Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Cotte

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COTTE, s. f. (cote, turnicle, tournicle, cotelle, surcotelle, surcot). La cotte d’armes est, à proprement parler, la tunique d’étoffe ou de peau que l’on posait, à dater de la fin du xiie siècle, sur le haubert de mailles, sur le gambison ou la broigne. Les cottes du xiiie siècle n’ajoutaient pas à la force défensive de l’armure de mailles, mais elles empêchaient le soleil d’échauffer ce tissu de fer, ou la pluie de le pénétrer trop facilement. Elles pouvaient, jusqu’à un certain point, présenter un obstacle flottant aux flèches ou carreaux.
Ces cottes des xiie et xiiie siècles sont faites habituellement d’une étoffe de soie assez forte (cendal) :

« Cuirie ot bonne, ferrée largement,
Cote à armer d’un cendel de Melant :
Plus est vermeille que rose qui respleut,
A .III. lyons batus d’or, richement[1] »

« Cote ot moult bonne, plus bêle ne verrez,
D’un drap tout Yude qui fu à or frezez,
A .I. lyon vermeil enclavinné[2]. »

A dater de la fin du xiiie siècle, on voit parfois ces cottes armoyées, c’est-à-dire chargées des pièces du blason de ceux qui les portent. Mais sous les règnes de Philippe-Auguste, de Louis VIII, et jusque vers 1250, ces cottes ne sont que d’une seule couleur, habituellement claire. Alors elles ne couvrent pas les bras, dégagent le cou, et sont fendues latéralement pour ne pas embarrasser les jambes de l’homme d’armes à cheval. Elles paraissent
plastronnées par une épaisse doublure sur les épaules. Descendant au-dessous des genoux, au commencement du xiiie siècle, leur jupe se raccourcit vers 1250. A la fin du xiiie siècle, on les porte souvent longues, mais fendues en quatre parties[3]. Elles sont portées avec ou sans ceinture, et parfois même sans baudrier, l’épée étant attachée à l’arçon de la selle. Le manuscrit de la Vie et miracles de saint Louis[4] représente ce prince à cheval, à la bataille de la Massoure, armé d'un haubert de mailles et d’un heaume couronne. Une cotte armoyée sans ceinture est posée sur le haubert. Le cheval est houssé de même d’une housse bleue semée de fleurs de lis d’or. L’écu du roi est également blasonné de France (fig. 1). Joinville rapporte
que ce prince avait grande apparence à cheval pendant cette journée : « [...] vint li roys à toute sa bataille, à grant noyse et à grant bruit de trompes et nacaires, et se aresta sur un chemin levei ; mais ouques si bel armei ne vi, car il paroit desur toute sa gent dès les espaules en amont, un heaume dorei en son chief, une espée d’Alemaingne en sa main[5]. » Vers 1300, on porta pour monter à cheval, par-dessus la broigne ou le haubert, des cottes longues fendues seulement devant et derrière ; derrière jusqu’à la hauteur des reins, et devant jusqu’à l’entre-cuisses. Ainsi les deux pans de droite et de gauche couvraient les jambes (fig. 2[6]), et le troussequin de la selle pouvait rester libre. Ce fut vers 1320 que l’on se mit à plastronner le haut des cottes d’armes des épaules à la ceinture. Sous Philippe de Valois, cette mode était adoptée ; on avait alors renoncé aux ailettes qui étaient remplacées par de petites spallières d’acier. Ce plastronnage de la partie supérieure de la cotte devient volumineux sous le roi Jean, et le camail le recouvrait (fig. 3[7]). La jupe descendait au-dessous des genoux, et était fendue latéralement jusqu’à la hauteur des hanches. Ces cottes étaient souvent armoyées. Cet homme d’armes est coiffé du bacinet et, à pied, se sert de l’épée à deux mains (voy. Épée). Alors aussi voit-on des hommes d’armes couverts, par-dessus le haubergeon de mailles, d’une cotte dont la jupe, très-longue par derrière, et flottant par-dessus le troussequin de la selle, est courte par devant (fig. 4[8]). La tête de ce personnage est armée du heaume à bec que l’on commençait alors à porter non-seulement pour jouter, mais aussi dans les combats. La cotte recouvre le colletin de ce heaume et un peu les spallières. On renonce à ces jupes vers le commencement du règne de Charles V. Alors les cottes d’armes collent généralement sur les hanches comme les cottes de l’habillement civil, et la jupe ne descend qu’à moitié des cuisses. On attachait habituellement ces cottes latéralement au moyen de lacets ou d’agrafes, et on les passait comme une dalmatique. Une miniature d’un manuscrit du Roman du roi Meliadus (1300 environ) explique clairement comment l’écuyer posait la cotte sur les épaules de son maître (fig. 5[9]). Parfois aussi ces cottes étaient boutonnées par devant comme nos gilets. On leur donnait le nom de surcots, parce qu’en effet elles étaient posées sur une première cotte. La miniature ci-dessus montre que le personnage auquel on endosse le surcot porte une première cotte courte ou justaucorps par-dessus le haubergeon ou la broigne. Cet exemple n’est pas le seul. Parmi les cottes
COTTE D'ARME (milieu du xive siècle).
ou surcots d’armes collant aux hanches, il en est de deux sortes. Indépendamment de leurs moyens d’attache, qui diffèrent, les surcots d’armes
sont sans manches ou à manches longues et rembourrées aux arrière-bras. Ces différences s’observent de 1360 à 1380. Il y eut alors, en effet, dans le harnois d’armes, passablement de variétés, par la raison qu’on se tenait entre deux modes : celui des vêtements de mailles et l’armure de plates qui n’était pas encore généralement adoptée, qu’on étudiait. Les surcots sans manches, serrant les hanches, sont, en France et en Angleterre (car à cette époque le harnois de guerre était presque identique en ces deux pays), posés sous le camail du bacinet qui les recouvre : on avait ainsi, pour protéger le cou, deux épaisseurs de mailles, car le haubergeon était porté sous le surcot, et son encolure montait très-haut. Voici (fig. 6[10]) un de ces surcots avec et sans le bacinet à camail. La ceinture militaire était toujours posée au bas de la jupe de ce surcot, lorsqu’il était porté par un chevalier. Cet exemple montre un surcot boutonné par devant, de la taille au bas de la jupe, et agrafé seulement du cou à la taille. La figure 7[11] montre un prince armé portant le surcot juste à manches longues et rembourrées aux épaules, agrafé latéralement ; ce surcot est bleu semé d’Y blancs.

On portait alors aussi des cottes d’armes courtes et amples, avec ou sans ceinture à la taille : c’était le vêtement militaire adopté par du Guesclin[12] et que reproduit la figure 8[13]. On voit ici, comme dans les deux exemples précédents, que le cou est garanti par la maille du haubergeon. Le bacinet ou le heaume avec camail se posaient donc par-dessus la cotte d’armes.

On portait aussi par-dessus ces cottes un parement, ou bien la cotte elle-même était taillée en façon de parement (voy. Armure, fig. 38). À la fin du xive siècle, toujours plastronnée sur la poitrine et le dos, la cotte reprend des jupes longues et des manches taillées en pointe à barbes d’écrevisse (fig. 9[14]). Ces jupes forment deux longs pans tombant droit latéralement avec fente par devant et par derrière, une partie plus courte ne descendant qu’au-dessus des jarrets et taillée en lambrequins. Cette disposition ne gênait pas en selle. Les lambrequins de derrière flottaient sur le troussequin, et les deux pans latéraux le long des jambes. Ces cottes étaient souvent bouclées par devant du cou à la ceinture, et lacées au-dessous (fig. 9 bis[15]).

La cotte disparaît lorsque l’armure de plates est définitivement adoptée vers 1420 ; ou si elle persiste alors, elle est ample : c’est une sorte de chemise courte sans manches et destinée à empêcher l’armure de s’échauffer ou de se rouiller (fig. 10[16]) ; aussi pour éviter le bruissement du fer, lorsqu’on voulait surprendre un ennemi la nuit.

Des raisons d’utilité avaient fait adopter la cotte d’armes d’étoffe dès la fin du xiie siècle. Les hauberts de mailles, posés sur le gambison de peau ou de toile rembourrée, devaient être insupportables lorsqu’on était exposé au soleil, surtout sous le ciel de la Palestine. La pluie, pénétrant à travers ces mailles, mouillait le gambison qui, à cause de son épaisseur et de l’étoupe qui le plastronnait, séchait difficilement, et en séchant se resserrait sur le corps. La cotte d’étoffe de soie préservait, jusqu’à un certain point, les parties du vêtement qu’elle couvrait de l’humidité, car les tissus de soie sont peu perméables. Cette étoffe empêchait le froissement désagréable et gênant de la maille sur la maille.
La cotte d’armes était donc un vêtement nécessaire. De plus, ses longues jupes flottantes empêchaient les flèches ou carreaux d’arbalète de blesser les jambes. Les projectiles s’arrêtaient sur ces plis flottants. C’est pour le même motif qu’on avait adopté, vers le milieu du xiiie siècle, les housses d’étoffe pour les chevaux de guerre (voy. Harnois).

De 1420 à 1440, les gens de pied portaient aussi des cottes d’étoffe par-dessus le jacque de mailles ou de peau piquée, dont les manches ne couvraient que les arrière-bras. Ces cottes étaient larges sur la poitrine, très-courtes de jupe, avec manches amples (fig. 11[17]). Un camail de mailles recouvrait les épaules par-dessus la cotte fendue par devant aux manches et des deux côtés de la taille. Parfois ces jupes descendaient aux genoux, et leurs pans étaient relevés dans la ceinture pour combattre.

Vers le milieu du xve siècle, les hommes d’armes adoptèrent des plastrons de fer sur lesquels une étoffe peinte était marouflée, afin d’éviter la rouille et l’action du soleil sur le métal poli. Cette mode, fort usitée en Italie, se répandit en Occident et en Allemagne ; elle dispensait du port de la cotte, qui devait gêner un peu les mouvements ou s’embarrasser dans les pièces d’armure. D’ailleurs les hommes de pied portaient des guisarmes ou des fauchards avec lesquels ils accrochaient les cottes des cavaliers, afin de les désarçonner pendant la mêlée. On cherchait donc à ne présenter dans l’armure que des surfaces lisses et qui ne donnassent aucune prise : c’était une des raisons qui avaient fait abandonner les baudriers lâches et qui avaient fait adopter les braconnières, les tassettes, les colletins.

Depuis que l’infanterie comptait pour quelque chose, le cavalier n’avait pas seulement à se préserver des coups de lance, d’épée ou de masse, mais aussi des armes offensives (bâtons) de ces fantassins, coutilliers, brigands, lesquels se faufilaient entre les cavaliers chargeant les uns contre les autres, coupaient les jarrets des chevaux, accrochaient les hommes d’armes, les désarçonnaient et les égorgeaient, ceux-ci ne pouvant se mouvoir une fois à terre. Pour ce genre de combat, la cotte d’armes était dangereuse, ou au moins fallait-il qu’elle fût assez rigide et collante pour ne pas donner prise aux crochets des piétons.

On avait commencé, sous Charles v, à adopter ces cottes roides et rembourrées, ainsi que le montrent les exemples précédents ; puis était survenue une période courte pendant laquelle, à l’imitation des vêtements civils, on avait adopté des cottes démesurément amples et longues ; mais cette mode n’avait pas été de longue durée, les cottes serrées, rembourrées et courtes, avaient été reprises. On les abandonna entièrement sous Charles VII, pour les reprendre sous Louis XI et Louis XII.

Celles adoptées vers 1470 sont munies souvent d’une pèlerine ou large camail qui couvre seulement les arrière-bras et le dos[18], laissant le colletin découvert.

Sous Charles VIII et Louis XII, ces cottes d’armes, très-courtes de jupe, faites en façon de chemise, possèdent des manches aussi très-courtes et larges. Elles sont fendues latéralement et se portent sans ceinture (fig. 12[19]). Cette cotte est armoyée irrégulièrement, en ce que le champ est d’azur et la tour de gueules. Elle recouvre un haubergeon de mailles à manches courtes. Les gardes de fer du colletin dépassent son encolure, et par-dessus le haubert on voit les extrémitées des tassettes attachées certainement à une braconnière. Les jambes et les bras sont entièrement armés.

Ainsi donc ce chevalier portail un haubert de mailles par-dessous un corselet de fer, avec les braconnières et tassettes, puis la cotte d’armes.

Cette sorte de cotte est la dernière. On cessa de porter ce vêtement militaire dès les premières années du xvie siècle. Les hérauts seuls continuèrent à vêtir la cotte armoyée dans l'exercice de leurs fonctions, et elle avait la forme de celle présentée figure 13[20].

Ce personnage, qui est un héraut d’armes, est vêtu de la cotte dont ces fonctionnaires, attachés à la chevalerie, restèrent possesseurs jusqu’au milieu du xvie siècle.

Cette cotte, très-courte, était posée sur un hauhergeon de mailles muni de manches courtes et amples. On la passait comme une chemise. Un armet pourvu de longues ailes d’or et d’une couronne de laurier couvre la tête de ce héraut.

  1. Goydon, vers 6402 et suiv. (commencement du xiiie siècle).
  2. Ibid., vers 6488
  3. Voyez Armure, fig. 16, 17 et 22.
  4. Biblioth. nation., français (1300 environ). Ce manuscrit donne l’armement postérieur à saint Louis. Il n’est pas probable que ce prince ait porté le harnais de jambes complet.
  5. Histoire de saint Louis, par le sire de Joinville, publ. par M. Nat. de Wailly, p. 80.
  6. Manuscr. Biblioth. nation., Guerre de Troie, français (1300 environ).
  7. Manuscr. Biblioth. nation., Tristan et Iseult, 2e vol., français.
  8. Ibid.
  9. Voyez John Hevitt, Ancient Armours and weapons in Europe, London, 1840, t. II, p. 156.
  10. Manuscr. Biblioth. nation., le Livre des hist. du commencem. du monde, français (1370 environ).
  11. Ibid.
  12. Voyez sa statue dans l’église abbatiale de Saint-Denis.
  13. Manuscr. Biblioth. nation., le Livre des hist. du commencem. du monde, français (1370 environ).
  14. Manuscr. Biblioth. nation., Lancelot du Lac, français (miniature de 1390 environ, en partie repeintes vers 1450).
  15. Même manuscrit
  16. Manuscr. Biblioth. nation., Boccace, français (1420 environ).
  17. Manuscr. Biblioth. nation., Froissart, Chroniques (1440 environ).
  18. Statue de Charles d’Artois, mort en 1471, église d’Eu (voy. Armure, fig. 50).
  19. Statue tombale du musée d’Avignon.
  20. Manuscr. Biblioth. nation., le Roman de très-douce Mercy, René d’Anjou.