Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Alchimiste

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Éd. Garnier - Tome 17
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ALCHIMISTE[1].


Cet al emphatique met l’alchimiste autant au-dessus du chimiste ordinaire que l’or qu’il compose est au-dessus des autres métaux. L’Allemagne est encore pleine de gens qui cherchent la pierre philosophale, comme on a cherché l’eau d’immortalité à la Chine, et la fontaine de Jouvence en Europe. On a connu quelques personnes en France qui se sont ruinées dans cette poursuite.

Le nombre de ceux qui ont cru aux transmutations est prodigieux ; celui des fripons fut proportionné à celui des crédules. Nous avons vu à Paris le seigneur Dammi, marquis de Conventiglio, qui tira quelques centaines de louis de plusieurs grands seigneurs pour leur faire la valeur de deux ou trois écus en or.

Le meilleur tour qu’on ait jamais fait en alchimie fut celui d’un Rose-croix qui alla trouver Henri Ier, duc de Bouillon, de la maison de Turenne, prince souverain de Sedan, vers l’an 1620. « Vous n’avez pas, lui dit-il, une souveraineté proportionnée à votre grand courage ; je veux vous rendre plus riche que l’empereur. Je ne puis rester que deux jours dans vos États ; il faut que j’aille tenir à Venise la grande assemblée des frères : gardez seulement le secret. Envoyez chercher de la litharge chez le premier apothicaire de votre ville ; jetez-y un grain seul de la poudre rouge que je vous donne ; mettez le tout dans un creuset, et en moins d’un quart d’heure vous aurez de l’or. »

Le prince fit l’opération, et la réitéra trois fois en présence du virtuose. Cet homme avait fait acheter auparavant toute la litharge qui était chez les apothicaires de Sedan, et l’avait fait ensuite revendre, chargée de quelques onces d’or. L’adepte en partant fit présent de toute sa poudre transmutante au duc de Bouillon.

Le prince ne douta point qu’ayant fait trois onces d’or avec trois grains, il n’en fit trois cent mille onces avec trois cent mille grains, et que par conséquent il ne fût bientôt possesseur dans la semaine de trente-sept mille cinq cents marcs, sans compter ce qu’il ferait dans la suite. Il fallait trois mois au moins pour faire cette poudre. Le philosophe était pressé de partir ; il ne lui restait plus rien, il avait tout donné au prince ; il lui fallait de la monnaie courante pour tenir à Venise les états de la philosophie hermétique. C’était un homme très modéré dans ses désirs et dans sa dépense ; il ne demanda que vingt mille écus pour son voyage. Le duc de Bouillon, honteux du peu, lui en donna quarante mille. Quand il eut épuisé toute la litharge de Sedan, il ne fit plus d’or ; il ne revit plus son philosophe, et en fut pour ses quarante mille écus.

Toutes les prétendues transmutations alchimiques ont été faites à peu près de cette manière. Changer une production de la nature en une autre est une opération un peu difficile, comme, par exemple, du fer en argent, car elle demande deux choses qui ne sont guère en notre pouvoir : c’est d’anéantir le fer, et de créer l’argent.

Il y a encore des philosophes qui croient aux transmutations, parce qu’ils ont vu de l’eau devenir pierre. Ils n’ont pas voulu voir que l’eau, s’étant évaporée, a déposé le sable dont elle était chargée, et que ce sable, rapprochant ses parties, est devenu une petite pierre friable, qui n’est précisément que le sable qui était dans l’eau[2].

On doit se défier de l’expérience même. Nous ne pouvons en donner un exemple plus récent et plus frappant que l’aventure qui s’est passée de nos jours, et qui est racontée par un témoin oculaire. Voici l’extrait du compte qu’il en a rendu. « Il faut avoir toujours devant les yeux ce proverbe espagnol : De las cosas mas seguras, la mas segura es dudar ; des choses les plus sûres la plus sûre est le doute, etc.[3] »

On ne doit cependant pas rebuter tous les hommes à secrets, et toutes les inventions nouvelles. Il en est de ces virtuoses comme des pièces de théâtre : sur mille il peut s’en trouver une de bonne.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)
  2. Expérience de Boerhaave, qui fut complétée par Lavoisier.
  3. Voyez dans les Singularités de la nature (Mélanges, 1768), chapitre XXVIII, D’un homme qui faisait du salpêtre.


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