Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Irnérius

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IRNÉRIUS [a], jurisconsulte allemand, vivait au XIIe. siècle. Il passe pour le premier qui ait renouvelé la profession du droit romain, interrompue depuis l’invasion des barbares. Il avait eu beaucoup de crédit en Italie, auprès de la princesse Mathilde, et ayant porté l’empereur Lothaire à ordonner que le Code et le Digeste fussent lus dans les écoles, il fut le premier qui exerça en Italie cette profession. Sa méthode fut de concilier les réponses des jurisconsultes et les lois qui paraissent contraires les unes aux autres. Il mourut environ l’an 1190 (A), et fut enterré à Bologne, ou il avait été professeur [b]. On pousse la chose plus loin ; car on dit que Lothaire, abrogeant toutes autres lois, ordonna que le droit de Justinien reprît son ancienne autorité dans le barreau (B). Le célèbre Calixte, professeur en théologie à Helmstad, a soutenu [c] que c’est un mensonge ; et il a été suivi en cela par le docte Conringius, son collègue [d]. Mais Bertold Nihusius écrivit pour l’opinion contraire [e], et mena rudement le docteur Calixte. Il est certain que la tradition n’est point favorable à celui-ci, et qu’elle a donné à Irnérius la qualité de premier restaurateur du droit romain (C). C’est encore lui, dit-on, qui porta l’empereur Lothaire, dont il était chancelier, à introduire dans les académies la création des docteurs, et qui en dressa la formule : d’où vint que dès ce temps-là on promut solennellement au doctorat Bulgarus, Hugolin, Martin, Piléus et quelques autres, qui commencèrent à interpréter les lois romaines. Ce fut à Bologne que ces belles cérémonies eurent leur commencement ; elles se répandirent de là dans les autres universités, et passèrent de la faculté de droit en celle de théologie. On prétend que l’université de Paris ayant adopté ces usages, s’en servit la première fois à l’égard de Pierre Lombard, qu’elle créa docteur en théologie [f].

  1. On le nomme aussi Wernérus ou Guarnérius.
  2. Ex Forstero, Hist. Juris civil. roman., lib. III, cap. VI.
  3. In libello de Morali theologiâ.
  4. Consultez la préface de son Origo Juris germanici, imprimée en 1643.
  5. Voyez l’écrit qu’il intitula Irnerius, et qu’il publia l’an 1642.
  6. Mathias, Theat. hist. in Vitâ Lotharii II.

(A) Il mourut environ l’an 1190. ] J’ai de la peine à croire qu‘il ait vécu jusqu’à ce temps-là ; car 1o. Lothaire II ne vécut que jusqu’en 1138 pour le plus ; et c’est une preuve visible que Forstérus n’y a guère regardé de près ; car il a dit que ce rétablissement du droit romain arriva environ l’an 1150 [1]. Pourquoi croirait-on qu’à l’égard de la mort d’Irnérius, il ait calculé plus exactement? 2o. On applique cette affaire à l’an 1133 [2]. Or qui croira qu’une chose de cette importance ait été exécutée par les conseils d’un jeune homme? Il est cent fois plus probable qu’Irnérius ne fit réussir ses conseils qu’à cause de la grande autorité qu’il s’était acquise par sa science et par sa prudence, et dès là il ne faut plus guère se l’imaginer au-dessous de quarante bonnes années. S’il avait donc vécu jusques en 1190, il aurait vécu près de cent ans, et en ce cas-là Forstérus serait inexcusable de n’avoir point marqué cette vieillesse si peu commune. Ajoutez qu’un chancelier d’empereur est presque toujours assez âgé. Ce qui accablerait Forstérus, serait de lui soutenir que la Mathilde auprès de laquelle il donne tant de crédit à Irnérius, a été cette comtesse qui fut si libérale envers les papes, et qui mourut l’an 1115 ; ou cette reine d’Italie qui mourut l’an 1101 [3], et qui fut femme de Conrad, fils de l’empereur Henri IV, et fille de Roger, roi de Sicile.

Pendant la dispute qui s’éleva entre le docteur Calixte et Bertold Nihusius, pour savoir si notre Irnérius renouvela l’étude du droit par l’autorité de la comtesse Mathilde, ou par celle de l’empereur Lothaire II, l’université de Boulogne fut consultée et répondit conformément à la prétention de Nihusius. On trouve dans sa réponse, que la tradition constante porte qu’Irnérius commença d’enseigner le droit à Bologne, l’an 1128. Cette tradition est soutenue par l’inscription du portrait d’Irnérius, que l’on voit entre plusieurs autres dans le collége de Bologne. Irnerius omnium, primus leges commentatus est anno MCXXVIII. Voilà l’inscription. Nicolas Alidosio, dans la préface du livre intitulé : Li Dottori Bolognesi di legge Canonica e Civile, assure que ce docteur, enseignant la philosophie à Bologne, reçut ordre de l’empereur Lothaire II d’enseigner le droit, et qu’il commença de le faire environ l’an 1128. Il y a pourtant lieu de croire qu’il le fit de son propre mouvement quelques années de suite, et qu’il ne fut autorisé par les ordres de l’empereur qu’en 1137 [4]. Il est certain qu’il mourut avant l’année 1150, et non pas l’an 1190 ; car on sait [5] que Jacques de Porta Ravégnana fut le successeur d’Irnérius dans la chaire de jurisprudence, et qu’il enseignait publiquement le droit à Bologne, dès l’an 1150. Voyez l’auteur que je cite [6].

(B) On dit que Lothaire.….. ordonna que le droit de Justinien reprit son ancienne autorité dans le barreau. ] Voici ce qu’en dit M. Hess, dans son histoire de l’empire, sous l’an 1133. Cette solennité finie, l’empereur reprit le chemin d’Allemagne, où, par le conseil d’un certain nommé Werner Ursperg, autrement Irnérius [7], qui était fort savant dans le droit ancien de Justinien, il ordonna que la justice se rendrait dans l’empire selon le Digeste ou le Code, dont l’usage avait cessé depuis cinq ou six cents ans. De sorte que ces lois furent introduites en Italie, en Allemagne et ensuite en France et en Espagne, où les peuples auparavant se servaient du droit qu’ils avaient en propre, et des coutumes qu’ils suivaient en particulier [8]. Calvisius, sans parler de notre Werner, dit sous l’an 1137, que Lothaire trouva dans la Pouille les lois romaines ; qu’il les donna aux Pisans, et qu’il ordonna qu’elles fussent expliquées, et qu’on s’y conformât dans les tribunaux de l’empire. Il ajoute que ce livre fut porté depuis dans la bibliothéque de Florence. Un autre historien [9] applique cela au temps que cet empereur marcha contre Roger, roi de Sicile, environ l’an 1135, et remarque que le manuscrit des lois romaines trouvé dans la Pouille, ayant besoin d’un interprète, cette commission fut donnée à Irnérius.

(C) La tradition lui donne la qualité de premier restaurateur du droit romain. ] Voici comment un auteur que j’ai déjà cité en parle [10] : Irnerius primus legibus glossas apposuit, et suo exemplo cæteris illuminandi juris exemplun dedit ; undè Lucerna Juris dictus fuit : et instaurator legum romanarum cognominatus. Une infinité d’écrivains observent la même chose.

  1. Incidit hæc revocatio et restitutio juris civilis in annum Christi 1150. Forsterus, Hist. juris civil., lib. III, cap. VI.
  2. Voyez la remarque suivante.
  3. Mathias. Theatr. hist., pag. m. 902.
  4. Voyez Nibusius, in Irnerio, pag. 13.
  5. Otto Murena, in Chronologiâ Laudensi, apud Baronium, ad ann. 1158.
  6. Nihusius, in Irnerio, où il a inséré toute la réponse de l’université de Bologne.
  7. L’édition de Hollande dit Irnervis.
  8. Anteà homines jure incerto utebantur, jure nempè Romanorum corrupto, jure item Longobardico et lege salicâ. Christ. Mathiæ Theat. hist., pag. 921.
  9. Christ. Mathias, ibid., pag. 920, citant Chythræus, in Chronol., pag. 309.
  10. Mathias, in Theat. hist., pag. 920.

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