Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Charpentier

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CHARPENTIER (Pierre), en latin Carpentarius, natif de Toulouse[a] au XVIe. siècle, faisait profession de la religion réformée ; mais il publia un écrit qui le fit considérer comme un furieux ennemi des réformés (A). Il enseigna quelque temps la jurisprudence dans Genève [b], et il en sortit fort mécontent, et sans dire adieu à ses créanciers. Cela paraît par une lettre que Théodore de Bèze lui écrivit le 1er. d’avril 1570[c]. Cette même lettre témoigne qu’il avait femme et enfans. Il fit imprimer quelques autres livres (B) : il vivait encore l’an 1584, et il était avocat du roi au grand conseil[d]. M. Rivet, qui avait tant de connaissance de toutes sortes d’auteurs, ne connaissait guère celui-ci (C).

  1. Thuan., lib. LIII, pag. m. 1092, col. 2.
  2. Idem, ibid.
  3. C’est la LIIe. lettre de Théodore de Bèze.
  4. La Croix du Maine, Bibliothéque franç., pag. 380.

(A) Il publia un écrit qui le fit considérer comme un furieux ennemi des réformés. ] Cet écrit était tombé dans oubli ; mais un religieux bénédictin [1] l’ayant inséré dans ses Entretiens touchant l’entreprise du prince d’Orange sur l’Angleterre, imprimés à Paris, l’an 1689, a été cause qu’on en a parlé beaucoup depuis ce temps-là. M. Jurieu, pour décréditer entièrement cette pièce, se crut obligé de publier ce qu’en avait dit M. de Thou, et comme cela fut trouvé fort à propos je mettrai ici cette narration[2] : « Un nommé Pierre Charpentier, qui était de Toulouse, et qui avait publiquement enseigné le droit à Genève, étant entré fort avant dans la familiarité de Bellièvre, se sauva chez lui pendant le massacre avec plusieurs autres personnes moins distinguées ; car il aurait été trop dangereux pour un courtisan de donner retraite à des gens distingués dans une occasion de cette nature. Pour s’accommoder à la fortune, et par un effet de son humeur, qui lui faisait défendre le parti où son intérêt l’obligeait d’entrer, il commença à se déchaîner, non pas contre les auteurs du massacre, ni contre l’horrible boucherie qu’ils avaient faite, mais contre ce qu’il appelait la cause, c’est-à-dire, contre la faction des protestans, pour laquelle il témoignait une grande horreur, et qu’il disait que Dieu avait justement punie pour tous ses désordres, parce qu’elle s’était servie du prétexte de la religion pour couvrir son esprit de sédition et de révolte, et que les prétendus dévots qui la composaient avaient pris les armes contre leurs compatriotes au lieu de se servir des larmes, des prières et du jeûne pour toutes armes, qu’ils s’étaient saisis de plusieurs villes du royaume, qu’ils avaient fait mourir une infinité de personnes, et poussé leur insolence jusqu’à faire une guerre ouverte à leur souverain. Il disait que leurs assemblées, où l’on ne faisait autrefois que prier Dieu, étaient devenues des conventicules et des conférences séditieuses dans lesquelles on ne parlait ni de la piété, ni des mystères de la religion, ni de la correction des mœurs, mais d’amasser de l’argent, d’assembler secrètement des troupes dans les provinces, de lier des intelligences avec les princes étrangers. Il ajoutait qu’ils entretenaient des hommes séditieux dans toutes les villes du royaume, pour tâcher de troubler la paix que le roi avait accordée aux protestans par un effet de sa bonté, et qu’il n’y avait que l’épée de Dieu, que les princes portent, qui pût réprimer leur audace ; qu’il reconnaissait bien que c’était Dieu qui avait inspiré le dessein de la réprimer par les voies les plus sévères à un roi qui était naturellement fort doux. Dans les commencemens, Charpentier se contentait de parler ainsi en particulier dans les conversations familières qu’il avait avec Bellièvre ; mais comme on vit ensuite qu’il disait les mêmes choses en public, on jugea qu’il était fort propre pour le dessein qu’avaient le roi et la reine de justifier le massacre, le mieux qu’ils pourraient. Il se chargea volontiers de cette commission ; et, après avoir reçu une somme d’argent qu’on lui donna, et de grandes promesses qu’on lui fit de l’élever à de grandes charges, promesses qu’on lui tint ensuite religieusement quelque indigne qu’il en fût, il partit de Paris avec Bellièvre qu’il laissa en Suisse, et se retira à Strasbourg, où il avait aussi autrefois enseigné, afin qu’il pût plus facilement répandre de là dans l’Allemagne les bruits qu’il voulait semer. Étant arrivé là, il écrivit une lettre à François Portes[3] Candiot, qui était fort savant dans la langue grecque, et qui avait été autrefois élevé en Italie dans la maison de Renée, princesse de Ferrare. Dans cette lettre, qui était datée du 15 de septembre, il disait qu’il y avait deux partis parmi les protestans, l’un des pacifiques qui agissaient de bonne foi par principe de religion, et qui suivaient les maximes de celle qu’ils professaient, l’autre de ceux qui soutenaient la cause, gens factieux et ennemis de la paix : que ces deux partis avaient leurs pasteurs, que le premier avait pour lui d’Espina, Sorel (il y a, dans la lettre de Charpentier que le père de Sainte-Marthe a fait imprimer, des Rosiers [4] au lieu de Sorel), Albrac, Capel, la Haye, Mercure ; mais que les autres ministres ne pouvaient souffrir la modération de ceux-là, et surtout Théodore de Bèze, qu’il appelle la trompette de Seba [* 1], et contre lequel il se déchaîne surtout dans son livre. Non-seulement il excuse le massacre, mais il prouve fort au long, et avec beaucoup d’adresse, qu’il a été fait justement, et qu’on a dû le faire pour abattre une faction impie, qui ne pensait qu’à renverser l’autorité royale, à débaucher les villes du royaume de l’obéissance qu’elles devaient à leur souverain, à troubler la tranquillité publique, et qui semblait avoir été formée pour la ruine même de la religion protestante, par des gens turbulens et ennemis de leur patrie. On publia une réponse cette lettre sous le nom de Portes, datée du premier de mars de l’année suivante, qui était remplie de paroles extrêmement aigres. M. de Thou ajoute que le duc d’Anjou sollicita fortement François Baudouin, jurisconsulte, qui, après avoir autrefois embrassé la religion protestante en Allemagne, s’était laissé gagner par les avis modérés du théologien Cassandre, et était rentré dans la religion romaine, et qui enseignait alors à Angers, à travailler au même dessein que Charpentier (c’est-à-dire à justifier le massacre) ; mais que ce jurisconsulte s’en excusa modestement sur les contestations qu’il avait eues avec les Génevois qui empêcheraient, disait-il, qu’on ne l’en crût, sur la matière ; que, dans la vérité, il ne voulut pas justifier le massacre, parce qu’il le détestait, et qu’ayant même lu la lettre de Charpentier, il y remarqua de grands défauts de mémoire et de grandes bévues, en ce qu’il rapportait de l’histoire ancienne. »

Le religieux bénédictin donna une suite de ses Entretiens, dans laquelle il élude autant qu’il peut ce témoignage de M. de Thou [5].

Vous trouverez le précis de la même lettre de Charpentier dans le troisième volume [6] de la grande Histoire de Mézerai. Cet historien prétend que cette lettre servit de réplique à Wolfangus Prisbrachius [* 2], Polonais, qui avait répondu fort aigrement à la harangue de Bellièvre [7]. D’Aubigné [8], au contraire, veut que Wolfgang Prisbrach et Portus Crétin que Charpentier prenait à témoin [9] aient écrit contre Bellièvre et Charpentier. Il s’exprime mal, car il fallait dire que Portus écrivit contre celui-ci, et Prisbrach contre celui-là. Il ne paraît point que Charpentier ait en vue l’ouvrage de ce Prisbrach. Je crois donc que M. de Mézerai se trompe.

Cette lettre de Charpentier à Portus servit d’épisode à un catholique romain [10] pour sa préface d’un livre de controverse qu’il publia l’an 1585 [11]. Il l’y fourra presque toute entière, et il en a averti ses lecteurs dans un autre livre [12]. Je dois ajouter qu’elle se trouve dans le premier tome des Mémoires de l’état de France sous Charles IX [13], avec la version française de la réponse latine que François Portus lui fit. Cette réponse contient beaucoup de particularités de la vie de Charpentier, peu honorables, pour ne pas dire ignominieuses.

(B) Il fit imprimer quelques autres livres. ] Selon la Croix du Maine, il a escrit plusieurs livres tant en latin qu’en françois, lesquels ont esté imprimez pour la pluspart ; mais je ne sçai si ceux qui sont mis en son nom, il les vouldroit advouer pour siens, d’autant qu’il y en a plusieurs qui lui ont mis assus des livres desquels il n’estoit pas auteur..... J’ai veu un sien traicté latin touchant le port des armes ; mais je ne sçai si la traduction françoise est faite par lui. Il a esté imprimé à Paris en l’une et l’autre langue[14]. Cet ouvrage de Charpentier a pour titre, Pium et christianum de armis consilium, et fut imprimé à Paris, l’an 1575. J’ai parlé ailleurs[15] d’une réponse qui y fut faite.

(C) M. Rivet ne connaissait guère Pierre Charpentier. ] Les controversistes de Rome reprochent éternellement à ceux de la religion les guerres civiles de France, comme une chose approuvée par les ministres. Ils se servent quelquefois du témoignage de Charpentier[16]. Le jésuite Pétra Sancta, dans un ouvrage qu’il publia contre M. du Moulin, eut la hardiesse d’avancer qu’on prit des mesures à Genève pour faire périr en même temps François II, Catherine de Médicis sa mère, Marie Stuart sa femme et ses frères, etc.[17]. Il cite Surius, l. 4. ad ann. 1561 ; Petrus Carpentarius ; Genebrardus in chronol. M. Rivet, réfutant l’ouvrage de ce jésuite, dit entre autres choses que ces trois témoins n’avaient nulle autorité ; que Surius a été convaincu de calomnie par Baronius, pour avoir diffamé Victorin, évêque de Poitiers [18] ; et que Charpentier et Génebrard, ligueurs opiniâtres, encoururent la haine du roi. Carpentarius et Genebrardus qui inter regis perduelles vixerunt, et justam ejus indignationem incurrerunt, inter eos qui ultimi steterunt in adversis partibus, an digni sunt quorum testimonio contra tales habeatur fides[19] ? Si M. Rivet avait su qu’on lui objectait le même Pierre Charpentier qui avait écrit une apologie pour la Saint-Barthélemi, que M. de Thou avait marqué presque d’un fer chaud, eût-il gardé le silence sur de telles choses ? Je m’imagine qu’il se trouva dépaysé par la citation vague de cet auteur, et que, n’osant le prendre pour cet avocat qui fut roué à cause de ses intelligences avec l’Espagne [20] environ l’an 1596, et qui était fils de Jacobus Carpentarius, grand adversaire de Ramus, il s’expliqua faiblement.

  1. (*) Allusion de Seba, anagramme de Beza, à Seba, nom de ce séditieux dont il est dit au IIe. liv. de Samuel (chap. XX), qu’il sonna de la trompette pour soulever le peuple contre David. Du reste, la lettre de Charpentier en date du 15 septembre 1572, la réponse de François Portus, et l’extrait de remarques de François Baudouin sur la lettre de Charpentier, se trouvent dans les Mémoires de l’état de France sous le roi Charles IX, (depuis le feuillet 322 du tome I. jusqu’au 368e. de l’édition de 1579. ) Rem. crit.
  2. (*) On lit Prisbach dans les Mémoires de l’état de France, (tom. II, fol. 20 verso, où cette pièce est insérée.) Rem. crit.
  1. Nommé le père Denys de Sainte-Marthe.
  2. M. de Thou, Historiæ lib. LIII, pag. m. 1092, 1093, ad ann. 1572. Je me sers de la traduction que M. Jurieu a faite de cet endroit dans son livre de la Religion des Jésuites, imprimé à la Haye, 1689, pag. 129 et suiv.
  3. Il fallait dire Portus. M. Jurieu, à la pag. 81, s’était lourdement abusé, ayant parlé d’une lettre d’un charpentier adressée à Candiois contre les protestans.
  4. Mon article Rosier, tome XII, vous apprendra que le père de Sainte-Marthe et M. de Thou disent la même chose, et qu’ainsi cette parenthèse est inutile, ou qu’elle devait contenir quelqu’autre chose.
  5. Voyez le Journal des Savans du 12 de novembre 1691, pag. 651, édition de Hollande.
  6. À la page 264.
  7. Faite à l’assemblée des cantons suisses à Baden, pour justifier le massacre de la Saint-Barthélemi.
  8. D’Aubigné, Hist. univers., tom. II, chap. VII, pag. 565, à l’ann. 1572.
  9. Il devait dire que Charpentier lui adressa cette lettre.
  10. Corneille Schultingius.
  11. Voyez la préface du IVe. tome de son Confessio Hieronymiana.
  12. Voyez la page 256 du IVe. tome de son Bibliotheca catbolica.
  13. Pag. m. 600 et suiv.
  14. La Croix du Maine, pag. 389.
  15. Tome XV de ce Dictionnaire, dans la Dissertation sur Junius Brutus, num. XVIII.
  16. Voyez Brerleius, Apolog. protestaotum pro Romanâ ecclesiâ, pag. 642.
  17. Sylvester Petra-Sancta, Notis in epistol. Petri Molinæi ad Balzacum, pag. 102.
  18. Baron., tom. III, ann. 324, num. 226, apud Rivet., Operum tom. III, pag. 538.
  19. Rivetus, in Jesuita vapulante, c. XIII, num. XII, pag. 538, tom. III Oper.
  20. Voyez grande Histoire de Mezerai, tom. III, pag. 1189.

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