Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Molsa 1

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MOLSA (François-Marie), l’un des bons poëtes du XVIe. siècle, était de Modène. Ses vers latins et italiens le mirent dans une telle réputation, que, pour peu qu’il se fût aidé par une sage conduite, il serait monté à une haute fortune ; mais il se gouvernait si mal, que les patrons des beaux esprits ne le purent avancer, quelque bonne volonté qu’ils eussent pour lui [a]. Il était si débauché, qu’il se mettait au dessus des précautions les plus nécessaires à ceux qui veulent éviter le dernier mépris (A). Il joignait au crime la bassesse et l’impudence ; de sorte qu’il ne faut point s’étonner qu’il soit mort de la vérole [b]. Il trouva une occasion favorable de faire paraître qu’il était bon orateur et que sa prose ne cédait point à ses poésies. Ayant vu le peuple romain fort indigné contre Laurent de Médicis, qui avait coupé la tête à plusieurs anciennes statues, il l’accusa de cet attentat, et fit là-dessus une harangue si forte, qu’il le remplit de confusion et de désespoir (B). Il mourut, non pas l’an 1548 [c], comme l’assure M. de Thou, mais au mois de février 1544 (C), et il laissa un fils qui fut père d’une illustre fille, dont je vais parler. Le Boccalini s’est bien diverti aux dépens du Molsa (D).

J’ai lu des lettres [d], où il se plaint bien tristement de sa misère, et de l’avarice du pape Paul III. Ses pièces latines ont paru sous le nom de Franciscus Marius Molsa ; car il crut que le nom féminin Maria, masculinisé par les Toscans, ne conviendrait guère à la langue latine [e] Son Capitolo in lode de’ Fichi, a couru sous le nom del P. Siceo, et fut honoré d’un commentaire par ser Agresto ; c’est-à-dire par Annibal Caro. Ce commentaire fut imprimé in-4o., l’an 1539 [f] (E). Le Molsa prit le surnom de Furnius, à cause qu’il avait une maîtresse qui s’appelait Furnia. Elle fit ensuite le métier de courtisane. Voyez la remarque (C), où vous trouverez aussi quelques éloges qui furent donnés à cet auteur, et bien d’autres particularités. On a dit de lui entre autres choses, qu’il mourut si chrétiennement, qu’il ne fallait point révoquer en doute que son âme ne fut montée tout droit au ciel (F).

  1. Voyez la remarque (A).
  2. Ab illâ (Venere) meritum pudendo contractu miserabilis morbi quo periret venenum hausit. Paul. Jovius, Elog. cap. CIV, pag. m. 244.
  3. Thuan. lib. V, circà finem.
  4. Elles furent écrites l’an 1538, et sont imprimées avec celles du cardinal Sadolet, au livre XVI, pag. 643 et suiv. de l’édition de Lyon, 1554.
  5. Giovanni Mario de Crescembeni, Istoria della volgar Poësia, pag. 106.
  6. Crescembeni, Istoria della volgar Poësia, pag. 328. On verra ci-dessous que l’imprimeur de l’édition de 1584 dit que la première est de l’an 1538.

(A) Il était si débauché, qu’il se mettait au-dessus des précautions les plus nécessaires à ceux qui veulent éviter le dernier mépris. ] La corruption prodigieuse qui règne parmi les hommes, n’empêche pas que même les gens peu vertueux ne conçoivent du mépris et de l’horreur pour ceux qui ne veulent point garder les bienséances dans l’usage des plaisirs illégitimes. De là vint que Molsa se perdit de réputation, et arrêta tout le cours de sa fortune ; ce qui ne lui serait pas arrivé, si ses débauches avaient été ménagées avec plus de discrétion Nous allons entendre Paul Jove. Latinis elegiis, et etruscis rythmis pari gratiâ ludendo Musas exercuit ; tantâ quidem omnium commendatione, ut per triginta annos, qui Romæ Mecænatis nomen tulêre, insigni liberalitate, studioque adjutum adipiscendis honoribus efferre contenderint : prægravante semper ejus Genio, quùm redivivis toties amoribus occupatus, par ingenio studium substraheret, neque habitu, sel incessu, ullove nobili commercio carminum famam tueretur ; fœdè prodigus, honestique nescius pudoris, neglectum rerum omnium ad innoxiæ libertatis nomen revocabat usquè adeò supinè, ut summæ laudis, et clarioris fortunæ certissimam spem facilè corruperit [1].

(B) Il fit une harangue si forte contre L. de Médicis, qu’il le remplit de confusion et de désespoir. ] On a cru que Laurent de Médicis fut si consterné de l’infamie dont cette harangue le nota, que pour l’effacer il se résolut de redonner la liberté à la ville de Florence, par l’assassinat d’Alexandre de Médicis, son proche parent [2]. Sempiternam ingenii laudem retulit (Molsa) non à jucundo tantùm carmine, quo lascivisse videtur, sed pedestri etiam gravique facundiâ, quâ Laurentium Medicem, nefariâ libidine antiquis statuis noctu illustria capita detrahentem, apud Romanos ab et injuriâ dolore percitos accusavit. Eâ enim perscriptâ oratione, Laurentium usquè adeò pudore, et metu perennis probri consternatum ferunt, ut atroci animo, quo inustam ignominiæ notam novitate facinoris obscuraret, interficiendi principis, amicique singularis immane consilium susceperit ; scilicet ut Diis invitis patriæ libertas pararetur [3].

(C) Il mourut, non pas l’an 1548, comme l’assure M. de Thou, mais au mois de février 1544. ] J’eusse peut-être ignoré toute ma vie cette faute de M. de Thou, si le hasard ne m’eût fait tomber sur le volume des lettres de Luc Contile. J’y en trouvai une qui fut écrite à Bernardo Spina, et qui est datée de Modène, le 14 de février 1543 [4]. Le Contile y raconte que le matin de ce jour-là il avait vu le Molsa, et l’avait trouvé atteint d’une maladie incurable. C’était une hydropisie qui lui avait fait enfler, non pas les jambes selon la coutume, mais la tête. Trifon se tenait toujours au chevet du lit, et divertissait le malade le mieux qu’il pouvait. Stà sempre al capezzal del letto il buon Trifone, e burla, e giamba co’l Molza, et io me ne piglio spasso, e perche in somma lo tengon per morto, voglio vederne in fine, perche io, come mi rallegrai della sua vita, voglio dolermi della sua morte [5]. Ces paroles italiennes nous font connaître que le Contile voulait voir la fin de cela, et que tout le monde jugeait qu’elle était fort proche. On se trompa ; car nous apprenons par une lettre qu’il écrivit de Milan, le 21 de février 1543, à Claudio Tolomé, qu’il avait assisté eux funérailles du Molsa : Havrete saputa la morte dell’ unico Molza. Io giunsi a tempo di viderlo vivo e mi fu lecito d’accompagnarlo al sepolcro morto [6]. Après avoir lu ces choses, je ne doutai point que M. de Thou ne se fût trompé : néanmoins je voulus avoir de bons éclaircissemens ; et pour cet effet je m’adressai à M. de la Monnoie, qui eut la bonté de m’écrire tant de particularités touchant le Molsa, que ce sera faire un très-grand plaisir à mon lecteur, que de les produire ici, « [7] Le Molsa n’est pas mort en 1548, mais en 1544. Cela se justifie par trois lettres d’Annibal Caro, son intime ami ; la première, écrite de Rome au Molsa malade à Modène, est du 2 de janvier 1544 ; la seconde du 11 de février, même année, servant de réponse à celle qu’il paraît que le Molsa lui avait faite ; et la troisième du 6 de mars suivant, par laquelle il mande au Varchi la mort du Molsa comme une chose toute récente : Con le lagrime a gli occhi, ce sont les mots par où il débute, vi dico che’l nostro da ben Molsa à morto, e per lo gravissimo dolore ch’io ne sento, non ne posso dir altro.…, C’était un heureux naturel que le Molsa : l’étude le perfectionna, il joignit l’érudition à la politesse, la connaissance du grec, et même, selon Lilius Gyraldus, de l’hébreu à celle du latin et de sa langue. Il réussissait en prose, en vers, dans le sérieux, dans le comique, en sorte qu’allant bien loin au-delà du jugement qu’avait fait de lui son compatriote Sadolet, qu’il excellerait en quelque genre de composition que ce fût auquel il voudrait se fixer, il a excellé en tous sans se fixer à pas un. Le P. Rapin l’a regardé parmi les modernes comme un modèle de l’élégie latine. Son caractère était celui de Tibulle, sur quoi vous pouvez voir Barthélemi Riccius de Imitatione. Ses pièces auraient pu être encore plus châtiées, si la mort ne l’eût prévenu. Il est difficile de l’excuser sur sa vie licencieuse, à moins que d’admettre cette morale corrompue sur les principes de laquelle il se persuadait que, pourvu qu’il s’abstînt des grands crimes, tels que l’athéisme, le larcin, le meurtre, et toutes sortes de violences, il pouvait dans une innocente liberté goûter les plaisirs des sens. Aussi, à l’entendre, était-il plus pur qu’une hermine, et jamais vie ne fut plus irréprochable que la sienne. Il se flatte que quelqu’un, venant un jour à la parcourir, la proposera en exemple, et que ce sera la matière de son Panégyrique ;

» Tùm faciles memoret mores, et puriter acta
» Percurrat vitæ tempora quæque meæ,


» dit-il, dans cette belle élégie qu’il fit peu de jours avant sa mort. Sa prédiction fut suivie d’un prompt accomplissement. Il reçut de Paul Pansa, bon poëte latin, précepteur du fameux Jean Louis de Fiesque, des louanges telles qu’il les demandait.

» Hocne meret probitas ? hocne meret pietas ?


» dit celui-ci ; et quatre vers après :

» Quid prodest vixisse pium, aut odisse profanum
» Vulgus, et à sævis abstinuisse malis ?


» Schradérus et Sweertius rapportent, qui plus est, une glorieuse inscription consacrée à sa mémoire dans la cathédrale de Modène, en ces termes : Si animarum auctio fieret, Franciscum Molzam licitarentur Virtutes, Patria, et Catharina ejus uxor, quæ illi et sibi vivens hoc posuit….. Le Guidiccione, depuis évêque de Fossombrone, n’a pas parlé moins honorablement de la vertu de Molsa. Datemi novelle del Molza, dit-il dans une lettre au Toloméi, ch’io lo desidero fuor di misura, cioè se egli vuol fare povero il mondo, e ricchi i cieli con la sua anima, perche intendo che egli è infermo d’una acuta febre. Paul Jove, qui dans le fond ne l’a blâmé que parce qu’il ne sauvait pas assez les bienséances, ne devait pourtant pas ignorer que celui dont il censurait la conduite, avait été mis, même pour les mœurs, en parallèle avec lui et avec beaucoup d’honnêtes gens ses contemporains, par Longueil, dans sa seconde défense. Quid hic Paulum Jovium commemorem ? Angelum Colotium, Antonium, Marosticum ? Quid Marium Molsam, Hieronymum Nigrum, M. Antonium Flaminium, Georgium Sauromanum, viros tùm ab omni elegantiore doctrinâ instructissimos, tùm ingenuâ animorum probitate optimos, atque totius vitæ innocentiâ integerrimos ? C’était alors néanmoins le fort de la débauche du Molsa. Il avait une maîtresse nommée Furnie, qu’il aimait passionnément, jusqu’à en avoir pris le nom de Furnius ; et peut-être fut-ce d’elle aussi qu’il prit le mal dont il mourut. Nous avons une lettre du même Longueil à Furnius Marius Molsa, où sont ces paroles curieuses, Cujus quidem rei me primum suis litteris certiorem fecit Flavius Chrysolinus, deindè Q. Lœlius Maximus, quem Quinti prænomen secutum esse arbitror, quòd Quintiæ alicujus, ut tu Furniæ, consuetudine istic tenentur. Elle devint peu de temps après courtisane publique. C’est encore une particularité que nous tenons de Longueil. Nam de agresti illâ, dit-il livre 4, écrivant à Flaminius, in quam se obstrusurum esse Furnius Molsa affirmaret, speluncâ, factus sum à Brissone nostrò certior. Ac de Furnio quidem non valdè sum miratus, vult enim Furniam suam imitari, quam sese in recentem istum luparum furnum jam abdidisse intelligo. Sur la fin de cette lettre, comme il était prêt à la fermer, il marque par apostille sa surprise d’une blessure qu’il venait d’apprendre qu’avait reçue le Molsa. His scriptis, necdùm datis, accepti à Mariano litteras ex quibus cognovi quid Molsæ nostro istic accidisset. O casum acerbum ! Ait ille quidem à medicis hominem nondùm esse deploratum, quanquàm ad septum transversum vulnus pertineat. Verùm me sollicitum habet continens ista febris, quæ nisi citò dissolvitur..….…. Sed non queo plura præ dolore scribere. On peut voir aussi la lettre qui suit, et une italienne du Sanga, dans le recueil de l’Atanagi, écrite de Tortose, le 25 de juin 1522, à Jean Baptiste Mentébuona, où il est parlé de cette blessure, et où il dit de plus que le Molsa s’était dégoûté de sa Furnie. Il est aisé d’en deviner la raison par le passage que j’ai allégué de la lettre de Longueil à Flaminius. Che non crederò io horamai, dit le Sanga, poiche il Molsa ha sostenuto di mutare amore, e lasciare quella, quella tanto unica S. Furna, e lasciarsi cadere in amore, dove havrà men bella materia di scrivere ? In un tempo medesimo ho inteso che fù ferito, è che era senza pericolo : poiche così è, manco me ne duole. Pregovi vedendolo, che mi raccomandiate a lui, et al resto della compagnia bestiale, e benche sia il fior d’essa, pur separatamente mi raccomandarete al divino, divinissimo M. Gabriello, etc. On reconnaît par là qu’il y avait alors à Rome une académie de beaux esprits sous le non de Compagnia bestiale, à cause de l’indolence dans laquelle apparemment ils faisaient profession de vivre. Je n’ai pu trouver jusqu’ici précisément à quel âge mourut le Molsa : je juge seulement que ce ne fut pas dans un âge fort avancé, me fondant en cela sur ces vers de l’élégie que j’ai citée :

» Hic jacet antè annos crudeli tabe peremptus
» Molsa ; ter injecto pulvere, pastor, abi.


» Et sur celui-ci, vers la fin,

» Antè diem Elysios cogor cognoscere campos.


» C’est aussi le sens de ce bel endroit de Paul Pansa dans son élégie sur la mort de cet illustre :

 » Cur, Atropos, ausa es
 » Pendula adhùc tereti rumpere pensa colo ?


Je croyais trouver beaucoup de faits touchant notre Molsa dans l’Istoria della volgar Poesia que l’abbé Giovanni Mario de Crescembeni a publiée depuis peu ; mais j’y ai seulement trouvé [8] que ce poëte vécut au-delà de l’an 1540, et qu’il mourut assez vieux à la cour du cardinal Farnèze. Cela est bien vague, et ne s’accorde point avec le Contile, témoin oculaire, qui assure qu’il mourut à Modène. Ce fut au mois de février 1544. Je sais bien que la date de sa lettre porte l’an 1543, mais il faut supposer que c’est selon le calcul de ceux qui ne commençaient l’année qu’au mois de mars, ou à Pâques ; car autrement il y aurait de la méprise dans sa date. Voyez les preuves de M. de la Monnoie, et joignez-y ce passage d’une lettre qui fut écrite de Rome, le 15 de janvier 1544, à Trifon Benzio [9]. Raccomandatemi, vi prego, caldamente al Molsa, e datemi avviso de la sanità sua, perch’a’ giorni passati n’havevo udite dispiacevoli nuove [10]. C’est Claudio Toloméi qui parle ainsi. Il avait écrit, le 11 décembre 1575, une lettre au même Trifon, dans laquelle il le priait de saluer Molsa [11], et de faire un sonnet ou une épigramme sur la mort d’une femme illustre [12] ; j’observe cela afin d’apprendre à mes lecteurs, en chemin faisant, que ce Trifon était poëte.

(D) Le Boccalini s’est bien diverti aux dépens du Molsa. ] Il introduit Christophe Colomb, Fernand Cortès, Magellan, Vasco de Gama, Améric Vespuce, etc., qui demandent à Apollon que vu la découverte d’un nouveau monde, dont on leur est redevable et dont ils étaient les utilités, leur mémoire soit consacrée à l’immortalité par des monumens proportionnés à leurs services. Le chancelier du Parnasse minutait déjà l’arrêt, lorsque le Molsa comparut pour s’opposer à leur requête. Il avait la tête toute pelée, le menton sans aucun poil, le nez pouri, le visage plein de croûtes et d’emplâtres. Voilà, s’écria-t-il en montrant ses plaies, voilà les bijoux et les beaux présens que ces messieurs nous ont apportés de leur nouveau monde : ils nous en ont apporté une maudite maladie, inconnue à nos ancêtres [13], contagieuse, honteuse [14], funeste à la génération ; un vilain mal de Naples dont vous voyez les effets sur mon visage, et dont tout mon corps est affecté. Là-dessus il se tourne vers Christophe Colomb, et commence à déboutonner son haut de chausses ; mais les Muses, qui craignirent qu’un objet trop malhonnête ne salît la pureté de leurs regards, lui firent faire défense de passer outre. Il s’arrêta ; mais il continua de parler avec tant de force, sur les grands inconvéniens que la découverte du Nouveau Monde avait apportés, qu’Apollon fit dire aux supplians, qu’ils eussent à se retirer au plus vite avec leur or et leur argent, et leur mal de Naples. Comparve Maria Molso, poeta di molto grido, ma per non haver nel capo, e nella barba pelo alcuno, fatto molto diforme, oltre che più mostruoso do rendeva l’esser senza il naso, pieno di gomme, e di croste, e di doglie, il quale col dito mostrando le sue piaghe, con alta voce, queste disse : (ô sire) che qui vedete nella mia faccia sono i nuovi Mondi, i nuovi riti, et i nuovi costumi de gl’ Indiani.… Con queste gioie, delle quali tutta mi videte bollata la faccia, et impiagata la persona, questi temerarii honno abbellito, ed arrichito il Mondo ; con queste croste, e con queste eterne e crudelissime doglie, ch’ho per tutta la vita, questi implaccabili nemici del genere humano, hanno corrotta la stessa humana generazione. Poi voltatosi il Molsa verso il Colombo cominciò a sciorsi le brache, quando le serenissime Muse, per non contaminare, con la vista di qualche cosa oscena, i purissimi occhi loro, a i lettori commendarano, ch’egli fosse impedito [15].

Il y a bien des gens qui, en comparant ce chapitre de Boccalin avec une scène des Précieuses de Molière, affirmeraient sans hésiter que notre comique a pillé l’auteur italien ; mais je n’ai garde ne d’en user ainsi. Molière n’avait besoin que de son génie pour imaginer cet incident ; mille et mille personnes moins ingénieuses que lui l’eussent inventé. Voici le fait. Jodelet et Mascarille racontent devant les deux précieuses leurs prétendus beaux exploits. Le premier s’exprime ainsi [16] : Il m’en doit bien souvenir ma foi : j’y fus blessé à la jambe d’un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce, vous sentirez quel coup c’était-là. Cathos. Il est vrai que la cicatrice est grande. Mascarille. Donnez moi un peu votre main, et tâtez celui-ci : là. justement au derrière de la tête. Y êtes-vous ? Magdelon. Oui, je sens quelque chose. Mascar. C’est un coup de mousquet que je reçus la dernière campagne que j’ai faite. Vodelet. Voici un coup qui me perça de part en part à l’attaque de Gravelines. Mascar. (mettant la main sur le bouton de son haut de chausse) Je vais vous montrer une furieuse plaie. Magdel. Il n’est pas nécessaire, nous le croyons sans y regarder. Mascar. Ce sont des marques honorables, qui font voir ce qu’on est. Cathos. Nous ne doutons point de ce que vous êtes.

Boccalin n’a pas dit sans quelque mystère que le Molsa était mort d’avoir mangé trop de figues [17] ; car il faut savoir que ce poëte avait fait des vers sur ce fruit-là, par allusion à des parties qu’on ne nomme pas. Ces vers sont pour le moins aussi sales que ceux de Jean de la Casa, qui font tant crier les protestans ; mais comme le Molsa n’avait point été inquisiteur, ni dans les charges ecclésiastiques, ses impuretés n’ont pas été objectées à la communion romaine. Il est sûr, que si les emplois que le mérite de monseigneur de la Casa lui procura, ne l’eussent obligé, en qualité de nonce, à rechercher les personnes qui de son temps prévariquaient dans la religion, on n’aurait non plus songé à son Capitolo qu’à ceux du Bernin, du Mauro, du Molsa, qui ne sont pas moins licencieux, et que le seul bonheur d’avoir été faits par des auteurs sans conséquence a sauvés de la censure des protestans. Voilà ce que M. de la Monnoie écrivit à M. l’abbé Nicaise, et qui fut communiqué à M. Ménage [18]. Notez que le livre où Voétius rencontra le Capitolo del Forno, c’est-à-dire les vers de Jean de la Casa qui l’ont fait passer pour panégyriste de la sodomie, est un recueil de pièces sales composées par divers poëtes, et nommément par notre Molsa. Cela paraît par ce titre : Il primo libro dell Opere burlesche di M. Francesco Berni, di M. Gio. della Casa, del Varchi, del Mauro, di M. Bino, del Molza, del Dolce, e del Firenzuola [19]. Ce livre fut imprimé à Florence, chez Bernard Junta, l’an 1548. M. Voët déposa son exemplaire dans la bibliothéque d’Utrecht, comme dans un lieu de sûreté [20] ; mais ses précautions furent inutiles : cet ouvrage est disparu, et l’on ne doute point que les Français ne l’aient tiré de cette bibliothéque, pendant qu’ils furent les maîtres d’Utrecht. l’an 1672 et l’an 1673 [21]. Cela soit dit en passant. J’ai besoin encore d’un passage de M. Ménage. Les Capitoli in terza rima, dit-il [22], sur des choses honnêtes, mais qui avaient relation à des choses déshonnêtes, étaient en ce temps-là fort à la mode : ce qui paraît par le Capitolo della Fava du Mauro, et par celui delle Fiche du Molsa, si célèbre par le Commentaire de Ser Agresto, c’est-à-dire d’Annibal Caro. Voyons le jugement de Boccalin sur le Capitolo della Fava, et sur celui delle Fiche. Il introduit la célèbre Laura Terracina, qui ayant été agrégée au sacré collége des poëtes, et voulant choisir pour mari ou le Molsa, ou le Mauro, examina les Figues de celui-là, et la Fève de celui-ci, et se détermina pour la Fève ; l’avant trouvée d’un plus haut goût, et plus succulente que les Figues. Volle prima, che amendue le mostrassero le poesie loro, le quali dapoi, che con esatissima diligenza piu volte ella hebbe rilette, e ben considerate tralasciate le Fiche del Molza, come contate con stile enervato, e molto languido, si attacò alla Fava del Mauro, nella quale le parve di trovar maggior succo di concetti, e che quell’ argomento fosse disteso con piu sodezza di verso [23]. Je crois que Boccalin n’a pas dessein de nous donner là une bonne idée de la chasteté de cette Laura.

(E) Ce commentaire fut imprimé, in-4°., l’an 1539. ] Il fut réimprimé, in-8°., l’an 1584, pour servir d’escorte aux Raggionamenti de l’Arétin, et par là vous pouvez juger de la qualité de l’ouvrage. Voici tout le titre : Commento di Ser Agresto da Ficaruolo, sopra la prima Ficata del Padre Siceo ; con La Diceria de’ Nasi. L’imprimeur, prenant qualité d’héritier de Barbagrigia, se promet que cette nouvelle édition ne sera pas moins agréable que celle de l’an 1538 qui fut la première, et déclare qu’il la donne pour s’acquitter de la promesse qu’il avait faite depuis peu en publiant les Ragionamenti de l’Arétin. Ecco (Amorevole Leggitore) che io non mi domentico punto della promessa che ti feci a mesi passati, quando per mezzo della stampa mia presentai i Ragionamenti di Pietro Aretino, conciosia cosa che da quella mosso, hoggi io mi sia risoluto di presentarii ancora il piacevole, e sottil Commento del valente Ser Agresto da Ficaruolo, sopra la prima Ficata del Padre Siceo, il quale mi giova di credere, che non ti debba esser punto hosgi men caro di quello che egli ti fosse l’anno 1538 quando, dalla felice memoria del mio babbo, ti fu presentato la prima fiata, nè (credo) che ti debba esser men caro, che ti sieno stati i prenomati Ragionamenti. L’imprimeur de la première édition s’était nomme Barbagrigia, et avait adressé sa préface conjointement à l’auteur Molsa, et au commentateur Annibal Caro, et leur avait dit qu’en comparaison de plusieurs pièces grecques, latines, et italiennes, leur ouvrage pouvait passer pour fort honnête, vu que les obscénités n’y étaient point nues, mais habillées de pied en cap, et qu’après tout ils avaient fait sagement de s’en délivrer sur le papier ; car s’ils les eussent gardées dans leur corps, elles eussent pu démonter leur tête, ou corrompre pour le moins leur chasteté, étant presque nécessaire que ce que l’on ne dit pas on le fasse. Quanto alla lascivia..... Messer Ludovico Fabbro da Fano, che m’è...... consiglier dell’ opere, che io stampo : mi dice, che gli hanno pur tanto di gentilezza, et di modestia : che dove quelli de gli altri in questo genere, tanto de’ Greci, quanto de’ Latini, et de’ volgari, vanno la più parte ignudi, et senza brache : essi vanno tutti vestiti, et con le mutande. Et quello, che più importa, è, che eglino non vi stanno piu in corpo che così : oltre al pericolo detto di sopra di farvi impazzare, potrebbono al meno far divenir lascivi et scorretti voi quali essi sono. Sendo quasi forza, che quello, che non si dice, si faccia. Le commentateur a commencé par un prologue digne de la pièce. Il y représente, 1°., que l’auteur de la Ficheide ou du Ficheido, ayant pris les figues pour son sujet, leur donne l’un et l’autre sexe, et emploie confusément le sens littéral, et le sens allégorique, Bastivi per hora di sapere, ch’il poeta, non senza misterio li battezza hermafroditi : e che per tutta l’opera troverete, che hanno confusamente due sessi, et dui sensi, et di questi uno è secondo la lettera, l’altro secondo il misterio, come di sotto vedrete [24] ; 2°., que c’est un juge très-compétent en cette matière ; qu’il a mis plus de temps à l’examiner qu’Endymion à spéculer les mouvemens de la lune, et que s’il n’a pu la pénétrer jusqu’au fond, il est allé plus avant que tous les autres. Ma per monstrare quanto sia competente giudice in questa causa (come dicono i legisti) mi par solamente da dirvi : che egli, oltre all’ esser gran poeta, è grandissimo filosofo naturale : ed ha speso più tempo a investigare i segreti della natura ficale, che Endimione a speculare i moti della luna. E se quello ne fu tenuto dulla luna per innamorato : questo n’è stato chiamato dal mondo per padre : come se ognuno li fosse figliuolo. E come Alberto fu detto Magno per havere scoperti segreti delle donne : esso è cognominato divino, et perfetto, per haver rivelati i segreti de’ Fichi. E con tutto, che di sotti confessi di non haverne tocco ancor fundo, si vede pure, che s’è disteso più à dentro, che nessun’ altro [25]. Je ne rapporte ces choses qu’afin qu’on sache le jugement qu’on faisait du Molsa. On en pourra de plus inférer qu’il régnait alors parmi les poëtes d’Italie beaucoup de licence. Les uns à l’envi des autres s’exerçaient sur des sujets à double sens. M. Ménage eût pu ajouter aux exemples qu’il a cités [26] le fameux Bembo, qui choisit pour sa matière une herbe dont le nom faisait bientôt pressentir de quoi il était question. Je m’expliquerai par les paroles d’un autre écrivain. « Il y a un Petrus Mathæus, docteur en l’un et l’autre droit, qui fit l’an 1587 un Recueil de plusieurs poésies latines des poëtes italiens...... Entre ces poésies les deux plus belles pièces qui s’y trouvent sont les plus honteuses, la Priapée de Bembe, où il se joue de son esprit, parlant de l’herbe que nous appelons la menthe, par une rencontre de ce mot avec la mentule latine, et encore la Siphilis de Fracastor, où il décrit l’origine et le progrès de la vérole [27]. »

(F) On a dit...... qu’il ne fallait point douter que son âme ne fût montée tout droit au ciel. ] Le Contile emploie entre autres raisons celle là pour consoler ceux qui pouvaient s’affliger de la mort de ce bel esprit. Il avait allégué les raisons pour lesquelles ils devaient s’en affliger, et puis il tourne la médaille de cette manière : Debbano adunque i suoi parenti ed amici piangerlo con dolore intenso. Non debbano poi dolersene, perche hanno conosciuto, che quella era la sua hora, nella quale mostrò tanto zelo christiano, che dicono à viva voce esser lui salito in cielo : era la sua hora parimenti inquanto alla età, la quale stanca di questa vita, ha mostro il suo determinato fine, faggendo il pericolo delle morti subbitane, le quali succedono quasi sempre à quella età. So che voi in prima fronte vi dorrete di quello honorato amico, dipoi non vi dorrete, ma restarete contento di quel fine, che certifica la salute di quell’ anima, che in questa vita valse tanto [28]. Il me semble que les mœurs de cet homme-là devaient faire craindre, malgré les bonnes dispositions qu’il fit paraître en mourant, qu’il n’eût besoin de plusieurs années de purgatoire.

  1. Paulus Jovius, in Elogiis, cap. CIV, pag. m. 243.
  2. Il le commit l’an 1537.
  3. Jovius, in Elogiis, cap. CIV, pag. 244.
  4. Notez que tant ici que dans le passage de la citation (6), il faut 1544, et non 1543 : je dirai dans la page suivante que peut-être le Contile suivait la date de ceux qui ne commençaient point l’année au mois de janvier. Peut-être aussi que la date de l’année n’était point dans l’original de sa lettre, et qu’en l’y ajoutant, lorsqu’on l’imprima, on mit 1543, au lieu de 1544.
  5. Luca Contile, Lettere, lib. I. folio 85, de l’édition de Pavie, 1564, in-8°.
  6. Idem, ibidem, folio 56.
  7. La Monnoie, Lettre MS.
  8. À la page 106.
  9. Nous avons vu ci-dessus, citation (5), qu’il se tenait auprès du malade pour le divertir.
  10. Lettere di M. Clandio Tolomei, libro terzo, folio 114, édition de Venise, 1553.
  11. Ibidem, folio 93.
  12. È morto la Mancina esempio e idolo raro d’honestà et di bellezza.…. essendo ella morta per cagion di parto, dite, etc. Ibidem.
  13. Ignote a tutta la medecina, e a tutta la chirurgia passata. Boccalin, Ragguagli di Parnasso, cent. II, cap. XC, pag. m. 272.
  14. Appestare il genere humano di un morbo tanto contagioso, cosi crudele, e vergognoso, che gran disputa à tra i dotti s’egli piu deturpi il corpo, o sversogni la riputazione. Ibid., pag. 271.
  15. Ibid. pag. 271, 272.
  16. Dans la scène XI de la comédie des Précieuses ridicules.
  17. All’ hora che Mario Molza per lo soverchio uso de’ fichi passò all’ altra vita. Ragguagli XXXIII, Centur. I, pag. m. 90.
  18. Voyez l’Anti-Baillet, chap. CXX.
  19. Voyez les Disputes théologiques de Gisbert Voétius, tom. I, pag. 205.
  20. Exemplar illud intuli in Bibliothecam publicam, ut sub publicâ custodiâ perpetuum Sanctitatis Romanæ monimentum exstaret., et perfractè negantibus ostendi posset. Voët. ibid.
  21. Voyez Lomeyer, de Bibliothecis, cap. X, pag. 300.
  22. Anti-Baillet, cap. CXIX.
  23. Boccalin., Ragguagli, XXXV centur. II, pag. 130.
  24. Proemio del Commentatore, pag. 10.
  25. Ibid.
  26. Ci-dessus, citation (22).
  27. Pasquier, Catéchisme des Jésuites, livre III, chap. IX, pag. m. 378.
  28. Luca Contile, Lettere, libre I, folio 86 verso.

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