Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Lysérus 1

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LYSÉRUS (Polycarpe), célèbre théologien de la confession d’Augsbourg, naquit à Winenden au pays de Wirtemberg, le 18 de mars 1552. Il n’avait que deux ans lorsque son père[a] mourut ; mais sa mère se remariant[b], lui procura un beau-père qui eut un grand soin de lui. Les progrès qu’il fit pendant son enfance le firent juger digne d’être élevé dans le collége de Tubinge, aux dépens du prince de Wirtemberg. Il employa si bien son temps qu’il fut installé au ministère l’an 1573, et au doctorat en théologie l’an 1576. Sa réputation se répandit de toutes parts, de sorte qu’Auguste, électeur de Saxe, l’appela pour être ministre de l’église de Wittemberg l’an 1577. À peine eut-il fait paraître ses talens dans cette église, qu’il fut agrégé au nombre des professeurs en théologie. Il fut un des principaux directeurs du livre de la Concorde[* 1], et il exerça vigoureusement la charge de missionnaire (A), pour le donner à signer à ceux qui étaient dans les emplois. Il assista à toutes les assemblées qui furent tenues touchant ce livre, ou touchant la réunion des calvinistes et des luthériens, qui était négociée par les agens du roi de Navarre. Christien, électeur de Saxe, ayant succédé[c] à la dignité de son père, mais non pas à son luthéranisme rigide, fut ravi de voir que Lysérus lui communiquât les conditions avantageuses qu’on lui offrait à Brunswick (B). Il le congédia de bon cœur, et au grand regret de ses sujets. Lysérus ne fut d’abord que coadjuteur à Brunswick ; mais il y fut ensuite intendant. On le rappela à Wittemberg après la mort de Christien ; et il fut fait ministre de cour à Dresde, l’an 1594. Il s’arrêta là toute sa vie, et employa son temps, non-seulement aux fonctions du ministère, mais aussi à l’éducation des jeunes princes, et à composer des livres (C). Il mourut le 22 de février 1601, père de treize enfans (D), et grand-père de trois petits-fils et d’une petite-fille. Son testament fut une preuve de charité envers les pauvres et envers les étudians nécessiteux (E). Il avait eu à soutenir beaucoup de querelles [d] (F).

  1. * Polycarpe Lysérus, arrière-petit-fils de celui dont parle Bayle, ne convient pas, dit Joly, que son bisaïeul ait eu aucune part au fameux livre de la Concorde ; mais il avoue qu’il fut un des premiers à souscrire à cette formule.
  1. Pasteur et surintendant de Winenden.
  2. Avec Luc Osiander, fameux théologien.
  3. L’an 1586.
  4. Tiré de sa Vie, composée par Melch. Adam, qui la tira presque toute de son Oraison funèbre, prononcée par Leon. Hutterus.

(A) Il exerca vigoureusement la charge de missionnaire. ] Je me sers de ce mot en considérant les courses qu’il lui fallut faire de ville en ville pour exiger les signatures, et pour dégrader les non-conformistes. Voyez la remarque (C) de l’article Hunnius, et considérez ces paroles d’un théologien allemand : Inciderant ministerii ipsius Wittebergensis primitiæ in illud ipsum tempus, quo ingenti curâ maximisque impensis electoris Saxon. AUGUSTI liber christianæ concordiæ collectus, conscriptus et plurimarum ecclesiarum calculo approbatus fuerat. In hoc ergò opere feliciter promovendo partes minimè postremas sustinuit Polycarpus, dum de mandato ac voluntate electoris, unà cum reliquis ad hanc rem deputatis nobilibus et theologis, non Wittebergæ modò, sed et Torgæ, Lipsiæ, Misenæ et alibi subscriptiones ab illis exposcere necesse habuit, qui publicis docendi muneribus vel in ecclesiis vel in scholis tum erant præfecti. Tanto autem tamque arduo labore superato, etc.[1].

(B) Christien…. fut ravi que Lysérus lui communiquât les conditions avantageuses qu’on lui offrait à Brunswick. ] Il ne songeait à rien moins qu’à les accepter, et il croyait sans doute que cela ne servirait qu’à lui procurer l’avantage d’être retenu, avec des témoignages utiles de la haute estime qu’on avait pour lui. Qui fut étonné ? ce fut Lysérus, quand il vit la réponse de l’électeur ; car il n’y eut plus moyen de remercier MM. de Brunswick : il fallait accepter ce qu’ils offraient. Ce fut un coup de foudre pour les zélés ; on fit en vain cent remontrances à la cour. Voici les paroles de Melchior Adam[2] : Cùm aliud agens Lyserus, conditionis opimæ occasionem apud Brunsuicenses sibi obtingere, datis ad aulam litteris, ostendisset : responsum planè ἀπροσδόκητον tulit : ut frueretur, quam sibi oblatam putaret, felicitate : ecclesiæ Wittembergensi de alio pastore prospectum iri. Hoc responso ordines consternati non litteris modò, sed et legatis ad aulam electoralem missis, causas planè sonticas exposuerunt, ob quas de retinendo Lysero sint solliciti : verùm irrito plané conatu.

(C) Il employa son temps à composer des livres. ] Les principaux sont : Historia Passionis Dominicæ secundùm IV Evangelia, à Leipsic, 1605, in-4 ; Historia Resurrectionis et Adscensionis Dominicæ, et missionis Spiritûs Sancti Homiliis aliquot explicata, à Leipsic, 1610 in-4 ; Schola Babylonica ex cap. 1 Danielis, quam subsequuntur Colossus Babylonicus, Fornax Babylonica, Cedrus Babylonica, Epulum Babylonicum et Aula Persica. Commentariorum in Genesim tomi VI ; le 1er. sur Adam ; le 2e. sur Noé ; le 3e. sur Abraham ; le 4e. sur Isaac ; le 5e. sur Jacob ; le 6e. sur Joseph. Harmoniæ Evangelicæ, à Martino Chemnitio inchoatæ, Continuatio, seu Vitæ Jesu-Christi secundùm quatuor Evangelistas expositæ libri tres. J’ai dit ailleurs [3] qu’il publia un ouvrage d’Hasenmullérus. Cela fit naître une dispute entre lui et le jésuite Jacques Gretser, laquelle il abandonna après la deuxième réplique[4] : il ne prévoyait point de fin, s’il avait voulu toujours répliquer ; il aima donc mieux sonner la retraite. Mais à l’égard d’un ministre suisse[5], qui enseignait que Dieu a élu tous les hommes à la vie éternelle, le combat fut beaucoup plus opiniâtre, car il dura dix-sept ans. Cum isto, inquam, totis annis septendecim pugnavit[6]. Je ne parle point de plusieurs livres que notre Lysérus publia en allemand[7].

(D) Il fut père de treize enfans. ] Entre autres, de Polycarpe et de Guillaume, qui ont eu divers emplois ecclésiastiques et académiques, et ont publié plusieurs livres. Polycarpe Lysérus, né à Wittemberg, le 20 novembre 1586, fut ministre et professeur à Leipsic, etc. Il mourut le 15 de janvier 1633, laissant plusieurs enfans. Voyez le Théâtre de Paul Freher à la page 452, 453 : vous y trouverez le catalogue de ses livres. Guillaume Lysérus, son frère, naquit à Dresde, le 26 d’octobre 1592. Il fut professeur en théologie à Wittemberg, etc., et mourut le 8 de février 1649, laissant plusieurs enfans de l’un et de l’autre sexe. Voyez le même Théâtre de Paul Fréher à la page 542, 543 : vous y trouverez le catalogue de ses livres.

Notez que son Systema Thetico-Exegeticum n’a été imprimé qu’en 1699. Voyez le journal de Leipsic au mois d’octobre de la même année, à la page 473 et 474 : vous y trouverez le nom et les qualités de quelques personnes de cette famille.

(E) Son testament fut une preuve de sa charité envers... les étudians nécessiteux. ] Voici les paroles de Melchior Adam : Testamento cavit, ut quotannis in die Polycarpi et Elisabethæ, certa quædam pecuniæ summa impenderetur, in lautiorem victum eorum, qui communi mensâ uterentur[8]. Cet auteur nous apprend là[9] une chose qui mériterait peut-être un peu de réformation. Les ministres seraient plus considérés qu’ils ne le sont dans l’Allemagne, si les étudians en théologie étaient moins souvent de la condition dont il nous parle.

(F) Il avait eu à soutenir beaucoup de querelles. ] Rapportez ici ce que j’ai dit ci-dessus[10], et ajoutez-y une chose que Melchior Adam n’a point dite. Il y eut un poëte nommé Jean Major, qui fit des vers contre la conduite qu’on avait tenue à l’occasion des signatures du formulaire, et qui maltraita surtout les théologiens de Wittemberg. Lysérus prit à partie ce Jean Major avec tant de force, qu’il ne se donna point de repos jusques à ce qu’il l’eût fait chasser de l’académie. Il se fit beaucoup d’ennemis par cette victoire ; et à son tour il succomba sous leurs efforts : il perdit tous les établissemens qu’il avait à Wittemberg. Tant il est vrai qu’en certaines occasions, il est plus utile de se contenter d’un médiocre avantage sur ses adversaires, que de les pousser à bout. Mais où sont les gens qui se puissent modérer lorsqu’ils ont le vent en poupe, et que leur faction dominante leur permet de se venger ? Sub initium anni 86 supra sesquimillesimum turbas collegio theologico Wittembergensi dari cœpit Joannes Major poeta, homo despératæ levitatis, qui editis in publicum carminibus, religionis sinceritatem et bonorum virorum, theologorum cumprimis, famam vellicare haud dubitaverat, cujus improbis conatibus cùm Polycarpus tùm publicè tùm privatim magno spiritu se opposuisset, tandemque effecisset, ut poëta Wittebergensi academiâ sit proscriptus ; dici non potest quos quantosque crabrones tunc excitaverit tàm in Aulâ quàm in academiâ, quantamque invidiam sibi apud multos attraxerit ; quæ posteà sinè gravi ecclesiæ scandalo in nervum ita erupit, ut Polycarpus totâ ecclesiâ et academiâ reclamante functione suâ exciderit[11]. Sa retraite ne le mit pas à couvert de la morsure [12]. Si nous avions un grand détail sur tout ceci, nous trouverions apparemment que notre Lysérus avait la moitié du tort.

  1. Spizelius, in Templo Honoris reserato, pag. 12.
  2. Melch. Adam., in Vitis Theolog., pag. 800. Voyez aussi Spizélius, in Templo Honoris reserato, pag. 13.
  3. Dans l’article Jarrige, tom. VIII, pag. 339, citation (21).
  4. Cum jesuitâ Ingolstadiensi Jacobo Gretsero, ob publicatam historiam Hasenmullerianam, publicum ei intercessit certamen : in quo post unam atque alteram velitationem illud poetæ usurpandum sibi statuit :

    Cede repugnanti : cedendo victor abibis.

    Melch Adam., in Vitis Theol., pag. 801.

  5. Samuel Hubérus. Voyez l’article de Hunnius, tom. VIII, pag. 301, remarque (E).
  6. Melch. Adam., in Vitis Theol., pag. 801.
  7. Spizélius en donne la liste, pag. 16.
  8. Melch. Adam., in Vitis Theol., pag. 802
  9. Il venait de dire : Cum singulari quodam amoris affectu Wittembergam et tenuioris cumprimis fortunæ studiosos, quales plerumque esse solent, studiis theologicis qui se manciparunt, prosequeretur ; testamento cavit, etc.
  10. Dans la remarque (C).
  11. Spizelius, in Templo Honoris reserato, pag. 12.
  12. Neque verò in hac quantumvis splendidâ statione constitutus, falsorum fratrum venenatos morsus effugere potuit. Idem, pag. 13.

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