Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Intolérance

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Éd. Garnier - Tome 19
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INTOLÉRANCE[1].

Lisez l’article Intolérance dans le grand Dictionnaire encyclopédique. Lisez le Traité de la Tolérance composé à l’occasion de l’affreux assassinat de Jean Calas, citoyen de Toulouse[2] ; et si après cela vous admettez la persécution en matière de religion, comparez-vous hardiment à Ravaillac. Vous savez que ce Ravaillac était fort intolérant.

Voici la substance de tous les discours que tiennent les intolérants :

Quoi ! monstre qui seras brûlé à tout jamais dans l’autre monde, et que je ferai brûler dans celui-ci dès que je le pourrai, tu as l’insolence de lire de Thou et Bayle, qui sont mis à l’index à Rome ! Quand je te prêchais, de la part de Dieu, que Samson avait tué mille Philistins avec une mâchoire d’âne, ta tête, plus dure que l’arsenal dont Samson avait tiré ses armes, m’a fait connaître, par un léger mouvement de gauche à droite, que tu n’en croyais rien. Et quand je disais que le diable Asmodée, qui tordit le cou, par jalousie, aux sept maris de Saraï chez les Mèdes, était enchaîné dans la haute Égypte, j’ai vu une petite contraction de tes lèvres, nommée en latin cachinnus, me signifier que dans le fond de l’âme l’histoire d’Asmodée t’était en dérision.

Et vous, Isaac Newton ; Frédéric le Grand, roi de Prusse, électeur de Brandebourg ; Jean Locke ; impératrice de Russie[3], victorieuse des Ottomans ; Jean Milton ; bienfaisant monarque de Danemark[4] ; Shakespeare ; sage roi de Suède[5] ; Leibnitz ; auguste maison de Brunswick ; Tillotson ; empereur de la Chine[6] ; parlement d’Angleterre ; conseil du Grand Mogol ; vous tous enfin qui ne croyez pas un mot de ce que j’ai enseigné dans mes cahiers de théologie, je vous déclare que je vous regarde tous comme des païens ou comme des commis de la douane, ainsi que je vous l’ai dit souvent pour le buriner dans votre dure cervelle. Vous êtes des scélérats endurcis ; vous irez tous dans la géhenne où le ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point : car j’ai raison, et vous avez tous tort ; car j’ai la grâce, et vous ne l’avez pas. Je confesse trois dévotes de mon quartier, et vous n’en confessez pas une. J’ai fait des mandements d’évêques[7] et vous n’en avez jamais fait ; j’ai dit des injures des halles aux philosophes, et vous les avez protégés, ou imités, ou égalés ; j’ai fait de pieux libelles diffamatoires, farcis des plus infâmes calomnies, et vous ne les avez jamais lus. Je dis la messe tous les jours en latin pour douze sous, et vous n’y assistez pas plus que Cicéron, Caton, Pompée, César, Horace et Virgile n’y ont assisté : par conséquent vous méritez qu’on vous coupe le poing, qu’on vous arrache la langue, qu’on vous mette à la torture, et qu’on vous brûle à petit feu, car Dieu est miséricordieux.

Ce sont là, sans en rien retrancher, les maximes des intolérants, et le précis de tous leurs livres. Avouons qu’il y a plaisir à vivre avec ces gens-là.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. Voyez les Mélanges, année 1763.
  3. Catherine II.
  4. Christian VII, à qui Voltaire avait adressé, en 1771, une épître en vers sur la liberté de la presse.
  5. Gustave III, à qui Voltaire avait aussi adressé une épître en 1771.
  6. Kien-long, à qui Voltaire écrivait aussi en vers.
  7. Ce trait porte sur Patouillet ; voyez ci-après l’article Jésuites.


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