Discussion:Physiologie du ridicule
Ajouter un sujetÉditions[modifier]
- 1833 Physiologie du ridicule, ou Suite d'observations par une société de gens ridicules, 2 tomes, [1]
Statistiques[modifier]
- Environ 45000 mots (soit 3 heures de lecture à 250 mots/mn)
Critiques[modifier]
- Le Pays [2] repris dans Les Bas-bleus/3
FEUILLETON DU PAYS. — 29 DÉCEMBRE 1863.
BIBLIOGRAPHIE.
(Réimpression.)
OEUVRES COMPLÈTES DE MADAME SOPHIE GAY :
La Physiologie du Ridicule.
(Chez Michel Lévy.)
I.
On vient de faire, à Mme Sophie Gay l’honneur d’une réimpression de ses œuvres complètes. Serait-ce M. Émile de Girardin qui, par piété filiale, aurait élevé à la mémoire de son ancienne belle-mère ce monument définitif et… inutile ? Je doute fort, en effet, que la postérité, même celle-là qui commence, pour chacun de nous, à quatre pas de la tombe, s’occupe beaucoup de Mme Sophie Gay, dont le nom serait déjà oublié, si, sous ce nom, Mme Émile de Girardin n’avait commencé sa renommée.
Mme Sophie Gay, comme Mme Necker, qui certainement valait mieux qu’elle, sera tuée par sa fille, — une moins puissante matricide, il est vrai, que Mme de Staël, mais dont l’éclat de talent a été suffisant pour effacer entièrement sa mère. On se rappellera qu’elle le fut, et l’Histoire littéraire ajoutera que sa fille fut son meilleur ouvrage. Mais quant aux autres, à ceux-là qu’on republie aujourd’hui, je ne pense pas que l’avenir s’en soucie beaucoup, et l ’avenir, en ce moment, commence, car, excepté moi, parmi critiques contemporains, qui songe à signaler cette réimpression des œuvres complètes de Mme Gay et à dire sur elle ce mot suprême après lequel on ne dit plus rien, et qui est à une renommée ce que le dernier clou qu’on y plante est à un cercueil ?
C’est que le talent de cette femme lui a eu sa minute de célébrité ne fut pas assez grand pour l’arracher à cette triste et vulgaire condition de bas-bleu, dans laquelle reste toute femme, égarée dans les lettres, qui n’a nettement du génie. Je ne serai pas plus dur que l’histoire qui l’atteste, en affirmant qu’il ne faut rien moins que du génie pour qu’une femme se fonde une réputation durable, en écrivant. Prenez-les toutes, si vous voulez, celles qu’on ne lit plus, depuis Mlle de Scudéry, qui écrivait des romans, jusqu’à Mme Barbié du Bocage, qui écrivit un poëme épique, les femmes, même avec de l’esprit et du talent, n’arrivent jamais à des succès qui ddurent et c’est une justice de la destinée, car les femmes n’ont pas été mises dans le monde pour y faire ce que nous y faisons.
Quand l’homme y fait l’ange, il y fait la bête, dit ce brutal de Pascal, mais, lorsque la femme y fait l’homme, cela suffit, à ce qu’il paraît, pour arriver au même résultat. Faire l’ange lui siérait beaucoup mieux. Pour qui une femme ne l’a-t-elle pas été au moins une fois dans sa vie ?… Or, le génie, qui peut presque légitimer ce désordre d’une femme qui se jette dans l’abîme de la littérature, ce génie au nom seul duquel on peut remettre à la femme son péché, — son péché d’écrire, mortel à sa nature et à sa fonction sociale ? — Mme Sophie Gay, — il faut bien en convenir, — ne l’avait point. Elle n’était qu’une femme d’esprit, très-inférieure, — par cela même qu’elle écrivait, — à une foule de femmes d’esprit de son temps qui n’écrivaient pas.
En se travaillant immensément, en se tortillant, en se donnant beaucoup de courbatures, Mme Sophie Gay, qui pouvait rester une femme du monde spirituelle, était parvenue à faire de son esprit je ne sais quel talent, sans naturel, sans originalité et sans grâce. Quoiqu’elle ait écrit bien davantage, elle était au fond très au dessous de Mmes de Flahaut et de Duras, ses contemporaines, que les jeunes gens du temps, dans de jeunes journaux, ont appelées des femmes de gén¡e, mais dont les œuvres, quand on les relit (et qui les relit ?), font l’effet maintenant de ces roses qu’on a mises entre les pages d’un livre et qu’on y retrouve aplaties, jaunies, n’offrant plus qu’un squelette de rose avec une odeur de mort… de rose… il est vrai… mais de mort.
Elle avait toujours eu, je crois, le tort de n’être pas jolie. Pour une femme, un pareil tort mène à tout. Qui sait ? Peut-être de deseSpoif se lança-t-elle dans la littérature, qui fut pour elle, hélas ! ce qu’elle est pour la plupart des femmes, une occasion de conversation, de commérages et de coterie, car jamais les femmes n’ont rien compris à la grande littérature solitaire. En province où elle vécut d’abord, à Paris où elle vint plus tard, elle n’aspira jamais qu’à être la Philaminte d’un cercle mieux composé que celui des Femmes savantes, et dont les Vadius et les Trissotin ne furent rien moins que Soumet, alors dans toute sa gloire, Soumet, sur le corps de qui ont passé Lamartine et Victor Hugo, Guiraud, Émile Deschamps et le marquis de Custine, un grand artiste à peu près inconnu, très-grand seigneur avec la gloire qu’il n’a pas courtisée, et dont le marquis de Foudras, l’héritier de son immense fortune, oublie de publier les oeuvres complètes, quand on imprime celles de Mme Gay !
Donner à causer (on causait alors), lire ses romans à ses intimes, recevoir dans sa loge à l’Opéra les littérateurs qui, à Paris, sont toujours un peu femmes et qui aiment à se montrer à leur public ; un soir exhiber dans son salon le jeune Victor Hugo, l’enfant du genie, qui a commencé (ce qui n’est ni très-poétique ni très-sauvage) par des succès de société, comme M. Ponsard ; un autre soir exhiber sa fille, sa magnifique topaze blonde, le bijou de cette Cornélie de lettres, telle fut la portion la plus brillante de la vie littéraire de Mme Sophie Gay. Depuis on en a vu une autre… En 1848, on remarquait aux dîners de M. qe Lamartine une vieille femmes aux Bonnets impossibles, à la voix haute et rude, qui exhalait la plus rabelaisienne des odeurs, et jurait comme un capitaine de corsaire. L’élégant bas lilas de 1826 s’était foncé et était devenu ce vieux bas-bleu, frondeur et grotesque, mais c’est là l’essence du bas-bleuisme que de tuer le sexe dans la femme pour sa punition d’avoir voulu singer l’homme, et finalement de lui faire prendre la grossièreté pour de la force et le cynisme pour de la virilité !
II.
Ainsi un bas-bleu, une commère de lettres, voilà ce que fut Mme Sophie Gay toute sa vie. En réalité, rien de plus ! Elle mérita plus que personne, parmi les remueuses de plumes de son temps, ce nom de Bas-bleu dont l’Angleterre la première a chaussé ses femmes-auteurs, et que la France, qui aime l’uniforme, n’a pas manqué d’adopter pour les siennes. Elle fut un Bas bleu, c’est-à-dire avant tout une affectation littéraire. Sa fille, Mme de Girardin, qui, en faisant comme un homme, et même comme un homme médiocre, des romans et des tragédies, eut le tort d’emprisonner ses jambes de déesse dans cet affreux bas qui botta si hermétiquement celles de sa mère, Mme de Girardin a du moins jeté quelques cris passionnés du cœur dans quelques beaux vers et fait un vrai livre de femme par lequel elle vivra, parce que c’est un livre de femme, pur de tout bleuisme.
Elle écrivit ces feuilletons charmants du vicomte de Launay, chef-d’œuvre de la légèreté féminine, qui est pour le dix-neuvième siècle ce que les lettres de Mme de Sévigné sont pour le dix-septième, mais Mme Sophie Gay n’eut pas un pareil bonheur... Mme Sophie Gay, qui a fait une montagne de romans que je ne conseillerai à personne de gravir, et dans lesquels je retrouve, ensemble ou tour à tour, les influences, déteintes et mélangées, de Picard, de Droz, de Senancourt, et surtout de Mme de Genlis, non pour la raison, que Mme de Genlis avait, mais pour l’agrément, que Mme de Genlis n’avait pas, Mme Sophie Gay a, comme sa fille, voulu une fois faire son livre de femme, — un livre dans lequel la prétention virile et l’imitation des littérateurs de son temps qui avaient eu du succès, — ces deux choses qui constituent le bas-bleuisme, — pouvaient n’être absolument pour rien, et ce livre, dont le titre frappe au milieu des autres titres de ses œuvres (la Physiologie du Ridicule), prouve au contraire combien chez Mme Gay le Bas-bleu avait rongé la femme, et combien elle était peu propre à traiter un sujet qui demandait plus qu’aucun autre les qualités naturels à la femme, c’est-à-dire de la grâce sincère et, à force de finesse, de la profondeur. Un livre sur le ridicule est, en effet, un ouvrage de femme tout autant qu’une broderie au tambour. Il n’y a qu’une femme qui ait assez de pointe d aiguille ou d’épingle dans l’esprit pour toucher, aux endroits qu’il faut, ce sujet trop fin pour les gros doigts de l’homme, et c’est surtout ici que le sexe de l’auteur est nécessaire au sujet et à la valeur des aperçus.
III.
Eh bien ! le bas-bleu qu’elle était le manqua, ce sujet de femme ! Elle ne se
Vocabulaire, orthographe[modifier]
- les aristarques du foyer de l’Opéra
- assiége, protége, complétement, piége, manége, siége, cortége
- remercîment, dénoûments
- poëme, poëte
- trépignemens
- grand’peur
- comprometteront
- berret
- — C’est par trop ridicule, disait-elle ; on nous bafouera : jamais je ne monterai dans un tel brelingo. => Entre brelingue et berlingot
- rout => variante de raout qui est aussi utilisé dans le livre, corrigé