Discours sur l’Histoire universelle/II/7

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VII.

La descente du Saint Esprit : l’établissement de l’Eglise : les jugements de Dieu sur les Juifs & sur les Gentils.


Pour répandre dans tous les lieux et dans tous les siecles de si hautes veritez, et pour y mettre en vigueur au milieu de la corruption des pratiques si épurées, il falloit une vertu plus qu’humaine. C’est pourquoy Jesus-Christ promet d’envoyer le Saint Esprit pour fortifier ses apostres, et animer éternellement le corps de l’eglise.

Cette force du Saint Esprit, pour se déclarer davantage, devoit paroistre dans l’infirmité… etc. Pour se conformer à cét ordre ils demeurent enfermez quarante jours : le Saint Esprit descend au temps arresté ; les langues de feu tombées sur les disciples de Jesus-Christ marquent l’efficace de leur parole ; la prédication commence ; les apostres rendent témoignage à Jesus-Christ ; ils sont prests à tout souffrir pour soustenir qu’ils l’ont veû ressuscité. Les miracles suivent leurs paroles ; en deux prédications de saint Pierre huit mille juifs se convertissent, et pleurant leur erreur ils sont lavez dans le sang qu’ils avoient versé.

Ainsi l’eglise est fondée dans Jérusalem, et parmi les juifs, malgré l’incredulité du gros de la nation. Les disciples de Jesus-Christ font voir au monde une charité, une force, et une douceur qu’aucune societé n’avoit jamais eûë. La persecution s’éleve ; la foy s’augmente ; les enfans de Dieu apprennent de plus en plus à ne desirer que le ciel ; les juifs, par leur malice obstinée, attirent la vengeance de Dieu, et avancent les maux extrémes dont ils estoient menacez ; leur estat et leurs affaires empirent. Pendant que Dieu continuë à en séparer un grand nombre qu’il range parmi ses eleûs, saint Pierre est envoyé pour baptiser Corneille centurion romain. Il apprend premierement par une celeste vision, et aprés par experience, que les gentils sont appellez à la connoissance de Dieu. Jesus-Christ qui les vouloit convertir parle d’enhaut à saint Paul, qui en devoit estre le docteur ; et par un miracle inoûï jusqu’alors, de persecuteur il le fait non seulement défenseur, mais zelé prédicateur de la foy : il luy découvre le secret profond de la vocation des gentils par la réprobation des juifs ingrats, qui se rendent de plus en plus indignes de l’evangile. Saint Paul tend les mains aux gentils : il traite avec une force merveilleuse ces importantes questions,... etc. Il prouve l’affirmative par Moïse, et par les prophetes, et appelle les idolatres à la connoissance de Dieu, au nom de Jesus-Christ ressuscité. Ils se convertissent en foule : saint Paul fait voir que leur vocation est un effet de la grace, qui ne distingue plus ni juifs ni gentils. La fureur et la jalousie transporte les juifs ; ils font des complots terribles contre saint Paul, outrez principalement de ce qu’il presche les gentils, et les amene au vray Dieu : ils le livrent enfin aux romains, comme ils leur avoient livré Jesus-Christ. Tout l’empire s’émeut contre l’eglise naissante, et Neron persecuteur de tout le genre humain, fut le premier persecuteur des fideles. Ce tyran fait mourir saint Pierre et saint Paul. Rome est consacrée par leur sang ; et le martyre de saint Pierre prince des apostres établit dans la capitale de l’empire le siege principal de la religion. Cependant le temps approchoit où la vengeance divine devoit éclater sur les juifs impenitens : le desordre se met parmi eux ; un faux zele les aveugle, et les rend odieux à tous les hommes ; leurs faux prophetes les enchantent par les promesses d’un regne imaginaire. Séduits par leurs tromperies, ils ne peuvent plus souffrir aucun empire legitime, et ne donnent aucunes bornes à leurs attentats. Dieu les livre au sens réprouvé. Ils se révoltent contre les romains qui les accablent ; Tite mesme qui les ruine, reconnoist qu’il ne fait que prester sa main à Dieu irrité contre eux . Adrien acheve de les exterminer. Ils perissent avec toutes les marques de la vengeance divine : chassez de leur terre, et esclaves par tout l’univers, ils n’ont plus ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni païs, et on ne voit en Juda aucune forme de peuple.

Dieu cependant avoit pourveû à l’éternité de son culte : les gentils ouvrent les yeux, et s’unissent en esprit aux juifs convertis. Ils entrent par ce moyen dans la race d’Abraham, et devenus ses enfans par la foy, ils heritent des promesses qui luy avoient esté faites. Un nouveau peuple se forme, et le nouveau sacrifice tant célebré par les prophetes commence à s’offrir par toute la terre. Ainsi fut accompli de point en point l’ancien oracle de Jacob : Juda est multiplié dés le commencement plus que tous ses freres ; et ayant toûjours conservé une certaine prééminence, il reçoit enfin la royauté comme heréditaire. Dans la suite, le peuple de Dieu est réduit à sa seule race ; et renfermé dans sa tribu, il prend son nom. En Juda se continuë ce grand peuple promis à Abraham, à Isaac et à Jacob ; en luy se perpetuënt les autres promesses, le culte de Dieu, le temple, les sacrifices, la possession de la terre promise qui ne s’appelle plus que la Judée. Malgré leurs divers estats, les juifs demeurent toûjours en corps de peuple reglé et de royaume, usant de ses loix. On y voit naistre toûjours ou des rois, ou des magistrats et des juges, jusqu’à ce que le messie vienne : il vient, et le royaume de Juda peu à peu tombe en ruine. Il est détruit tout à fait, et le peuple juif est chassé sans esperance de la terre de ses peres. Le messie devient l’attente des nations, et il regne sur un nouveau peuple.

Mais pour garder la succession et la continuité, il falloit que ce nouveau peuple fust enté pour ainsi dire sur le premier, et comme dit saint Paul, l’olivier sauvage sur le franc olivier, afin de participer à sa bonne seve . Aussi est-il arrivé que l’eglise établie premierement parmi les juifs, a receû enfin les gentils pour faire avec eux un mesme arbre, un mesme corps, un mesme peuple, et les rendre participans de ses graces et de ses promesses.

Ce qui arrive aprés cela aux juifs incredules sous Vespasien et sous Tite, ne regarde plus la suite du peuple de Dieu. C’est un chastiment des rebelles, qui par leur infidelité envers la semence promise à Abraham et à David, ne sont plus juifs, ni fils d’Abraham que selon la chair, et renoncent à la promesse par laquelle les nations devoient estre benies.

Ainsi cette derniere et épouvantable desolation des juifs n’est plus une transmigration, comme celle de Babylone ; ce n’est pas une suspension du gouvernement et de l’estat du peuple de Dieu, ni du service solennel de la religion : le nouveau peuple déja formé et continué avec l’ancien en Jesus-Christ n’est pas transporté ; il s’étend, et se dilate sans interruption depuis Jerusalem où il devoit naistre jusqu’aux extrémitez de la terre. Les gentils aggregez aux juifs deviennent d’oresnavant les vrais juifs, le vray royaume de Juda opposé à cét Israël schismatique et retranché du peuple de Dieu, le vray royaume de David par l’obéïssance qu’ils rendent aux loix et à l’evangile de Jesus-Christ fils de David. Aprés l’établissement de ce nouveau royaume, il ne faut pas s’étonner si tout perit dans la Judée. Le second temple ne servoit plus de rien depuis que le messie y eût accompli ce qui estoit marqué par les propheties. Ce temple avoit eû la gloire qui luy estoit promise, quand le desiré des nations y estoit venu. La Jérusalem visible avoit fait ce qui luy restoit à faire, puis que l’eglise y avoit pris sa naissance, et que de là elle étendoit tous les jours ses branches par toute la terre. La Judée n’est plus rien à Dieu ni à la religion, non plus que les juifs ; et il est juste qu’en punition de leur endurcissement, leurs ruines soient dispersées par toute la terre.

C’est ce qui leur devoit arriver au temps du messie selon Jacob, selon Daniel, selon Zacharie, et selon tous leurs prophetes : mais comme ils doivent revenir un jour à ce messie qu’ils ont méconnu, et que le dieu d’Abraham n’a pas encore épuisé ses misericordes sur la race quoy-qu’infidele de ce patriarche, il a trouvé un moyen, dont il n’y a dans le monde que ce seul exemple, de conserver les juifs hors de leur païs et dans leur ruine plus long-temps mesme que les peuples qui les ont vaincus. On ne voit plus aucun reste ni des anciens assyriens, ni des anciens medes, ni des anciens perses, ni des anciens grecs, ni mesme des anciens romains. La trace s’en est perduë, et ils se sont confondus avec d’autres peuples. Les juifs qui ont esté la proye de ces anciennes nations si célebres dans les histoires, leur ont survescu, et Dieu en les conservant nous tient en attente de ce qu’il veut faire encore des malheureux restes d’un peuple autrefois si favorisé. Cependant leur endurcissement sert au salut des gentils, et leur donne cét avantage de trouver en des mains non suspectes les ecritures qui ont prédit Jesus-Christ et ses mysteres. Nous voyons entre autres choses dans ces ecritures, et l’aveuglement et les malheurs des juifs qui les conservent si soigneusement. Ainsi nous profitons de leur disgrace : leur infidelité fait un des fondemens de nostre foy ; ils nous apprennent à craindre Dieu, et nous sont un spectacle éternel des jugemens qu’il exerce sur ses enfans ingrats, afin que nous apprenions à ne nous point glorifier des graces faites à nos peres. Un mystere si merveilleux et si utile à l’instruction du genre humain merite bien d’estre consideré. Mais nous n’avons pas besoin des discours humains pour l’entendre : le Saint Esprit a pris soin de nous l’expliquer par la bouche de saint Paul, et je vous prie d’écouter ce que cét apostre en a écrit aux romains. Aprés avoir parlé du petit nombre de juifs qui avoit receû l’evangile, et de l’aveuglement des autres, il entre dans une profonde considération de ce que doit devenir un peuple honoré de tant de graces, et nous découvre tout ensemble le profit que nous tirons de leur chute, et les fruits que produira un jour leur conversion. les juifs sont-ils donc tombez, dit-il, pour ne se relever jamais ? ... etc. qui ne trembleroit en écoutant ces paroles de l’apostre ? Pouvons-nous n’estre pas épouvantez de la vengeance qui éclate depuis tant de siecles si terriblement sur les juifs, puis que saint Paul nous avertit de la part de Dieu que nostre ingratitude nous attirera un semblable traitement ? Mais écoutons la suite de ce grand mystere. L’apostre continuë à parler aux gentils convertis... etc. Icy l’apostre s’éleve au dessus de tout ce qu’il vient de dire, et entrant dans les profondeurs des conseils de Dieu, il poursuit ainsi son discours... etc.

Ce passage d’Isaïe, que saint Paul cite icy selon les septante comme il avoit accoustumé à cause que leur version estoit connuë par toute la terre, est encore plus fort dans l’original, et pris dans toute sa suite. Car le prophete y prédit avant toutes choses la conversion des gentils par ces paroles : ceux d’Occident craindront le nom du Seigneur, et ceux d’Orient verront sa gloire . En suite sous la figure d’un fleuve rapide poussé par un vent impetueux , Isaïe voit de loin les persecutions qui feront croistre l’eglise. Enfin le Saint Esprit luy apprend ce que deviendront les juifs, et luy déclare,... etc. Il nous fait donc voir clairement, qu’aprés la conversion des gentils, le sauveur que Sion avoit méconnu, et que les enfans de Jacob avoient rejetté, se tournera vers eux, effacera leurs pechez, et leur rendra l’intelligence des propheties qu’ils auront perduë durant un long-temps, pour passer successivement, et de main en main dans toute la posterité, et n’estre plus oubliée.

Ainsi les juifs reviendront un jour, et ils reviendront pour ne s’égarer jamais ; mais ils ne reviendront qu’aprés que l’Orient et l’Occident , c’est à dire tout l’univers, auront esté remplis de la crainte et de la connoissance de Dieu.

Le Saint Esprit fait voir à saint Paul, que ce bienheureux retour des juifs sera l’effet de l’amour que Dieu a eû pour leurs peres. C’est pourquoy il acheve ainsi son raisonnement. quant à l’evangile, dit-il que nous vous preschons maintenant,... etc.

Voilà ce que dit saint Paul sur l’élection des juifs, sur leur chute, sur leur retour, et enfin sur la conversion des gentils, qui sont appellez pour tenir leur place, et pour les ramener à la fin des siecles à la benediction promise à leurs peres, c’est à dire au Christ qu’ils ont renié. Ce grand apostre nous fait voir la grace qui passe de peuple en peuple pour tenir tous les peuples dans la crainte de la perdre ; et nous en montre la force invincible, en ce qu’aprés avoir converti les idolatres, elle se réserve pour dernier ouvrage de convaincre l’endurcissement et la perfidie judaïque.

Par ce profond conseil de Dieu les juifs subsistent encore au milieu des nations, où ils sont dispersez et captifs : mais ils subsistent avec le caractere de leur réprobation, décheûs visiblement par leur infidelité des promesses faites à leurs peres, bannis de la terre promise, n’ayant mesme aucune terre à cultiver, esclaves par tout où ils sont, sans honneur, sans liberté, sans aucune figure de peuple.

Ils sont tombez en cét estat trente huit-ans aprés qu’ils ont eû crucifié Jesus-Christ, et aprés avoir employé à persecuter ses disciples le temps qui leur avoit esté laissé pour se reconnoistre. Mais pendant que l’ancien peuple est réprouvé pour son infidelité, le nouveau peuple s’augmente tous les jours parmi les gentils : l’alliance autrefois faite avec Abraham s’étend selon la promesse à tous les peuples du monde qui avoient oublié Dieu : l’eglise chrestienne appelle à luy tous les hommes ; et tranquille durant plusieurs siecles, parmi des persecutions inoûïes, elle leur montre à ne point attendre leur felicité sur la terre. C’estoit là, monseigneur, le plus digne fruit de la connoissance de Dieu, et l’effet de cete grande benediction que le monde devoit attendre par Jesus-Christ. Elle alloit se répandant tous les jours de famille en famille, et de peuple en peuple : les hommes ouvroient les yeux de plus en plus pour connoistre l’aveuglement où l’idolatrie les avoit plongez ; et malgré toute la puissance romaine on voyoit les chrestiens sans révolte, sans faire aucun trouble, et seulement en souffrant toute sorte d’inhumanitez, changer la face du monde, et s’étendre par tout l’univers.

La promptitude inoûïe avec laquelle se fit ce grand changement, est un miracle visible. Jesus-Christ avoit prédit que son evangile seroit bientost presché par toute la terre : cette merveille devoit arriver incontinent aprés sa mort ; et il avoit dit, qu’aprés qu’on l’auroit élevé de terre, c’est à dire qu’on l’auroit attaché à la croix, il attireroit à luy toutes choses . Ses apostres n’avoient pas encore achevé leur course, et Saint Paul disoit déja aux romains, que leur foy estoit annoncée dans tout le monde . Il disoit aux colossiens que l’evangile estoit oûï de toute créature qui estoit sous le ciel ; qu’il estoit presché, qu’il fructifioit, qu’il croissoit par tout l’univers . Une tradition constante nous apprend que Saint Thomas le porta aux Indes, et les autres en d’autres païs éloignez. Mais on n’a pas besoin des histoires pour confirmer cette verité : l’effet parle, et on voit assez avec combien de raison Saint Paul applique aux apostres ce passage du psalmiste, etc. Sous leurs disciples il n’y avoit presque plus de païs si reculé et si inconnu où l’evangile n’eust penetré. Cent ans aprés Jesus-Christ, Saint Justin comptoit déja parmi les fideles beaucoup de nations sauvages, et jusqu’à ces peuples vagabonds qui erroient deçà et delà sur des chariots sans avoir de demeure fixe. Ce n’estoit point une vaine exageration ; c’estoit un fait constant et notoire, qu’il avançoit en presence des empereurs, et à la face de tout l’univers. Saint Irenée vient un peu aprés, et on voit croistre le dénombrement qui se faisoit des eglises. Leur concorde estoit admirable : ce qu’on croyoit dans les Gaules, dans les Espagnes, dans la Germanie, on le croyoit dans l’Egypte et dans l’Orient ; et comme il n’y avoit qu’un mesme soleil etc.

si peu qu’on avance, on est étonné des progrés qu’on voit. Au milieu du troisiéme siecle, Tertullien et Origene font voir dans l’eglise des peuples entiers qu’un peu devant on n’y mettoit pas. Ceux qu’Origene exceptoit, qui estoient les plus éloignez du monde connu, y sont mis un peu aprés par Arnobe. Que pouvoit avoir veû le monde pour se rendre si promptement à Jesus-Christ ? S’il a veû des miracles, Dieu s’est meslé visiblement dans cét ouvrage ; et s’il se pouvoit faire qu’il n’en eust pas veû, ne seroit-ce pas un nouveau miracle plus grand et plus incroyable que ceux qu’on ne veut pas croire, d’avoir converti le monde sans miracle, d’avoir fait entrer tant d’ignorans dans des mysteres si hauts, d’avoir inspiré à tant de sçavans une humble soumission, et d’avoir persuadé tant de choses incroyables à des incredules ?

Mais le miracle des miracles, si je puis parler de la sorte, c’est qu’avec la foy des mysteres, les vertus les plus éminentes, et les pratiques les plus penibles se sont répanduës par toute la terre. Les disciples de Jesus-Christ l’ont suivi dans les voyes les plus difficiles. Souffrir tout pour la verité, a esté parmi ses enfans un exercice ordinaire ; et pour imiter leur sauveur ils ont couru aux tourmens avec plus d’ardeur que les autres n’ont fait aux délices. On ne peut compter les exemples ni des riches qui se sont appauvris pour aider les pauvres, ni des pauvres qui ont préferé la pauvreté aux richesses, ni des vierges qui ont imité sur la terre la vie des anges, ni des pasteurs charitables qui se sont fait tout à tous, toûjours prests à donner à leur troupeau non seulement leurs veilles et leurs travaux, mais leurs propres vies. Que diray-je de la penitence et de la mortification ? Les juges n’exercent pas plus severement la justice sur les criminels, que les pecheurs penitens l’ont exercée sur eux-mesmes. Bien plus, les innocens ont puni en eux avec une rigueur incroyable cette pente prodigieuse que nous avons au peché. La vie de Saint Jean Baptiste qui parut si surprenante aux juifs, est devenuë commune parmi les fideles ; les deserts ont esté peuplez de ses imitateurs ; et il y a eû tant de solitaires, que des solitaires plus parfaits ont esté contraints de chercher des solitudes plus profondes, tant on a fuy le monde, tant la vie contemplative a esté goustée.

Tels estoient les fruits précieux que devoit produire l’evangile. L’eglise n’est pas moins riche en exemples qu’en préceptes, et sa doctrine a paru sainte, en produisant une infinité de saints. Dieu qui sçait que les plus fortes vertus naissent parmi les souffrances, l’a fondée par le martyre, et l’a tenuë durant trois cens ans dans cét estat, sans qu’elle eust un seul moment pour se reposer. Aprés qu’il eût fait voir par une si longue experience qu’il n’avoit pas besoin du secours humain ni des puissances de la terre pour établir son eglise, il y appella enfin les empereurs, et fit du grand Constantin un protecteur déclaré du christianisme. Depuis ce temps les rois ont accouru de toutes parts à l’eglise ; et tout ce qui estoit écrit dans les propheties touchant sa gloire future, s’est accompli aux yeux de toute la terre. Que si elle a esté invincible contre les efforts du dehors, elle ne l’est pas moins contre les divisions intestines. Ces héresies tant prédites par Jesus-Christ et par ses apostres sont arrivées, et la foy persecutée par les empereurs souffroit en mesme temps des héretiques une persecution plus dangereuse. Mais cette persecution n’a jamais esté plus violente que dans le temps où l’on vit cesser celle des payens. L’enfer fit alors ses plus grands efforts pour détruire par elle-mesme cette eglise que les attaques de ses ennemis déclarez avoit affermie. A peine commençoit-elle à respirer par la paix que luy donna Constantin ; et voilà qu’Arius ce malheureux prestre luy suscite de plus grands troubles qu’elle n’en avoit jamais soufferts. Constance fils de Constantin, séduit par les ariens dont il autorise le dogme, tourmente les catholiques par toute la terre, nouveau persécuteur du christianisme, et d’autant plus redoutable, que sous le nom de Jesus-Christ il fait la guerre à Jesus-Christ mesme. Pour comble de malheurs, l’eglise ainsi divisée tombe entre les mains de Julien L’Apostat qui met tout en oeuvre pour détruire le christianisme, et n’en trouve point de meilleur moyen que de fomenter les factions dont il estoit dechiré. Aprés luy vient un Valens autant attaché aux ariens que Constance, mais plus violent. D’autres empereurs protegent d’autres héresies avec une pareille fureur. L’eglise apprend par tant d’experiences, qu’elle n’a pas moins à souffrir sous les empereurs chrestiens qu’elle avoit souffert sous les empereurs infideles ; et qu’elle doit verser du sang pour défendre non seulement tout le corps de sa doctrine, mais encore chaque article particulier. En effet, il n’y en a aucun qu’elle n’ait veû attaqué par ses enfans. Mille sectes et mille héresies sorties de son sein se sont élevées contre elle. Mais si elle les a veû s’élever selon les prédictions de Jesus-Christ, elle les a veû tomber toutes selon ses promesses, quoy-que souvent soustenuës par les empereurs et par les rois. Ses veritables enfans ont esté, comme dit Saint Paul, reconnus par cette épreuve ; la verité n’a fait que se fortifier quand elle a esté contestée, et l’eglise est demeurée inébranlable.