Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Capet

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CAPET (Hughes), roi de France, le premier de la troisième race. Il y aurait bien des choses à dire sur ce sujet ; mais je me contente d’observer que le poëte Dante débita un mensonge bien ridicule, lorsqu’il dit que le père de Hugues Capet était un boucher (A). On prétend que François Ier. se mit extrêmement en colère, quand il sut que Dante avait parlé de la sorte (B).

(A) Le poëte Dante débita un mensonge bien ridicule, lorsqu’il dit que le père de Hugues Capet était un boucher [* 1]. ] Ce serait abuser de son loisir, et de la patience des lecteurs, que de réfuter cet homme. Il suffit de rapporter la conjecture la plus ordinaire des auteurs qui ont parlé de cela ; c’est que Dante ne fut poussé à débiter cette imposture, que pour se venger du traitement qu’il avait reçu du prince Charles de Valois issu de Hugues Capet. Le pape Boniface VIII, sollicité par l’un des partis qui divisaient la république de Florence, fit en sorte que Charles de Valois, frère de Philippe-le-Bel, roi de France, allât mettre ordre aux confusions de cette ville. La faction que Dante avait embrassée eut alors du dessous : il fut chassé de Florence avec plusieurs autres, et tous ses biens furent confisqués. Il se vengea comme il put avec sa plume, en décriant les rois de France qui avaient favorisé la faction contraire, et entre autres choses il les attaqua du côte de l’extraction. Il feint que Hugues Capet avoue que son père était boucher, figliuol fui d’un beccaio di Parigi [1], et se reconnaît la racine d’une plante qui a fait beaucoup de mal à la chrétienté.

I fui radice de la mala pianta,
Che la terra christiana tutta aduggia,
Si che buon frutto rado se ne schianta.

La racine je fus de la mauvaise plante,
Que fait ombre nuisible au terroir des chrétiens,
Si que fort rarement bon fruit elle présente [2].

Un chanoine de Paris, nommé Balthasar Grangier, dédiant au roi Henri IV la traduction qu’il avait faite en vers français de l’Enfer, du Paradis et du Purgatoire de Dante, dit à ce prince qu’il ne faut pas prendre à la lettre le mot de boucher ; Car, Dante qui, durant son exil, fut longtemps en cette ville de Paris, n’a pas ignoré notre façon de parler. Quand un prince est un peu rigoureux à faire faire justice de plusieurs malfaiteurs, nous disons qu’il en fait une grande boucherie ; et ainsi notre-dit poëte appelle Hugues-le-Grand, comte de Paris, père du susdit Hugues Capet, grand justicier de son temps des gentilshommes et autres-malfaiteurs et rebelles, boucher de Paris, comme je montre plus à plein aux annotations ; et quelqu’un de nos chroniqueurs citant ce passage sainement le remarque. Cette explication n’est guère moins ridicule que le mensonge même de Dante. Il a pris sans doute le mot de boucher littéralement. Je ne sais si quelque faiseur de libelle l’avait précédé, ou s’il fut le premier auteur de cette sottise ; mais il est certain que plusieurs l’ont débitée. Tant il est vrai qu’il n’y a point de mensonge, pour si absurde qu’il soit, qui ne passe de livre en livre, et de siècle en siècle. Mentez hardiment, imprimez toutes sortes d’extravagances, peut-on dire au plus misérable lardoniste de l’Europe, vous trouverez assez de gens qui copieront vos contes ; et si l’on vous rebute dans un certain temps, il naîtra des conjonctures où l’on aura intérêt de vous faire ressusciter [3]. On trouve dans les Annales de Papyre Masson un passage qui nous apprend que plusieurs auteurs ont dit la même chose que Dante. Itali quidam Hugonem humili genere natum scripsêre, seu ignorantiâ, seu odio. Dantes poeta illum parisiensis beccai filium fuisse canit, quæ vox lanium sonat. Is Florentiâ a Carolo Valesio pulsus Philippum-Pulchrum et Francos oderat, ut rectè in mentem venerit Volaterrano, Dantis opinionem refellere, etsi Ricordanus et Villaneus in Etruscis Annalibus id quoque à pluribus litteris mandatum affirmant [4]. Voyez la remarque suivante.

(B)... On prétend que François Ier. se mit extrêmement en colère, quand il sut que Dante avait parlé de la sorte. ] « Le passage de Dante lu et expliqué par Louis Alleman, Italien, devant le roi Francois, premier de ce nom, il fut indigné de cette imposture, et commanda qu’on le lui ostât, voire fut en esmoi d’en interdire la lecture dedans son royaume. » Pasquier, après avoir dit cela, avance une conjecture qui ne vaut pas mieux que celle que j’ai rapportée. Pour excuser cet auteur, dit-il [5], je voudrais dire que sous ce nom de boucher il entendait que Capet était fils d’un grand et vaillant guerrier... De cette même façon ai-je lu qu’Olivier de Clisson était ordinairement nommé boucher par les nôtres, parce que de tous les Anglais qui lui tombant entre les mains il n’en prenait aucun à merci, ains les faisait tous passer au fil de l’épée. Il ajoute que ceux de la religion appelaient boucher Francois de Lorraine, duc de Guise. Si Pasquier avait examiné ce qui suit et ce qui précède le vers de Dante, il n’aurait pas cru que ce poëte a pu vouloir dire que Capet était fils d’un grand et vaillant guerrier ; car, quand on a cette intention, on ne prétend point dire du mal d’une personne, et il est visible que Dante veut médire de Hugues Capet. Il y a des occasions où l’on ne devrait faire que narrer. Si Pasquier se fût contenté de dire que François Ier. se mit en colère contre Dante, et que la sottise de ce poëte, quoiqu’il l’eût écrite à la traverse, et comme faisant autre chose, a servi de fondement à plusieurs auteurs, il ne mériterait que des louanges. Il cite François de Villon, plus soucieux des tavernes et cabarets que des bons livres [6], qui a dit en quelque endroit de ses Œuvres :

Si feusse des hoirs de Capet
Qui fut extrait de boucherie.

Il ajoute qu’Agrippa.…. sur cette première ignorance déclame impudemment contre la généalogie de notre Capet [7]. Mais quelque déraisonnable qu’ait pu être la conjecture de Pasquier, elle ne laisse pas d’être approuvée par M. Bullart. Étienne Pasquier, dit-il [8], donnant à la pensée de ce grand poëte un sens plus juste et une explication plus raisonnable, est d’opinion qu’il use de ce mot par métaphore, et que par ce nom de boucher il entend que Capet était fils d’un vaillant guerrier. M. Bullart venait de dire que ce passage de Dante déplut tellement à François Ier., qu’il commanda qu’on lui ôtât le livre, et fut en délibération de l’interdire en son royaume. Je connais un homme qui soutient que c’est n’avoir pas entendu le français d’Étienne Pasquier ; car, dit-il, les paroles de cet auteur signifient que François Ier. commanda que l’on retranchât du livre de Dante le passage qui concerne Hugues Capet. Ce serait une chose bien étrange si François Ier. avait donné ordre qu’on lui ôtât un livre qui lui déplaisait. Que ne le jetait-il par terre ? Il n’aurait pas été moins efféminé qu’un Sybarite [9], s’il avait voulu donner la peine à un autre de le délivrer de ce fardeau : il aurait été capable de donner ordre qu’on lui chassât du visage une mouche qui l’aurait piqué, et qu’on lui mît dans la bouche les morceaux, afin qu’il n’eût pas la peine d’y porter ses mains. N’en déplaise à ce galant homme, la brusquerie, la vigueur mâle et guerrière de François Ier. ont pu permettre qu’il donnât ordre qu’on lui ôtât de devant les yeux un livre qui lui déplaisait. Ce n’était pas lui qui tenait le livre ; c’était apparemment un maître de langue italienne qui lisait. Parlons plus exactement : il se faisait lire ce poëte par un bel esprit réfugié d’Italie [10]. Cela dissipe toute la difficulté.

  1. (*) Jean Névisan, liv. IV, no. 233 de la Forêt nuptiale, voulant prouver à sa manière que ce n’est pas toujours la noblesse d’extraction qui fait les rois : facit Dantes in purgatorio.... dum loquitur de Ugone Capeto, qui fuit filius macellarii, et tamen fuit rex Franciæ, à quo tot Philippi et Ludovici derivârunt. Sed Guaginus, in vitâ illius hoc non dicit, licet paulò antè in vitâ Clodovæi dicat quendam macellarium ob discordiam in regem electum, qui posteà à suis dolo occisus est. Soit oubli, soit malice, ce trait de notre ancienne histoire que Dante pouvait avoir lu dans la même source où Gaguin l’avait trouvé, pourrait bien être la source du conte que ce poëte a débité. Rem. crit.
  1. Dans son Purgatoire, chant. XX, pag. m. 282.
  2. Là même.
  3. Voyez la citation (68) de l’article Calvin.
  4. Papyr. Masso, Annal., lib. III.
  5. Pasquier, Recherches, liv. VI, chap. I.
  6. Idem, ibid., liv. IV, chap. I.
  7. En son livre de la Vanité des Sciences, au chapitre de la Noblesse.
  8. Académie des Sciences, tom. II, p. 307.
  9. Voyez dans Athénée, liv. XII, pag. 530, un étrange exemple de paresse d’un Sybarite.
  10. Aloisio Alamanni. Je parle de lui dans l’article Machiavel, remarque (C).

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