Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Monstres

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Henri Plon (p. 471-473).

Monstres. Méry, célèbre anatomiste et chirurgien-major des Invalides, Vit et disséqua, en 1720, un petit monstre né à six mois de terme, sans tête, sans bras, sans cœur, sans poumons, sans estomac, sans reins, sans foie, sans rate, sans pancréas, et pourtant né vivant. Cette production extraordinaire fut suivie d'une fille bien organisée, qui tenait au petit monstre par un cordon ombilical commun. Son observation est consignée dans les Mémoires de l'Académie des sciences. Comment la circulation du sang s'opérait-elle dans cet individu dépourvu de cœur ?

Mery essaya de l’expliquer dans une dissertation[1]. En d’autres temps, on eût tout mis sur le compte du diable, et qui sait ? Voy. Imagination.

Torquemada rapporte qu’Alexandre le Grand lorsqu’il faisait la guerre des Indes, vit plus de cent trente mille hommes ensemble qui avaient


des têtes de chiens et aboyaient comme eux; ce qui ne se voit de nos jours que dans les caricatures. Il dit aussi que certains habitants du mont Milo avaient huit doigts aux pieds et les pieds tournés en arrière, ce qui rendait ces hommes extrêmement légers à la course.

On voit dans de vieilles chroniques qu’il y avait au nord des hommes qui n’avaient qu’un œil au milieu du front ; en Albanie, des hommes dont les cheveux devenaient blancs dès l’enfance, et qui voyaient mieux la nuit que le jour (conte produit par les Albinos) ; des Indiens qui avaient des têtes de chien ; d’autres sans cou et sans tête, ayant les yeux aux épaules, et, ce qui surpasse ton le admira Lion, un peuple dont le corps était velu et couvert de plumes comme les oiseaux, et qui se nourrissait seulement de l’odeur des fleurs. On a pourtant ajouté foi à ces fables.

N’oublions pas celles qui se trouvent consignées dans le Journal des voyages de Jean Struys, qui dit avoir vu de ses propres yeux les habitants de l’île de Formose ayant une queue au derrière, comme les bœufs. Il parle aussi d’une espèce de concombre, qui se nourrit, dit-on, des plantes voisines. Cet auteur ajoute que ce fruit surprenant a la figure d’un agneau, avec les pieds, la tête et la queue de cet animal distinctement formés ; d’où on l’appelle, en langage du pays, banaret ou bonarez, qui signifie agneau. Sa peau est couverte d’un duvet fond blanc, aussi délié que la soie. Les ïartares en font grand cas, et la plupart le gardent avec soin dans leurs maisons, où cet auteur en a vu plusieurs. Il croît sur une tige d’environ trois pieds de haut. L’endroit par où il tient à sa tige est une espèce de nombril, sur lequel il se tourne et se baisse vers les herbes qui lui servent de nourriture, se séchant et se flétrissant aussitôt que ces herbes lui manquent. Les loups l’aiment et le dévorent avec avidité, parce qu’il a le goût de la chair d’agneau ; et l’auteur ajoute qu’on lui a assuré que cette plante a effectivement des os, du sang et de la chair : d’où vient qu’on l’appelle encore dans le pays zoaphité, c’est-à-dire plante animale[2].

  1. M. Salgues, Des erreurs et des préjugés, etc., t. III, p. 116
  2. Lebrun, Histoire des superstitions, t. I, p. 442