventait mille mensonges pour échapper aux coups de fouet dont on était obligé de se servir contre son libertinage. Furta etiam faciebam de cellario parentum et de mensâ, vel gulâ imperitante, vel ut haberem quod darem pueris ludum suum mihi, quo pariter utique delectabantur, tamen vendentibus...... Fallendo innumerabilibus mendaciis et pædagogum et magistros et parentes amore ludendi, studio spectandi nugatoria, et imitandi ludicra inquietudine [1]. Par là on réfute ce que Léon Allatius a débité, « qu’à l’âge de douze ans, saint Augustin avait étudié, et compris tout seul, sans le secours d’aucun maître, tous les livres d’Aristote, qui concernent la logique et la théorie, et qu’il avait dans le même âge composé d’excellens écrits, pour découvrir et réfuter les erreurs de beaucoup d’auteurs [2]. » L’écrivain qui a pris le nom de Christianus Liberius, a débité la même chose [3]. M. Baillet les réfute fort solidement tous deux, par les Confessions de saint Augustin ; et il découvre la cause de leur méprise. Croyons, dit-il [4], que ceux qui les ont trompés pourraient avoir lu douze pour vingt dans l’endroit où saint Augustin en a parlé. Ce saint reconnaît qu’il avait près de vingt ans lorsqu’il lui tomba entre les mains un traité d’Aristote qu’on nomme les dix Catégories, dont il avait entendu parler à Carthage avec beaucoup d’ostentation [* 1].…... Il le lut seul, et l’entendit parfaitement. De sorte qu’en ayant conféré depuis avec ceux qui disaient l’avoir appris avec beaucoup de peine d’excellens maîtres, qui le leur avaient expliqué non-seulement de vive voix, mais aussi par des figures qu’ils en avaient tracées sur le sable, ils ne lui en purent dire davantage que ce qu’il en avait compris de lui-même en particulier. Il témoigne aussi qu’à cet âge il lut et entendit sans le secours de personne tous les livres des arts libéraux qu’il put rencontrer. Il dit la même chose des mathématiques, et nommément de la géométrie, de la musique et de l’arithmétique.

(B) Il se plongea dans la débauche des femmes. ] Il commença de très-bonne heure, car à l’âge de seize ans il s’abandonna aux instincts de cette furieuse passion. Ubi eram, dit-il [5], et quàm longè exulabam à deliciis domuls tuæ, anno illo sexto decimo ætatis carnis mæ, cùm accepit in me Sceptrum, et Loias manus ei dedi vesaniæ libidinis, licentiosæ per dedecus humanum, illicitæ autem per leges tuas ? Il passa cette année dans l’oisiveté, parce que son père n’ayant pas de quoi l’entretenir à Carthage, amassait peu à peu l’argent qui lui était nécessaire pour l’y envoyer. La joie de ce bon père fut grande, lorsqu’étant au bain avec son fils, il s’aperçut des progrès prématurés de la nature [6]. Il ne put s’empêcher d’apprendre cette nouvelle à sa femme : il sentait déjà je ne sais quelle petite joie de grand-père, en voyant que son fils était sitôt prêt à se marier. Quinimò ubi me ille pater in balneis vidit pubescentem et inquietâ indutum adolescentiâ, quasi jam ex hoc in nepotes gestiret, gaudens matri indicavit [7]. La mère de saint Augustin eut plus d’inquiétude que de joie de cela ; elle craignit que les désordres n’en commençassent plus tôt, et c’est pourquoi elle lui fit de très-sérieuses remontrances de s’abstenir du sexe et surtout de l’adultère. Secretò memini ut monuerit cum solicitudine ingenti ne fornicarer, maximèque ne adulterarem cujusquam uxorem. Qui mihi monitus muliebres videbantur, quibus obtemperare erubescerem [8]. Mais il ne fit aucun cas de ces bonnes exhortations : il contracta une si forte habitude d’incontinence, que lors même qu’il eut renoncé au manichéisme, et qu’il se préparait au baptême, il prit une nouvelle concubine, à la place de la mère d’Adéodat, en attendant que la fille qu’on lui destinait pour femme eût atteint l’âge nubile [9]. Il fallait attendre près de deux ans [10]. Il est remarquable que dans la dispute de saint Augustin et d’Alypius sur le mariage et le célibat, Alypius, bien loin de persuader à saint Augustin le célibat, se laissa persuader le mariage. Alypius menait une vie chaste : il avait goûté en passant, et comme à la dérobée, le plaisir vénérien au commencement de sa jeunesse, mais il s’en était retiré de fort bonne heure. Il déconseillait le mariage à saint Augustin, comme obstacle au dessein qu’ils avaient formé de vivre ensemble dans l’étude de la sagesse. Prohibebat me sanè Alypius ab uxore ducendâ, causans nullo modo nos posse securo otio simul in amore sapientiæ vivere sicut jam diù desideraveramus, si id fecissem [11]. Saint Augustin lui avoua ingénument qu’il ne lui serait pas possible de se contenir, et lui allégua les exemples de quelques sages mariés, qui avaient été fidèles à Dieu et à leurs amis. Il ajouta qu’il y avait une grande différence entre ces plaisirs passagers qu’Alypius avait goûtés et puis oubliés, et ceux dont lui Augustin s’était fait une habitude, qui deviendraient même plus doux sous le beau nom de mariage. Alypius fut si touché de ce discours, qu’il résolut de se marier, afin, disait-il, « de connaître par expérience ce que saint Augustin trouvait plus charmant que la vie même. » Cùm me ille miraretur quem non parvi penderet, ità hærere visco illius voluptatis, ut me affirmarem quotiescunque indè inter nos quæræremus, cœlibem vitam nullo modo posse degere, atque ità me defenderem, cùm illum mirantem viderem, ut dicerem multùm interesse inter illud quod ipse raptim et furtim expertus esset, quod pœnè jam nec meminisset quidem, atque ideò nullâ molestiâ facilè contemneret, et delectationes consuetudinis meæ, ad quas si accessisset honestum nomen matrimonii, non eum mirari oportere cur ego illam vitam nequirem spernere. Cœperat et ipse desiderare conjugium nequaquàm victus libidine talis voluptatis, sed curiositatis. Dicebat enim scire se cupere, quidnam esset illud sine quo vita mea quæ illi sic placebat, non mihi vita, sed pœna videretur [12]. Ils ne se marièrent néanmoins ni l’un ni l’autre, et ils vécurent dans la continence.

(C) Il prit une concubine,...… et en eut un fils, qu’il appela... Dieudonné, et qui eut beaucoup d’esprit. ] Mon lecteur sera sans doute bien aise de trouver ici quelque chose sur ce bâtard : j’en dirai ce que je trouve dans M. Baillet. « Adéodat n’avait que quinze ans, lorsque son père fut baptisé ; mais il était alors si avancé, et son esprit avait déjà reçu tant de lumières, qu’il passait bien des personnes âgées, et beaucoup de ceux que l’on considère dans le monde pour leur gravité et leur littérature. Saint Augustin composa vers le même temps un livre en forme de dialogue, intitulé : Du Maître. Adéodat et lui sont les deux personnages qui s’y entretiennent, et il prend Dieu à témoin que tout ce qu’il fait dire à son fils dans cet ouvrage est entièrement de lui, quoiqu’il n’eût alors que seize ans. Saint Augustin ajoute qu’il avait vu de cet enfant plusieurs choses encore plus admirables que ce que nous venons de rapporter. Enfin, tout esprit fort qu’il était, il déclare que la grandeur de l’esprit de son fils l’épouvantait. Adéodat reçut la grâce du baptême avec son père, et il mourut peu de temps après [13]. »

(D) Il ne trouvait personne qui répondît pleinement aux difficultés qu’il avait à proposer. ] Saint Augustin avait l’esprit pénétrant ; il était rhétoricien de profession ; il entendait la dialectique. Il est aisé à un subtil et éloquent disputeur de former des doutes et de trouver des répliques : il ne faut donc pas s’étonner qu’il embarrassât les docteurs manichéens. Il ne faut pas même s’étonner qu’il embarrassât plusieurs catholiques, et que les faibles réponses qu’ils faisaient à ses objections le confirmassent dans ses hérésies. Il avoue qu’à son dam il avait remporté sur eux mille victoires : tant il est vrai que chaque orthodoxe ne doit pas se mêler de la dispute, et qu’à moins que d’avoir affaire à un hérétique de sa volée, on ne peut, naturellement parlant, qu’endurcir son antagoniste. Quædam noxia victoria penè mihi semper in disputationibus proveniebat, disserenti cum christianis imperitis ; quo successu creberrimo gliscebat adolescentis animositas, et impetu suo in pervicaciæ magnum malum imprudenter vergebat [14].

(E) L’engagement où est l’église romaine de respecter le système de saint Augustin, la jette dans un embarras qui tient beaucoup du ridicule. ] Il est si manifeste à tout homme qui examine les choses sans préjugé et avec les lumières nécessaires, que la doctrine de saint Augustin et celle de Jansénius, évêque à Ypres, sont une seule et même doctrine, qu’on ne peut voir sans indignation que la cour de Rome se soit vantée d’avoir condamné Jansénius, et d’avoir néanmoins conservé à saint Augustin toute sa gloire. Ce sont deux choses tout-à-fait incompatibles. Bien plus, le concile de Trente, en condamnant la doctrine de Calvin sur le franc arbitre, a nécessairement condamné celle de saint Augustin ; car il n’y a point de calviniste qui ait nié, ou qui ait pu nier le concours de la volonté humaine et la liberté de notre âme au sens que saint Augustin a donné aux mots de concours et de coopération et de liberté. Il n’y a point de calviniste qui ne reconnaisse le franc arbitre, et son usage dans la conversion, si l’on entend ce mot selon les idées de saint Augustin. Ceux que le concile de Trente a condamnés ne rejettent le franc arbitre qu’en tant qu’il signifie la liberté d’indifférence. Les thomistes le rejettent aussi sous cette notion, et ne laissent pas de passer pour très-catholiques. Voici une autre scène de comédie. La prédétermination physique des thomistes, la nécessité de saint Augustin, celle des jansénistes, celle de Calvin, sont au fond la même chose, et néanmoins les thomistes renoncent les jansénistes, et les uns et les autres prétendent qu’on les calomnie, quand on les accuse d’enseigner la même doctrine que Calvin. S’il était permis à l’homme de juger des pensées de son prochain, on serait fort tenté de dire que les docteurs sont ici de grands comédiens, et qu’ils n’ignorent pas que le concile de Trente n’a condamné qu’une chimère, qui n’était jamais montée dans l’esprit des calvinistes, ou qu’il a condamné saint Augustin et la prédétermination physique : de sorte que, quand on se vante d’avoir la foi de saint Augustin et de n’avoir jamais varié dans la doctrine [15], on ne le fait que pour garder le decorum, et pour éviter la dissipation du système qu’un aveu de la vérité produit nécessairement. Il y a des gens pour qui c’est un grand bonheur que le peuple ne se soucie point de se faire rendre compte sur la doctrine, et qu’il n’en soit pas même capable. Il se mutinerait plus souvent contre les docteurs, que contre les maltotiers. Si vous ne connaissez pas, leur dirait-on, que vous nous trompez, votre stupidité mérite qu’on vous envoie labourer la terre ; et, si vous le connaissez, votre méchanceté mérite qu’on vous mette entre quatre murailles, au pain et à l’eau. Mais on n’a rien à craindre : les peuples ne demandent qu’à être menés selon le train accoutumé ; et, s’ils en demandaient davantage, ils ne seraient pas capables d’entrer en discussion : leurs affaires ne leur ont pas permis d’acquérir une si grande capacité.

(F) Les arminiens..….… en usent sincèrement avec ce saint père de l’Église. ] Il n’a tenu qu’à eux de chicaner le terrain comme les jésuites ; mais ils ont trouvé plus commode d’abandonner entièrement saint Augustin à leurs adversaires, et de le reconnaître pour un aussi grand prédestinateur (c’est un terme fort usité parmi eux) que Calvin. Les jésuites en auraient fait autant, sans doute, s’ils avaient osé condamner un docteur que les papes et les conciles ont approuvé.

(G) Un savant critique français... méprise de tout son cœur les Commentaires de saint Augustin sur l’Écriture. ] Je parle de M. Simon : voyez son Histoire critique du Vieux Testament [16], où le principal éloge qu’il donne à ce père, est d’avoir connu son insuffisance. Il a très-bien remarqué, dit-il [17], les qualités nécessaires pour bien interpréter l’Écriture : et comme il était modeste, il a avoué librement que la plupart de ces qualités lui manquaient, et partant, on ne doit pas s’étonner si l’on trouve quelquefois peu d’exactitude dans ses Commentaires sur l’Écriture..…. Il reconnut bientôt que l’entreprise de répondre aux manichéens, était au-dessus de ses forces. In scripturis exponendis tyrocinium meum sub tantâ sarcinæ mole succubuit [* 2]. J’avoue que M. Simon ne cite pas Pierre Castellan sans le blâmer. Mais pouvait-il, écrivant en France, ne pas se servir de quelque ménagement ? Je ne puis, dit-il [18], approuver les emportemens de Pierre Castellan, grand-aumônier de France, qui accuse saint Augustin avec trop de liberté, en lui reprochant de n’avoir fait que rêver, lorsqu’il a expliqué l’Écriture Sainte. Ceux qui ont écrit contre lui, ont très-bien su lui reprocher le peu d’accord qu’il y a entre l’estime qu’il veut faire paraître pour les écrits de saint Augustin, et le jugement qu’il en fait ; et ils se sont servis de cette occasion, pour donner une idée fort désavantageuse de ce père [19]. On ne peut, disent-ils, se former une autre idée du bienheureux saint Augustin, que d’un déclamateur, qui dit tout ce qui lui vient en la tête, à propos ou non, pourvu que cela s’accorde avec un certain système platonicien qu’il s’était formé de la religion chrétienne ; d’un esprit qui se perd à tous momens dans les nues, et qui se laisse emporter à de froides allégories ; qu’il débite comme des oracles ; d’un homme enfin, qui n’avait aucune des qualités que doit avoir un interprète de l’Écriture Sainte. Ils donnent de tout cela quelques exemples bien forts. M. Simon, dans sa réplique, ne s’est pas fort attaché à défendre saint Augustin. On sent bien que son cœur n’était point là : il donne quelque chose à la bienséance, et beaucoup plus à l’intérêt de critiquer son adversaire [20]. On peut remarquer en divers endroits de ses écrits qu’il croit que, puisque saint Augustin n’a pas fait difficulté d’abandonner les pères grecs sur les matières de la grâce, personne n’est obligé de le suivre préférablement aux pères grecs. Ce subterfuge serait bien commode, mais il n’y a pas moyen de s’en servir ; car, puisque la doctrine de saint Augustin sur la grâce a été approuvée par l’Église, il faut que toute doctrine opposée à celle-là soit à rejeter ; et ainsi, tout ce que saint Chrysostome a pu dire de favorable au molinisme est un dogme particulier, et flétri, pour le moins implicitement, par l’approbation authentique qui a été donnée à saint Augustin. C’est ce que j’ai appelé ci-dessus un embarras qui jette l’église romaine dans une espèce de ridicule. Je rapporte les paroles de Castellan : elles sont notables, et sa Vie n’est pas un livre fort commun en ce pays-ci. Ut divum Augustinum contra hæreticos de hominis christiani justificatione disputando, proximè ad divi Pauli sententiam accessisse fatebatur, ità, linguarum ignoratione, somniâsse frequenter atque etiam delirâsse sacra explicando asseverabat : cùmque bonarum artium magis non ignorans quàm peritus dici posset, non satis idoneum esse judicabat cui de artibus disserenti legendo tempus transmitteretur qui minimè otio abundaret. Eam quoque stili Augustiniani anfractuosam sinuositatem esse, et sermonis omni elegantiâ vacui impuritatem addebat, ut ab homine liberaliter in litteris educato citra fastidium legi vix posset [21].

Depuis la première édition de ce Dictionnaire, j’ai vu l’éclaircissement que M. Simon a donné pour remédier aux plaintes des jansénistes. Mon intention, dit-il [22], n’a pas été de diminuer en quoi que ce soit l’autorité de saint Augustin, que j’ai toujours reconnu être le plus habile théologien des églises d’Occident, et avoir mérité les grands éloges que tant de papes lui ont donnés....... Je conviens que l’Église nous assure que ceux qui ont enseigné la théologie par art et par méthode ont pris saint Augustin pour leur maître et pour leur guide. Ce sont les paroles du bréviaire romain, mais elles ne signifient pas que ces maîtres de théologie, qui ont suivi saint Augustin dans la manière de traiter cette science, aient été obligés de ne s’éloigner jamais des opinions de ce savant évêque, ni que ces mêmes opinions soient des articles de foi, ni enfin qu’il faille abandonner les autres pères, lorsqu’ils ne s’accordent point entièrement avec lui. L’église nous apprend dans les mêmes leçons du bréviaire, en parlant de saint Jean Chrysostome [* 3], que tout le monde admire sa manière d’interpréter à la lettre les livres sacrés, et le juge digne de ce qu’on a cru de lui ; savoir, que saint Paul, qu’il a singulièrement honoré, lui a dicté plusieurs choses. J’ai toujours eu beaucoup de vénération pour ces deux grands hommes, qui sont encore aujourd’hui l’admiration des églises d’Orient et d’Occident ; mais ne s’agissant que de l’explication de certains passages de l’Écriture, sur lesquels saint Augustin et Saint Chrysostome ne sont pas toujours d’accord, j’ai cru qu’il n’était permis de suivre les interprétations de saint Chrysostome, lorsqu’elles me paraissaient plus littérales. Cette diversité, qui ne regarde nullement le fond de la doctrine n’empêche point qu’ils ne conviennent entre eux sur les points essentiels de notre créance. J’aurais pu, à la vérité, parlant de saint Augustin dans mon Histoire des Commentateurs, garder plus de modération pour ce qui est des expressions, et j’ai même rapporté quelques termes du cardinal Sadolet, qui semblent trop durs ; mais je n’ai jamais eu dessein de combattre la doctrine de ce saint docteur, qui a réfuté avec tant de force les hérésies de son temps. Il ajoute qu’il s’est proposé pour son guide le cardinal Gaspard Contarin, qui jugea qu’il y avait un certain milieu à prendre entre ceux qui, sous prétexte d’être les ennemis des luthériens, s’approchaient trop de l’hérésie de Pélage, et ceux qui, ayant quelque teinture des écrits de saint Augustin, étant très-éloignés de sa modestie et de sa charité, prêchaient au peuple des dogmes très-embarrassés, qu’ils n’entendaient pas eux-mêmes, et qu’ils ne sauraient expliquer qu’en se jetant dans des paradoxes. « J’ai cru, continue-t-il, que je ne pouvais mieux faire, que d’imiter ce grand cardinal, ayant à répondre à quelques théologiens de Hollande, qui m’avaient objecté que la tradition de l’Église n’était point constante et certaine, en donnant pour exemple les matières de la grâce et de la prédestination, sur lesquelles l’Église avait suivi et autorisé la doctrine de saint Augustin, quoiqu’il se fût éloigné, disaient-ils, des pères tant grecs que latins qui l’avaient précédé. Je leur ai fait voir que la diversité que l’on y pouvait trouver n’était que sur des choses qui n’avaient point été décidées comme de foi, et sur quelques passages de l’Écriture, qui pouvaient être expliqués diversement ; et qu’ainsi l’on ne devait pas accuser l’Église de n’avoir point été constante dans la tradition. » Pour peu qu’on examine cela, on découvre que c’est un fard, ou un plâtre, qui ne peut tromper que les gens simples ; car d’où viennent, je vous prie, les controverses les plus capitales ? N’est-ce point de ce qu’on explique diversement quelques passages de l’Écriture ? Pourquoi donc employez-vous l’idée de cette diversité pour nous faire entendre que saint Chrysostome et saint Augustin ne différent en rien d’essentiel ? Est-ce un accident, est-ce un accessoire, à la doctrine de la grâce, que de savoir en quoi consistent les forces de l’homme pécheur, et quelle est l’essence de sa liberté ? N’est-ce pas plutôt une partie fondamentale de ce dogme ? Si donc ces deux pères sont opposés directement dans l’explication de la nature du franc arbitre, il est sûr que leur discorde concerne le fond, et que l’Église n’a pu adopter l’hypothèse de l’un, sans rejeter celle de l’autre. Ou bien il faudra dire qu’elle approuve une vérité, sans condamner la fausseté opposée ; car enfin, quoiqu’il fût possible qu’ils se trompassent tous deux, il ne l’est point que l’opinion de tous deux soit véritable. Il faut donc, ou que ceux qui suivent les explications de saint Chrysostome se trompent, ou que ceux qui suivent les explications de saint Augustin enseignent une fausseté. Voilà, encore un coup, le grand embarras de la communion de Rome. Elle se voit obligée d’approuver ceux qui donnent tout, et ceux qui ôtent tout à la grâce, par rapport au consentement de l’homme. Une partie de ses docteurs disent que l’homme forme ce consentement avec une pleine liberté de le refuser ; l’autre partie enseigne que la grâce produit ce consentement, sans laisser à l’homme la force prochaine de le refuser. Les uns ou les autres débitent une fausseté qui ne roule point sur une vétille, mais sur un point de très-grande conséquence. Cependant l’église romaine avec son infaillibilité prétendue ne condamne rien là-dessus. Si elle condamne le jansénisme, elle est contrainte de déclarer en même temps qu’elle ne condamne point saint Augustin[23] : c’est défaire d’une main ce que l’on a fait de l’autre. Notez en passant ces paroles de M. Simon : La diversité… n’était que sur des choses qui n’avaient point été décidées comme de foi. C’est-à-dire, que, pourvu que l’on ne débite le mensonge que sur les points qui n’ont pas été encore décidés comme de foi, on ne laisse pas d’être fidèle et bon chrétien : notez, dis-je, ce privilége de la conscience errante. Notez aussi, qu’encore qu’il fût permis de n’être pas du sentiment de saint Augustin, lorsque les matières de la grâce n’avaient pas été encore décidées comme elles le furent au temps de ce père, il ne s’ensuit pas que depuis ces décisions il doive être libre aux écrivains du XVIIe. siècle de revenir au sentiment de saint Chrysostome ; car voici une remarque solide d’un théologien qui ne peut pas être suspect à M. Simon : « Dans les disputes touchant la grâce, l’élection et la prédestination, on a moins d’égard aux anciens pères qui ont vécu avant l’hérésie des pélagiens, qu’à ceux qui sont venus depuis ; et on en a beaucoup plus aux latins qu’aux grecs, quoique postérieurs à cette hérésie… Or, entre les latins, dont nous avons déjà vu que l’autorité le devait emporter au-dessus de celle des autres pères, les théologiens conviennent que saint Augustin est celui auquel on se doit le plus arrêter : car, non-seulement, tous les docteurs qui sont venus depuis lui, mais les papes mêmes, et les conciles des autres évêques, ont tenu sa doctrine touchant la grâce, pour certaine et pour catholique, et ils ont tous cru que c’était une suffisante preuve de la vérité d’un sentiment, de savoir que ce saint l’avait enseigné [24]. »

(H) M. Claude... se serait exposé... à une rude censure, s’il eût vécu encore trois ou quatre ans. ] J’ai deux choses à montrer : l’une que M. Claude a trouvé mauvais que saint Augustin ait approuvé les lois pénales contre les hérétiques ; l’autre que, s’il avait vécu encore trois ou quatre ans, il eût été censuré d’avoir censuré saint Augustin.

I. Pour prouver la première de ces deux choses, je n’ai qu’à rapporter les termes dont M. Claude s’est servi dans une lettre qui a été rendue publique. Il avoue que saint Augustin avait l’esprit admirablement beau, l’imagination abondante et heureuse, marquant presque partout une grande piété, une grande justice et une grande charité ; mais il ajoute qu’il y a une chose qui flétrit extrêmement sa mémoire, savoir, qu’après avoir été dans des sentimens de douceur et de charité touchant la conduite qu’on doit tenir envers les hérétiques, les contestations qu’il eut avec les donatistes l’échauffèrent tellement, qu’il changea du blanc au noir, et soutint hautement qu’il fallait persécuter les hérétiques [25].

II. Les actes du synode des églises wallones des Provinces-Unies, tenu à Amsterdam au mois d’août 1690, établissent invinciblement la seconde chose que j’ai à prouver ; car c’est ici l’une des propositions que cette assemblée condamna, le magistrat n’est point en droit d’employer son autorité pour abattre l’idolâtrie et empêcher les progrès de l’hérésie. Cette proposition, dis-je, est l’une de celles que le synode déclare solennellement et unanimement fausses, scandaleuses, pernicieuses, destructives également de la morale et des dogmes de la religion. Le synode comme telles les proscrit, les interdit, et les condamne, défendant sous les dernières censures à toutes personnes ecclésiastiques et séculières de les débiter, ni dans les chaires, ni dans les conversations particulières,..... et ordonnant très-expressément à tous les consistoires de son ressort de redoubler leurs soins et leur vigilance pastorale à proportion du danger qui menace leurs troupeaux, de réprimer sans distinction et sans complaisance tous ceux qui se trouveront coupables, en suspendant les particuliers de la sainte cène ; et à l’égard des ministres, ils les suspendront de leur charge jusqu’au prochain synode, en appelant à ce jugement deux pasteurs des églises voisines [26]. Si M. Claude eût été en vie pendant la tenue de ce synode [27], on n’aurait pas peut-être condamné la proposition que j’ai rapportée, me dira quelqu’un. Je n’en sais rien ; mais, quoi qu’il en soit, on ne peut nier que son sentiment n’ait reçu le coup de foudre ; car il est visible que saint Augustin n’a établi autre chose, sinon que les magistrats doivent réprimer les hérétiques, en les soumettant à certaines peines. Or le synode d’Amsterdam établit cela avec tant de force, qu’il met la proposition contraire dans le nombre des erreurs pernicieuses pour lesquelles il veut qu’on excommunie les laïques, et que l’on suspende les ministres : il a donc décidé la même doctrine que M. Claude avait condamnée dans saint Augustin ; le sentiment de M. Claude a donc été fulminé par ce synode.

Si M. Claude a été surpris que saint Augustin soit passé du blanc au noir, d’autres s’étonnent encore plus que les ministres fugitifs de France [28] soient passés tout de même du blanc au noir. Car, au lieu que saint Augustin changea d’opinion, à cause que les lois des empereurs avaient fait cesser un schisme, les ministres réfugiés ont changé de sentiment lorsque la ruine de leurs églises par l’autorité du souverain était encore toute fraîche, et que la plaie était encore toute sanglante. Si on leur avait demandé, pendant que les édits de persécution ne cessaient de pleuvoir sur le parti, ce qu’ils pensaient de la conduite d’un souverain qui assujettit à diverses peines ceux de ses sujets qui ne demandent que la liberté de prier Dieu selon les lumières de leur conscience, ils auraient répondu qu’elle est injuste ; et dès qu’ils se sont vus en d’autres pays, ils ont prononcé anathème sur ceux qui condamnent l’usage des lois pénales contre les errans. Cela doit servir d’exemple de l’instabilité des choses humaines : il y a bien à moraliser là-dessus.

Celui qui fut le promoteur de ces décisions synodales avait déjà passé du blanc au noir ; mais c’était en quelque façon par un privilége spécial, et par une dispense prophétique qui ne tirait point à conséquence pour les autres. Sa Politique du clergé, son Préservatif, etc., avaient condamné hautement l’usage des lois pénales en matière de religion. Il avait traité amplement de cela dans sa Réponse à l’Histoire du Calvinisme, et pour le moins il avait donné à connaître qu’il souhaitait de réfuter solidement les apologistes des lois pénales. Il est vrai qu’il avait ruiné d’une main ce qu’il avait tâché de bâtir de l’autre, et qu’il tomba dans une pitoyable contradiction, qui l’a exposé à des mortifications terribles dans plusieurs écrits qu’on a publiés contre lui ; mais enfin, jusque-là, on ne pouvait pas le convaincre d’avoir dit nettement et précisément le oui et le non. Ce n’a été qu’en conséquence des révélations qu’il a cru recevoir d’en haut sur la prochaine ruine du papisme ; ce n’a été, dis-je, qu’en conséquence de cela qu’on s’est élevé contre ceux qui ne croyaient pas qu’il fût permis d’extirper les sectes par l’autorité du bras séculier. Il s’est imaginé que ces gens-là lui faisaient une querelle personnelle, et qu’ils conspiraient contre son Explication de l’Apocalypse [29]. Le clergé de France s’est fort servi des raisons de saint Augustin, pour justifier la conduite de la cour envers les réformés. On a fait imprimer à part en beau français tout ce que saint Augustin a publié sur cette matière. Un protestant en a donné la réfutation dans la IIIe. partie du Commentaire philosophique sur Contrains-les d’entrer. Voyez [30] les réflexions qui ont été faites sur le préjudice que fait à la bonne cause l’autorité de ce saint. On a été surpris que M. Poiret ait tâché de l’excuser. Voyez l’Histoire des ouvrages des savans, au mois de mai 1692, page 358, et au mois d’août de la même année, page 552.

(I) Un médecin... a prétendu que ce saint buvait beaucoup... mais sans s’enivrer. Vous rapporterons ses raisons et celles d’un journaliste qui le réfute. ] Le médecin dont je parle est M. Petit. Le chapitre où il traite de cela est intitulé : Videri B. Augustinum non invalidum potorem fuisse [31]. Il met d’abord le fondement de sa prétention dans ces paroles de saint Augustin : Ebrietas longè est à me : misereberis, ne appropinquet mihi. Crapula [* 4] autem nonnunquàm surrepit servo tuo ; misereberis, ut longè fiat à me [32]. C’est-à-dire, L’ivresse est loin de moi ; vous aurez pitié de moi, Seigneur, afin qu’elle ne s’en approche. La crapule surprend quelquefois votre serviteur ; vous aurez pitié de lui, afin qu’elle s’en éloigne. Il semble qu’il y ait là une espèce de contradiction ; car la crapule étant l’effet de l’ivresse, comment peut-on avouer, sans se contredire, qu’on ne boit jamais jusqu’à s’enivrer, et que cependant on succombe quelquefois à la crapule ? M. Petit justifie par l’autorité d’Aristote, que la crapule est le dernier période de l’ivresse, que c’est la douleur de tête qui reste lorsque le sommeil a dissipé les vapeurs du vin, et lorsqu’un homme qui s’était enivré recouvre la connaissance, et n’est plus dans l’aliénation d’esprit qui lui ôtait le sentiment. Il confirme cela par un passage de Pline et par des vers du poëte Alexis ; et voici comment il lève la contradiction apparente. Il suppose que ce grand saint avait la tête assez forte pour pouvoir boire beaucoup de vin sans perdre l’usage de la raison, mais non pas sans en être incommodé le lendemain : Quod eâ esset cerebri ac mentis firmitate, ut posset, in eâdem vini quantitate quæ multos ad insaniam redigeret, rationis usum conservare [33]. Sur ce pied-là un homme peut avouer qu’il ne s’enivre jamais, quoiqu’en quelques occasions il se sente tourmenté de la crapule pour avoir trop bu ; et il doit reconnaître en cela un certain défaut qui l’oblige à implorer la miséricorde du Père céleste. Sic nobis dubitatio illa vanescit, vindicaturque Augustinus à turpitudine eorum, qui rationem suam vino obruere non dubitant : non tamen à culpâ omninò, ipso judice, qui tantùm vini hauriret, indè ut crapulam aliquando incurreret, nec posset sibi inter pocula temperare, quin nimio potu interdùm valetudini suæ incommodaret. Quâ de re ibi misericordiam Dei implorat [34]. M. Petit excuse saint Augustin sur la qualité du climat où il habitait, et sur la coutume des Africains, et se propose cette objection : Il est probable que ce grand homme mettait en pratique ce qu’il conseillait aux autres : or il a loué ceux qui se contentent de vivre d’herbes et de lard, et de boire deux ou trois verres de vin pur : Duæ vel tres vini meracæ potiones propter diligentiam valetudinis sumptæ cum olusculis et lardo laudantur [35]. On répond qu’il est vraisemblable que saint Augustin ne se tint pas tellement assujetti à cette règle, qu’il ne la passât quelquefois entre ses amis et ceux qu’il priait de manger à sa table épiscopale : Velim et mihi illud concedi, non minùs probabile ; non ità hunc regulæ illi addictum vixisse, ut non eum vini modum nonnunquàm inter amicos, et mensæ episcopalis hospites bibendo excederet [36], Car autrement il faudrait conclure qu’il ne vivait que d’herbages et de lard, ce qu’on ne pourrait penser sans une folie monacale, Quod putare cucullatæ esset dementiæ [37].

Voyons ce que M. Cousin a répondu à cet étrange paradoxe de M. Petit : c’est ainsi qu’il nomme ce sentiment [38]. Il veut qu’on lise le chapitre entier des Confessions d’où le passage a été tiré [39]. On verra que saint Augustin y représente la disposition où il était à l’égard du boire et du manger, et déclare qu’il avait appris de Dieu à ne rechercher les alimens que comme il aurait recherché les remèdes, et à user de la même sorte des uns et des autres. Il dit que, suivant ce principe, il est toujours en garde contre le plaisir, lorsqu’il satisfait aux besoins de la nature ; qu’il se fait une guerre continuelle par les jeûnes et par l’abstinence ; qu’il réduit souvent son corps en servitude, et entend sans cesse la voix de Dieu qui lui crie : Ne graventur corda vestra in crapulâ et ebrietate [40]. M. Cousin demande si un évêque qui a vécu de la sorte, peut être soupçonné d’avoir bu quelquefois avec excès ; il assure qu’il n’y a point ici de distinction à faire ; que saint Augustin n’a jamais bu qu’autant que la nécessité le demandait ; et qu’ainsi quand il dit crapula autem nonnunquàm obrepit servo tuo, il prend le mot de crapula dans un autre sens [41]. Outre celui d’Aristote, auquel il signifie la chaleur et la douleur causées par le vin pris avec excès, il en peut avoir encore au moins deux autres, selon l’un desquels il est pris pour l’excès du manger, et selon l’autre pour le plaisir même de manger et de boire. Ce n’est pas au premier que saint Augustin l’a pris, car il était aussi éloigné de manger avec excès, que de boire avec excès. Il n’a donc pu le prendre qu’au second ; et avouant que, bien qu’il s’efforçât de résister continuellement à la tentation du plaisir, qui se met comme en embuscade au passage des alimens nécessaires pour apaiser la faim et la soif, et pour entretenir la santé, néanmoins il s’y laissait quelquefois surprendre. Cette surprise arrive aux plus parfaits, à ceux qui refusent tout à leur corps, et qui ne le nourrissent que de jeunes et d’abstinence. M. Cousin continue ceci en indiquant plusieurs choses que Possidius a rapportées touchant la sobriété de saint Augustin. Je crois qu’il n’eût pas mal fait de donner de bonnes preuves des deux significations du mot crapula qu’il a jointes à celle que M. Petit a si bien prouvée.

C’est à mes lecteurs à prononcer sur cette dispute : je me contente de leur indiquer les raisons des deux parties. J’ajouterai seulement que j’ai consulté plusieurs dictionnaires, sans y trouver la moindre trace de la signification que M. Cousin veut que l’on donne au mot crapula dans cet endroit-ci. J’ai même trouvé qu’il y a des médecins qui soutiennent que l’ivresse et la crapule signifient la même chose, et que ceux qui y cherchent des différences s’amusent à des disputes de mots. Qui differentiam crapulam et ebrietatem fingunt λογομαχοῦσι. Foës, pag. 353. Dict. num. 475 [42]. Il est certain que dans Cicéron les termes de crapulam edormire, crapulam exhalare, veulent dire la même chose que les mots français cuver son vin [43]. Plaute emploie dans le même sens crapulam amovere [44], crapulam edormire [45], crapulam edormiscere [46]. On sait aussi que présentement notre mot crapule est plus odieux que celui d’ivresse, car il signifie le degré le plus excessif de l’ivrognerie. C’est, comme le remarque Furetière, une vilaine et continuelle débauche de vin ou d’autres liqueurs qui enivrent. Crapuler, ajoute-t-il, veut dire boire sans cesse, s’enivrer salement et continuellement. Le dictionnaire de l’académie française confirme ces définitions. Mais il n’y a point de conséquence à tirer d’un siècle à un autre, quant au sens des termes. L’usage le fait varier prodigieusement. La distinction entre l’ivresse et la crapule était certaine au temps d’Aristote et au temps de saint Augustin. Cela est encore plus clair par le passage de ce père de l’Église, que par celui de ce philosophe. La question est de savoir en quoi consistait cette différence au temps de saint Augustin. Si M. Petit avait répliqué à M. Cousin [47], il aurait débité sans doute beaucoup de littérature, et je pense qu’il n’aurait pas oublié ceci : c’est que les auteurs qui, comme Aristote, traitent dogmatiquement un sujet, descendent dans le détail des genres et des espèces, et observent la propriété des termes destinés à signifier les différences des espèces, ou les différens degrés d’une même qualité ; mais les poëtes et les orateurs quittent bientôt cette exactitude, ils introduisent un usage plus dégagé, ou bien ils s’accommodent à l’usage du public, qui fait prendre indifféremment les uns pour les autres, en mille rencontres, les termes que les docteurs avaient distingués.

(K) Je ne dirai pas beaucoup de choses sur les éditions des œuvres de saint Augustin. ] M. du Pin en a donné une liste [48] qui n’est ni aussi ample, ni aussi exacte que celle que les journalistes de Leipsick en ont donnée [49]. Or, comme il est très-aisé de consulter ces auteurs-là, il serait bien superflu de les copier ici. Je dirai donc seulement que la meilleure édition des ouvrages de ce père est celle qui a paru à Paris par les soins des bénédictins de Saint-Maur. Elle est divisée en dix volumes in-folio, comme quelques autres, mais elle a donné un nouvel arrangement ou une nouvelle économie dans chaque tome. Le Ier. et le IIe. furent imprimés l’an 1679 ; le IIIe. fut imprimé en 1680 ; le IVe. en 1681 ; le Ve. en 1683 ; le VIe. et le VIIe. en 1685 ; le VIIIe. et le IXe. en 1688 ; et le Xe. en 1690. Ce dernier volume contient les ouvrages que saint Augustin composa contre les pélagiens.

Il a paru une Lettre de l’abbé D’*** aux RR. PP. Benédictins de la congrégation de Saint-Maur, sur le dernier tome de leur édition de saint Augustin [50]. L’auteur de cette lettre prétend qu’ils ont eu pour but de favoriser le jansénisme, et que les preuves qu’il en apporte sont convaincantes. J’ai ouï dire que cette lettre embarrasse d’autant plus les bénédictins qu’il y a quelques évêques qui leur demandent compte de leur conduite, et qui les menacent de faire défendre dans leur diocèse la lecture de cette édition de saint Augustin. Ces savans pères ont donné des éclaircissemens là-dessus, et ont satisfait le public à l’égard de ce reproche. Voyez la Lettre d’un théologien à un de ses amis, sur un libelle qui a pour titre Lettre de l’abbé ***, etc. Elle fut achevée d’imprimer le 22 de février 1699, et contient 88 pages in-12 ; mais elle n’a point terminé le différent. Il a paru un Mémoire d’un docteur en théologie, adressé à messeigneurs les prélats de France, sur la Réponse d’un théologien des PP. bénédictins à la Lettre de l’abbé allemand [51] : et l’on soutient dans ce mémoire que tous les reproches qui avaient été faits aux bénédictins sont justes, et que ces pères y ont très-mal répondu. On remarque [52] qu’ils ont envoyé de Rouen à Paris une seconde réponse à l’abbé allemand, et que le père de Sainte-Marthe souffre même, dit-on, volontiers qu’on la lui attribue. Les bénédictins ont répliqué, et n’ont point fait taire leurs antagonistes. Il a paru d’autres écrits pour et contre, dont je ne saurais donner le détail, puisque je n’en ai vu qu’une petite partie. J’ai vu le livre intitulé : La conduite qu’ont tenue les pères bénédictins, depuis qu’on a attaqué leur édition de saint Augustin. Il contient 79 pages in-12, et il a été imprimé l’an 1699. On y apprend, entre autres choses, 1°. qu’avant qu’ils eussent rien publié pour leur défense, un inconnu.... leur adressa un écrit qu’il eut soin de faire débiter dans tout Paris, avant que de leur en envoyer aucun exemplaire [53] ; 2°. qu’il avait donné pour titre à son ouvrage : Lettre d’un abbé commendataire aux révérens pères bénédictins de la congrégation de Saint-Maur ; 3°. que comme celle que l’abbé allemand avait écrite contre ces pères s’était appelée la Bénédictine allemande, on appela celle-ci la petite Bénedictine, et tout le monde disait que la cadette valait bien l’aînée ; 4°. que l’auteur ne fait le personnage, depuis le commencement jusqu’à la fin, et ne parle le langage des jansénistes, que pour mieux se faire entendre des bénédictins [54] ; 5°. que la petite Bénédictine piqua et réveilla les gens du parti, qu’ils songèrent dès lors à soutenir le nouvel Augustin, et que M. l’abbé du Guet alla à l’abbaye offrir sa plume à la congrégation de Saint-Maur [55] ; 6°. que la petite Bénédictine n’avait pas encore été vue de tout le monde, qu’une autre plus petite et plus agréable se montra tout à coup [56] ; elle était intitulée : Lettre d’un bénédictin non réformé aux révérens pères bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, et venait de la même source que la petite Bénédictine ; 7°. que les bénédictins délibéraient encore quand on vit prendre l’essor à une quatrième Bénédictine, qui était d’un sérieux à faire croire qu’elle sortait véritablement d’un cloître : elle avait pour titre : Lettre d’un bénédictin réformé de Saint-Denis, pour servir de réponse à l’abbé allemand, à l’abbé commendataire, et au bénédictin non réformé [57] ; 8°. que la première réponse des bénédictins partit de Saint-Denis, et que tout le monde l’a attribuée à dom Lamy ; elle est intitulée : Lettre d’un théologien à un de ses amis, sur le libelle qui a pour titre : Lettre de l’abbé *** aux révérens pères bénédictins, etc. [58] ; 9°. qu’on vit paraître une autre réponse qu’on n’attendait pas : c’est celle que dom de Sainte-Marthe s’est vanté d’avoir faite en moins de deux jours ; elle a pour titre : Réflexions sur la Lettre d’un abbé d’Allemagne, etc. [59] ; 10°. que, du consentement de tout le monde, le meilleur ouvrage qui se soit fait jusqu’ici sur l’affaire de l’édition est celui qui a pour titre : Mémoire d’un docteur en théologie, adressé à messeigneurs les prélats de France, sur la réponse d’un théologien des bénédictins à la lettre de l’abbé allemand [60] ; 11°. qu’un homme, plus savant que poli, fit courir un manuscrit contre dom de Sainte-Marthe, et l’intitula : Sainte-Marthe mauvais théologien, et bon janséniste [61] ; qu’au manuscrit du savant succéda le manuscrit de je ne sais quel mélancolique de mauvais goût ; que la pièce avait pour titre : Antimoine pour servir de préservatif contre les calomnies du père de Sainte-Marthe [62] ; et que le manuscrit du mélancolique fut suivi d’un autre, qu’on a attribué à un jésuite ; il est intitulé : Vindiciæ Petavii [63] ; 12°. que dans le livre intitulé : Solution de divers Problèmes, et attribué à M. du Guet, les jansénistes prennent hautement en main la défense des bénédictins [64] ; 13°. qu’il a paru une troisième réponse des bénédictins [65] ; qu’elle est intitulée : Vindiciæ editionis sancti Augustini à PP. BB. adornatæ ; qu’elle a précédé la plupart des écrits dont j’ai fait mention jusqu’ici ; qu’elle n’est presque qu’une traduction de la réponse du père Lamy ; qu’elle est faite sous un nom emprunté, etc. [66].

J’ai vu aussi un ouvrage que l’on attribue à dom Lamy ; c’est une Plainte de l’apologiste des bénédictins à messeigneurs les prélats de France, sur les libelles diffamatoires que l’on répond contre ces religieux, et contre leur édition de saint Augustin : avec une sommation aux auteurs de ces libelles de comparaître devant monseigneur l’archevêque de Paris, et une instruction du procès que l’on fait aux bénédictins sur leur édition de saint Augustin. Tout cela comprend 88 pages in-8o. L’auteur ayant demandé aux prélats le châtiment de ses adversaires, remarque que la difficulté est de savoir qui sont ces esprits inquiets et séditieux, qui ont attaqué les bénédictins [67]. Elle n’est pas si grande qu’on le pourrait croire, ajoute-t-il. Il est vrai qu’ils se gardent bien de se nommer dans leurs libelles ; mais Les RR. PP. jésuites prennent tant de soin de s’en faire honneur dans le monde, et ils se découvrent d’ailleurs par tant d’endroits, dans ces séditieux écrits, qu’on ne peut les y méconnaître, sans prendre plaisir à s’aveugler soi-même. Il propose ensuite ses conjectures, et après quelques considérations générales, il donne quelque chose de plus précis et de plus décisif [68]. « Et déjà, dit-il, pour la lettre de l’abbé allemand, quand ces pères ne s’y seraient pas rendus reconnaissables à l’air, à la voix, à l’accent, aux principes, à la doctrine, c’est un fait qui ne paraît plus aujourd’hui ni contesté, ni désavoué de personne, que c’est le père Langlois, jésuite du collége de Louis-le-Grand, qui en est l’auteur. Et, assurément, ce bon père ne prétendait pas qu’on l’ignorât, puisque le débit de son ouvrage s’est fait même dans son collége, d’une manière assez publique. Pour les autres libelles, comme la lettre de l’abbé commendataire, et celle du moine non réformé, outre qu’on sait encore qu’ils en ont fait des présens dans le monde, et qu’ils y ont fait trophées de leurs prétendues victoires, combien de fois ont-ils pris plaisir à s’y caractériser, à s’y nommer, à s’y faire regarder comme nos parties ! Il est bon, messeigneurs, de vous faire voir sous quelles livrées, et de quelles couleurs ils s’y dépeignent : je ne me servirai que de leurs propres termes : Considérez, dit-on dans ces lettres, ce que font les jésuites, ces gens que vous pouvez soupçonner d’être vos parties. Prenez-les pour modèles en cette matière, ils répondent à tout. » Ayant ramassé plusieurs autres caractères, il continue de cette façon : « Je ne pense pas qu’à tous ces traits on puisse douter que ce sont des jésuites. Mais on dira que ce ne sont que quelques particuliers en petit nombre. D’accord ; on sait que ce ne peuvent être que quelques particuliers : on n’a jamais vu de corps entiers prêter leurs mains pour faire une même lettre. Mais n’a-t-on pas sujet d’attribuer des écrits à tout un corps, lorsqu’on en parle communément dans ce corps avec approbation et complaisance ? Que dis-je ! lorsqu’on s’en fait honneur, qu’on en distribue les présens, qu’on en fait trophée dans le monde, comme l’on sait que les jésuites le font si souvent de ces belles lettres ? En un mot, messeigneurs, quelque scandaleux que soient les écrits faits par les particuliers d’un corps, on a sujet de les attribuer à tout ce corps, lorsque les supérieurs ne se mettent pas en peine d’en arrêter le cours ; lorsque n’en étant pas les maîtres, ils ne témoignent pas par un acte public qu’ils les désapprouvent, ou lorsqu’ils ne font pas eux-mêmes aux personnes offensées des réparations aussi éclatantes que les injures et les calomnies l’ont été. C’est par cette règle qu’on a toujours regardé comme l’ouvrage du corps des jésuites l’écrit scandaleux de la Comédie des Moines, où presque tous les religieux sont traités avec une indignité et une dérision qu’on aurait peine à pardonner aux plus déchaînés hérétiques. On l’a, dis-je, justement attribuée à tout le corps, quoique composée et jouée par leurs jeunes gens, parce qu’il n’a jamais paru que les supérieurs en aient fait nulle satisfaction, nulle justice [69]. » Il fait voir après cela que c’est à M. l’archevêque de Paris à juger du différent [70] ; et il somme ses parties de paraître en personne à ce tribunal, et de prouver leurs diverses accusations ; à peine, s’ils manquent à l’un ou à l’autre, de se voir condamnés comme calomniateurs, et leurs libelles censurés comme diffamatoires. Mais, pour ne leur donner pas lieu d’abuser d’une citation vague el indéterminée pour le temps, et de peur aussi de les presser de trop près, nous leur accordons deux mois de temps, à compter du jour que notre citation sera devenue publique à Paris [71]. Enfin, il montre quel est l’état de l’affaire, et puis, dans l’instruction du procès, il réfute diverses choses publiées contre les bénédictins.

J’ose dire que M. l’archevêque de Paris, et un concile national même, se seraient trouvés embarrassés dans le jugement d’une telle cause ; car, outre que les questions du jansénisme sont toutes pleines d’équivoques, deux communautés puissantes et bien lettrées, qui ont chacune leurs amis et leurs ennemis, peuvent tailler beaucoup de besogne et faire naître des incidens à l’infini. Le meilleur expédient, lorsqu’il s’élève de ces disputes, est de recourir au bras séculier, comme à un dieu de machine, qui vienne couper le nœud. C’est ce qui est arrivé dans celle-ci. Le roi ordonna à M. le chancelier d’écrire une lettre à M. l’archevêque de Paris, afin qu’il ne fût plus parlé de cette querelle, et que les parties cessassent de rien publier là-dessus [72]. Mais, quoi qu’il en soit, on peut dire que les bénédictins prirent le parti le plus raisonnable qu’il y eût à prendre, tant pour montrer qu’ils se tenaient bien assurés de leur fait, que pour arrêter le cours des libelles. Ils demandèrent une procédure régulière, où leurs accusateurs fussent obligés de se nommer, et de prouver juridiquement les faits en question. Sans cela on ne saurait se promettre une bonne issue ; car, dans les causes même les plus mal fondées, ceux qui ont la liberté de ne plaider qu’au tribunal du public, par des livrets anonymes, se trouvent toujours en état de faire les fiers, et d’insulter, et d’étourdir, pourvu qu’ils ne manquent ni d’écrivains, ni d’imprimeurs. Un simple particulier, qu’il ait raison ou qu’il ait tort, se voit réduit au silence dès que les factums ne se vendent plus. Il ne pourrait pas les continuer sans soutenir la dépense de l’impression, et il ne peut pas la soutenir. Cet inconvénient ne se trouve pas dans une communauté riche et puissante comme celle des jésuites.

On va contrefaire, à Amsterdam, cette édition ; on la donnera en plus petits caractères, et on la vendra à beaucoup meilleur marché que celle de Paris [73]. On avait dessein d’y répandre les notes critiques d’un savant homme qui se cache sous le nom de Joannes Phereponus [74] ; mais je viens d’apprendre qu’on a changé de dessein, et que ces notes critiques seront imprimées à part, avec le commentaire de Louis Vives sur l’ouvrage de Civitate Dei, etc. On a eu peur de rebuter les catholiques romains : c’est pourquoi on leur laissera une entière liberté d’acheter ou de n’acheter pas des notes suspectes. Elles seront dans un tome séparé, sans lequel on vendra toutes les œuvres de saint Augustin, exactement conformes à l’édition de Paris, à tous ceux qui ne voudront pas se charger du reste.

  1. (*) Confess., lib. IV, cap. XVI.
  2. (*) Lib. I, Retractat., cap. XVIII.
  3. (*) Interpretandirationem et inhærentem sententiæ sacrorum librorum explanationem omnes admirantur, dignumque existimant cui Paulus apostolus, quem ille mirificè coluit, seribenti et prædicanti multa dictâsse videatur. Breviarium Romanum.
  4. * À la fin du tome XII de l’Histoire des Auteurs sacrés, on trouve une lettre au T. R. P. D. Ceillier contenant l’explication d’un passage de saint Augustin. Crapula, y est-il dit, doit être pris pour l’excès dans le manger. Cette lettre à Ceillier était de Joly, qui, dans ses Additions à ses Remarques sur Bayle consacre une note de plus de trois pages pour défendre son opinion.
  1. Du Pin, Biblioth. des Auteurs ecclésiast., tom. III, pag. 158.
  2. Son père était mort environ l’an 372.
  3. Tiré de l’Histoire ecclésiast. de Jean le Sueur, tom. III, à l’an 388, pag. 484 et suiv. de édition in-12.
  4. Du Pin, Bibliothéq. des Aut. ecclés., tom. III, pag. 158.
  5. Ci-dessus dans les remarques (C), (D) et (L) de l’article de Jean Adam, jésuite. Vous y verrez divers jugemens qu’on a faits de saint Augustin. Voyez aussi l’État de la Faculté de Théologie de Louvain, en 1701, pag. 207.
  1. August., Confess., lib. I, cap. XIX.
  2. Leo Allatius, in Apib. urbanis, pag. 146, apud Baillet, Enfans célèbres, pag. 59.
  3. Christ. Liberius, de Scrib. et leg. Libris, pag. 178, cité par Baillet, là même.
  4. Baillet, là même, pag. 60, 61.
  5. Confess., lib. II, cap. II.
  6. C’était contre la bienséance connue même des païens, qu’un fils et un père se baignassent au même lieu. Voyez les Offices de Cicéron, liv. I, chap. XXXV ; Valère Maxime, liv. II, chap. I, num. 7 ; Plutarque, dans la Vie de Caton l’ancien, pag. 348.
  7. Confess., lib. II, cap. III.
  8. Ibidem.
  9. Ibidem, lib. VI, cap. XV.
  10. Ibidem, cap. XIII.
  11. Ibidem, cap. XII.
  12. Ibidem.
  13. Baillet, des Enfans célèbres, pag. 63, ex August. Confess., lib. IX, cap. VI,
  14. August., de duabus Anim.
  15. M. Basnage montre clairement que l’église romaine, dans le concile de Trente et ailleurs, a décidé contre saint Augustin et contre d’autres conciles. Voyez son Histoire de la Religion des Églises réformées, tom. II, pag. 452 et suiv.
  16. Liv. III, chap. IX.
  17. Là même, pag. 397, 398.
  18. Histoire critique du Vieux Testament, pag. 399.
  19. Voyez le livre intitulé : Sentimens de quelques Théologiens de Hollande sur l’Histoire critique du Vieux Testament, pag. 357 et suiv., et la Défense de ces Sentimens, pag. 348 et suiv.
  20. Voyez la Réponse aux Sentimens de quelques théologiens de Hollande, pag. 202 et suiv., et la Réponse à la Défense des Sentimens, pag. 198 et suiv.
  21. Petrus Gallandius, in Vitâ Castellani, pag. 44, 45.
  22. Simon, préface des Nouvelles Observations sur le texte et les versions du N. T. imprimées à Paris, en 1695, in-4o.
  23. Voyez la réponse qui a été faite par un janséniste à M. Leydecker. Il en est parlé dans l’Histoire des ouvrages des Savans, en 1697, pag. 251.
  24. Petav. Dogmat. theolog., tom. I, lib. IX, cap. VI, cité par M. Arnauld, Difficult. propos. à M. Sieyaert, part. IX, pag. 200.
  25. Voyez la Lettre écrite de Suisse, imprimée à Dordrecht, en 1690, pag. 20.
  26. Voyez ce qui a été publié des Actes de ce synode, dans le Tableau du socinianisme, pag. 565.
  27. Il était mort au mois de janvier 1687.
  28. Ils étaient en beaucoup plus grand nombre dans le synode, que les ministres wallons, et ils ont agi de concert avec les ministres réfugiés en Angleterre. Voyez les Actes de ce synode, touchant la VIIIe. lettre du Tableau du Socinianisme, pag. 559 et suiv. L’auteur de ce Tableau assure, pag. 558, que l’arrêté et les définitions de ce synode ont été faits d’une manière unanime.
  29. Voyez l’Apologie pour les vrais Tolérans, par M. Huet, ministre de Dort, pag. 133 et 134.
  30. Dans la Défense des Sentimens de quelques Théologiens de Hollande sur l’Histoire critique, pag. 365 et suivantes.
  31. C’est le XVe. de son livre intitulé : Homeri Nepenthes, sive de Helenæ Medicamento, imprimé à Utrecht, l’an 1689, in-8o.
  32. Augustin., lib. X, Confess., cap. XXXI.
  33. Petrus Petitus, Homeri Nepenthes, pag. 138.
  34. Idem, ibid., pag. 139.
  35. Augustin., in libro de Moribus manichæorum, apud Petitum, ibid., pag. 140.
  36. Petitus, ibidem.
  37. Idem, ibidem.
  38. Journal des Savans du 27 juin 1689, pag. 426, édition de Hollande.
  39. Là même, pag. 427.
  40. Là même.
  41. Là même, pag. 428.
  42. Jacob. Pancratius Bruno, in Lexico medico, pag. 385.
  43. Voyez la IIe. Philippique de Cicéron, chap. XII, et la VIIIe. Verrine, liv. III, chap. XI.
  44. Plaut., in Pseudolo, act. V, scen. I, vs. 35.
  45. Idem, in Mostell., act. V, scen. II, vs. 1.
  46. Idem, in Rudente, act. II, scen. VII, vs. 28.
  47. Il n’a pu le faire ; il était mort avant que son Nepenthes eût vu le jour.
  48. Voyez sa Nouvelle Bibliothéque des auteurs ecclésiastiques, tom. III, pag. 257, édition de Hollande.
  49. Dans leur mois de janvier 1683, pag. 2.
  50. Cette pièce est imprimée l’an 1699 : elle contient 72 pages in-12.
  51. Imprimé l’an 1699. Il contient 128 pages in-12.
  52. Pag. 121.
  53. Conduite des bénédictins, pag. 24.
  54. Pag. 25.
  55. Pag. 28.
  56. Pag. 29.
  57. Pag. 31
  58. Pag. 35.
  59. Conduite des Bénédictins, pag. 40.
  60. Pag. 44.
  61. Pag. 47.
  62. Pag. 50.
  63. Pag. 51.
  64. Pag. 67.
  65. C’est sans doute celle dont on avait parlé dans la page 64 en rapportant ces paroles tirées d’une lettre manuscrite de M. Simon au père Martianai : Un bénédictin sommé dom Bernard de Montfaucon...., a fait une vigoureuse réponse à l’abbé allemand, imprimée avec la permission du maître du sacré palais.
  66. Conduite des bénédictins, pag. 68.
  67. Plainte de l’Apologiste des Bénédictins, pag. 10.
  68. Pag. 12.
  69. Plainte de l’Apologiste des Bénédictins, pag. 21.
  70. Pag. 23.
  71. Là même, pag. 24.
  72. Vous la trouverez dans les Lettres historiques du mois de janvier 1700, pag. 99.
  73. Voyez M. Bernard Nouvelles de la République des Lettres, mois de mars 1699, pag. 358.
  74. Là même.

◄  Auge (Daniel d’)
Aulnoi (Marie-Catherine le Jumel de Berneville)  ►