Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Arc

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Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 38-58).
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ARC, s. m. Arme de jet composée d’une verge de bois plus épaisse au milieu qu’aux extrémités, d’une longueur variant entre 1m,90 et 1m,50, courbée au moyen d’une corde fixée aux deux extrémités, et lançant un projectile, la flèche, lorsque l’archer, après avoir tiré à lui la corde vers son milieu, de manière à lui faire faire un angle, lâche brusquement cette corde.

Cette arme de jet date de l’antiquité la plus reculée, puisqu’on trouve des pointes de flèches de silex laissées par les époques antéhistoriques. Toutes les races humaines se sont servies de l’arc, soit pour la chasse, soit pour la guerre, et telle est l’excellence de cette arme, qu’elle ne fut abandonnée que longtemps après l’invention des armes à feu de main.

La plupart des villes du nord de la France et celles de la Belgique, quelques villes d’Angleterre, conservent encore leurs confréries d’archers, comme une dernière tradition de l’importance qu’avait su prendre cette arme pendant le moyen âge.

L’arc est connu de tous, il n’est pas nécessaire de remonter à ses origines. Nous devons nous borner à montrer ici la place qu’il a prise dans les luttes occidentales du moyen âge. S’il n’est pas d’arme dont la fabrication demande moins de travail et soit plus économique, son usage exige une longue pratique ; aussi les archers composèrent-ils en tout temps, et notamment pendant le moyen âge, dans les armées, des corps spéciaux. Ces corps se recrutaient dans les classes inférieures : vilains, artisans, petits bourgeois. Leur armement n’était pas dispendieux, se renouvelait facilement, n’était ni lourd , ni embarrassant. En France, pendant l’époque féodale, les seigneurs, qui ne voyaient point d’un œil favorable l’établissement des communes, étaient loin d’encourager l’établissement des compagnies d’archers, tandis que, dans les contrées où les communes avaient su s’organiser en face d’une féodalité moins puissante ou plus nationale, ces compagnies prospéraient dès le xiie siècle, et apportaient en temps de guerre un secours puissant à la noblesse. La France paya bien cher la défiance de ses seigneurs féodaux à cet égard, et les soudoyers qu’elle enrôlait, lorsqu’il fallait entrer en lutte avec de puissants voisins, étaient loin de valoir les archers anglais, brabançons ou bourguignons. Lorsque après la bataille de Poitiers, en 1356, on voulut, en France, créer des compagnies d’archers, afin de placer les troupes françaises au niveau de celles d’Angleterre, on eut bientôt un grand nombre d’habiles tireurs, surpassant même ceux d’Angleterre; mais la noblesse crut voir un péril dans l’armement de ces compagnies franches et les fit dissoudre. Ce n’est pas la seule fois que, dans notre pays, la défiance des classes élevées à l’égard des classes moyennes et inférieures ait causé des désastres et fait reculer la civilisation.

Dès le xiiie siècle, l’Angleterre et le Brabant possédaient de véritables troupes nationales par l’armement régulier des communes, tandis que nous ne commençâmes à entrer en ligne sous ce rapport, en face de nos voisins, que vers le milieu du xv15 siècle, lorsque l’application de la poudre à l’artillerie mit entre les mains du peuple un agent trop puissant pour qu’il fût possible de n’en pas tenir compte.

Au xie siècle déjà, il entrait dans la tactique militaire, en Occident, d’employer les archers comme nous employons aujourd’hui les tirailleurs[1]. Les archers, répandus en lignes devant les fronts de bataille, engageaient l’action, et c’était lorsque leur tir commençait à mettre le désordre dans les escadrons compactes de cavalerie que l’on se décidait à charger. Cette tactique était également employée en Orient, ainsi que nous l’apprend Joinville. Ce n’était plus la vieille tactique romaine fondée tout entière sur l’action d’une infanterie admirablement organisée, manœuvrière, et pour laquelle la cavalerie, composée entièrement d’auxiliaires, n’était qu’une arme propre aux reconnaissances, au flanquement des légions, et à la poursuite d’un ennemi repoussé. Pendant tout le cours du moyen âge, en Occident, la cavalerie est le noyau des armées, c’est elle qui décide du sort des batailles, et l’infanterie ne fait qu’engager l’action ou l’achever, en faisant prisonniers, en égorgeant même les cavaliers démontés. On ne voit guère qu’une seule fois, à la bataille de Rosbecque, en 1382, une armée tout entière, celle des Flamands, composée d’infanterie, lutter contre les escadrons qui composaient l’armée française ; et telle était alors l’inexpérience dans ces sortes de luttes, que les Flamands, au lieu de s’étendre en lignes ou de se diviser en carrés disposés en échiquier, afin d’éparpiller les forces de la cavalerie, d’en avoir raison tronçon par tronçon en couvrant les escadrons de projectiles, se réunirent en masse compacte, ne purent faire usage de leurs armes, et furent écrasés sans combattre.

À la bataille d’Hastings, les archers normands, à pied, engagent l’action. Leurs arcs n’ont pas plus de 1m,50 de longueur ; à leur ceinture ou à leur cou est attaché le carquois. L’un d’eux, le capitaine probablement, est vêtu de la cotte d’écaillés de fer et du casque conique ; il tient dans sa main gauche, qui empoigne le bois de l’arc, un paquet de flèches; les autres sont vêtus à la légère, de braies et de justaucorps d’étoffe. Outre le carquois, l’archer portait un étui dans lequel l’arc était enfermé, et qui contenait des cordes de rechange à l’abri de la pluie. Le carquois avait nom couire, et l’étui de l’arc, archais :


« Couire emplir, arc encorder.
« Cuir ot ceintz et archais. »


Lorsque les Normands débarquent en Angleterre,


« Li archiers sunt primiers iessus,
« El terrain sunt primiers venuz ;
« Dune a chescun son arc tendu,
« Couire et archaiz el lez pendu.
« Tuit fureut rez (rasés) e tuit tondu,
« De cors dras (d’habits courts) furent tuit vestu ;
« Prez d’assaillir, prez de férir,
« Prez de torner, prez de gaudir :
« Tuit esteint bien rebrachiez,
« E de combatre encoragiez[2] »


Au commencement de la bataille d’Hastings, disons-nous :


« Mult oïssiez graisles soner
« Et boisines e cors corner,
« Mult véissiez gent porfichier[3],
« Escuz lever, lances drecier,
« Tendre lor ars, saetes prendre,
« Prez d’assaillir, prez de desfendre[4]. »


Les archers, en bataille rangée, en face d’ennemis bien couverts, ne tiraient pas de but en blanc ; ils n’auraient pu blesser des gens bien armés et presque entièrement cachés par leurs longs écus[5]. Ils envoyaient leurs sagettes en l’air ; celles-ci, décrivant une parabole, retombaient verticalement de tout leur poids sur les troupes, les blessaient aux épaules, au visage, aux bras. Ces archers avaient acquis dans ce mode de tir une grande adresse et savaient assez calculer leurs distances pour être assurés de faire tomber leurs projectiles sur un point donné. Pendant la même bataille d’Hastings, lorsque la victoire est indécise encore, après six heures de lutte, les archers normands s’apercevant que leurs flèches ne produisent pas grand effet sur les troupes saxonnes bien couvertes de leurs écus et de leurs mailles, délibérèrent entre eux :


« Normanz archiers ki ers tencient,
« As Engleiz mult espez tracint,
« Mais de loz escuz se covreient,
« Ke en char férir nes’poeint ;
« Ne por viser, ne por bien traire,
« Ne lor poeient nul mal faire.
« Cunseil pristrent ke halt traireient ;
« Quant li saetes descendreient,
« Desoz loz testes dreit charreient,
« Et as viaires les ferreient.
« Cel cunseil ont li archier fait,
« Sor li Engleis nut en halt trait ;
« Quant li saetes reveneient,
« Desoz les testes loz chaicient,
« Chiés è viaires[6] loz perçoent,
« Et à plusors les oils crevoent ;
« Ne n’osoent les oilz ovrir,
« Ne lor viaires descovrir[7]. »


La figure 1 donne un de ces archers normands d’après la tapisserie de Bayeux[8]. Cet archer est vêtu à la légère ; son carquois est attaché à sa ceinture, du côté droit. Il fallait que l’archer pût se transporter rapidement d’un point à un autre, son équipement devait être léger. Dans des manuscrits du xe siècle, dont les vignettes sont dues à des artistes occidentaux, on voit figurer des arcs dont la forme est indiquée dans la figure 2. Ces arcs à contre-courbe ne paraissent pas avoir eu plus de 1m, 50 de longueur. Ils n’étaient flexibles qu’aux deux branches a, b, et la corde attachée aux deux extrémités était presque tangente à la poignée. Ces extrémités étaient ordinairement garnies de bouts recourbés faits de corne (voyez le détail A), fortement collés au bois et frettés à l’aide d’un fil de soie ou de boyau.

Sur l’un des linteaux de la porte principale de l’église abbatiale de Vézelay est sculpté un archer tenant un arc à courbe simple, de 1m,50 de longueur (fig. 3). Ce personnage est vêtu d’un petit manteau et porte en bandoulière, du côté droit, un couire cylindrique. D’autres archers, dans le même bas-relief, portent leurs arcs en passant la tête entre le bois et la corde. Ces sculptures datent de l’an 1100 environ. Pendant le xiie siècle, l’archer est vêtu d’une tunique courte avec braies et large ceinture pour accrocher l’archais, qui était suspendu à une courroie posée en bandoulière. Sa coiffure consistait habituellement en une aumusse d’étoffe épaisse ou de peau qui garantissait le chef et le cou contre la pluie et même les projectiles. Sa main droite était couverte d’un gant de cuir, et son avant-bras gauche d’une plaque de fer courbée, destinée à préserver le poignet des atteintes de la corde. Les arcs orientaux étaient à cette époque très-estimés ; ils sont désignés sous le nom d’arcs turquois. Ces arcs n’avaient guère plus de 1m,50 d’un bout à l’autre, et se composaient de deux courbes fortement réunies au manche. Il fallait, pour les bander, beaucoup de force et d’adresse. Une vignette d’un manuscrit datant de 1200 environ[9] montre un archer (fig. 3 bis) armé d’un de ces arcs. Le carquois ou couire est porté en bandoulière. Il faut tenir compte de l’imperfection du dessin ; la corde étant amenée à l’épaule, les deux bouts a et d ne pouvaient être sur la ligne du manche, mais placés ainsi que l’indique le tracé A, puisque la flèche étant partie, il ne fallait pas que la corde dépassât ce manche. Lorsque la corde n’était pas attachée à l’arc, celui-ci présentait la figure B. On comprend de quelle puissance de projection devait être pourvue cette arme, faite de nerfs collés ensemble sur une âme de bois très-souple. Au xiiie siècle, l’archer en France perd une grande partie de son importance en campagne, par suite de l’adoption presque exclusive de l’arbalète. Nous étions alors ce que nous sommes encore : ardents à accepter une chose nouvelle et à la considérer comme parfaite sans prendre le temps d’examiner si elle supplée réellement à ce qu’elle remplace. L’arbalète était une arme de jet excellente, mais elle ne pouvait remplacer l’arc ; les deux armes étaient aussi nécessaires en bataille rangée que le sont aujourd’hui les fusiliers et l’artillerie légère. Aucune arme ne pouvait suppléer à la rapidité du tir de l’arc. Voici (fig. 4) un archer du xiiie siècle[10] ; car, bien que les troupes françaises n’eussent pas alors avec elles un assez grand nombre de ces tirailleurs, elles utilisaient quelques fantassins fournis par les communes du Nord, lesquels étaient armés d’arcs et de longs couteaux. Il n’était pas rare d’ailleurs, au xiiie siècle, d’adjoindre, aux troupes levées par les seigneurs sur leurs vassaux, des mercenaires à pied ou à cheval et qui n’étaient armés que d’arcs ou d’arbalètes. Les vignettes des manuscrits de cette époque nous montrent parfois de ces hommes de guerre mêlés aux troupes d’hommes d’armes. L’Orient avait un grand nombre de cavaliers armés d’arcs, et cet usage dut être parfois imité par les Occidentaux. Ces cavaliers sont toujours légèrement équipés : une salade de fer sur la tête, ou une aumusse de peau, et sur le corps une double tunique. Voici (fig. 4 bis) un de ces cavaliers[11]. Son couire est pendu au côté droit de la selle. L’arc est de dimension médiocre. On voit comme le cavalier attachait les rênes à son bras gauche pour avoir les deux mains libres.

Jusqu’à Louis le Gros, les armées du suzerain étaient entièrement composées des contingents fournis par les seigneurs vassaux de la couronne ; mais, sous ce prince, des chartes d’affranchissement furent données déjà à quelques communes, et ces chartes portaient cette clause : « que les milices bourgeoises devaient le service militaire au suzerain requérant ». Dans l’état ordinaire, ces milices bourgeoises étaient chargées de la garde et de la police de la ville ; elles se composèrent d’abord d’archers et d’hommes armés de bâtons, c’est-à-dire de pieux ; plus tard elles eurent leurs compagnies d’arbalétriers constituées en corporations régies par des règlements sévères donnés par le suzerain, et formant ainsi, dans les cités, une gendarmerie communale levée par les magistrats municipaux. Dans les chartes royales d’affranchissement, le nombre des hommes armés que doit fournir la ville au suzerain requérant est stipulé ; ces troupes, d’après ces chartes, ne doivent cependant le service (aux frais de la cité) que jusqu’à une certaine distance de leurs foyers. La milice de Rouen, par exemple, jouissait du privilège de ne s’éloigner de la ville que jusqu'à une distance qui lui permît de pouvoir rentrer coucher chez elle chaque nuit[12]. Cette institution correspondait exactement à ce qu’était la garde nationale sédentaire. Il n’est pas besoin de dire que les seigneurs féodaux n’avaient que du dédain pour ces troupes communales rivées à leurs foyers, peu disciplinées, mal armées, et qui se mettaient à piller dès qu’elles sortaient de leur banlieue ; d’autre part, ces seigneurs n’avaient nulle envie qu’elles fussent meilleures ; aussi, pendant le xive siècle, les armées en campagne ne se composaient que de la noblesse, de ses hommes liges et de troupes de mercenaires, de Génois, de Brabançons, et d’un ramassis de gens sans état, sans patrie, dont on ne savait que faire, la campagne terminée. Sous Charles v cependant, grâce à la sage et prudente politique de ce prince, ces troupes d’aventuriers avaient été dissoutes ou détruites ; les armées levées par la féodalité avaient acquis une certaine consistance, et les milices bourgeoises, bien organisées, formaient des corps passablement solides, parmi lesquels on comptait un certain nombre d’archers et d’arbalétriers à cheval, équipés aux frais des villes. Ces archers étaient vêtus d’une broigne de peau ou de toile piquée, avec cubitières, genouillères et grèves avec solerets de fer. Un camail de mailles couvrait la tête et descendait jusqu’au milieu des bras (fig. 4 ter[13]). Une casaque d’étoffe, avec ceinture roulée, fendue latéralement pour laisser passer les bras, descendait jusqu’au-dessus des genoux. Les flèches étaient, pendant le combat, passées dans la ceinture, du côté droit. L’archer donné ici porte des gants de peau ; les fentes latérales de la casaque sont lacées, et sous les genouillères tombent trois plaques de fer qui renforcent les grèves. Ces archers à cheval étaient toutefois trop peu nombreux dans les armées françaises pour obtenir des résultats, et faisaient un service qui ressemblait assez à celui de la prévôté de nos armées modernes. Ces corps furent anéantis dans les désastres militaires des premières années du xve siècle, et les routiers recommencèrent à tenir la campagne, plus funestes pour ceux qui les employaient que pour les armées qu’ils étaient appelés à combattre. Les États généraux, assemblés à Orléans en 1439, représentèrent au roi Charles vii les inconvénients et les dangers de cet état de choses. Ce prince licencia les troupes de mercenaires étrangers, et les remplaça par des compagnies dites d’ordonnance, qui dès lors furent payées au moyen d’un impôt dit taille de guerre. A dater de cette époque, les milices bourgeoises ne furent plus employées dans l’armée active et se bornèrent à défendre et à garder leurs cités. Toutefois, les statuts qui régissaient les compagnies d’archers et d’arbalétriers durent toujours être donnés ou approuvés par le roi.

Il n’en fut pas ainsi en Angleterre : les communes devaient fournir au roi des compagnies d’archers qui étaient à la solde du prince, et qu’il pouvait conduire où bon lui semblait, après le consentement toutefois de son parlement. Aussi, pendant les guerres du xivse siècle, l’armée anglaise avait-elle l’unité, la cohésion, qui assurèrent ses succès en face de troupes deux fois plus nombreuses. Les corps d’armée levés par les ducs de Bourgogne pendant les guerres des xive et xive siècle avaient aussi leurs archers fournis par les villes des Flandres ; mais les ducs de Bourgogne ne purent pas toujours disposer des troupes de ces communes, peu dociles, comme on sait, et durent souvent avoir recours à des corps étrangers (soudoyers).

Les mouvements des troupes d’archers, dans les armées où elles étaient organisées, consistaient toujours à se développer en lignes de bataille, ou en herses, comme le font encore nos tirailleurs ; à tirer ensemble un grand nombre de flèches, et à se retirer derrière les corps de bataille à cheval, pour renouveler leurs provisions ou pour laisser le champ aux charges de cavalerie. Dans un manuscrit français de la guerre de Troie, qui date environ de 1370[14], on lit ce passage : « Saietes orent et ars turquois, le petit pas rengies et serrés sen issirent de la cité. Et quant ilz furent là venu si commencierent une grant criée et férirent ensemble si vigueureusement que il sembloit que ce fust tempeste qui chaist du ciel, si commencierent à traire et à lancier. » C’était bien ainsi que se comportaient les troupes d’archers anglais. Un récit de la bataille où périt Godefroy d’Harcourt, en 1356, montre de la manière la plus claire le rôle des archers dans les armées qui combattaient en France pendant le xive siècle[15] : « … Si se ordonnèrent les François d’un lez, et les Anglois et Navarrois d’autre. Messire Godefroy de Harecourt mist ses archiers tout devant ce qu’il en avoit pour traire et blecier les français. Quant messire Raoul de Raineval en vit la manière, il list toutes manières de gens d’armes descendre à pié, et eulx paveschier et targier de leurs targes contre le trait, et commanda que nul n’alast avant sans commandement. Les archiers de monseigneur Godefroy commencèrent à approchier, ainsi que commandé leur fut, et à desveloper saietes à force de bras. Ces vaillans gens d’armes de France, chevaliers et escuyers, qui estoient fort armez, paveschiez et targiez, laissaient traire sur eulx ; mais cil assaut ne leur portoit point de dommage, et tant furent en cel estat eulx mouvoir ne reculer que cilz archiers orent emploié toute leur artillerie, et ne savoient mais de quoy traire. Adonques getterent ilz leurs arcs jus, et pristrent à ressortir vers les gens d’armes, qui estoient tous rangiez au long d’une haye, messire Godefroy tout devant, et sa baniere en présent. Et lors commencerent les archiers françois à traire moult vistement et à recueillir saiettes de toutes pars, car grant foison en y avoit semées sur les champs, et à emploier sur ces Anglois et Navarrois, et aussi gens d’armes approuchierent vistement. Là ot grant butin et dur ; quant ilz furent tous venus main à main ; mais les gens de pié de monseigneur Godefroy ne vindrent point de couroy et furent tantost desconfis. »

A la bataille de Verneuil, en 1424, les Anglais avaient mis leurs archers aux deux ailes ; la gendarmerie française se divisa pour attaquer et déborder ces ailes, mais l’un de ces corps, celui des Lombards, ayant couru sus aux bagages après avoir passé sur le ventre d’une des ailes, le centre des Anglais, composé de six cents lances, se jeta sur la cavalerie française et la déconfit.

Pour empêcher la cavalerie de mettre le désordre dans les rangs des archers, ceux-ci portaient avec eux un pieu qu’ils fichaient en terre au moment de combattre, et formaient ainsi une palissade espacée suffisante cependant pour arrêter les charges des hommes d’armes, d’autant que ces pieux dirigeaient un de leurs bouts aiguisés du côté de l’assaillant. Les Anglais se présentant devant le corps d’armée français qui assiégeait Beaugency (1428), « lesquelz (Anglais) plainement parchevans que Franchois estoient rengiés par manière de bataille, cuidans que de fait les deussent venir combattre, prestement fut fait commandement exprès de par le roy Henry d’Angleterre, que chascun se meist à pié, et tous archiers eussent leurs peuchons estoquiez devant eulx, ainsi comme ils ont coustume de faire quant ilz cuident estre combattus[16]. »

L’arc français, pendant le xiiie siècle, n’était pas très-grand. Il n’avait guère que quatre pieds de long. Il était lourd, épais, et sa portée était peu étendue. L’arc anglais, dès le xive siècle, avait de cinq à six pieds de longueur ; il était plus léger et fait habituellement de bois d’if ou d’érable. Sa portée était de deux cents à deux cent cinquante pas. Les flèches étaient de bois de pin ou de frêne et avaient quatre palmes à quatre palmes et demie de longueur (trois pieds ou 0m,95 environ). La flèche française, au xive siècle, n’avait guère que 0m,70[17]. L’équipement de l’archer bourguignon et français au commencement du xve siècle, et jusqu’à 1450 environ, se composait d’une cervelière de fer, d’une brigantine ou d’un jaque, de genouillères et de grèves. L’archer portait au côté gauche une longue épée droite à deux tranchants ; au côté droit, la trousse, qui contenait de quinze à vingt-quatre flèches, et sur le dos l’archier. Il n’était pas, comme l’arbalétrier, couvert de ce grand pavois lourd et embarrassant. A dater de 1450, il y eut en France des compagnies d’archers à cheval, vêtus de la salade, de la brigantine avec mailles sur les arrière-bras, de cuissards avec genouillères, grèves et solerets. Les flèches de l’archer à cheval étaient enfermées dans un sac de toile, le fer en dehors et dirigé vers le bas. Mais nous allons examiner ces divers équipements par le menu.

La figure 4 montre un archer français du milieu du xiiie siècle, dont l’arc n’a guère plus de lm, 30 de longueur. Voici (fig. 5) un personnage provenant d’un des bas-reliefs des soubassements de la cathédrale d’Auxerre (fin du xiiie siècle), qui représente Tubal, fils de Caïn : ce personnage vient de tendre la corde de l’arc, lequel aurait au moins 1m, 70 de longueur s’il était développé. Mais on observera que le bois de l’arc, parfaitement rendu par la sculpture, se ploie principalement à ses extrémités, et devait, dès lors, avoir beaucoup de roideur vers son milieu. Avec ces sortes d’arcs, d’une grande puissance, on ne peut tirer des flèches très-longues, car la longueur de la flèche est déterminée par l’angle que l’archer peut donner à la corde. Soient (fig. 6) deux bois d’arcs A et B de même longueur. L’un, celui A, épais vers son milieu et flexible vers ses extrémités ; l’archer ne pourra donner à la corde un angle plus fermé que l’angle a ; dès lors la longueur de la flèche est donnée par la distance ab. L’autre, celui B, flexible dans toute sa partie milieu, le bois étant plus mince ; l’archer pourra donner à la corde un angle c plus fermé que dans l’exemple A, et la longueur de la flèche sera déterminée par la distance cd. Ce sont là les différences qui distinguent particulièrement l’arc français de l’arc anglais pendant le xive siècle[18]. L’arc anglais, plus maniable, plus flexible, permettait de tirer un plus grand nombre de flèches en un temps donné, que l'arc français. Ce dernier toutefois devait fournir un tir plus juste. Cependant les archers anglais étaient renommés pour la justesse de leur tir. Un bon archer anglais tirait douze flèches à la minute et manquait rarement le but à deux cents pas ; il avait bientôt fait d’épuiser sa trousse remplie de vingt-quatre flèches. Dans la mêlée, l’arc n’était plus bon à rien, et c’est pourquoi l’archer était armé de l’épée pointue à deux tranchants. Alors il dégainait, et, se repliant entre les cavaliers de son parti, il blessait les chevaux de l’ennemi et achevait les cavaliers démontés. Nous voyons même, au commencement du xve siècle, l'archer bourguignon armé de la vouge, outre l’épée (fig. 7[19]). Cet archer porte la cervelière de fer avec les rondelles, le jaque brodé, avec manches d'étoffe rembourrées aux épaules, les chausses de peau ou de gros drap, le carquois en verrou derrière l’épaule droite, l’épée au côté gauche, l’arc dont la corde est passée sous l’épaule droite, et à la main gauche l’arme qu’on appelle vouge (voyez ce mot). Son arc n’est pas si grand que celui de l’archer anglais, dont la figure 8 donne l’équipement à la même époque[20]. Cet arc distendu aurait de 1m,90 à 2 mètres de longueur. Son bois est mince ; la flèche a près d’un mètre de longueur. L’homme est coiffé de la cervelière, vêtu de la cotte de mailles à manches courtes avec jaque par-dessus, de manches, de hauts-de-chausses de drap et de bottes molles. Une longue épée pend à son côté gauche, et sa trousse est attachée à sa ceinture derrière son dos ; les flèches présentent leurs extrémités empennées sous la main droite. Quand l’archer voulait obtenir un tir rapide, il plaçait les flèches sous son pied gauche, de manière à les pouvoir saisir de la main droite sans détourner les yeux du but, ce qui est un point important si l’on veut tirer juste et rapidement.

Plus tard, l’équipement des archers se complète de plates, de genouillères, de grèves, et la cervelière possède un large couvre-nuque.

C’est ainsi qu’est armé le franc-archer à cheval de Charles xvii. Sa tête est couverte d’une large salade avec ou sans bavière et couvre-nuque très-saillant. Il est vêtu (fig. 9[21]) de la brigantine avec hautes manches et sous-gorgerin de mailles, cubitières, arrière-bras et avant-bras de fer. Sous la brigantine apparaît la jaquette de mailles, qui couvre le haut des cuisses garnies de cuissards. Les jambes sont armées de grèves avec genouillères, les pieds de solerets et d’éperons. Une épée pend à son côté gauche, attachée à la taille par une mince courroie. La figure 10 montre le même archer à cheval. Par derrière, la trousse consistait en un sac de toile ouvert par les deux bouts, mais avec ligature et coulisse au bord antérieur. Les fers étaient libres et les empennes prises dans la toile. L’archer prenait la flèche par le fer ; la ligature inférieure étant à nœud coulant attachée à la ceinture, dès qu’une flèche était enlevée de la trousse, il suffisait de peser légèrement sur cette ligature pour que les sagettes qui restaient fussent toujours serrées. Une boucle attachée au haut du sac passait dans une agrafe tenant au dos de la brigantine et empêchait la trousse de basculer. Plus le cavalier faisait de mouvements, plus la ligature inférieure bridait les flèches, qui ainsi ne pouvaient se perdre et dont les pennes n’étaient pas froissées par la marche du cheval : ce qui n’aurait pas manqué d’arriver avec le carquois ordinaire. Ces compagnies furent maintenues jusqu’au milieu du xvie siècle, et le nom d’archers fut longtemps conservé encore aux compagnies du guet chargées de la police des rues pendant la nuit, bien que ces gardes fussent armés de piques et de mousquets. Louis xi avait jugé prudent de prendre à sa solde, pour garder sa personne, des archers écossais, lesquels formaient une compagnie à cheval et étaient armés comme ceux que donnent les figures 9 et 10, si ce n’est qu’ils portaient un corselet de fer recouvert de velours bleu brodé de fleurs de lis d’or.

  1. Cette tactique ne cessa d’être employée jusqu’à la fin du xve siècle :

    « Nos archiers estoient devant
    « Qui se prirent au traire. »

    (Chants popul. du temps de Charles vii et de Louis xi,
    recueillis par M. Le Roux de Lincy.)
    Et bien avant cette époque, dans le Roman de Fierabras (xiiie siècle), on lit ces vers :

    « A la bataille cevaucent et font lor gent rengier ;
    « Ou premier cief devant estoient li arcier,
    « Pour les nos descontire a ars turcois mainier. »

    (Vers 5583 et suiv.)
  2. Roman de Rou, vers 11626 et suiv.
  3. « Se ranger. »
  4. Roman de Rou, vers 13135 et suiv.
  5. Pendant les xie et xiie siècles les hommes d’armes portaient de très-longs écus (Voy. Ecu).
  6. « Têtes et visages. »
  7. Roman de Rou, vers 13275 et suiv.
  8. Cette tapisserie, connue on sait, n’appartient pas a l’époque de la descente de Guillaume en Angleterre, mais est un peu postérieure a cette date.
  9. Psat., latin, Biblioth. nation.
  10. Manuscr. du Roumans d’Alixandre, Biblioth. nation., français (milieu du xiiie siècle). Cet archer est vêtu d’une ample tunique, d’une aumusse qui paraît être faite de peau. Sa main droite est armée d’un gant ; la partie interne de son avant-bras gauche est préservée par une plaque de fer.
  11. Manuscr. Biblioth. nation., Apocalypse avec figures, français (milieu du xiiie siècle).
  12. Voyez Recherches historiques sur les corporations des archers, des arbalétriers et des arquebusiers, par Victor Fouque, 1852.
  13. Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français (1393 environ).
  14. Biblioth. Nation., le Livre des hist. du commencement du monde, français, n°301, folio verso 60.
  15. Manuscr. Biblioth. nation., français, n°2041, 6474 et 6478. Voyez l'Histoire du château et des sires de Saint-Sauveur le Vicomte, par M. Léopold Delisle, p. 95 et 93.
  16. Témoign. des chroniqueurs et historiens du xve siècle. Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, par J. Quicherat, t. iv, p. 417.
  17. Voyez Flèche. Nous possédons des flèches de cette époque, rapportées de Rhodes par M. Salzmann, qui datent du xve siècle et n’ont que cette longueur.
  18. Il y avait, ainsi que nous l’avons dit déjà, l’arc oriental, ou arc turquois, qui était façonné ainsi que l’indique le tracé D. Cet arc, à cause des contre-courbes qui rapprochaient la poignée du milieu de la corde, permettait de tirer des flèches très-courtes. Cet arc turquois, lorsqu’il est fabriqué de nerfs ou de métal, donne un tir à longue portée.
  19. Manuscr. des Chron. de Froissart, Biblioth. nation.
  20. Même manuscrit.
  21. Manuscr. Biblioth. nation., milieu du xve siècle, Passages d’outre-mer.