Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Autriche

La bibliothèque libre.

◄  Auton (Jean d’)
Index alphabétique — A
Azote  ►
Index par tome


AUTRICHE (Don Juan d’), fils naturel de l’empereur Charles-Quint, naquit à Ratisbonne le 24 de février 1545. Une demoiselle de Ratisbonne, qui s’appelait Barbe Blomberg[a], voulut bien passer pour sa mère (A), afin d’épargner à ceux qui avaient donné la vie à cet enfant la honte qui leur était inévitable, si le public avait su le nom de la véritable mère. L’enfant fut transporté en Espagne avant l’âge d’un an (B) : l’empereur en donna la commission à Louis Quixada, qu’il connaissait, par plusieurs épreuves, très-capable de retenir un secret[b]. Il lui recommanda de faire élever l’enfant par Madeleine Ulloa sa femme, sans que personne pût conjecturer qui était le père. Quixada servit en cela son maître avec toute la fidélité imaginable ; car, non-seulement il ne révéla le mystère à qui que ce fût, mais il eut aussi un soin extrême de l’éducation de don Juan. Charles, prêt à rendre l’âme, découvrit à son fils Philippe, qu’il était le père du jeune seigneur que Quixada élevait à Villagarsia, et lui recommanda de le reconnaître désormais pour son frère, et de le traiter selon cette qualité. Philippe n’exécuta cet ordre qu’au bout de deux ans (C) ; mais alors il le fit de bonne grâce. Il fit élever don Juan avec don Carlos, et avec Alexandre Farnèse. Ces trois princes étaient à peu près du même âge ; mais don Juan était le mieux fait, et de corps, et d’esprit. Philippe ne fut pas bien aise de la répugnance qu’il lui trouva pour l’état ecclésiastique, auquel son père l’avait destiné. Il le fut beaucoup moins d’une équipée que fit ce jeune seigneur : c’est que sans la permission du roi, il fit un voyage à Barcelone, accompagné de bon nombre de gentilshommes, pour aller à la guerre de Malte. Les lettres qu’il reçut du roi avant que de s’embarquer lui firent rompre ce voyage. Il obéit si promptement à l’ordre qu’il avait reçu de retourner, que sa diligence apaisa un peu la colère de Philippe ; et il se remit entièrement dans ses bonnes grâces, pour avoir été le premier qui lui révéla les machinations de don Carlos. Il y avait très-peu d’amitié entre ces deux jeunes princes (D). Don Juan fut peu après envoyé au royaume de Grenade contre les Maures, et se signala dans cette guerre. Il fut déclaré généralissime de la ligue contre les Turcs, et, en cette qualité, il gagna la fameuse bataille de Lépante L’an 1571, après quoi il prit la ville de Tunis et celle de Biserte, et revint triomphant en Italie, suivi d’Amidas roi de Tunis, qu’il avait fait prisonnier. Il avait laissé garnison dans Tunis contre les ordres de Philippe, et déjà, par l’entremise du pape, on parlait de lui conférer le titre de roi de Tunis. Le roi d’Espagne n’était guère content de toutes ces prospérités : l’idée qu’il se forma de l’ambition de ce jeune prince lui donnait de l’inquiétude [c]. Il l’envoya commander dans les Pays-Bas, mais il lui ordonna de pacifier ces provinces : il n’était pas bien aise de l’y savoir à la tête des armées. Avec cette préoccupation, il avalait aisément tous les bruits qui pouvaient lui rendre suspecte la conduite de son frère ; et quelques-uns disent que, pour augmenter la division, on trouva moyen de lui faire dire que don Juan s’allait marier avec la reine Élisabeth [d]. Disons, pour couper court, qu’Escovedo, secrétaire de don Juan, ayant été envoyé à Madrid par son maître, pour y solliciter les secours que l’on attendait depuis long-temps, y fut tué (E). Don Juan se crut alors en pleine disgrâce : le chagrin de se voir sacrifié à la risée des ennemis, par l’impossibilité où on le mettait de leur tenir tête (F), lui causa une maladie dont il mourut le 1er. d’octobre 1578 [e]. On a cru même qu’il fut empoisonné (G). Il recommanda bien au roi Philippe sa prétendue mère, et son prétendu frère utérin, et ses domestiques ; mais il n’osa point lui faire parler de ses deux filles naturelles [f] (H).

On voit son éloge parmi ceux de plusieurs autres guerriers, dans un livre composé par Primo Damaschino, et imprimé à Rome, l’an 1680, sous le titre de La Spada d’Orione stellata nel Cielo di Marte. Mais si vous souhaitez de voir le détail des plaintes que l’on fit contre sa conduite, avec plusieurs de ses lettres interceptées, vous n’avez qu’à lire Sommier Discours des justes Causes et Raisons qui ont constrainct les Éstats-Généraulx des Païs-Bas de pourvoir à leur deffense contre le seigneur don Jean d’Austrice. C’est un manifeste très-curieux. Il fut imprimé en Anvers, par Guillaume Sylvius, imprimeur du roi, l’an 1577. Voyez aussi le manifeste que le prince Jean Casimir, comte Palatin du Rhin, publia l’année suivante, pour justifier son expédition. Il le fit imprimer à Neustadt, en allemand et en latin. Il y a eu au XVIIe. siècle un autre don Juan d’Autriche (I), qui a paru dans le monde avec assez d’éclat. Il était fils de Philippe IV, et d’une comédienne (K).

  1. Voyez son article.
  2. Quem expertus erat arcanorum celantissinum. Strada, doc. I, lib. X, pag. 612.
  3. Quod Philippo suspicionem intendit elatum victoriarum cursu juvenem non diù laturum privatam fortunam, et regna nunc rogare aliquandò invasurum. Strada, de Bello belgico, decad. I, lib. X, pag. 617.
  4. Voyez la remarque (F).
  5. Majoribus in dies pressus angustiis ac desertus, uti palàm querebatur à rege, traditusque hostium ludibrio, ingens animi speique princeps….. ex mœrore contabuit. Strada, decad. I, lib. X, pag. 619.
  6. Tiré de Strada. au Xe. livre de la Ire. décade.

(A) Barbe Blomberg voulut bien passer pour sa mère. ] Famien Strada raconte que le cardinal de la Cueva lui avait révélé ce secret[1]. Ce cardinal l’avait appris de l’infante Claire-Eugénie, à qui Philippe II, qui n’avait rien de caché pour elle, en avait fait confidence. Philippe II témoigna toujours devant le monde que Barbe Blomberg était la mère de don Juan : Eodemque loco habitam à Philippo rege scenæ pariter inserviente[2]. Le sacrifice que cette dame voulut bien faire de sa propre réputation à celle d’une grande princesse n’est pas à beaucoup près si considérable que l’on s’imagine : on se fait une honte de passer pour la maîtresse d’un particulier ; mais combien y a-t-il de dames qui se glorifient d’être les maîtresses des rois et des empereurs ! J’ai dit que ce sacrifice se faisait en faveur d’une grande princesse : c’est Strada qui me l’apprend : Joannem Austriacum, non ex Barbarâ Blombergâ, uti creditum ad eam diem, sed ex longè illustriori ac plane principe feminâ procreatum : cujus ut famæ parceretur prætentam fuisse aliam à Carolo Cæsare. Le même historien remarque que don Juan, trompé deux fois à sa mère, n’y fut jamais détrompé. Il se crut d’abord fils de Madeleine Ulloa, et puis de Barbe Blomberg. Quelque heureux, quelque vigilant qu’il fût à découvrir les plus secrètes intrigues de l’ennemi, il ne put jamais développer ce mystère domestique. Habet profectò undè minùs sibi de suâ sagacitate placeat humanum ingenium quando tantus princeps, atque intima quæque vel in hoste rimari solitus, domi suæ, suorumque ignarus adeo vixerit obieritque, ut bis in matre deceptus, semper alienam coluerit, numquàm suam[3]. Je m’étonne que le père Strada ne dise rien d’une troisième personne qui a passé pour la mère de don Juan. L’auteur d’une docte dissertation, qui fut imprimée l’an 1688[4], parle avec de grands éloges de Catherine de Cardonne, née à Naples, l’an 1519. Elle passa en Espagne, avec la princesse de Salerne, sa cousine, l’an 1559, et s’acquit de telle sorte, par sa vertu et par sa piété, l’estime de Philippe II, qui commanda à Ruy Gomez, prince d’Évoly, gouverneur de don Carlos et de don Juan, d’avoir soin de cette dame. Ruy Gomez la prit chez lui, et la trouvant d’une sagesse admirable, il la pria de se charger de la conduite de sa maison, et de partager avec lui l’éducation des deux princes. Elle s’acquitta de cette charge avec tout le soin imaginable. Don Juan l’honora toujours comme sa mère. L’auteur de la dissertation fait une remarque sur ce mot. Il ne faut pas passer outre, dit-il[5], sans justifier cette sainte d’une horrible calomnie par laquelle quelques-uns, abusant de ce mot, ont voulu faire croire qu’elle était la véritable mère de Jean d’Autriche. Strada de Rosberg semble avoir donné lieu à cette supposition, lorsque, dans sa Généalogie de la maison d’Autriche, il marque la mère de ce prince sous le seul nom de Catherine. Mais la vie si chaste et si mortifiée qu’avait menée Catherine de Cardonne, dès son enfance, ne pouvait pas permettre qu’on eût d’elle un tel soupçon. On ajoute plusieurs autres raisons à celle-là, pour justifier Catherine de Cardonne, et l’on finit la remarque par ces paroles : C’était une autre personne plus illustre (qui était la mère de Jean d’Autriche), et que notre sainte[6] avait même connue, comme remarque l’historien de sa vie, mais qui, pour de grandes considérations, n’a point été divulguée. Joignons à tout ceci un passage de M. Varillas. Le secret de la naissance de Jean d’Autriche, dit-il [7], n’a jamais été tout-à-fait découvert ; et, soit que la qualité trop élevée de sa véritable mère exigeât toutes les précautions qui furent apportées, ou que l’on eût eu plus de soin d’éviter le scandale que le péché, il est certain que Charles ne découvrit qu’au seul Quichada quel était Jean d’Autriche, et qu’il lui ordonna de le faire passer pour son fils, jusqu’à ce que Sa Majesté Impériale apprît à Philippe II, en lui résignant ses états, qu’il avait un frère naturel. Cette retenue de M. Varillas est plus louable que la liberté que l’on s’est donnée dans la seconde édition du Ménagiana, de dire tout net et tout franc que don Jean d’Autriche est né de la propre sœur de son père. C’est à l’occasion d’une très-excellente parole de Charles-Quint. On prétend qu’il dit, en déchirant un injuste privilége qu’il avait signé : J’aime mieux gâter ma signature que ma conscience. Sur quoi l’on a fait cette glose dans la seconde édition du Ménagiana, pag. 422. Voilà une conscience bien délicate, pour un homme qui a tant fourbé pendant toute sa vie, et qui, si l’on en croit la médisance, ne se faisait pas scrupule de coucher avec sa propre sœur, pendant que Barbe Blomberg servait de couverture à ce commerce infâme, et se disait la mère de don Juan d Autriche.

(B) Il fut transporté en Espagne avant l’âge d’un an. ] Brantôme fait un autre conte, que je rapporterai dans les remarques de l’article Blomberg, et qui ne doit pas être cru au préjudice du père Strada.

(C) Charles-Quint découvrit à Philippe II que don Juan était son fils, et lui recommanda de le reconnaître pour son frère...... ce qu’il n’exécuta.... qu’au bout de deux ans. ] L’application au principal est cause qu’un historien ne s’aperçoit pas toujours de ses erreurs de calcul. Voici Strada qui assure que don Juan naquit le 24 de février 1545 ; que son père mourut le 21 de septembre 1558 ; que Philippe reconnut don Juan deux ans après la mort de son père ; qu’il le fit élever avec don Carlos, son fils, et que ces deux princes n’avaient pas encore atteint leur quinzième année, annum quartum decimum nondùm supergressi. Si Strada avait bien compté, il aurait trouvé plus de quinze ans accomplis. On ne peut pas dire que l’année 1547 est celle de la naissance. J’avoue que M. Moréri l’assure ; mais ce ne peut pas être l’opinion de Strada, puisqu’en mettant la mort de don Juan au 1er. d’octobre 1578, il lui donne trente-trois ans de vie. Il n’y a donc point faute d’impression au chiffre 1545. L’auteur de la Dissertation sur l’hémine [8] met la naissance de ce bâtard au 14 février 1545, et la mort environ le 1er. octobre 1578, à l’armée près Namur ; et il censure la Généalogie de la maison d’Autriche, qui le fait mourir à Bruges âgé de vingt-cinq ans. Il censure aussi le père Strada d’avoir mis la mort de don Juan au mois de décembre ; mais on lit en propres termes dans Strada, Kalendis octobris [9]. M. Varillas n’est point croyable, quand il dit que Philippe II laissa couler onze ans sans exécuter les ordres de son père, et que Jean d’Autriche avait déjà vingt ans lorsque Sa Majesté Catholique s’avisa de le reconnaître pour frère[10]. Il aurait eu vingt-quatre ans, selon ce calcul. Souvenons-nous qu’il fut envoyé généralissime au royaume de Grenade, l’an 1569[11]. Il faudrait, selon M. Varillas, qu’on eût commencé par cette importante charge à le reconnaître pour le fils naturel de Charles-Quint. Ce serait bien mal connaître Philippe II, que de lui attribuer une conduite si précipitée.

(D) Il révéla le premier les machinations de don Carlos : il y avait très-peu d’amitié entre ces deux jeunes princes. ] Rapportons une particularité qui se trouve dans Brantôme. On dit que don Carlos « s’étant découvert de quelque chose d’importance à don Jean, qu’il le révéla au roi d’Espagne, dont il l’en aima toujours davantage, mais mal reconnu depuis : et don Carlos l’en haït si bien, qu’ordinairement ils avaient dispute, jusque-là qu’il l’appela une fois bâtard, et fils de putain ; mais il lui répondit : Si, yo lo soy, mas yo tengo padre mejor que vos ; Oui, je le suis, mais j’ai un père meilleur que vous : et ils en cuidèrent venir aux mains[12]. »

(E) Escovedo, son secrétaire, ayant été envoyé à Madrid,..... y fut tué. ] M. le Laboureur dit qu’il avait lu des mémoires dressés par M. de Peiresc, qui font mourir Escovedo après son maître, et que M. du Vair, qui avait appris cette particularité dans une conversation familière avec Antonio Perez, la conta à M. de Peiresc[13]. Cela mérite d’être examiné. Nous ferons peut-être un article sur Escovedo [* 1], dans lequel nous traiterons de ceci plus amplement, et nous verrons si ce fut avant ou après la mort de don Juan, que l’on sut à la cour d’Espagne les machinations que lui et le duc de Guise avaient tramées. Philippe II n’avait pas tout le tort que l’on s’imagine, et don Juan était capable, avec le temps, de lui susciter plus d’affaires que les Hollandais. Il ne valait guère mieux, par rapport à son souverain, que le duc de Guise. Mais il est vrai que l’humeur jalouse de Philippe, et sa mystérieuse politique, inspiraient le plus souvent, dans sa famille, ces pensées de rébellion. Multi fallere docuerunt, dum timent failli, et aliis jus peccandi suspicando fecerunt[14].

(F) Il se vit sacrifié à la risée des ennemis, par l’impossibilité où on le mettait de leur tenir tête. ] Voilà comment le roi d’Espagne, tout grand politique qu’il était, aimait mieux perdre les Pays-Bas que de ne point satisfaire les jalousies et autres passions cachées qui lui rongeaient l’âme. C’est à cela que les Hollandais sont autant ou plus redevables de leur liberté, qu’à leur bonne et sage conduite. Il y a peu de grandes affaires qui ne réussissent pour le moins autant par les fautes de l’un des partis, que par la prudence de l’autre. Il n’était pas malaisé de faire donner dans le panneau Philippe II, dès qu’on déterrait ses jalousies. Strada se figure que le prince d’Orange écrivit à un de ses amis, à Paris, le mariage de don Juan avec la reine d’Angleterre, et la promesse que le marié faisait de la liberté de conscience à ceux de la nouvelle religion ; qu’il écrivit, dis-je, cela tout exprès, afin d’augmenter les soupçons du roi Philippe : il crut que sa nouvelle ne manquerait pas d’être sue par l’ambassadeur d’Espagne. Quin ad hanc quoque suspicionem regi confirmandam haud sanè dubitaverim aspexisse Orangium, scriptis ad amicum litteris in Galliam, quibus Joan. Austriaci atque Anglæ reginæ conjugium significabat, addebatque, pro suâ in eam rem operâ, spem sibi ab Austriaco factam liberæ per Belgium religionis. Id, quod à Vargâ, Hispano apud Gallum oratore in arcana quæque intento, sollicitè admonitum ferunt Philippum regem[15].

(G) On a cru.... qu’il fut empoisonné. ] Vous trouverez ici les paroles de Strada, et celles de Brantôme. Ex mœrore contabuit, dit Strada[16] : an verò ad hoc quo satis extingui potuit, venenum aliud cujusquam dolo subjectum fuerit (namque in defuncti corpore extitisse non obscura veneni vestigia affirmant qui viderunt) equidem nihil ipse statuerim. Ce pauvre prince, dit Brantôme[17], ne jouit pas longuement de cette belle gloire et louange ; car lui, qui avait tant cherché de mourir dans un camp rude de Mars, alla mourir dans un lit mou et tendre, comme si c’eût été quelque mignon de Vénus, et non un fils de Mars. Il mourut de peste, qu’il avait prise de madame la marquise d’Avré, disait-on, de laquelle il était épris ; mais tout le monde ne dit pas cela, et même en Espagne ; car on tient qu’il mourut empoisonné par des bottines parfumées.

(H) Il n’osa recommander à Philippe II ses deux filles naturelles. ] Don Juan, le plus beau prince de son siècle, était d’ailleurs fort galant et fort civil. Jugez si ce ne fut point un homme à bonnes fortunes. Il eut une fille à Madrid, et une autre à Naples. Celle de Madrid s’appelait Anne, et avait pour mère une fille de la première qualité, et d’une beauté achevée : Ex Mariâ Mendoziâ splendidissimi generis formæque elegantissimæ puellâ[18]. La même dame qui avait élevé don Juan[19], éleva secrètement cette bâtarde, jusqu’à l’âge de sept ans ; après quoi elle la mit dans un cloître. Philippe II l’en tira, et la fit mener à Burgos, où elle devint supérieure perpétuelle des bénédictines. L’autre fille de don Juan s’appelait Jeanne : elle avait pour mère une demoiselle de Sorrento, nommée Diane Phalanga ; et après avoir été élevée jusqu’à l’âge de sept ans chez Marguerite, duchesse de Parme, sœur de son père, elle fut mise chez les religieuses de sainte Claire à Naples, où ayant vécu vingt ans elle fut enfin mariée avec le prince de Butero. Ces deux filles de don Juan moururent presque le même jour, au mois de février 1630. Il les avait fait élever si secrètement, qu’il ne doutait pas que le roi n’ignorât tout le mystère ; et il n’en avait jamais fait confidence au prince de Parme son grand ami, qui ne sut la chose à l’égard de l’une de ces bâtardes, que par le moyen de la duchesse sa mère, peu avant la mort de don Juan. Eas regi incompertas crederet ; quippe occultè adeò cautèque educatas, ut Alexander ipse secretorum ejus planè omnium particeps filiarum alteram ignoraret : alteram non ab Austriaco sed à Margaritâ matre haud pridem nôsset[20]. L’auteur de la Vie de ce prince, imprimée à Amsterdam, en 1690, veut que don Jean ait fait confidence à son cher neveu le prince Alexandre Farnèze de ses amours avec la belle Mendoce, et de sa fille Anne, parce que vivant alors dans une même cour, en Espagne, ils se voyaient de trop près, et parce qu’ils étaient trop bons amis pour se dérober l’un à l’autre. Mais bien persuadé que la manifestation d’un crime est un crime, il lui avait fait mystère, dit-il, de ses amours avec Diane[21]. C’est démentir Strada sans raison ni preuve, et c’est alléguer une raison de silence qui prouve trop.

(I) Il y a eu au XVIIe. siècle un autre don Juan d’Autriche. ] Il était fils naturel du roi d’Espagne Philippe IV, et il naquit l’an 1629[22]. fut légitimé l’an 1642, et il n’y eut personne qui fit sur cela à Philippe IV les complimens de congratulation avec autant d’empressement que le nonce apostolique Jacques Panzirole [23]. L’amitié du roi pour cet enfant fut la plus tendre du monde. Il le déclara son généralissime, tant par mer que par terre, dans la guerre contre le Portugal l’an 1642 ; et quelques années après, il l’envoya en Italie contre les rebelles de Naples[24]. Cette dernière expédition, ayant été fort heureuse, porta le roi à donner au même don Juan la commission de réduire à leur devoir les Catalans révoltés. Il l’envoya ensuite commander dans le Pays-Bas. Cet emploi ne contribua pas beaucoup à la gloire de don Juan : celle qu’il avait acquise en faisant lever le siége de Valenciennes s’évanouit par la mauvaise fortune qui l’accompagna en d’autres endroits, et surtout par la perte de la bataille des Dunes, qui fut suivie bientôt de la perte de Dunkerque. Il ne fut pas moins malheureux dans la guerre de Portugal, après la paix des Pyrénées ; car l’armée qu’il commandait fut entièrement défaite, et il tomba en disgrâce, et reçut ordre du roi son père de se retirer à Consuégra[25]. Il n’eut aucune part au gouvernement après la mort de ce prince : toute l’autorité se trouva entre les mains de la reine mère et du jésuite Nidhard. On voulut l’éloigner, sous le spécieux prétexte de l’envoyer au Pays-Bas faire tête aux armées de France ; mais il découvrit la ruse, et ne voulut point y aller, et feignit d’être malade. La cour, offensée de cette conduite, le fit retirer à Consuégra[26]. Il ne s’oublia point dans cette retraite, et il ménagea si bien les dispositions des esprits à qui la faveur du père Nidhard était odieuse, qu’enfin ce jésuite fut obligé de céder. Il sortit d’Espagne pour aller à Rome, et depuis ce temps-là les affaires de don Juan allèrent mieux, jusqu’à ce qu’enfin il fut rappelé à la cour[27], et qu’il y eut la direction principale du gouvernement. Il mourut le 17 de septembre 1679, après une maladie de vingt-trois jours[28]. Il y eut des gens qui dirent qu’on l’avait empoisonné : Vi sono persone, che assicurano che fosse un colpo uscito dalla mano della Reg. Mad. e del cardinal Nitardi, coll’ assistenza de’ suoi partigiani[29]. D’autres ont dit qu’il conçut tant de chagrin du mariage du roi avec la fille de M. le duc d’Orléans, qu’il en mourut ; et néanmoins, selon l’opinion publique, il avait été le principal promoteur de ce mariage[30]. Je me souviens d’avoir lu dans quelque gazette de l’an 1678, que le marquis d’Agropoli, soupçonné d’avoir fait une comédie contre don Juan, fut relégué à Oran.

(K)..... fils de Philippe IV et d’une comédienne. ] Tout le monde sait que Philippe IV fut fort adonné à l’amour des femmes. Il fit paraître de très-bonne heure cette inclination, et il eut un gouverneur, qui, bien loin de le soutenir dans un chemin si glissant, contribua à sa chute. C’était le comte d’Olivarez : il était sujet lui aussi à cette passion ; et tant à cause de cela, que pour s’assurer davantage de l’administration des affaires, il fomenta le tempérament impur de son jeune prince. Il espéra que sous le règne de son élève, il aurait les plus grandes charges de l’état, et il prévit bien qu’il les pourrait exercer avec beaucoup plus d’autorité, si le monarque menait une vie voluptueuse et efféminée ; et que d’ailleurs ses propres débauches auraient un plus libre cours sous un maître qu’il ne ferait qu’imiter. Ce manège lui réussit. Philippe IV, âgé de seize ans, monta sur le trône en 1627, et laissa le soin des affaires au comte-duc d’Olivarez, qui n’oublia rien pour faire durer l’oisiveté de ce monarque. Il inventa de nouveaux plaisirs, il fit venir à Madrid la plus excellente troupe de comédiens qui se pût former en Espagne. Elle joua devant le roi, l’an 1627. Il s’y trouva une comédienne qui s’appelait la Calderona, qui lui plut beaucoup. Elle n’était pas fort belle, mais elle avait des gentillesses et des agrémens incomparables, et une voix charmante. Le roi ne l’eut pas plus tôt vue sur le théâtre, qu’il en fut épris, et il ordonna qu’on la fit venir dans sa chambre : il ne voulait, disait-il, que l’entendre parler de plus près. Aussitôt que le comte-duc eut appris cette nouvelle, il ménagea l’entrevue, et fit introduire de nuit la comédienne dans la chambre de sa majesté. Elle n’en partit que le lendemain, et laissa le prince si amoureux d’elle, qu’il la déclara sa favorite. Elle n’était âgée que de seize ans. Depuis ce temps-là, les entrevues furent fréquentes, elle devint grosse, et accoucha de notre don Juan. Mais, après les couches, elle rompit ce commerce[31], et s’enferma dans un couvent, et y prit l’habit de religieuse, avec la bénédiction du nonce du pape[32].

  1. * Cet article n’existe pas.
  1. Strada, de Bello Belg., decad. I, lib. X, pag. 626.
  2. Idem, ibid.
  3. Idem, ibid., pag. 627.
  4. Dissertation sur l’hémine de vin et sur le livre de pain de saint Benoist.
  5. Pag. 186.
  6. C’est-à-dire, Catherine de Cordonne. Son Histoire est dans l’Histoire générale des Carmes déchaussés, Ire. part., liv. V. Voyez la Dissertation sur l’hémine, pag. 182.
  7. Varillas, Histoire de François Ier., liv. XIII, pag. 589.
  8. Pag. 187.
  9. Strada, decad. I, lib. X, pag. 611.
  10. Varillas, Histoire de François Ier., liv. XIII, pag. 389.
  11. Moréri dit 1570.
  12. Brantôme, Vies des Capitaines étrangers, tom. II, pag. 117, 118.
  13. Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, par. 889.
  14. Seneca, Epist. III.
  15. Strada, de Bello Belg., dec. I, lib. X, pag. 618.
  16. Idem, ibid., pag. 619.
  17. Brantôme, Vies des Capitaines étrangers, pag. 140.
  18. Strada, decad. I , lib. X, pag. 624.
  19. Catherine Ulloa, femme de don Louis Quixada.
  20. Strada, decad. I, lib. X, pag. 624.
  21. Vie de don Juan d’Autriche, pag. 146.
  22. Vita di don Giovanni d’Austria, pag. 4, édit. de Genève, en 1686.
  23. Là même, pag. 7.
  24. Là même, pag. 37.
  25. Là même, pag. 284.
  26. Là même, pag. 288.
  27. Sur la fin de l’an 1676.
  28. Vita di don Giov. d’Austria, pag. 628.
  29. Là même, pag. 629.
  30. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, juillet 1686, pag. 827.
  31. Non volle poi la Calderona accopiarci più col rè. Vita di don Giovanni d’Austria, pag. 5.
  32. Jean-Baptiste Pamphile, qui depuis fut le pape Innocent X. Tiré de la Vita di don Giovanni d’Austria, pag. 2 et suivantes.

◄  Auton (Jean d’)
Azote  ►