Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Motte-Aigron

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MOTTE-AIGRON (Jacques de la) s’est fait connaître par la qualité d’auteur pendant la fameuse querelle de Balzac avec le général des feuillans, le père Goulu. Il avait fait une préface sur les lettres de Balzac, et il avait pris la commission, conjointement avec M. de Vaugelas (A), de porter au père Goulu un exemplaire de l’apologie de Balzac, dans laquelle on maltraitait fort un jeune feuillant. Comme le père Goulu prit l’envoi de cet exemplaire pour un cartel de défi [a], il se mit tout aussitôt à écrire contre Balzac, d’une manière très-emportée, et il décocha quelques traits contre le sieur de la Motte-Aigron ; ceux-ci entre autres, qu’il était fils d’un fort honnête apothicaire, et qu’il vivait ordinairement à la table de Balzac [b]. On prétend que ce fut violer en quelque sorte les droits de l’hospitalité, puis que le père Goulu avait logé plus d’une fois chez le père du sieur de la Motte-Aigron [c] ; mais d’autre côté cela pouvait faire croire qu’il savait les choses d’original. Quoi qu’il en soit, il piqua cruellement son homme, et il fut cause que peu après on informa le public dans la dédicace d’un livre, que le prétendu apothicaire du père Goulu était Abraham Aigron, écuyer, conseiller du roi, et élu d’Angoulême. Cette épître dédicatoire n’est pas mal écrite [d] ; mais comme elle est en latin à la tête de la réponse que la Motte-Aigron fit en français au père Goulu, on y a trouvé une affectation qui a servi à faire plus désapprouver les grands éloges que l’auteur répand sur son père à pleines mains, et qu’il tourne du côté le plus capable d’éloigner tout soupçon de pharmacie. Non content de ce début, il nous apprend dans le corps du livre[e] que son bisaïeul, ayant accompagné Henri II au voyage d’Allemagne, fut un des premiers capitaines que ce roi laissa dans Metz, et un de ceux qui défendirent le plus courageusement cette place contre Charles-Quint. Il ajoute que sa bisaïeule, Catherine de la Barde, était d’une maison aussi noble qu’aucune autre du pays, et que son grand-oncle du côté maternel eut l’honneur d’être secrétaire des commandemens, et principal ministre de Marguerite, femme de Henri d’Albret, roi de Navarre. Le père Goulu avait déjà changé de style, puisqu’avant la publication de cet ouvrage il avait dit que le sieur de la Motte-Aigron était trop honnête gentilhomme pour dénier, etc.[f]. Examinera qui voudra si cela est équivalent à une bonne rétractation : je ne le crois pas ; et j’ai ouï dire qu’il était vrai que le père du sieur de la Motte-Aigron avait été apothicaire, mais qu’il releva sa condition en achetant l’office d’élu, et qu’enfin il fut maire de Cognac en Angoumois. M. de Malleville en a touché quelque chose dans une épigramme qui n’a point été insérée au recueil de ses poésies (B). Je n’ai pu déterrer ce que devint notre auteur (C), après la publication de sa réponse, en 1628, ni ce que devint le dessein qu’il semblait avoir de rétablir, dès qu’il aurait terrassé le général des feuillans, les fruits de ses veilles que le feu lui avait ruinés : c’étaient des travaux qui concernaient l’histoire d’Espagne, et quelques autres matières[g]. C’est à ceux qui composeront la Bibliothéque d’Angoumois à nous l’apprendre.

J’ai vu depuis quelques jours un livre, où l’on assure que la peine que la Motte-Aigron se donna d’écrire contre Phyllarque, et en faveur de Balzac, fut une semence de haine entre lui et ce dernier, parce que Balzac voulait que l’on crût qu’il était l’auteur véritable de l’ouvrage qui paraîtrait sous le nom de la Motte-Aigron (D).

  1. Préface de la IIe. partie des lettres de Phyllarque, et Ire. lettre de la IIe. partie.
  2. Lettre XIIIe. de Phyllarq. Ire. partie.
  3. La Motte-Aigron, réponse à Phylilarq., pag. 318, 322. Voyez l’art. Goulu (Jean), remarque (N), tom. VII, pag. 183.
  4. Voyez parmi les lettres de Balzac. celle qu’il écrivit en 1622, à La Motte-Aigron, où il lui donne de grands éloges, et nommément pour la belle latinité d’une pièce manuscrite.
  5. Pag. 306, 307.
  6. Préface de la IIe. partie des lettres de Phylarque.
  7. Voyez son épître dédicatoire.

(A) Conjointement avec M. de Vaugelas. ] Le père Goulu, dans la préface de la IIe. partie de ses lettres, dit que celui qui accompagnait la MotteAigron était le prieur de Chives ; (il y a des lettres à ce prieur parmi celles de Balzac) mais la Motte-Aigron nous apprend[1] que celui, avec lequel il alla voir le père Goulu, était M. de Vaugelas.

(B) Malleville.…. dans une épigramme qui n’a point été insérée au recueil de ses poésies. ] Sorel, ayant remarqué que la Motte-Aigron, pour montrer où le mal le tenait à ceux qui y entendaient quelque chose, et pour donner une grande opinion de sa race, dédia son livre à son père, par une épître latine avec de hautes qualités, ajoute ces paroles : S’il nous était permis ici, nous dirions l’épigramme que le sieur de Malleville fit sur ce sujet ; mais de certains officiers de France y étant intéressés, nous sommes dans une conjoncture où ce serait insulter à leurs malheurs[2]. Pour moi qui ne sais point quelle peut être cette conjoncture, et qui en tout cas la crois tout-à-fait passée, je ne ferai point difficulté de rapporter cette épigramme. La voici donc :

Objet du mépris de Goulu,
Que ton insolence est publique,
Depuis que ton père est élu,
Et qu’il a fermé sa boutique !
Mais bien que cette qualité,
Si l’on en croit ta vanité,
N’en trouve point qui la seconde :
Il n’en est pourtant pas ainsi :
C’est un beau titre en l’autre monde ;
Mais on s’en moque en celui-ci.


Depuis la composition de cet article, il m’est tombé entre les mains un ouvrage [3] où ces vers se trouvent.

(C) Je n’ai pu déterrer ce que devint notre auteur. ] J’ai seulement su par une lettre de Balzac, datée du 29 de juillet 1634 [4], que la Motte-Aigron s’était marié à la Rochelle ; qu’il avait quelque charge de police, et qu’il y avait eu quelque brouillerie entre eux deux. Le Ménagiana [5] nous apprend qu’il fut conseiller au présidial de la Rochelle.

(D) Balzac voulait que l’on crût qu’il était l’auteur véritable de l’ouvrage qui paraîtrait sous le nom de de Motte-Aigron. ] Vous verrez le détail de tout ceci dans ces paroles de Javersac [6] : « Cela n’empêcha pas que je ne me sentisse grandement offensé de sa requête et de son procédé : ce que toutefois je trouvai moins étrange, après avoir considéré de quelle sorte il avait traité M. de la Motte-Aigron, que les plus étroits liens dont la nature unit les volontés de deux frères avaient toujours attaché à sa fortune. Les obligations où l’avaient mis cent bons offices, que son aimable franchise lui a rendus depuis l’innocence de ses premières actions jusques à cette heure, ne lui ont point été si considérables que sa propre vanité. Après qu’ils eurent partagé leurs desseins, pour écrire contre Phyllarque, et que Balzac eut pris le plus de champ, et le plus de matière, comme plus stérile et intéressé que l’autre, il ne se contenta pas d’avoir plus d’une année de temps et de liberté, pour avancer son œuvre, tandis que son ami était esclave de ses juges à la poursuite d’un arrêt que la justice lui a rendu honorable. Il a voulu par plusieurs raisons faire supprimer le livre qu’un honnête loisir, après sa paix, lui avait permis de mettre déjà sous la presse. Il fait bien, pour se conserver la qualité de seul éloquent, d’empêcher qu’il n’y ait que lui qui écrive, afin que pour être sans pareil, on ne trouve personne à qui l’accomparer. Je crois qu’il n’en ferait pas moins que ce subtil ingénieux des poëtes, qui faisait mourir les plus capables de ses disciples, de peur qu’ils l’excellassent en son art. Il est si envieux de la gloire de ses amis mêmes, qu’il n’a jamais bien confessé que le sieur de la Motte-Aigron ait fait la préface de ses lettres, ne voulant point avoir de gloire à partager avec personne : et aujourd’hui même je suis certain que d’une ingrate et vaine imposture, il a voulu persuader obliquement que ce livre qui est attendu ne connaîtrait M. de la Motte que pour parrain, après l’avoir nommé, mais qu’il en était le véritable père ; ce que je sais être d’autant plus faux qu’il est très-véritable que le sieur de la Motte a séparé tous ses intérêts d’avec ceux de Balzac, faisant gloire d’en être désobligé, pour avoir une raison à le fuir, et pour profiter de l’exemple de son apologiste [7], dont il a gâté le nom, qu’on estimait beaucoup plus que le sien même. » La préface du sieur de la Motte-Aigron peut servir de quelque preuve à ce narré-là ; car voici de quelle manière elle commence. L’avis qui m’est venu de divers endroits que, quoique ce livre ne soit pas fort bon, quelques-uns pourtant lui voulaient donner un maître à leur fantaisie, m’oblige de vous avertir que cette aventure est toute mienne, et qu’il n’y a point ici de Roger qui combatte sous les armes de Léon. Certes, bien que je ne puisse assez louer la complaisance de ceux qui permettent qu’on leur fasse des enfans, et que la bonté de leur naturel me ravisse, si est-ce que je ne serais pas assez généreux pour être de leur opinion, et ne pourrais souffrir encore aujourd’hui qu’on me fît mes livres : mon imagination ne m’obéit pas de telle sorte que je puisse jamais lui persuader, que des ouvrages tels que ceux-là fussent à moi, et ne ferais pas plus de conscience de toucher au bien d’autrui que de recevoir des bienfaits de cette nature [8]. La conclusion de cette préface est du même ton que l’exorde ; car elle contient ceci : Mais pour revenir à ce qui me touche, quoiqu’il soit fort véritable que ma vie n’ait pas été telle que je n’aie quelques amis, et de ceux-là mêmement qui entendent l’art d’écrire, sachez toutefois que, pour ce qui regarde la façon de cet ouvrage, ils m’ont été aussi étrangers que ceux qui vivent aux extrémités du monde, ou que me le furent jadis ceux qui ont passé dans l’opinion de quelques-uns pour les auteurs de la préface [9], laquelle j’ai fait ajouter à la fin de ce discours. C’est parler en homme de cœur ; il n’y a que des gens lâches, qui veuillent passer pour auteurs d’un livre qu’ils n’ont point fait : on aurait beau dire qu’ils aiment la gloire si ardemment qu’ils y veulent parvenir par l’adoption, lorsqu’ils ne le peuvent par la génération ; ce désir de gloire ne laisse pas d’être la marque d’un cœur bas. Les custodinos d’un évêché sont moins poltrons que les custodinos d’un livre. Ceux-ci sont coupables du cocuage volontaire : qu’on dise tant qu’on voudra que ce n’est qu’un cocuage d’esprit, c’est néanmoins une tache, c’est une honte.

  1. Réponse à Phyllarque, pag. 299.
  2. Bibliothéque française, pag. 132 de la seconde édition.
  3. Ménagiana, pag. 132 de la première édition de Hollande.
  4. C’est la XXXIXe. du VIe. livre, édition in-folio.
  5. Pag. 131.
  6. Javersac, Discours d’Aristarque à Calidoxe. pag. 158 et suiv.
  7. Voyez la remarque (D) de l’article Balzac, tom. III.
  8. La Motte-Aigron, avertissement au lecteur dans sa Réponse à Phyllarque. Voyez la remarque (D) de l’article de Balzac, tom. III, p. 71.
  9. C’est-à-dire la préface des Lettres de Balzac.

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