Dictionnaire universel d’histoire et de géographie Bouillet Chassang/Abelard (pierre)

La bibliothèque libre.

ABÉLARD (Pierre), Abælardus, né au bourg de Palais, près de Nantes, en 1079, d’une famille noble, reçut les leçons du célèbre Guillaume de Champeaux, et devint bientôt le rival de son maître. Dès l’âge de 22 ans il ouvrit une école. Il enseigna avec le plus grand succès la rhétorique et la philosophie scolastique, à Melun, à Corbeil et enfin à Paris, où il attira plus de 3 000 auditeurs ; il attaqua dans ses leçons avec une grande force de logique la doctrine du réalisme qu’enseignait Guillaume de Champeaux, ainsi que le nominalisme qu’avait professé Roscelin, et y substitua un système de conceptualisme qui gardait le milieu entre les deux doctrines opposées. Il commença assez tard à étudier la théologie ; mais il obtint bientôt dans l’enseignement de cette science le même succès que dans ses leçons sur la philosophie. Le chanoine Fulbert l’ayant choisi pour donner des leçons à sa nièce Héloïse, il conçut pour son écolière une vive passion, l’enleva et la conduisit en Bretagne, où elle lui donna un fils qu’il nomma Astrolabius. Pour réparer ses torts, il l’épousa secrètement ; mais Fulbert, peu satisfait de cette réparation, le fit surprendre dans son lit au milieu de la nuit et le fit mutiler. Abélard alla cacher sa honte dans l’abbaye de Saint-Denis et y prit l’habit de religieux, pendant qu’Héloïse prenait le voile au couvent d’Argenteuil. Néanmoins, au bout de quelque temps il sortit de sa retraite à la sollicitation de ses disciples et rouvrit une école. Il attira de nouveau une foule d’auditeurs ; mais sa présomption et la hardiesse avec laquelle il appliquait la philosophie à la théologie le firent bientôt tomber dans de graves erreurs : un traité de la Trinité qu’il venait de composer fut dénoncé comme entaché d’hérésie et condamné par le concile de Soissons en 1122. Il se retira à Nogent-sur-Seine et fit bâtir près de cette ville, sous le nom de Paraclet, un oratoire où plus tard il établit Héloïse ainsi que les religieuses qui étaient sous sa conduite. Ayant été nommé peu après abbé de St. Gildas de Ruys, près de Vannes, il chercha à réformer les moines de son abbaye, mais il ne réussit qu’à s’attirer de nouvelles difficultés. Accusé une seconde fois d’hérésie, il fut condamné en 1140 par le concile de Sens : il eut à ce concile pour adversaire le célèbre S. Bernard. Abélard voulait aller se justifier à Rome ; mais, en passant par Cluny, il se lia étroitement avec l’abbé de ce monastère, Pierre le Vénérable, qui le détermina à prendre l’habit de son ordre et le réconcilia avec le St-Siége et avec S. Bernard. Il consacra le reste de sa vie à des exercices de piété, et mourut en 1142. Abélard avait cultivé tous les genres de littérature et de science qui étaient en honneur de son temps. Des nombreux écrits qu’il avait composés, plusieurs se sont perdus, et ceux qui subsistent n’ont été publiés que fort tard. Le conseiller Franç. d’Amboise a fait imprimer en 1616, sous le titre de P. Abælardi et Heloisæ Opera, en 1 vol. in-4, l’Introductio ad Theologiam et plusieurs lettres d’Héloïse et d’Abélard. On trouve sa Theologia christiana dans le Thesaurus de Martenne, et un traité de morale intitulé Scito te ipsum dans le Thesaurus de B. Pez. M. Cousin a publié en 1836, dans les Documents inédits sur l’histoire de France, un vol. in-4 d’œuvres inédites d’Abélard : on y trouve sa Dialectica et le Sic et Non, où est exposé le pour et la contre sur les principaux points de théologie (ce dernier ouvrage a été donné plus complétement par Henke, à Leipsick, en 1851). M. Cousin a en outre publié à ses propres frais, avec le concours de M. Ch. Jourdain, une édition complète de ses autres Œuvres, éparses jusque-là (2 vol. in-4, 1849 et 1859). On a souvent imprimé séparément les lettres d’Abélard et d’Héloïse (en latin) ; la meilleure édition est celle de Rawlinson, Londres, 1718. On en a plusieurs traductions françaises, entre autres celle de dom Gervaise, avec le texte latin, Paris, 1723, et celle de M. E. Oddoul, faite sur les manuscrits, 1837. Ces lettres ont aussi été souvent imitées et paraphrasées : on connaît la belle imitation de Pope, mise en vers français par Colardeau. La Vie d’Abélard a été écrite par dom Gervaise, 1722. M. Ch. de Rémusat a donné en 1845 : Abélard, sa vie et ses doctrines, 2 vol. in-8. Abélard a laissé lui-même d’intéressants détails sur sa vie dans ses Lettres et dans son Historia calamitatum.