Documents inédits sur Alfred de Musset/Alfred de Musset et George Sand

La bibliothèque libre.

Dans des stances burlesques fort connues, le Songe du Reviewer ou Buloz consterné, Musset chante les rédacteurs de la Revue des Deux-Mondes :

George Sand est abbesse
Dans un pays lointain ;
Fontaney sert la messe
A Saint Thomas d’Aquin ;
Fournier, aux inodores,
Présente le papier,
Et quatre métaphores
Ont étouffé Barbier.

Cette nuit, Lacordaire
A tué de Vigny ;
Lherminier veut se faire
Grotesque à Franconi ;
Planche est gendarme en Chine ;
Magnin vend de l’onguent ;
Le monde est en ruine :
Bonnaire est sans argent !!![1]

Dans une autre pièce de vers, demeurée inédite, Alfred décrit familièrement les soirées de son amie :

George est dans sa chambrette,
Entre deux pots de fleurs,

Fumant sa cigarette,
Les yeux baignés de pleurs.

Buloz, assis par terre,
Lui fait de doux serments ;
Solange, par derrière,
Gribouille ses romans.

Planté comme une borne,
Boucoiran[2] tout crotté
Contemple d’un œil morne
Musset tout débraillé.


Dans le plus grand silence
Paul se versant du thé
Écoute l’éloquence
De Menard tout crotté.

Planche, saoul de la veille,
Est assis dans un coin
Et se cure l’oreille
Avec le plus grand soin.

La mère Lacouture[3]
Accroupie au foyer
Renverse une friture
Et casse un saladier.

De colère pieuse,
Gueroult tout palpitant
Se plaint d’une dent creuse
Et des vices du temps.

Pâle et mélancolique
D’un air mystérieux
Papet[4] pris de colique
Demande où sont les lieux.

Débraillé ou non, Musset dessine sur un album la charge des habitués de la maison, Rollinat, Gueroult, Mérimée, Dumas « charpentant un viol », Sainte-Beuve, qu’il appelle le « bedeau du temple de Gnide », Buloz, et, après beaucoup d’autres, lui-même, en « ballade à la lune », en « Don Juan allant emprunter dix sous », en « poète chevelu »[5], et, pour se faire pardonner ses caricatures, essaye un portrait plus sérieux de Lelia :

« Mon cher George,

« Vos beaux yeux noirs que j’ai outragés hier m’ont trotté dans la tête ce matin. Je vous envoyé cette ébauche, toute laide qu’elle est, par curiosité, pour voir si vos amis la reconnaîtront et si vous la reconnaîtrez vous-même.

« Good night. — I am gloomy to-day.

« ALFD DE MUSSET. »

A la fin du mois d’août, ils sont amants[6]. Leur vie, durant cette période, est semblable à celle des peuples heureux et n’a pas d’histoire. Il suffit, à la rigueur, de lire ce qui est publié de la correspondance de George Sand et de Sainte-Beuve, dans le tome I des Portraits contemporains, édition de 1888, et ce que Paul de Musset raconte dans la Biographie de son frère. On devine le reste. On nous permettra de ne pas les suivre avant leur voyage en Italie.


I

VOYAGE EN ITALIE

Le 12 décembre 1833, dans la soirée, Paul de Musset conduisit les deux voyageurs jusqu’à la malle-poste. Ils s’arrêtèrent à Lyon, où ils rencontrèrent Stendhal ; à Avignon, Marseille[7], Gênes, et le 28 se trouvaient à Florence. Ce fut probablement pendant le court séjour qu’ils y firent qu’Alfred de Musset entreprit des recherches sur quelques-uns de ses ancêtres[8] et trouva ce fragment du livre XV des Chroniques Florentines qui lui fournit le sujet de Lorenzaccio.

De cette ville, les dates précises nous sont fournies par le passeport d’Alfred de Musset :

Firenze, 28 Dic. 1833. Visto alla Legazione d’Austria per Venezia.

Firenze, 28 Dic. 1833. Visto buono per Bologna et Venezia. — G. Molinari.

Visto, buono per Bologna — Dellaca, 29 dicembre 1833.

Bologna, 29 Dic. 1833. Per la continuazione del suo viaggio via di Ferrara.

Francolino. 30 Dic. 1833. Visto sortire.

Rovigo, 30 Dic. 1833. Buono per Padova.

Vu au Consulat de France à Venise. Bon pour séjour. Venise, te 19 janvier 1834. — Le consul de France : Silvestre de Sacy.

Les divers incidents du voyage, qui, du reste, n’ont rien de particulier, sont racontés par George Sand dans son Histoire de ma vie, et par Paul de Musset dans la Biographie de son frère. Alfred de Musset en a même consigné quelques épisodes sur un petit carnet de voyage, dessins faits à la hâte, mais qui représentent bien ce qu’ils veulent peindre : ce sont d’abord un vieux monsieur et une vieille dame, types de provinciaux probablement aperçus à travers les vitres d’une portière de diligence. Plus loin, un marchand de bibelots offre sa pacotille à nos deux voyageurs dont un troisième dessin nous donne les portraits. Ce sont ensuite la douane de Gênes, et, sur le bateau, la rencontre d’un voyageur trop bavard. Puis vient Stendhal, à Pont-Saint-Esprit : « Il fut là d’une gaieté folle, dit George Sand, se grisa raisonnablement, et dansant autour de la table avec ses grosses bottes fourrées »[9] fit l’admiration de la servante d’auberge. Voici maintenant George Sand se masquant le bas de la figure avec son éventail ; un autre portrait de Stendhal ; une tête de vieillard avec cette légende : « Il dottor Rebizzo » ; et enfin, la dernière scène de la traversée : l’auteur, affalé sur le bord du bateau, paye son tribut à la mer, tandis que sa compagne fume gaillardement une cigarette : « Homo sum et nihil humani a me alienum puto »[10]. A cela vient se joindre un autre dessin, sur une feuille séparée, représentant « Il signor Mocenigo. »

A Gênes, George Sand avait senti les premières atteintes des fièvres du pays ; son état ne fit que s’aggraver dans la suite du voyage, elle arriva malade à Venise.

Les deux amants s’installèrent sur le quai des Esclavons, à l’hôtel Danieli, que tenait il signor Mocenigo. Jadis, lord Byron avait habité un palais sur le Grand Canal : « Aveva tutto il palazzo, lord Byron », leur dit leur hôte. Ce souvenir du poète anglais est demeuré si vivace chez Alfred de Musset, que huit ans plus tard, on le retrouve dans son Histoire d’un merle blanc[11] : « J’irai à Venise et je louerai sur les bords du Grand Canal, au milieu de cette cité féerique, le beau palais Mocenigo, qui coûte quatre livres dix sous par jour : là, je m’inspirerai de tous les souvenirs que l’auteur de Lara doit y avoir laissés ».

Les premiers temps de leur séjour furent calmes ; malgré son état maladif, George Sand accompagnait Musset, qui, tout en visitant la ville, prenait des notes sur les usages, sur les dénominations des lieux : nous avons de lui plusieurs pages d’adresses, de recettes culinaires, mots du dialecte vénitien, courtes notices sur des familles ou des noms célèbres à Venise, inscriptions copiées sur les monuments, tout cela pêle-mêle, au hasard des rencontres. Nous voyons là qu’ensemble ils visitèrent Chioggia, déjeunèrent au restaurant du Sauvage, à Venise, et se promenèrent dans les jardins de Saint Blaise, à la Zuecca :

A Saint Blaise, à la Zuecca,
Vous étiez, vous étiez bien aise,
    A Saint Blaise ;
A Saint Blaise, à la Zuecca,
Nous étions bien là !….[12]

C’est probablement pendant l’une de ces promenades qu’Alfred de Musset recueillit cette chanson italienne, retrouvée dans ses papiers, que l’on peut rapprocher de la Serenata du Dr Pagello, dont George Sand cite une version non signée dans sa Deuxième lettre d’un voyageur et que M. le vicomte de Spoelberch a publiée en entier[13] :

LE FOU

Lascia, lascia, il cimitero
Siedi tosto a me d’accanto.
Tra la la ! Quel loco e nero !
Vieni, vieni, io t’amo tanto !
Amor mio, vieni con me !
    Povero me !

Oh ! perche quel caro viso
Mi nascondi entro una fossa.
Tra la la ! Voglio il tuo riso,
E mi mostri ’sol quel ossa ?
Amor mio, vieni con me !
    Povero me !


Ecco l’sole e dormi ognora !
Sorgi su ! senti l’amante !
Tra la la ! Che si t’adora,
Che si strugge a te davante !
Amor mio, vieni con me
    Povero me !

Eri bella, ora sei brutta,
Fredda resti ai bacci miei !
Tra la la ! Se mia sei tutta !
Che mi fa che morta sei !
Amor mio, vieni con me !
   Povero me !

Traduction :

Quitte, quitte le cimetière — Assieds-toi vite auprès de moi — Tra la la ! Ce lieu est noir — Viens, viens, je t’aime tant ! — Mon amour, viens avec moi ! — Pauvre moi !

Oh ! pourquoi ce cher visage — Se cache-t-il dans une tombe ? — Tra la la ! je voudrais ton sourire ! — Pourquoi ne me montrer que tes os ? — Mon amour, viens avec moi ! — Pauvre moi !

Voici le soleil, et tu dors toujours ! — Allons, lève-toi, entends le bien aimé ! — Tra la la ! qui tellement t’adore — Qui fait tant d’efforts pour aller au-devant de toi — Mon amour, viens avec moi ! — Pauvre moi !

Tu étais belle ! A présent tu es laide ! — Tu restes froide à mes baisers ! — Tra la la ! Puisque tu es toute à moi — Que m’importe que tu sois morte ? — Mon amour, viens avec moi ! — Pauvre moi !

Mais bientôt George Sand dut garder la chambre et son ami continua seul ses excursions.

Alfred de Musset avait écrit plusieurs fois à sa mère depuis son départ : de Marseille, de Gênes, de Florence, puis de Venise. Les premières lettres parvinrent à leur adresse[14] ; mais vers la fin de janvier, les nouvelles cessèrent brusquement. Mme de Musset s’en plaignit à son fils :


« Paris, ce jeudi, 13 février 1834. « Il m’est impossible, mon cher enfant, de me rendre compte des motifs que tu peux avoir pour me laisser si longtemps sans nouvelles, après la promesse que tu m’avais faite de m’éviter au moins ce chagrin là. Tu connais ma facilité malheureuse à m’inquiéter ; si tu lui laisses un libre cours, je ne puis pas prévoir où elle me conduira. Ces jours derniers, Hermine[15] était malade, elle a pris un rhume en sortant d’un bal chez Mme Hennequin, qui nous avait invitées. Je veillais près d’elle et passais de longues nuits, que l’incertitude de ta position, de ta santé, rendaient bien tristes. Le matin, j’avais une fièvre nerveuse, la tête me tournait, il me semblait que j’allais devenir folle ; je pleurais, je marchais à grands pas dans ma chambre, cherchais quel moyen je pourrais imaginer pour me procurer de tes nouvelles. Enfin, j’ai supplié Paul[16], après plusieurs jours de cet état intolérable, d’aller voir Buloz et de savoir de lui si quelqu’un des amis de Mme Sand avait eu de ses nouvelles. Heureusement Buloz avait reçu une lettre de toi, datée du 27 janvier ; Paul m’a calmé le sang en me rapportant cette nouvelle. Je ne suis plus malade, mais je suis bien triste ; car il faut que tu aies des raisons pour me laisser dans une pareille inquiétude, si tu n’es pas malade, ce que cette lettre à Buloz ne prouve nullement, puisque je ne l’ai pas lue ; au moins, tu es ennuyé, lui-même l’a dit à Paul ; tu ne te plais plus à Venise, peut-être en es-tu parti ; je t’écris à tout hasard ; ma lettre ne te parviendra probablement pas, mais c’est le moindre de mes soucis. Je me soulage en t’écrivant ; il me semble au moins, pendant que je promène ma plume sur ce papier, que tu m’entends et que tu vas te hâter de soulager mon ennui en m’écrivant bien vite. Fais-le, mon bon fils, si cette lettre arrive jusqu’à toi et surmonte la paresse ou le malaise qui t’en a empêché depuis six semaines, car il y a réellement tout ce temps que je n’ai reçu un mot de toi. La dernière [lettre], qui m’a fait tant de plaisir, est datée du 6 janvier ; je l’ai relue bien des fois, mais maintenant je ne puis plus la relire, elle me fait mal, car cette phrase par laquelle tu la termines : « Ne crains pas, ma chère mère, il t’en coûtera des ports de lettres… » etc. : n’y a-t-il pas dans cette assurance de quoi faire naître les plus vives inquiétudes ? Car, qui peut te détourner d’une si bonne et si chère résolution, que des accidents graves ou un état d’abattement causé par la maladie ? Je sens, mon cher enfant, que si rien de tout cela n’existe, je vais l’ennuyer par mes doléances ; mais figure toi un peu ce que c’est que d’être à trois cents lieues de son fils chéri, et de ne savoir à quels saints se vouer pour savoir s’il existe ou s’il est mort, assassiné, noyé, que sais-je ? Il y a de quoi en perdre l’esprit et c’est ce que je fais.

« Nous avons passé un triste carnaval…. (Détails sur les bals où elle était invitée avec sa fille.)

« Je ne sais pas si tu as reçu les deux lettres que je t’ai adressées à Venise ? La première était adressée poste restante, à Venise ; la seconde, quai des Esclavons ou bureau restant. Mais j’avais mis sur l’adresse Monsieur de Musset sans le prénom d’Alfred ; je crains que si tu l’as été chercher on ne te l’ait pas donnée. Enfin je me persuade que tu n’as pas reçu mes lettres, puisque tu n’as répondu à aucune. Celle-ci sera-t-elle plus heureuse ? Cela est fort douteux. Fais réclamer les autres si on ne te les a pas encore données. Il faudrait y aller toi-même, car on ne les donne pas à d’autres qu’à la personne même à laquelle elles sont adressées.

« Mais cela est du bavardage, tu le sais aussi bien que moi.

« Je te quitte en t’embrassant bien tendrement ; ton frère et ta sœur en font autant, mais personne au monde ne t’aime comme

« Ta mère. »

Ce n’était ni la paresse ni la maladie qui empêchaient Alfred de Musset de donner de ses nouvelles ; il écrivait régulièrement et confiait ses lettres à un gondolier, nommé Francesco, pour les porter à la poste avec l’argent nécessaire à leur affranchissement : mais Francesco dépensait l’argent au cabaret et jetait la lettre à l’eau.

II

À VENISE

Il y avait un peu plus d’un mois que les deux amants étaient à Venise, quand éclata la crise terrible dont s’est ressentie leur vie entière : fatigué au physique et au moral par le voyage, affaibli par le climat, ennuyé de cette compagne toujours malade qui lui faisait si triste figure, Alfred de Musset devint nerveux, irritable, s’emportant à la moindre contradiction, au moindre obstacle ; George Sand, que la fièvre rendait non moins irascible et maussade, reçut mal ses observations ou ses doléances : de là ces querelles qui firent de leur chambre d’hôtel un enfer. Ce ne fut pas leur faute, il ne faut les accuser ni l’un ni l’autre : le milieu seul fut coupable. Et puis, sans vouloir en convenir avec eux-mêmes, ils commençaient malgré eux à sentir que leur beau rêve était irréalisable et que l’amour idéal ne se trouvait pas sur terre. C’est alors qu’Alfred de Musset fut à son tour atteint par la fièvre ; et dans l’état d’excitation où il vivait, le mal ne fit pas chez lui de lents progrès comme chez George Sand : il l’abattit d’un seul coup. George Sand éperdue, ne sachant où donner de la tête, manda par une lettre pressante[17] un jeune médecin, qui, peu de temps auparavant, l’avait soignée pour une migraine, le docteur Pierre Pagello :

«…E mi pregava di accorrer subito, e, se lo credessi opportuno, di condur meco un altro medico, per consultare, trattandosi d’un uomo di grande ingegno poetico e di un individuo che cio che di meglio amava sulla terra. Accorsi subito e mi associai al dottor Zuanon, valentissimo giovane e collega, assistente all’ospitale dei S.S. Giovanni e Paolo. Abbiamo diagnosticata la malattia per febbre tifoidea nervosa….. »[18].

«…Elle me priait de venir aussitôt, et, si je le jugeais opportun, d’amener avec moi un autre médecin pour une consultation ; il s’agissait d’un homme d’un grand génie poëtique, d’une personne qui était ce qu’elle aimait le mieux sur la terre. J’accourus de suite et m’adjoignis le docteur Zuanon, jeune homme fort remarquable et mon collègue, assistant à l’hôpital des Saints Jean et Paul. Nous avons diagnostiqué la maladie : une fièvre typhoïde nerveuse…. »

Pagello vint et remplaça avantageusement un vieux médecin qui, nous ne savons comment, se trouvait au chevet de Musset, dès le début de sa maladie, le docteur Rebizzo[19].

Pagello ordonna des compresses d’eau glacée et une potion calmante :

Aq. ceras nigr [Greek : x] ij
Laud. liquid. Sydn. gutt XX
Aq. coob. laur. ceras, gutt XV

Dr PAGELLO.

Autrement dit :

Eau de cerises noires 1 once, 2 gros.
Laudanum liquide de Sydenham 20 gouttes.
Eau distillée de laurier cerise 15 gouttes.

[Illustration : Fac-similé de l’Ordonnance du docteur Pagello.]

Pendant plus de huit jours, le poète fut soigné avec un admirable dévouement par George Sand et Pagello qui ne quittèrent pas son chevet :

«….Par instants les sons de leurs voix me paraissaient faibles et lointains ; par instants ils résonnaient dans ma tête avec un bruit insupportable. Je sentais des bouffées de froid monter du fond de mon lit, une vapeur glacée, comme il en sort d’une cave ou d’un tombeau, me pénétrer jusqu’à la moelle des os. Je conçus la pensée d’appeler, mais je ne l’essayai même pas, tant il y avait loin du siège de ma pensée aux organes qui auraient dû l’exprimer. A l’idée qu’on pouvait me croire mort et m’enterrer avec ce reste de vie réfugié dans mon cerveau, j’eus peur, et il me fut impossible d’en donner aucun signe. Par bonheur, une main, je ne sais laquelle, ôta de mon front une compresse d’eau froide que j’avais depuis plusieurs jours et je sentis un peu de chaleur. J’entendis mes deux gardiens se consulter sur mon état, ils n’espéraient plus me sauver……. »[20].

« Le 5 février, George Sand écrivait à Boucoiran : «…Je viens d’annoncer à Buloz l’état d’Alfred, qui est fort alarmant ce soir…… » Et le 8, au même : «…..La maladie suit son cours sans de trop mauvais symptômes, mais non pas sans symptômes alarmants…… Heureusement j’ai trouvé enfin un jeune médecin excellent, qui ne le quitte ni jour ni nuit et qui lui administre des remèdes d’un très bon effet…… Gardez toujours un silence absolu sur la maladie d’Alfred et recommandez le même silence à Buloz…… »

À des crises nerveuses d’une violence extrême, succédait cette léthargie qui ressemblait à la mort. Le neuvième ou le dixième jour, Musset, comme s’il sortait d’un rêve, ouvrit les yeux en poussant un léger cri, et reconnut les deux personnes présentes : «…..J’essayai alors de tourner ma tête sur l’oreiller et elle tourna. Pagello s’approcha de moi, me tâta le poulx et dit : « Il va mieux ; s’il continue ainsi, il est sauvé….. »[21]. Musset était hors de danger, en effet, mais il s’en fallait de beaucoup qu’il fût guéri : dans une lettre adressée à George Sand, datée du 4 avril 1834, il dit que cette crise a duré dix-huit jours.

Ici nous sommes obligé de toucher un point délicat : pendant cette période aiguë de sa maladie, Alfred de Musset a-t-il réellement vu ou s’est-il imaginé voir George Sand entre les bras de Pagello ?

Dans une relation datée de décembre 1852, écrite entièrement de sa main, Paul de Musset déclare que son frère lui a toujours dit l’avoir vue, pendant qu’il était étendu sur son lit de douleur, mais sans pouvoir préciser le moment : « En face de moi, je voyais une femme assise sur les genoux d’un homme, elle avait la tête renversée en arrière….. Je vis les deux personnes s’embrasser. » Et plus loin : « Le soir même ou le lendemain, Pagello s’apprêtait à sortir, lorsque George Sand lui dit de rester et lui offrit de prendre le thé avec elle….. En les regardant prendre leur thé, je m’aperçus qu’ils buvaient l’un après l’autre dans la même tasse. » Mais c’est Paul qui a écrit cela et non Alfred, et pas une ligne d’Alfred ne fait allusion à ce fait ; il reproche bien des choses à sa maîtresse, mais jamais cela.

Il ne nous paraît guère possible d’admettre que George Sand, épuisée par les veilles, malade elle-même, se soit donnée à un autre homme sous les yeux de celui qu’elle soignait avec un dévouement sans bornes. Toute sa vie, elle a protesté contre cela ; elle s’est défendue, non pas d’avoir été la maîtresse de Pagello, mais de l’être devenue dans les circonstances que voilà. — Je parle du fait matériel et non de la déclaration adressée par elle à Pagello et signalée par le docteur Cabanès. Le meilleur moyen de détruire cette légende, ne serait-il pas de publier la correspondance des deux amants ? Mais une correspondance complète, et non des lettres tronquées comme celles qui circulent sous main.

D’autre part, madame Tattet, lorsqu’elle me fit l’honneur de me recevoir, m’a déclaré que son mari lui avait toujours dit que c’était lui, Alfred Tattet, qui s’était aperçu de l’intimité existant entre G. Sand et le docteur, ce dont il avait averti Alfred de Musset déjà convalescent. Musset, qui n’avait jamais eu la moindre Vision au sens où l’entend son frère, entra dans une rage folle à cette nouvelle ; il voulut se lever pour tuer G. Sand et Pagello ; Tattet parvint à le calmer, et il se contenta de provoquer Pagello en duel. C’est à cela que G. Sand fait évidemment allusion dans la lettre qu’elle adressa le 24 août 1838 à Alfred Tattet : «…Je trouvais légitime que vous me préférassiez votre ami ; et, après tout, vous me rendiez un plus grand service que de me garder le secret, car vous l’empêchiez de se battre et je n’eusse pas voulu payer votre silence au prix de la moindre goutte de son sang…. » Enfin, G. Sand parvint à illusionner Alfred de Musset et à lui persuader que Tattet avait mal vu. Cela ne vous semble-t-il pas plus vraisemblable que le récit alambiqué de Paul de Musset ?

Cette même relation de Paul de Musset parle aussi d’une querelle survenue pendant la convalescence d’Alfred. Une nuit, Alfred surprit George écrivant sur ses genoux ; il voulut savoir ce qu’elle disait dans cette lettre et à qui elle l’adressait. George Sand refusa toute explication et plutôt que de lui remettre son papier, elle le lança par la fenêtre. Alfred de Musset fut convaincu par cela seul qu’elle écrivait à Pagello pour lui donner un rendez-vous. — Nous parlons toujours d’après Paul de Musset.

Dans une note jointe à une lettre d’Alfred de Musset, datée du 30 avril 1834, George Sand affirme qu’elle donnait simplement des nouvelles d’Alfred à Pagello et qu’elle ne voulut pas lui faire voir le billet parce qu’elle y parlait de folie : « Plus tard, elle consentit, à Paris, « à lui remettre cette fameuse lettre » ; car, Alfred de Musset parti, elle descendit aussitôt dans la rue où elle la retrouva.

Or, il y a, dans les papiers d’Alfred de Musset, une Canzonetta nuova supra l’Elisire d’Amore, qui répond en tous points à la pièce décrite par George Sand dans la note citée plus haut : c’est une sorte de placard de quatre pages, imprimé à Venise, sur mauvais papier, et qui se vendait quelques sous dans la rue. Au dos de cette romance, on lit cette phrase écrite, au crayon, par George Sand : « Egli e stato molto male questa notte, poveretto ! credeva si vedere fantasmi intorno al suo letto, e gridava sempre : Son matto, je deviens fou. Temo molto per la sua ragione. Bisogna sapere dal gondoliere se non ha bevuto vino di Cipro, nella gondola, ieri. Se forse ubri….. » C’est-à-dire : « Il s’est trouvé très mal cette nuit, le pauvre ! Il croyait voir des fantômes autour de son lit et criait sans cesse : Je suis fou, je deviens fou. Je crains beaucoup pour sa raison. Il faut savoir du gondolier s’il n’a pas bu du vin de Chypre, en gondole, hier. Si peut-être il était gris….. » George Sand ajoute : « La phrase devait probablement se terminer ainsi : S’il n’était que gris, cela ne serait pas si inquiétant. Il éprouvait un insurmontable besoin de relever ses forces par des excitants, et deux ou trois fois, malgré toutes les précautions, il réussit à boire en s’échappant, sous prétexte de promenade en gondole. Chaque fois, il eut des crises épouvantables, et il ne fallait pas en parler au médecin devant lui, car il s’emportait sérieusement contre ces révélations. »

On était alors aux premiers jours de mars ; un secours inattendu arriva aux malheureux voyageurs. M. Alfred Tattet visitait l’Italie, en compagnie d’une personne dont le nom fut célèbre au théâtre[22] ; il fit un détour pour venir voir à Venise son ami Alfred de Musset, qu’il croyait en bonne santé. Il le trouva revenant à la vie ; lui aussi se fit garde-malade et ils furent trois au lieu de deux :

«…J’ai tâché pendant mon séjour à Venise, écrivait-il à Sainte-Beuve, de procurer quelques distractions à Madame Dudevant, qui n’en pouvait plus ; la maladie d’Alfred l’avait beaucoup fatiguée. Je ne les ai quittés que lorsqu’il m’a été bien prouvé que l’un était tout à fait hors de danger et que l’autre était entièrement remise de ses longues veilles….. »[23].

Un billet de George Sand vient confirmer cette lettre :


« A Monsieur Alfred Tattet, hôtel de l’Europe.

« Alfred ne va pas mal ; nous irons au spectacle si vous voulez. Mais guérissez-vous de votre rhume et soignez-vous.

« Tout à vous.

« GEORGE. »

Dès qu’il avait pu le faire, Alfred de Musset avait écrit à sa mère pour lui dire son état et lui annoncer son retour : « Je vous apporterai un corps malade, une âme abattue, un cœur en sang, mais qui vous aime encore. »[24].

Voici la réponse de Mme de Musset :


« Paris, 17 mars 1834.

« Oh ! mon pauvre fils ! mon pauvre fils ! Quel fatal voyage tu as fait là ! Et quelle affreuse maladie ! Ta lettre m’a bouleversée ; j’en, suis restée trois heures sans pouvoir parler. D’après le traitement qu’on t’a fait subir, ton frère conclut que tu as eu une fièvre cérébrale. Pour moi, je me perds dans les conjectures les plus sinistres pour deviner quelle complication de maladies a pu l’assaillir, toi si sain, si fort jusque-là, et qui n’as jamais fait sous mes yeux ce qu’on peut appeler une maladie. Je suis persuadée que le malsain climat dans lequel vous êtes allés vous fixer a contribué à ton malheur. Venise est inhabitable une grande partie de l’année ; je voudrais à tout prix t’en savoir dehors. Il ne faut pas cependant que tu te mettes en route pour la France avant que ta pauvre santé soit consolidée ; tu n’aurais pas la force de supporter le voyage et une rechute serait plus dangereuse encore. Mais si tu t’en sens la force, tâche d’aller passer ta convalescence loin de Venise, elle en sera plus courte et plus sûre. J’ai une bien grande reconnaissance pour Madame Sand et pour tous les soins qu’elle t’a donnés. Que serais-tu devenu sans elle ? C’est affreux à penser. J’étais, lorsque j’ai reçu ta lettre, dans une inquiétude impossible à exprimer. J’avais été jeudi chez Buloz, qui venait de recevoir une lettre de Madame Sand ; il ne voulait pas me la montrer et il feignait de l’avoir perdue. Il avait imprudemment lâché le mot d’indisposition : Alfred a une indisposition ! Il n’en fallait pas tant pour me faire deviner la vérité, l’horrible vérité ; et je suis sortie de chez lui plus morte que vive.

« Je n’ai pas besoin de te dire, mon bien cher enfant, que tout ce que tu désires de changements dans notre appartement sera fait de suite…… (Description des modifications à opérer)…… Si ce projet te convient, écris-le moi, je le ferai exécuter avant ton retour, pour t’éviter l’ennui des ouvriers, autrement, nous attendrons ton retour et je me bornerai à faire ce que tu me demandes.

« Je te supplie de m’écrire lettres sur lettres, mon cher enfant ; tu comprends combien cela m’est nécessaire en ce moment. Je suis si malheureuse, si tourmentée ! Ton frère et ta sœur sont bien inquiets aussi. J’ai appris avec plaisir que M. Tattet est avec vous ; ce te sera une distraction agréable : un ami est bien précieux à trois cents lieues de tous les siens.

« Nous nous portons tous bien, à l’inquiétude près, qui est un mal insupportable pour moi. Je t’embrasse, mon cher fils, de toute mon âme et t’aime plus que ma vie.

« Ta mère

« EDMÉE. »

« Tu ne m’as pas donné d’adresse positive et pas dit si tu as reçu une seule de mes lettres ; de sorte que je crains toujours qu’elles ne te soient pas parvenues. »

Le timbre d’arrivée à Venise porte la date du 25 mars. A cette époque, Alfred de Musset était donc suffisamment rétabli pour sortir et aller lui-même chercher ses lettres à la poste.

D’autre part, George Sand écrivait à Alfred Tattet, qui lui demandait des nouvelles :

« Votre lettre me fait beaucoup plaisir, mon cher monsieur Alfred, et je suis charmée que vous me fournissiez l’occasion de deux choses. D’abord de vous dire qu’Alfred, sauf un peu moins de force dans les jambes et de gaieté dans l’esprit, est presque aussi bien portant que dans l’état naturel. Ensuite de vous remercier de l’amitié que vous m’avez témoignée et des moments agréables que vous m’avez fait passer en dépit de toutes mes peines. Je vous dois les seules heures de gaieté et d’expansion que j’aie goûtées dans le cours de ce mois si malheureux et si accablant. Vous en retrouverez de meilleures dans votre vie ; quant à moi, Dieu sait si j’en rencontrerai jamais de supportables. Je suis toujours dans l’incertitude où vous m’avez vue, et j’ignore absolument si ma vieille barque ira échouer en Chine, ou à toute autre morgue, questo non importa, comme dirait notre ami Pagello, et je vous engage à vous en soucier fort peu. Gardez-moi seulement un bon souvenir du peu de temps que nous avons passé à bavarder au coin de mon feu, dans les loges de la Fenice et sur les ponts de Venezia la Bella, comme vous dites si élégamment. Si quelqu’un vous demande ce que vous pensez de la féroce Lélia, répondez seulement qu’elle ne vit pas de l’eau des mers et du sang des hommes, en quoi elle est très inférieure à Han d’Islande ; dites qu’elle vit de poulet bouilli, qu’elle porte des pantoufles le matin et qu’elle fume des cigarettes de Maryland. Souvenez-vous tout seul de l’avoir vue souffrir et de l’avoir entendue se plaindre, comme une personne naturelle. — Vous m’avez dit que cet instant de confiance et de sincérité était l’effet du hasard et du désoeuvrement. Je n’en sais rien, mais je sais que je n’ai pas eu l’idée de m’en repentir, et qu’après avoir parlé avec franchise pour répondre à vos questions, j’ai été touchée de l’intérêt avec lequel vous m’avez écoutée. Il y a certainement un point par lequel nous nous comprenons : c’est l’affection et le dévouement que nous avons pour la même personne. Qu’elle soit heureuse, c’est tout ce que je désire désormais. Vous êtes sûr de pouvoir contribuer à son bonheur, et moi, j’en doute pour ma part. C’est en quoi nous différons et c’est en quoi je vous envie. Mais je sais que les hommes de cette trempe ont un avenir et une providence. Il retrouvera en lui-même plus qu’il ne perdra en moi ; il trouvera la fortune et la gloire, moi je chercherai Dieu et la solitude.

« En attendant, nous partons pour Paris dans huit ou dix jours, et nous n’aurons pas, par conséquent, le plaisir de vous avoir pour compagnon de voyage. Alfred s’en afflige beaucoup, et moi, je le regrette réellement. Nous aurions été tranquilles et allegri avec vous, au lieu que nous allons être inquiets et tristes. Nous ne savons pas encore à quoi nous forcera l’état de sa santé physique et morale. Il croit désirer beaucoup que nous ne nous séparions pas et il me témoigne beaucoup d’affection. Mais il y a bien des jours où il a aussi peu de foi en son désir que moi en ma puissance, et alors, je suis près de lui entre deux écueils : celui d’être trop aimée et de lui être dangereuse sous un rapport, et celui de ne pas l’être assez, sous un autre rapport, pour suffire à son bonheur. La raison et le courage me disent donc qu’il faut que je m’en aille à Constantinople, à Calcutta ou à tous les diables. Si quelque jour il vous parle de moi et qu’il m’accuse d’avoir eu trop de force ou d’orgueil, dites-lui que le hasard vous a amené auprès de son lit dans un temps où il avait la tête encore faible, et qu’alors, n’étant séparé des secrets de notre cœur que par un paravent, vous avez entendu et compris bien des souffrances auxquelles vous avez compati. Dites-lui que vous avez vu la vieille femme répandre sur ses tisons deux ou trois larmes silencieuses, que son orgueil n’a pas pu cacher. Dites-lui qu’au milieu des rires que votre compassion ou votre bienveillance cherchait à exciter en elle, un cri de douleur s’est échappé une ou deux fois du fond de son âme pour appeler la mort.

« Mais je vous ennuye avec mes bavardages, et peut-être vous aussi, vous pensez que, par habitude, j’écris des phrases sur mon chagrin. Cette crainte là est ce qui me donne ordinairement de la force et une apparence de dédain. Je sais que je suis entachée de la désignation de femme de lettres, et, plutôt que d’avoir l’air de consommer ma marchandise littéraire par économie dans la vie réelle, je tâche de dépenser et de soulager mon cœur dans les fictions de mes romans ; mais il m’en reste encore trop, et je n’ai pas le droit de le montrer sans qu’on en rie. C’est pourquoi je le cache ; c’est pourquoi je me consume et mourrai seule, comme j’ai vécu. C’est pourquoi j’espère qu’il y a un Dieu qui me voit et qui me sait, car nul homme ne m’a comprise, et Dieu ne peut pas avoir mis en moi un feu si intense pour ne produire qu’un peu de cendres.

« Ensuite, il y a des gens qui prennent tout au sérieux, même la Mort, et qui vous disent : « Cela ne peut pas être vrai, on ne peut pas plaisanter et souffrir, on ne peut pas mourir sans frayeur, on ne peut pas déjeuner la veille de son enterrement. » Heureux ceux qui parlent ainsi. Ils ne meurent qu’une fois et ne perdent pas le temps de vivre à faire sur eux-mêmes l’éternel travail de renoncement, ce qui est, après tout, la plus stupide et la plus douloureuse des opérations.

« A propos d’opérations, l’illustrissimo professore Pagello vous adresse mille compliments et amitiés. Je lui ai traduit servilement le passage sombre et mystérieux de votre lettre où il est question de lui et de mademoiselle Antonietta, sans y ajouter le moindre point d’interrogation, sans chercher à soulever le voile qui recouvre peut-être un abîme d’iniquités. Le docteur Pagello a souri, rougi, pâli ; les veines colossales de son front se sont gonflées, il a fumé trois pipes ; ensuite, il a été voir jouer un opéra nouveau de Mercadante, à la Fenice ; puis il est revenu, et, après avoir pris quinze tasses de thé, il a poussé un grand soupir, et il a prononcé ce mot mémorable que je vous transmets aveuglément pour que vous l’appliquiez à telle question qu’il vous plaira : Forse !

« Ensuite, je lui ai dit que vous pensiez beaucoup de bien de lui, et il m’a répondu qu’il en pensait au moins autant de vous, que vous lui plaisiez immensamente et qu’il était bien fâché que vous ne vous fussiez pas cassé une jambe à Venise, parce qu’il aurait eu le plaisir de vous la remettre et de vous voir plus longtemps. J’ai trouvé que son amitié allait trop loin, mais j’ai partagé son regret de vous avoir si tôt perdu.

« Je n’écris pas à Sainte-Beuve parce que je ne me sens pas le courage de parler davantage de mes chagrins, et qu’il m’est impossible de feindre avec lui une autre disposition que celle où je suis. Mais si vous lui écrivez, remerciez-le pour moi de l’intérêt qu’il nous porte. Sainte-Beuve est l’homme que j’estime le plus ; son âme a quelque chose d’angélique et son caractère est naïf et obstiné comme celui d’un enfant. Dites-lui que je l’aime bien ; je ne sais pas si je le verrai à Paris ; je ne sais pas si je le reverrai jamais.

« Ni vous non plus, mon cher ; mais pensez à moi quelquefois, et tâchez d’en penser un peu de bien avec ceux qui n’en penseront pas trop de mal. Je ne vous dis rien de la part d’Alfred, je crois qu’il vous écrira de son côté. Amusez-vous bien, courez, admirez et surtout ne tombez pas malade.

T. à v.

« GEORGE SAND. »

22 mars [1834].

« Écrivez-moi à Paris, quai Malaquais, 19, si vous avez quelque chose à me dire. »

III

RETOUR D’ITALIE

Le 22 mars 1834, il était donc décidé que George Sand et Alfred de Musset revenaient ensemble à Paris ; mais le 28, tout était changé : les troisième, quatrième et cinquième chapitres de la dernière partie de la Confession d’un Enfant du siècle donnent une idée de ce qui a dû se passer durant ces quelques jours. Musset, apparemment, crut faire acte de grandeur d’âme et de générosité en partant seul, laissant George Sand en compagnie de Pagello.

Avant de le quitter, ses « deux grands amis » remirent au voyageur un petit portefeuille portant ces deux dédicaces autographes[25]. Sur la première page :

A son bon camarade, frère et ami Alfred
Sa maîtresse George
Venise 28 mars 1834.

sur la dernière :

Pietro Pagello
Raccomanda
Mr Alfred de Musset
A Pietro Pirzio
                     Ingegnesi
A Vincenzo Stefanelli
A Mr J. R. Aggiunta.

Les feuillets 2, 15 à 48, 57 à 71 sont restés blancs.

Les feuillets 13, 14, 49 à 56 sont arrachés. Sur les fragments qui en restent, on distingue des traces d’écriture au crayon.

Sur le feuillet 72 et dernier, envoi de Pagello, écrit en sens inverse des autres pages. C’est de ce carnet qu’il s’agit dans la lettre d’Alfred de Musset à George Sand, datée du 15 juin 1834.

[Illustration : Fac-similé de la Dédicace écrite par George Sand sur le carnet d’Alfred de Musset.]

[Illustration : Fac-similé de la Dédicace écrite par Pierre Pagello sur le carnet d’Alfred de Musset.]

Alfred de Musset quitta Venise dans la journée ou dans la soirée du 29 mars 1834 ; son passeport nous fournit encore des indications précises :

Venezia, 28 marzo 1834. Dir Gen. di Poli. Buono per Milano.

Vu au Consulat de France à Venise. Bon pour se rendre à Paris. Venise, 29 mars 1834. Le Consul de France : Silvestre de Sacy.

Visto al Comando. Arona, 1 aprile 1834.

Vu au Pont Saint Maurice, le 3 avril 1834, allant en France.

Vu à Genève, le 5 avril 1834. Bon pour Paris.

Vu à Bellegarde, le 6 avril 1834.

Il était accompagné par une sorte de domestique, nommé Antonio, que George Sand avait chargé de veiller sur son maître pendant le voyage et qui devait la tenir au courant des incidents de la route. Elle-même reconduisit Musset jusqu’à Mestre, dit-elle dans son Histoire de ma vie, — jusqu’à Vicence, d’après une lettre d’elle à Boucoiran[26].

Il lui écrivit de Padoue et de Genève :

« Monsieur Pagello, Dr médecin
Pharmacie Ancilla, C. Sn Luca

Pour remettre à Madame Sand. Venise.

[Genève], vendredi, 4 avril [1834].

« Mon George chéri, je suis à Genève. Je suis parti de Milan sans avoir trouvé de lettre de toi à la poste. Peut-être m’avais-tu écrit ; mais j’avais retenu mes places tout de suite en arrivant, et le hasard a voulu que le courrier de Venise, qui arrive toujours deux heures avant le départ de la diligence de Genève, s’est trouvé en retard cette fois. Je t’en prie, si tu m’as écrit à Milan, écris au directeur de la poste de me faire passer ta lettre à Paris. Je la veux, n’eût-elle que deux lignes. Écris-moi à Paris….. Quand tu passeras le Simplon pense à moi, George. C’était la première fois que les spectacles éternels des Alpes se levaient devant moi dans leur force et dans leur calme. J’étais seul dans le cabriolet ; je ne sais comment rendre ce que j’ai éprouvé : il me semblait que ces géants me parlaient de toutes les grandeurs sorties de la main de Dieu : « Je ne suis qu’un enfant, me suis-je écrié, mais j’ai deux grands amis, et ils sont heureux !…. »

Elle, de son côté, lui adressa une lettre à Milan.

Je ne parlerai pas de l’existence à Venise de George Sand et de Pagello, après le départ d’Alfred de Musset. La publication, par M. le Dr Cabanès, dans la Revue Hebdomadaire des 1er août et 15 octobre 1896, de longs fragments du journal intime de P. Pagello et autres documents ; les révélations de M. R. Barbiera dans l’Illustrazione Italiana, de Milan, des 15, 22 et 29 novembre 1896, joints au livre de Mme L. Codemo, que nous citons ci-dessus, permettent de retrouver, presque jour par jour, les détails de leur vie privée. Suivons donc le poète dans son voyage.

Le 12 avril, Alfred de Musset arriva à Paris (le 10, dit Paul dans la Biographie), exténué au physique et au moral. Il s’enferma dans sa chambre, et, pendant plus d’un mois, ne voulut voir personne :

«….Je fus saisi d’une souffrance inattendue, raconte-t-il plus tard dans son Poète déchu[27] ; il me semblait que toutes mes idées tombaient comme des feuilles sèches, tandis que je ne sais quel sentiment inconnu, horriblement triste et tendre, s’élevait dans mon âme. Dès que je vis que je ne pouvais lutter, je m’abandonnai à la douleur, en désespéré… La douleur se calma peu à peu, les larmes tarirent, les insomnies cessèrent, je connus et j’aimai la mélancolie… »

Ce qui entretenait encore le poète en ce malheureux état, c’était la correspondance établie entre lui et elle : n’étant plus en contact, ils renouvelaient leur rêve et poétisaient jusqu’à leurs querelles passées :

Alfred de Musset à George Sand.

« Paris, 19 avril 1834. — ….. Je regardais l’autre soir cette table où nous avons lu ensemble Goetz de Berlichingen. Je me souviens du moment où j’ai posé le livre sur la table, après le dernier cri du héros mourant : Liberté ! Liberté ! Tu étais beaucoup pour moi, ma pauvre amie, plus que tu ne croyais et que je ne croyais moi-même. Tu es donc dans les Alpes ? N’est-ce pas que c’est beau ? Il n’y a que cela au monde. Je pense avec plaisir que tu es dans les Alpes. Je voudrais qu’elles pussent te répondre ; elles te raconteraient peut-être ce que je leur ai dit…. »

George Sand à Alfred de Musset[28].

« Venise, 29 avril. — ….. Ta lettre est triste, mon ange, mais elle est bonne et affectueuse pour moi. Oh ! quelle que soit la disposition de ton esprit, je trouverai toujours ton cœur, n’est-ce pas, mon bon petit ?…. »

Alfred de Musset à George Sand.

« Paris, 30 avril — ….. Ce n’est donc pas un rêve, mon enfant chéri ? Cette amitié qui survit à l’amour, dont le monde se moque tant, dont je me suis tant moqué moi-même, cette amitié-là existe ! C’est donc vrai, tu me le dis et je le crois, je le sens, tu m’aimes ! ….. »

Dans son journal intime, Sketches and Hints, George Sand consigne sous le titre de « Venise » une sorte de poème du désespoir : « O Venise, pourquoi es-tu si belle et pourquoi m’es-tu si chère, à moi qui ne dois plus aimer et qui vais mourir ? »

En outre des lettres qu’ils s’adressaient tous les trois ou quatre jours, George Sand lui envoyait ses Lettres d’un Voyageur : la première, le 29 avril ; la deuxième, dans les premiers jours de juin, par l’entremise de Buloz :

«…..Buloz, écrit le 15 juin Alfred de Musset à George Sand, vient de m’apporter la lettre que tu lui as envoyée pour la Revue. Il me l’a lue en ânonnant, jusqu’à ce que, impatienté des coups d’épingles que sa lourde déclamation me donnait dans le cœur, je lui ai arraché le papier des mains, pour le finir à haute voix. Maintenant le voilà parti, et le cœur me bat si fort qu’il faut que je t’écrive ce que j’éprouve….. »

Puis, le 17 juin, « la seconde moitié du second volume de Jacques, » avec mission de la lire et d’y faire les coupures qu’il jugerait nécessaires[29]. C’est Musset qui s’occupait à Paris des affaires de George Sand, restée à Venise, voyait ses fournisseurs, s’entendait pour elle avec Buloz, et lui faisait expédier par ses éditeurs les sommes dont ils lui étaient redevables ; il était aidé en cela par Boucoiran.

D’autre part, il mandait ceci, dès le 30 avril, à son amie : « J’ai bien envie d’écrire notre histoire ; il me semble que cela me guérirait et m’élèverait le cœur. Je voudrais te bâtir un autel, fût-ce avec mes os ; mais j’attendrai ta permission formelle ». — Et le 12 mai, George Sand lui répondait : « Il m’est impossible de parler de moi dans un livre, dans la disposition d’esprit où je suis ; pour toi, fais ce que tu voudras, romans, sonnets, poèmes ; parle de moi comme tu l’entendras, je me livre à toi les yeux bandés ». — Ce projet, on le sait, est devenu la Confession d’un enfant du siècle. On a donc eu tort de prétendre que George Sand avait imaginé Elle et Lui pour répliquer à cette confession[30]. Non seulement elle était prévenue des intentions d’Alfred de Musset, mais elle l’autorisait à écrire. Bien plus, la rupture définitive s’étant consommée dans les premiers jours de mars 1835, et la Revue des Deux-Mondes publiant dès le 15 septembre le deuxième chapitre de la première partie de la Confession, celle-ci fut commencée probablement avant cette rupture.

Au verso de la couverture de Leone Leoni, par G. Sand (Paris, Bonnaire et Magen, 1835. 1 vol. in-8) se trouve cette annonce de librairie :

« Pour paraître prochainement :

« AU-DELA DU RHIN, par Lherminier, professeur au Collège de France. 2 vol. in-8.

« LA CONFESSION D’UN ENFANT DU SIÈCLE, par Alfred de Musset. 2 vol. in-8.

« SERVITUDE ET GRANDEUR MILITAIRES, par Alfred de Vigny. 1 vol. in-8.

« LA SECONDE CONSULTATION DU DOCTEUR NOIR, par le même. 1 vol. in-8.

« UN NOUVEAU ROMAN, par George Sand. 2 vol. in-8.

« GRANGENEUVE, par H. Delatouche. 2 vol. in-8. »

Pagello, emporté dans le même tourbillon, écrivait des lettres, lui aussi ; mais il n’osait pas encore s’adresser directement à Alfred de Musset : il s’en prenait à son ami Tattet. Voici la première de ces lettres que nous avons retrouvées :

« 7 giugno 1834, Venezia.

« Mio caro amico,

« Mi sono affrettato di eseguire la vostra commissione, son assicurato che le due casse di bottiglie sono già sulla strada della Francia. — Se niente arrivasse al contrario, scrivetemi, e vi serviro. — Madame G. vi saluta cordialmente, sta bene e si diverte abbastanza per questo poco che puo offrire Venezia in confronto di Parigi. — Addio, buon amico. La nostra amicizia di un giorno sembra quella di due anni : forse ci vedremo a Parigi. — Non vi so dire ne il quando ne il come, so che ci rivedremo. — Si vedete Alfred de Musset, bacciatelo per me.

« Addio, addio, vostro sincero

« PIETRO PAGELLO. »

Traduction.

« Venise, 7 juin 1834.

« Mon cher ami,

« Je me suis hâté de faire votre commission, et je me suis assuré que les deux caisses de bouteilles sont déjà sur la route de France. — S’il n’arrivait rien, au contraire, écrivez-moi, et je vous servirai. — Madame G. [George] vous salue cordialement ; elle va bien de santé et se divertit suffisamment, pour le peu qu’offre Venise en comparaison de Paris. — Adieu, bon ami ; notre amitié d’un jour semble celle de deux années ; peut-être nous verrons-nous à Paris. — Je ne sais vous dire ni quand ni comment, je sais que nous nous reverrons. — Si vous voyez Alfred de Musset, embrassez-le pour moi.

« Adieu, adieu, votre sincère

« PIERRE PAGELLO. »

  *       *       *       *       *

Pendant que s’échangeaient toutes ces lettres, on s’occupait d’Alfred de Musset et de George Sand, à Paris, beaucoup plus qu’ils ne l’auraient désiré. Buloz, et surtout Boucoiran, tenaient George Sand au courant de ce qui se disait, bien qu’elle le leur défendît. Cela devint tel, qu’elle crut devoir mettre sa mère elle-même en garde contre tous ces racontars :

« A madame Dupin, à Paris.

« Venise, 5 juin 1834.

« Ma chère maman, il y a bien longtemps que je veux répondre à votre bonne lettre. J’ai été malade, j’ai voyagé, j’ai eu du chagrin et des inquiétudes très graves, mais enfin, je suis bien portante et tranquille. Vous avez peut-être entendu dire que mon compagnon de voyage, après avoir fait une maladie mortelle à Venise, a été forcé, par l’état de sa poitrine, de quitter l’air de l’Italie et de retourner en France. Je suis restée ici pour achever mon travail et jouir encore quelque temps du séjour de ce beau pays….. »[31]

Le brusque retour du poète sans sa compagne avait prêté à des récits fort éloignés de la vérité : ne sachant rien, on inventait. Les premières semaines, confiné dans sa solitude volontaire, Musset ignora ce qui se disait ; mais dès sa rentrée dans le monde, ces méchants propos parvinrent à ses oreilles. Ce fut Buloz qui, sans le savoir, éveilla ses soupçons. Alfred de Musset donna le démenti le plus formel à tous ces mensonges et défendit énergiquement George Sand. Mais les insinuations malveillantes de Gustave Planche avaient fait leur chemin ; malgré ses efforts, Musset ne put imposer silence aux calomniateurs. De leur côté, les amis de George Sand avaient jasé à tort et à travers, et quand on sut qu’elle allait revenir avec le troisième complice, ce fut un véritable scandale.

Le 15 juin, Pagello avait écrit directement à Alfred de Musset. Sa lettre, dont Mme A. Barine avait publié un fragment[32], a été citée en entier par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul[33]. Le 11 juillet, Alfred de Musset lui répondait :

« Al mio caro P. Pagello,

« Mon cher, vous êtes bien gentil de m’avoir un peu écrit ; je dis un peu, car ce n’est guère ; mais si petit que soit le morceau de papier qui me parle de votre amitié, en quel moment de ma vie ne sera-t-il pas bien reçu ? Il n’en est peut-être pas de même de vos recommandations sur le vin de champagne, et je n’ose avouer au grand salviatico Pietro, combien était fondé le juste remords qui m’a saisi à cet article de votre lettre. Mais je vous promets que jamais, jamais, je ne boirai plus de cette maudite boisson — sans me faire les plus grands reproches.

« George me mande que vous hésitez à venir ici avec elle ; il faut venir, mon ami, ou ne pas la laisser partir. Trois cents lieues sont trop longues pour une femme seule…..

« ALFd DE Mt. »

Un mois plus tard, le 19 juillet 1834, George Sand écrivant à Boucoiran, pour lui annoncer son retour, lui disait :

«…..J’en ai fini avec les passions ; la dernière est celle qui m’a fait le plus de mal, mais c’est la seule dont je ne me repente pas, car il n’y a eu dans mes chagrins ni de ma faute ni de celle d’autrui. Vous dites que vous ne l’approuviez pas, mon ami ! Il y a des choses entre deux amants dont eux seuls au monde peuvent être juges !…. »

Elle ne prévoyait pas alors les orages futurs.


IV

VOYAGE DE MUSSET A BADE

George Sand, à son tour, avait quitté Venise ; le 29 juillet, elle était à Milan, puis elle traversait la Suisse ; elle arrivait à Paris vers le 10 août — avec Pagello. — Alfred de Musset, qu’elle avait prévenu depuis longtemps, l’attendait, et leur premier soin fut de se revoir. C’est par le livre de Mme Arvède Barine[34] qu’il faut connaître cette période de leur existence : brouilles et raccommodements se succèdent sans interruption, compliqués par la présence de Pagello, devenu jaloux. Ajoutez à cela que tout le bruit fait autour d’eux déchire brutalement le bandeau qui les aveuglait : ils comprennent combien leur situation est fausse et ridicule.

Après un de ces orages, Alfred de Musset, n’y pouvant plus tenir, envoie ce billet à George Sand : « Je vais mettre une seconde fois la mer et la montagne entre nous ; si Dieu le permet, je reverrai ma mère, mais je ne reverrai jamais la France ».

Quelques jours plus tard, nouvelle lettre dans laquelle il la remercie de lui accorder un rendez-vous : «…Quant à ma résolution de partir, n’en parlons pas, elle est irrévocable. Je l’ai prise hier soir en me couchant. Ce matin, j’ai ouvert ma fenêtre et j’ai regardé le soleil ; lui-même, du haut des sphères célestes, il n’aurait rien vu qui put la changer. Quoique tu m’aies connu enfant, crois aujourd’hui que je suis homme ; je ne m’abuse sur rien, je ne crains, ni n’espère rien….. »

En même temps, il écrivait à Buloz :

« Lundi, 18 [août 1834.]

« Mon ami, ma mère me donne de quoi aller aux Pyrénées, et je vais partir. Dites-moi si vous croyez pouvoir, quand je serai là-bas, m’envoyer quelqu’argent. J’y vais pour travailler ; je vous donnerai d’abord les vers que je vous ai promis, vous aurez ensuite et bientôt mon roman. Je m’engagerai, si vous voulez, à un dédit pour une époque que vous fixerez, et à laquelle vous recevrez le manuscrit entier, à moins de maladie grave, auquel cas, tout vous sera fidèlement rendu. Répondez-moi un mot ou venez me voir si vous avez le temps. Mais tout de suite, car je ne serai pas ici vendredi.

« T. à v. « ALFd DE MUSSET. »

Il devait aller à Toulouse voir son oncle, M. Desherbiers, alors sous-préfet à Lavaur ; de là aux Pyrénées, puis à Cadix. En conséquence de quoi, il partit pour….. Bade. Nous avons de nouveau recours au passeport :

Vu au Ministère des Affaires Étrangères. Paris, 20 août 1834.

Vu pour Francfort et les bords du Rhin. Paris, 20 août 1834. Préfecture de Police.

Vu à la Légation de Bade. Paris, 21 août 1834.

Vu à la Légation des Villes Libres d’Allemagne. Paris, 21 août 1834.

Vu pour les eaux de Bade. Strasbourg, 28 août 1834.

Baden, 30 august 1834. (Signature illisible).

D’autre part, George Sand s’était réfugiée à Nohant ; elle y était déjà installée le 31 août, seule, ayant eu la sagesse de laisser Pagello à Paris. Mais ses idées de suicide l’avaient reprise, et, à cette date, elle écrivait à Boucoiran : «…..Je lui dois (à Pagello) la vie d’Alfred et la mienne. Pour ce qui est de la mienne, je sais bien l’usage que je vais en faire ; quant à celle d’Alfred, rien ne peut la payer….. »[35]. Et elle lui donne des instructions en conséquence.

Cependant, entre Nohant et Bade recommença une nouvelle correspondance encore plus passionnée que celle échangée entre Paris et Venise[36] ; et, pendant ce temps-là, Pagello, resté seul à Paris, inconnu, se lamentait de son isolement et écrivait à Alfred Tattet :


« Parigi, 6 settembre 1834.

« Mio caro Alfredo,

« Il vostro povero amico e a Parigi. — Ho domandato di voi alla vostra casa, mi fu detto che siete alla campagna. Se avessi tempo, sarei venuto a darvi un bacio, ma come sono qui per poco ve lo mando in questo foglio. Non so quanti giorni ancora restero a Parigi. — Voi sapete che io son obbligato di obbedire alla mia piccola borsa, e questa mi comanda digia la partenza. — Addio. — Se potro vedervi a Parigi, saro fortunato ; se non potro, mandatemi un bacio anche voi in un pezzetto di carta, Hôtel d’Orléans, no 17, rue des Petits-Augustins. — Addio, mio buono, mio sincero amico, addio.

« Vo affmo amico « PIETRO PAGELLO. »

Traduction.

« Paris, 6 septembre 1834.

« Mon cher Alfred,

« Votre pauvre ami est à Paris. — Je suis allé chez vous demander de vos nouvelles ; on m’a dit que vous étiez à la campagne. Si j’avais eu le temps, je serais allé vous embrasser, mais comme je suis ici pour peu, je vous embrasse par cette feuille. Je ne sais combien de jours encore je resterai à Paris ; vous savez que je suis obligé d’obéir à ma petite bourse et celle-ci me commande déjà le départ. — Adieu. — Si je puis vous voir à Paris, je serai heureux ; si je ne puis, envoyez-moi un baiser, vous aussi, sur un petit bout de papier, Hôtel d’Orléans, no 17, rue des Petits-Augustins. — Adieu, mon bon, mon sincère ami, adieu.

« Votre très affectionné

« Pierre Pagello. »

Alfred de Musset, dans Une bonne fortune, raconte un des incidents de son séjour à Bade[37]. Après un mois de promenades et de distractions variées, entremêlées de travail, Alfred de Musset songea au retour ; son amour, qu’il pensait calmer par l’absence, n’avait fait que s’exalter. Le 10 octobre, il passe à Strasbourg, et dès son arrivée à Paris, le 13, il écrit à George Sand, encore à Nohant : « Mon amour, me voilà ici ; tu m’as écrit une lettre bien triste, mon pauvre ange, et j’arrive bien triste aussi. Tu veux bien que nous nous voyions ! Et moi, si je veux !…. » Quelques jours après, George Sand venait le rejoindre.

Pagello n’était pas encore parti ; mais ce double retour le décida bien vite à reprendre le chemin de Venise, non sans avoir adressé une lettre d’adieu à son ami Alfred Tattet, en lui recommandant le silence :

« Monsieur Alfred Tattet, rue Grange Batelière, no 13, Paris.

« Parigi, 23 ottobre 1834.

« Mio buon amico,

« Prima di partire, vi mando un bacio ancora. Vi congiuro di non dar parola giammai del mio amore con la George. — Non voglio vendette. — Parto colla sicurezza d’aver agito in homo onesto. — Questo mi fa dimenticare la mia sofferenza e la mia poverta. — Addio, mio angelo. — Vi scrivero da Venezia. Addio, addio.

« PIETRO PAGELLO ».

Traduction.

« Paris, 23 octobre 1834.

« Mon bon ami,

« Avant de partir je vous envoye encore un baiser. Je vous conjure de ne souffler jamais mot de mon amour avec la George. — Je ne veux pas de vengeances[38]. — Je pars avec la certitude d’avoir agi en honnête homme. — Ceci me fait oublier ma souffrance et ma pauvreté. — Adieu, mon ange. — Je vous écrirai de Venise. — Adieu, adieu.

« PIERRE PAGELLO. »


V

A PARIS

Alfred Tattet avait dissuadé Alfred de Musset de revoir George Sand ; d’où brouille entre les deux amis : Musset convenait bien, en son for intérieur, qu’il avait tort, mais il ne voulait pas qu’on le lui dît. George Sand, ne connaissant pas encore les raisons invoquées par Tattet, voulut dissiper ce nuage :

« Mardi, 28 octobre 1834.

« Mon cher Tattet,

« J’apprends que j’ai été la cause indirecte et très involontaire d’un différend entre vous et Alfred. Je serais bien fâchée de savoir deux vieux amis désunis par rapport à moi. J’espère bien que cela ne sera pas.

« Dans tous les cas, je vous prie de venir me voir ; après l’intérêt que vous m’avez témoigné, j’ai lieu d’être surprise et affligée de votre oubli. Je désire causer avec vous et vous attends à votre premier retour à Paris. Toujours quai Malaquais, 19.

« GEORGE SAND. »

« Quand vous serez ici[39], écrivez-moi un mot, je vous donnerai rendez-vous, car je suis souvent dehors ou enfermée. »

Mais à peine les deux amants se sont-ils revus qu’ils ne peuvent plus eux-mêmes s’entendre :

George Sand à Alfred de Musset.

« N’ai-je pas prévu que tu souffrirais de ce passé qui t’exaltait comme un beau poème, tant que je me refusais à toi, et qui ne te paraît plus qu’un cauchemar, à présent que tu me ressaisis ? »

Alfred de Musset à George Sand.

« Ne penses pas au passé ! Non, non ! Ne compare pas ! Ne réfléchis pas ! Je t’aime comme on n’a jamais aimé ! »

Les crises se succèdent avec rapidité : ils s’adorent le matin et se disent des injures le soir, pour retomber le lendemain dans les bras l’un de l’autre. C’est la phase de leurs amours la plus tourmentée, la plus poignante : à la lecture de ce qui a été publié de leurs lettres, on se demande comment ils n’y ont pas laissé tous deux leur raison.

Alfred de Musset a la fièvre, et George Sand veut prendre un déguisement pour venir le soigner chez sa mère : « Si je peux me lever, je t’irai voir », lui répond-il.

Le 8 novembre, Alfred de Musset provoque en duel Gustave Planche qui a mal parlé de George Sand ; Planche lui fait des excuses, et le 12 novembre, Alfred de Musset écrit à Alfred Tattet :

« Mon cher ami,

« Tout est fini. — Si par hasard on vous faisait quelques questions (comme il est possible qu’on vous soupçonne de m’avoir parlé) ; si enfin peut-être, on allait vous voir pour vous demander à vous-même si vous ne m’avez pas vu, répondez purement que non, que vous ne m’avez pas vu et soyez sûr que notre secret commun est bien gardé de ma part. — J’irai vous voir bientôt.

« A vous de cœur.

« ALFRED DE MUSSET. »

Puis il va dans la Côte-d’Or, à Montbard, chez l’un de ses parents. Quelques jours après le « pauvre vieux lierre » est revenu où il s’attache.

Le 25 novembre, George Sand écrit à Sainte-Beuve que Musset ne veut plus la voir[40] ; son exaltation touche à la folie : la rupture paraît complète. Le 15 décembre, George Sand est à Nohant, d’où elle écrit à Boucoiran : « Si Alfred vous fait demander de mes nouvelles, dites que vous ne savez rien de moi, que je ne vous ai pas écrit. Recommandez à Buloz de dire la même chose….. » Et le 13 janvier 1835, elle adresse cette lettre à Alfred Tattet :

« Monsieur,

« Il y a des opérations qui sont fort bien faites et qui font honneur à l’habileté du chirurgien, mais qui n’empêchent pas la maladie de revenir. En raison de cette possibilité, Alfred est redevenu mon amant ; comme je présume qu’il sera bien aise de vous voir chez moi, je vous engage à venir dîner avec nous au premier jour de liberté que vous aurez. Puisse l’oubli que je fais de mon offense ramener l’amitié entre nous.

« Adieu, mon cher Tattet.

« Tout à vous. « GEORGE SAND ».

Combien le ton de ce billet diffère de celui du 28 octobre 1834 ! C’est que Musset avait parlé et raconté à George Sand, dans un moment d’expansion, que son ami Tattet avait fait de son mieux pour empêcher leur rapprochement : de là, colère de la maîtresse contre le gêneur, et, charmée de prendre sa revanche, elle tient à le lui faire savoir. Six jours plus tard, Liszt reçoit les confidences de George Sand :

«…..Je vais partir pour essayer de rompre une passion bien sérieuse pour moi et bien terrible. Je doute que cela me serve à quelque chose, car chaque nouveau jour de cette passion m’apprend à douter de mon libre arbitre….. Je compte sur vous aussi pour me rendre cette justice, qu’aux jours de ma plus grande douleur, je n’ai point accusé l’auteur de mes souffrances. Je vous l’ai dit, moi seule suis coupable et porte la peine d’une faute immense. En fuyant un pardon trop humiliant, je fais preuve de faiblesse et non de force….. »[41].

Peu après se produit un incident qui remet Pagello en scène et sur lequel nous n’avons pas de renseignement antérieur à cette lettre écrite par George Sand à Alfred Tattet :

« 14 février 1835.

« Monsieur,

« J’ai une affaire indispensable à terminer avec vous. Il s’agit d’une affaire d’argent dans laquelle je suis compromise d’honneur aux yeux de Pierre Pagello. J’ai besoin d’une attestation de vous et vous êtes trop galant homme pour me la refuser. Je sais que vous m’êtes extrêmement hostile, et j’ai peu sujet de vous bénir. Mais soyez sûr que j’ai trop le sentiment des convenances, pour vous en faire des reproches, et que jamais aucune vengeance de ma part ne cherchera à vous atteindre. Ayez donc, monsieur, la bonté de recevoir chez vous quatre tableaux qui appartiennent à Pierre Pagello et que je m’étais chargé de vendre. Voyant qu’il avait besoin d’argent, et sachant, par l’avis d’un expert, que les tableaux ne valaient rien, je lui en donnai la somme de deux mille francs, et j’y ajoutai le procédé de lui cacher le secours que [je] lui apportais. Je lui remis mille francs en argent et le tins quitte d’une somme plus forte qu’il me devait. Je crus devoir ces ménagements à sa position fâcheuse et délicate à Paris. Aujourd’hui, Pierre Pagello, averti par un de mes amis, me fait un grand crime de cette action et pense que je l’ai faite à dessein de la divulguer et d’avilir son nom ; d’abord, en racontant l’histoire telle qu’elle est, je n’ai point sujet de l’avilir ; ensuite, je ne l’ai racontée qu’à Alfred, qui vous l’a redite, à vous seul. Voulez-vous avoir la bonté, monsieur, de rendre témoignage de ma discrétion, lorsque vous écrirez à Pierre Pagello ?

« En second lieu, cette personne insinue que je pourrais bien m’être défaite des tableaux à mon avantage, afin de me donner en même temps les gants d’une générosité singulière. Elle ajoute que, s’ils sont entre mes mains, en effet, elle espère que vous voudrez bien les recevoir, afin de les lui renvoyer ou de les lui faire vendre. Je fais porter les tableaux chez vous ; voulez-vous bien en accuser réception à Pierre Pagello ? J’espère que oui. Vous avez pensé que le sentiment d’équité vous forçait à vous faire le bourreau d’une âme criminelle. Je ne savais pas que vous eussiez l’âme aussi austère et le bras aussi ferme. J’en souffre, mais je vous en estime d’autant plus, monsieur, et à cause de cela, je pense que vous me laverez de l’accusation de friponnerie, car si votre amour de la vérité vous a commandé de me nuire, il doit vous commander de me réhabiliter sous les rapports par où je le mérite.

« Veuillez m’honorer d’un mot de réponse. J’ai l’honneur de vous saluer.

« GEORGE SAND. »

Monsieur Just Pagello, parlant au nom de son père, a déclaré au Dr Cabanès : « Que ces toiles, sans être des Raphaël, étaient loin d’être des œuvres médiocres. Elles étaient signées du peintre Ortesiti, un maître »[42]. J’ignore quelle était la valeur de ces peintures, mais précieuses ou non, le Dr Pagello me semble en avoir fait peu de cas, car, trois ans plus tard, George Sand répondait le 24 août 1838 à Alfred Tattet, qui lui demandait ce qu’il fallait faire de ce dépôt :

«…..Je ne pense pas qu’il y ait lieu de vous occuper de ces tableaux ; votre maison est assez vaste pour que vous les laissiez relégués dans un coin de cave ou de grenier. Je n’ai pas eu plus de relations que vous avec Pagello, depuis le triste temps vers lequel vous reportez mes souvenirs, et j’aime à penser qu’après ces orages, ses idées sont devenues justes et élevées, comme son âme l’était dans le calme. Nous sommes tous ainsi plus ou moins ; la colère et la haine sont des maladies qui nous tueraient, si la Providence ne les avait faites de courte durée. Je ne suis pas plus qu’une autre à l’abri de ces passions….. »

Et à la mort d’Alfred Tattet, en novembre 1856, ces tableaux, m’a dit une personne de sa famille, furent retrouvés dans le grenier où ils avaient été mis en 1835 et où peut-être ils sont encore.

Cependant Alfred de Musset et George Sand sont tous deux moralement à bout de forces ; ils ne peuvent plus se voir sans se quereller et n’ont pas le courage de se quitter. Ils se rencontrent, ils s’écrivent encore, mais le dénouement est proche :

«…..Il me semble comprendre à ta lettre, répond Musset à un billet de G. Sand, que nous ne nous verrons plus avant ton départ et le mien. Je pars lundi ; ma place est retenue dans la malle-poste de Strasbourg[43] ; les derniers mots de ton billet ont l’air d’un adieu et un mot de notre dernière conversation m’a presqu’ôté le courage de t’en dire un autre. Je suis étonné qu’il reste dans mon cœur de la place pour une souffrance nouvelle. Qu’il en soit ce qui plaît à Dieu….. »

C’est George Sand qui se reprend la première ; le 6 mars, elle écrit à Boucoiran : « Aidez-moi à partir aujourd’hui ». Et le lendemain, Musset venant au rendez-vous, trouve la maison vide :

« A Monsieur Boucoiran, Passage Choiseul, 28.

« Monsieur,

« Je sors de chez Madame Sand et on m’apprend qu’elle est à Nohant. Ayez la bonté de me dire si cette nouvelle est vraie. Comme vous avez vu Madame Sand ce matin, vous avez pu savoir quelles étaient ses intentions, et si elle ne devait partir que demain, vous pourriez peut-être me dire si vous croyez qu’elle ait quelques raisons pour désirer de ne point me voir avant son départ. Je n’ai pas besoin d’ajouter, que dans le cas où cela serait, je respecterais ses volontés.

« ALFRED DE MUSSET ».

Cette fois, c’était fini et bien fini. Ce fut une détente, un soulagement :

George Sand à Boucoiran[44].

« 9 mars 1835.

« Je suis très calme, j’ai fait ce que je devais faire ; la seule chose qui me tourmente, c’est la santé d’Alfred ».

Pendant un mois environ, elle fut en proie à une sorte de maladie de langueur, puis le calme vint réellement, et bientôt l’indifférence.

Chez Alfred de Musset, au contraire, l’apaisement parut se faire tout de suite, mais ce n’était qu’une apparence trompeuse.

J’ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j’ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j’en pourrais dire,
Si je l’essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.[45]


Le 21 juillet, il écrivait à son fidèle ami :

« Monsieur Alfred Tattet, à Baden, poste restante.

« Votre lettre, mon cher Alfred, est arrivée comme je n’étais pas à Paris, ce qui fait que ma réponse est en retard de quelques jours. Pour répondre d’abord à votre question sur ce qui regarde Madame…. (Affaire personnelle à Alfred Tattet)…. je crois que ce que je peux vous dire de mieux, c’est qu’il y a tantôt huit ou neuf mois, j’étais où vous êtes, aussi triste que vous, logé peut-être dans la chambre où vous êtes, passant la journée à maudire le plus beau, le plus bleu ciel du monde et toutes les verdures possibles. Je dessinais de mémoire le portrait de mon infidèle ; je vivais d’ennuis, de cigares et de pertes à la roulette. Je croyais que c’en était fait de moi pour toujours, que je n’en reviendrais jamais. Hélas ! Hélas ! Comme j’en suis revenu ! comme les cheveux m’ont repoussé sur la tête, le courage dans le ventre, l’indifférence dans le cœur, par dessus le marché ! Hélas ! A mon retour, je me portais on ne peut mieux ; et si je vous disais que le bon temps, c’est peut-être celui où l’on est chauve, désolé et pleurant ! Vous en viendrez là, mon ami. Je vous plains aujourd’hui bien sincèrement, parce que vous souffrez. Quand vous serez guéri, vous n’en serez pas fâché, soyez-en sûr. Tout ce qui fait vivre est bon et sain. Je vous promets de vous tenir au courant de tout ce que je pourrai savoir….

« Je travaille à force. Combien de temps comptez-vous rester à Bade ? Adieu. Je suis à vous.

« ALFRED DE MUSSET. »

Hélas ! Non, Alfred de Musset « n’en était pas revenu ». Quelque chose s’était brisé en lui, laissant une plaie qui saigna jusqu’à sa mort.

VI

APRÈS

Après leur rupture, Alfred de Musset avait continué d’écrire à George Sand, à des intervalles plus ou moins longs ; une correspondance d’un nouveau genre, toute amicale, s’était établie entre eux :

George Sand à Alfred de Musset.

« Avec les gens qu’on n’aime ni n’estime, on peut avoir des exigences et ne pas se donner la peine de les motiver. De moi à toi, il n’en sera jamais ainsi et je ne te demanderai jamais rien sans savoir de toi-même à quel point tu approuves ma demande. »

[1836]

Lorsqu’au mois de janvier 1836 la Confession d’un Enfant du Siècle parut en librairie, George Sand fit part à Mme d’Agoult de ses impressions :

«….Je vous dirai que cette Confession d’un Enfant du Siècle m’a beaucoup émue en effet. Les détails d’une intimité malheureuse y sont si fidèlement rapportés depuis la première heure jusqu’à la dernière, depuis la soeur de charité jusqu’à l’orgueilleuse insensée, que je me suis mise à pleurer comme une bête, en fermant le livre. Puis j’ai écrit quelques lignes à l’auteur pour lui dire je ne sais quoi : que je l’avais beaucoup aimé, que je lui avais tout pardonné et que je ne voulais jamais le revoir… Je sens toujours pour lui, je vous l’avouerai bien, une profonde tendresse de mère au fond du cœur ; il m’est impossible d’entendre dire du mal de lui sans colère, et c’est pourquoi quelques-uns de mes amis s’imaginent que je ne suis pas bien guérie…. »[46]

Pendant l’hiver de 1837, George Sand vint passer quelques jours à Paris ; ils se retrouvent et ont « six heures d’intimité fraternelle, après lesquelles il ne faudra jamais se mettre à douter l’un de l’autre, fût-on dix ans sans se voir et sans s’écrire. »

« Tu peux disposer de moi comme d’un ami, et compter que je ferai avec joie tout ce qui te sera agréable », répond-elle le 19 avril 1838 à Alfred de Musset qui lui avait recommandé quelqu’un.

La même année ou l’année suivante, Alfred de Musset impose silence à Alfred Tattet qui avait raconté divers incidents du voyage à Venise :

« J’apprends, mon cher Alfred, que vous avez manqué plusieurs fois à la parole que vous m’aviez donnée de garder le silence sur tout ce qui s’est passé en Italie. Cela m’a fait beaucoup de peine, d’abord pour vous, qui manquez à votre promesse, et ensuite pour moi, qui ai cru, pendant plus de quatre ans, avoir un véritable ami.

« T. à v.

« ALFD DE MUSSET. »

En 1839, Alfred de Musset écrit Le Poète Déchu, sorte d’autobiographie inédite, qui ne fut pas terminée et dont le manuscrit a été presqu’entièrement détruit par son frère Paul (il n’en subsiste plus guère que les divers fragments publiés dans la Biographie). Alfred de Musset y dépeint ainsi son état moral, après sa rupture avec George Sand :

«….J’étais si sûr de moi, que je crus d’abord n’éprouver ni regret ni douleur. Je m’éloignai fièrement. Mais à peine eus-je regardé autour de moi, que je vis un désert…. Je rompis avec toutes mes habitudes, je m’enfermai dans ma chambre, j’y passai quatre mois à pleurer sans cesse, ne voyant personne…. Plus tranquille, je jetai les yeux sur tout ce que j’avais quitté ; au premier livre qui me tomba sous la main, je m’aperçus que tout avait changé : rien du passé n’existait plus, ou du moins, ne se ressemblait. Un monde nouveau m’apparaissait comme si je fusse né de la veille…. Je compris alors ce que c’est que l’expérience, et je vis que la douleur apprend la vérité…. »[47]

M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, dans son livre, cite les lettres qu’« Elle » et « Lui » échangèrent en 1840 à propos de leur correspondance passée. — Moi-même ai déjà raconté dans une lettre publiée par l’Intermédiaire des chercheurs et curieux du 20 novembre 1892, comment M. Jules Grévy, pour Alfred de Musset, et M. F. Rollinat, pour George Sand, furent chargés, en vue d’un échange, de reconnaître les paquets de lettres confiés pour le moment à Gustave Papet (qui les tenait de Mme Ursule Josse, et j’ajouterai qu’ils passèrent ensuite par les mains de MM. Alexandre Manceau, Ludre Gabillaud, et enfin Émile Aucante, détenteur actuel) et comment l’affaire n’aboutit pas.

Dans les premiers jours de 1841, nouvelle rencontre des deux anciens amants, qui inspire à Alfred de Musset son Souvenir[48].

Au commencement de l’année 1844, Paul de Musset visite l’Italie et son frère lui rappelle l’ancien amour dans les stances qu’il lui dédie[49] :

Toits superbes, froids monuments,
Linceul d’or sur des ossements,
        Ci-gît Venise !
Là, mon pauvre cœur est resté !
S’il doit m’en être rapporté,
        Dieu le conduise !

Mon pauvre cœur, l’as-tu trouvé,
Sur le chemin, sous un pavé,
        Au fond d’un verre ?
Ou dans ce grand palais Nani
Dont tant de soleils ont jauni
        La noble pierre[50]

. . . . . . . . . . . . . .
L’as-tu trouvé tout en lambeaux
Sur la rive où sont les tombeaux ?
        Il y doit être.
Je ne sais qui l’y cherchera
Mais je crois bien qu’on ne pourra
        L’y reconnaître.

«…Nous étions tous deux seuls dans une des salles de l’ancien palais Nasi, situé sur le quai des Esclavons et converti aujourd’hui en auberge, la meilleure de Venise. Etc… » — Alfred de Musset écrit « palais Nani ».

En 1854, George Sand, pour repousser les attaques de la Biographie de Mirecourt, adresse une lettre au journal Le Mousquetaire[51] :

«…Je ne défendrai pas M. de Musset des offenses que vous lui faites. Il est de force à se défendre lui-même, et il ne s’agit que de moi pour le moment. C’est pourquoi je me borne à vous dire que je n’ai jamais confié à personne ce que vous croyez savoir de sa conduite à mon égard, et que, par conséquent, vous avez été induit en erreur par quelqu’un qui a inventé ces faits. Vous dites qu’après le Voyage en Italie, je n’ai jamais revu M. de Musset. Vous vous trompez, je l’ai beaucoup revu et je ne l’ai jamais revu sans lui serrer la main…. »

Jusqu’à la mort d’Alfred de Musset, survenue comme on sait, le 3 mai 1857, les deux anciens amants restèrent plutôt amis qu’ennemis. Il n’y eut jamais de guerre ouverte, ils se défendirent même réciproquement dans plusieurs circonstances et nous avons donné la preuve que plus d’une fois l’un approuva ce que l’autre avait écrit sur tous deux. Ils se sont querellés, ils se sont disputés, d’accord ! Mais leurs différends sont restés entre eux et aucune accusation directe n’a été formulée par eux-mêmes. Ce sont des amis maladroits et indiscrets, des ennemis sournois qui, pour les exciter l’un contre l’autre, dénaturaient les paroles de nos deux héros, qu’il faut rendre responsables de tout le bruit qui se fit dans les salons et dans la presse.


VII

DEUX LIVRES

Donc, malgré la correction de leurs relations, vingt mois après la mort d’Alfred de Musset, le 15 janvier 1859, George Sand commençait dans la Revue des Deux-Mondes la publication de Elle et Lui. Il nous est impossible de trouver le pourquoi de ce livre.

Ce n’est pas une réponse à la Confession d’un Enfant du Siècle ; nous avons donné la preuve que George Sand tenait ce récit pour vrai. Alors, pourquoi ce silence de vingt années, si la Confession était une accusation mensongère ? Pourquoi surtout n’avoir parlé que lorsqu’Alfred de Musset n’était plus là pour se défendre ? — Ce n’est pas non plus une attaque directe contre Alfred de Musset, car George Sand se donnerait à elle-même un démenti et renierait toute sa conduite depuis 1835.

Est-ce le besoin de faire parler d’elle ? Non, car par ses romans et son rôle politique en 1848, elle était parvenue à la célébrité. — Le besoin d’argent doit aussi être écarté, car, à cette époque, sa fortune la mettait au-dessus des nécessités de la vie.

Je ne vois qu’une raison plausible : c’est que George Sand, obsédée des instances de ceux qui menaient campagne contre Alfred de Musset, n’eut pas la volonté nécessaire pour leur résister plus longtemps et finit, pour se débarrasser d’eux, par dire ce qu’ils voulaient lui faire dire, et cela, sans bien se rendre compte des conséquences.

Elle et Lui parut, d’abord dans la Revue des Deux-Mondes, puis en volume. Grand tapage au profit de Buloz, mais scandale énorme et qui retomba sur l’auteur. Quelques amis de George Sand, qui détestaient Alfred de Musset et avaient toujours essayé de lui nuire, furent seuls à approuver, avec les ennemis personnels du poète ; le blâme fut général, et il suffit de lire les journaux de l’époque pour s’en assurer.

M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul nous raconte même dans Cosmopolis (p. 763), puis dans sa Véritable histoire d’Elle et Lui (p. 185) que lorsqu’en 1861, il fut demandé à l’Académie Française de décerner un prix à George Sand, la publication d’Elle et Lui fut un des griefs invoqués pour refuser ce prix.

Paul de Musset prit, comme il le devait, la défense d’Alfred, et redemanda, sans succès du reste, les lettres de son frère. Alors, sans rien dire à personne[52], il envoya Lui et Elle au Magasin de Librairie, dirigé par Charpentier, l’éditeur d’Alfred[53] ; ce fut par cette revue que Mme de Musset mère apprit l’existence d’une réponse :

« A Monsieur Paul de Musset.

« Dimanche, 10 avril 1859.

« Si tu avais pris, mon cher Paul, la peine de m’écrire pour me donner tes raisons, comme tu l’as fait dans ta lettre d’hier, je n’aurais pas été si vivement impressionnée de cette nouvelle inattendue, et je m’y serais probablement rendue, comme je le fais aujourd’hui. Puisque la chose est faite, et sans remède, je m’y soumets, tout en regrettant amèrement de n’en avoir rien su d’avance. Je trouve ta première partie brillante de style, d’intérêt et d’esprit ; on ne dira toujours pas de ceci que c’est ennuyeux, comme on l’a dit de l’autre. Les portraits sont de main de maître et d’une ressemblance vivante.

« Mais j’en reviens à mes inquiétudes. Je crois que tu te fais une foule d’ennemis irréconciliables. Tous ces personnages existent encore ; sous leurs sobriquets, ils ne pourront manquer de se reconnaître. D’ailleurs, la dame les y aidera. C’est là vraiment la plus forte objection que j’ai toujours eue pour cette publication qui, dans ma prévision, t’attirera une foule de désagréments. Si ce n’était cette crainte, je ne pourrais m’empêcher d’être électrisée par des pages si belles et si bien écrites. Il y en a plusieurs d’étonnantes ; mais si j’avais été consultée, je t’aurais engagé à ne pas oublier la scène étrange qui s’est passée entre elle et moi à l’occasion du départ pour l’Italie.

« Je t’ai raconté cent fois, qu’avant de partir, ton frère m’avait demandé mon consentement à ce triste voyage, et que je l’avais obstinément refusé ; enfin, voyant mon désespoir, il s’était jeté à mes genoux en me disant : « Ne pleure pas, ma mère. Si l’un de nous deux doit pleurer, ce ne sera pas toi. » Ce sont ses propres paroles. Tu comprends que je ne les ai jamais oubliées ; il s’en alla, après m’avoir rassurée, et déclara à la dame qu’il ne pouvait partir, qu’il ne pouvait affliger sa mère. Le bon fils ! Que fit cette femme ? A neuf heures du soir, elle prit un fiacre et se fit conduire à ma porte. On vint m’avertir que quelqu’un me demandait en bas ; je descendis, suivie d’un domestique et n’y comprenant rien. Je montai dans cette voiture, voyant une femme seule. C’était elle. Alors elle employa toute l’éloquence dont elle était maîtresse à me décider à lui confier mon fils, me répétant qu’elle l’aimerait comme une mère, qu’elle le soignerait mieux que moi. Que sais-je ? La sirène m’arracha mon consentement. Je lui cédai, tout en larmes et à contre cœur, car il avait une mère prudente, bien qu’elle ait osé dire le contraire dans Elle et Lui.

« Cette scène a son prix et je suis fâchée qu’elle ne se trouve pas dans ton récit véridique. Vois si tu peux l’introduire en parlant des regrets qu’il laissa derrière lui dans sa famille.

« Adieu, mon cher fils. Je suis peinée de t’avoir affligé par ma lettre. Le sort en est jeté, nous verrons ce que l’avenir nous garde.

« Je t’embrasse et t’aime tendrement.

« EDMÉE ».

Certes, Paul de Musset eut raison de répondre ; nous blâmons seulement la manière dont il le fit. On ne riposte pas à un pamphlet par un autre pamphlet ; on ne réfute pas des faits dénaturés dans un sens en les dénaturant dans le sens contraire. Selon nous, le mieux eût été d’opposer des documents certains à ces histoires plus ou moins travesties ; de publier, en un mot, la correspondance même des deux amants, — nous en revenons toujours là. — Paul de Musset pouvait le faire. George Sand, ayant les originaux, se croyait à l’abri de cette réplique : elle ignorait qu’Alfred de Musset, aussitôt après leur rupture définitive, avait confié ses lettres à Mme Caroline Jaubert, et que celle-ci en avait pris la copie exacte[54].

J’ai retrouvé, parmi les papiers laissés par Paul de Musset, cette clef des personnages de Lui et Elle, écrite par l’auteur lui-même :

Olympe de B*** George Sand.
Édouard de Falconey Alfred de Musset.
Diogène Gustave Planche.
Jean Cazeau Jules Sandeau.
Pierre Paul de Musset.

L’éditeur Buloz.
Caliban Boucoiran.
Hercule Laurens.
Le comte Meretti [En blanc].
Le docteur Palmerillo Le Dr Pagello.
Édouard Verdier Alfred Tattet.
Hans Flocken L’abbé Liszt.

Lui et Elle ne fit qu’augmenter le tapage : deux camps se formèrent et l’encre coula à flots. Nous ne prétendons pas écrire l’histoire de cette guerre ; nous ne voulons plus que citer deux lettres inédites, la première et la dernière en date, de celles que Paul de Musset recueillit en cette occasion et dont il forma tout un dossier.

Mme Augustine Brohan à Paul de Musset.

« Avenue de Saint-Cloud, 28 mai 1859.

« Je viens de lire Lui et Elle, puis Elle et Lui. Cela, Monsieur, vous sera sans doute fort indifférent d’avoir mon avis ; mais votre esprit généreux comprendra que j’aie voulu vous le donner.

« Si vous vous souvenez de mon nom, vous vous souviendrez aussi que, pendant de longues années, notre grand poète, votre frère, m’appelait son amie, et ami, véritablement je l’étais. Simplement, sans que cela fût la suite ou le commencement d’un autre voyage du cœur, il lui avait plu de se plaindre à moi de ces horribles souffrances qui avaient aigri et changé sa nature première, parce qu’il avait compris quelle sympathie il y avait dans mon âme pour sa pauvre âme brisée. Souvent, il m’a dit que s’il y avait un remède pour le sauver de cette incurable maladie qui le minait, c’est moi qui le saurais trouver. Mais, hélas ! quels que fussent mes efforts, le besoin d’oublier le replongeait dans les étourdissements qu’il recherchait. D’ailleurs, là où votre affection échouait, il n’y avait plus de remède.

« Quand la mort, cruelle pour nous qui le perdions, est venue le délivrer, le seul regret qu’on peut raisonnablement avoir était de ne plus rien pouvoir pour lui ; qui donc aurait pu jamais supposer qu’on eût à le venger ? Il n’est pas besoin de vous dire quel dégoût (il n’est pas besoin non plus d’être femme pour l’éprouver,) quel dégoût, dis-je, prend à la gorge en lisant ce pamphlet d’Elle et Lui !…

« Assurément, mon intention n’est point de faire de grandes phrases, mais comment parler posément de cette audacieuse calomnie, qui a tenté de ternir la mémoire illustre d’un génie et d’un cœur comme celui que nous pleurons !

« Je ne voulais, Monsieur, que vous dire bonnement que votre réponse a déchargé ma colère, dont j’étouffais. Je voulais vous remercier d’avoir remis dans mon cœur, fidèle au souvenir, les mots, les idées, les airs ressemblants du cher mort. Vous m’avez donné de profondes joies, et je vous devais de vous en dire ma reconnaissance.

« Alfred de Musset, vous l’avez bien voulu dire vous-même, appartient à la jeunesse, à ce qui souffre, à ce qui aime, et j’ai été jeune en son temps. J’ai souffert, — qui n’a pas souffert ? — et j’aime un bel enfant qui est le mien, à qui j’apprends à épeler dans ces belles poésies sorties du cœur du poète et qui devaient le protéger contre tous, quand encore on n’aurait pas eu l’honneur d’être aimée de lui.

« Recevez, Monsieur, mes compliments les meilleurs et les plus empressés sur la noble façon dont vous avez rempli la tâche que tout esprit honnête voudrait avoir à remplir.

« BROHAN ».

Si véhémente que puisse paraître cette lettre, aujourd’hui que les esprits sont calmés, elle n’égale pas en violence les articles de La Correspondance littéraire, du Journal des Débats, de la Revue Contemporaine, etc.

Philarète Chasles à Madame Chodzko.

« 29 avril 1861.

« Vous devinez avec la grâce et la sûreté de coup d’œil les plus charmantes, chère Madame, tout ce qui peut m’être cher et précieux. Il n’y a pas d’être plus noblement doué ni que je vénère plus que Madame Dudevant. C’est le premier écrivain de cette époque, et si Dieu lui avait donné un peu plus de faiblesse, c’est-à-dire un peu plus d’amour, et, avec ce don, un peu plus d’indulgence (l’amour n’est que pardon), elle ne serait peut-être pas un peintre aussi incomparable. Elle n’aurait pas non plus commis les deux seules erreurs graves de sa vie, de parler de ses ancêtres féminins dans ses Mémoires et d’Alfred de Musset dans son livre. Deux malheurs que l’honnête homme a pu se permettre, mais que la femme, si elle eût été plus terriblement femme, n’aurait pas admises, alors même que le vilain monstre pécuniaire et corrupteur qui lui a soufflé ces crimes contre la délicatesse d’âme, l’eût encore plus violemment entraînée à les commettre.

« Mais il faut accepter ce que Dieu nous donne, la cerise avec son poison et l’ananas avec son ivresse et le soleil de l’Inde avec la fièvre. Il y a chez George Sand un génie de peinture, une grandeur de sentiment, une largeur chaude de style artistique, rares chez les génies les plus rares, qui, mêlés à une probité et à une équité superbes, en font un des plus beaux honneurs de notre France actuelle.

« Je serai très heureux qu’elle veuille bien agréer mon humble hommage et je vous remercie bien cordialement d’une entremise qui me rend, certes, notre grand homme plus favorable….

« Mille tendres et respectueux remerciements.

« PHILARÈTE CHASLES ».

  *       *       *       *       *

Aujourd’hui, toutes ces haines sont mortes ; le poète est couché selon ses vœux sous le saule qu’il a lui-même demandé :

Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière ;
J’aime son feuillage éploré,
La pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
A la terre où je dormirai.

Tandis que là-bas, sous le grand cyprès, la Bonne Dame de Nohant repose auprès de son fils et de son petit-fils. Alors, pourquoi la soeur du poète ne veut-elle pas laisser dire toute la vérité et, comme la famille de George Sand, autoriser la publication des lettres, pour dissiper toute équivoque ? Ni l’un ni l’autre des amants n’a rien à y perdre, tous deux ont beaucoup à y gagner.


  1. Je cite ces deux dernières strophes, dont le texte publié jusqu’à ce jour, est fort incorrect.
  2. Précepteur de Maurice Sand.
  3. Femme de ménage de George Sand.
  4. Gustave Papet, ami de George Sand.
  5. Cet album de dessins d’Alfred de Musset, renferme huit portraits de George Sand. M. A. Brisson a donné dans le Temps du 4 novembre 1896 la description détaillée de plusieurs de ces pages, qui sont en bonnes mains. — Maurice Sand a également caricaturé les amis de sa mère ; ses charges de A. Gueroult, Buloz, Ch. Didier, etc., ont beaucoup de rapport avec celles qu’en avait fait Alfred de Musset. George Sand a fait aussi plusieurs caricatures de ses habitués. — A la même époque, le poète s’est encore rendu coupable de certaine Revue Romantique, absolument inconnue, « généralement attribuée à M. de Chateaubriand », et que George Sand a consignée pages 79 et 80 de son journal intime, Sketches and Hints.
  6. Voir un fragment de lettre de George Sand à Sainte-Beuve, publié par celui-ci dans les Portraits contemporains, nouvelle édition. Paris, 1869, in-12, tome I, page 516.
  7. Dans la Correspondance de George Sand, tome I, pages 256 et 258, deux lettres d’elle sont publiées, écrites de cette ville et datées, l’une du 18, l’autre du 20 décembre.
  8. Guillaume de Musset, seigneur de la Rousselière, du Prai, du Lude, d’Ozouer-le-Breuil et de la Courtoisie, avait épousé le 9 novembre 1580, demoiselle Cassandre d’Epeigney, fille de Jean d’Epeigney et de Cassandre de Salviati, dont l’aïeul, Bernard de Salviati avait quitté Florence, appelé en France par Catherine de Médicis, sa parente.
  9. Histoire de ma vie, 5e partie, chapitre 3.
  10. Mme Arvède Barine, dans son livre sur Alfred de Musset, avait déjà mentionné cet album, qu’il ne faut pas confondre avec celui ayant appartenu à George Sand.
  11. Scènes de la vie privée et publique des Animaux. Paris, Hetzel, 1842. T. II, p. 362.
  12. Publié dans les Nouvelles Poésies, avec la date de : Venise, 3 février 1834.
  13. Véritable Histoire de Elle et Lui. Paris, C. Lévy, 1897, 1 vol. in-12, p. 36. — Cette Serenata avait déjà été imprimée dans le Corriere della Sera (Milan) du 29-30 janvier 1881 ; dans Racconti, Scene, Bozzetti, etc… di Luigia Codemo, Trevise, Zopelli, 1882. 2 vol. in-12. Tome I, p. 153 ; etc.
  14. Ces lettres, qui étaient entre les mains de Paul de Musset, ont disparu, et ne se sont pas retrouvées parmi les papiers laissés par Mme Paul de Musset.
  15. La sœur d’Alfred de Musset.
  16. Le frère aîné d’Alfred.
  17. Cette lettre a été publiée par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul (Cosmopolis). Le docteur Cabanes a écrit dans la Revue Hebdomadaire une très curieuse étude sur les relations de George Sand, Pagello et Alfred de Musset ; son récit diffère quelque peu du nôtre dans les détails, mais le fond de l’histoire est le même.
  18. Extrait d’une lettre du Dr Pagello, publiée dans le Corriere della sera, de Milan, du 29-30 janvier 1881.
  19. M. Raffaello Barbiera, dans l’Illustrazione Italiana du 15 novembre 1896, répond à cette allégation : « La Revue de Paris e altre reviste scambiano il Rebizzo con un decrepito, tremebundo chirurgo, che s’era provato invano, a Venezzia, ad aprir la vena di Alfredo de Musset malato di febbre cerebrale. Quel tremante salassatore era, invece, un provero avanzo della Republica Veneta, certo Santini, piu che ottuagenario. » Je me suis appuyé pour donner ce nom de Rebizzo sur le dessin de l’album d’Alfred de Musset représentant un vieillard, une lancette entre les lèvres, la tête recouverte d’une perruque à longs cheveux et qui prononce ces paroles : « Non v’e arteria ! ». Sous le dessin, ce nom, écrit par Paul de Musset : « Il dottor Rebizzo. »
  20. Relation de ce qui s’est passé à Venise, par Paul de Musset, manuscrit inédit. — Voir un peu plus loin.
  21. Extrait de la même relation de Paul de Musset.
  22. Je n’avais pas cru devoir donner le nom de Mlle Dejazet par égard pour Mme Tattet. M. Mariéton ayant trouvé ce nom dans mes notes s’est empressé de le publier.
  23. Cette lettre, datée de Florence, 17 mars 1834, a été publiée par M. le Vicomte de Spoelberch de Lovenjoul (Cosmopolis).
  24. Biographie, p. 129.
  25. Ce carnet a soixante-douze feuillets. Sur le premier, envoi de George Sand. Les feuillets 3 à 12 portent des notes manuscrites d’Alfred de Musset : maximes, extraits de divers auteurs : Sénèque, Pindare, Marc-Aurèle, Homère, Byron, etc… ; d’autres encore, français, anglais, italiens.
  26. Datée du 6 avril 1834, et publiée dans sa Correspondance, tome I, p. 265. — D’après une lettre qu’elle écrivit le 15 avril 1834 à Musset lui-même, c’est le lendemain de son départ qu’elle est allée à Vicence, pour savoir comment il avait passé sa première nuit de voyage.
  27. En 1839. — Paul de Musset en cite des fragments dans la Biographie.
  28. Publiée dans la Revue de Paris du 1er novembre 1896, lettre 4.
  29. En tête de l’exemplaire de Jacques que possédait Alfred de Musset, se trouve cet envoi autographe : « George à Alfred ».
  30. L’exemplaire de la Confession d’un enfant du siècle appartenant à George Sand, porte cette dédicace manuscrite : « A George Sand. — Alfd Mt. ».
  31. Lettre inédite.
  32. Alfred de Musset, par A. Barine. Paris, Hachette, 1893. 1 vol. in-12, p. 73.
  33. Véritable histoire, etc…., p. 39.
  34. L’auteur a consacré un long chapitre aux relations d’Alfred de Musset et de George Sand. Des documents précis, habilement groupés, des extraits de lettres, en font un ensemble psychologique des plus attrayants.
  35. Fragment inédit d’une lettre publiée dans la Correspondance, tome I, p. 279-281.
  36. L’une des lettres de Musset à George Sand a été publiée dans l’Homme Libre du 14 avril 1877 et dans le Figaro du 28 avril 1882.
  37. On trouvera d’autres détails dans : 1º Alfred de Musset à Bade par Émile Krantz. Extrait des Annales de l’Est. Nancy, Imprimerie Berger-Levrault et Cie, 1888. In-8º. — 2º Kleine beiträge zur Wurdigung Alfred de Musset (Poésies Nouvelles), von Dr Moritz Werner. Berlin, C. Vogt, 1896. In-8º. — De l’enquête à laquelle s’est livré le Dr Werner, il semble résulter qu’Alfred de Musset voyageait en compagnie d’un monsieur Roussel : «…..Voici ce que j’ai trouvé, m’écrit le Dr Werner, dans le recueil des listes des étrangers que je m’étais fait envoyer de Bade. Dans la liste du dimanche 31 août, qui indique les étrangers arrivés de la veille, il y a à l’hôtel « Zahringer Hoff » : M. de Musset et M. Roussel, de Paris ». (Je souligne cet et parce qu’il ne se trouve que dans le cas où les étrangers se sont fait inscrire ensemble). Le jour suivant, 1er septembre, étrangers arrivés le 31 août, on trouve chez M. le secrétaire Mesmer : « M. le vicomte de Musset », et dans la rubrique spéciale qui contient les changements de logis : « M. Roussel, de Paris », qui a changé de logis en passant lui aussi chez Mesmer. Vous voyez qu’à prendre ces indications au pied de la lettre, il y aurait eu deux Musset à Bade. Mais ce ne sera qu’une faute d’impression ou bien de rubrication, de sorte que la 2e fois Musset devrait se trouver lui aussi parmi les changements de logis et non parmi les récemment arrivés….. »
  38. De plusieurs lettres de George Sand, il ressort qu’au moment où elle est devenue la maîtresse de Pagello, « il s’est trouvé dans sa vie à lui, de ses liens mal rompus avec d’anciennes maîtresses, des situations ridicules et désagréables » ; au moment de la quitter, il semble craindre de voir se renouveler ces ennuis.
  39. Alfred Tattet avait un domicile à Paris, 15 (et non 13), rue Grange-Batelière, mais il habitait le plus souvent une grande propriété qu’il possédait à Bury, près Margency, dans la vallée de Montmorency.
  40. Lettre publiée par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, ainsi que celle d’Alfred de Musset au même (Cosmopolis puis Véritable Histoire, etc…).
  41. Cette lettre, datée du 19 janvier 1835, est publiée dans : Briefe hervorragender Zeitgenassen an Frantz Liszt…., herausgegeben von La Marra. Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1895. 2 vol. in-8º. Tome I, p. 9.
  42. Revue Hebdomadaire, 24 octobre 1896, p. 618.
  43. Si Alfred de Musset est parti, ce qui est peu probable, il est retourné à Montbard, dans la Côte-d’Or. C’est alors qu’il aurait visité la maison de Buffon et écrit sur un panneau de la boiserie les vers qu’on lui attribue. — Voir à ce sujet la plaquette intitulée : Le Centenaire de Buffon. Troyes, Mongolfier. 1889. In-8º.
  44. Publié par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul (Cosmopolis puis dans Véritable Histoire, etc…).
  45. La Nuit de Mai, écrite en mai 1835. — On prétend que toutes les Nuits sont adressées à George Sand. Tel n’est pas mon avis. Ce n’est pas elle l’inconnue de la Nuit d’Octobre à laquelle il dit : « Honte à toi qui la première, etc… » Ce n’est pas elle l’innommée de la Lettre à Lamartine. Je crois qu’il faut remonter au moins à l’année 1828 pour la retrouver. Ce ne serait qu’un Souvenir, évoqué non par une rencontre, comme celui de 1841, mais cette fois par une mort. — Mme Wladimir Karenine donne son nom : Madame de Groiselliez (T. II, p. 28).
  46. Fragment inédit d’une lettre datée de La Châtre, 25 mai 1836, publiée dans la Correspondance de G. Sand (Paris, C. Lévy, in-12, T. I, p. 365), lequel a été publié postérieurement par M. Rocheblave dans la Revue de Paris du 15 décembre 1894, p. 812.
  47. Publié dans la Biographie d’Alfred de Musset par Paul de Musset (Charpentier, 1877. 1 vol. in-12, p. 133). J’ai rectifié le texte sur l’autographe. — Un autre fragment est déjà cité ci-dessus.
  48. Publié dans la Revue des Deux-Mondes du 15 février 1841. M. Maxime Du Camp, dans ses Souvenirs Littéraires (Hachette, 1882-1883, 2 vol. in-8, T. II, p. 358) fait un récit différent de celui de Paul de Musset.
  49. A mon frère revenant d’Italie, Revue des Deux-Mondes, 1er avril 1844.
  50. On peut rapprocher de ces vers, ce passage du 1er chapitre de Léone Léoni de George Sand :
  51. Insérée dans le numéro du 15 février 1854.
  52. Depuis la publication de cette étude, une lettre de Paul de Musset au compositeur Ed. Garnier, du 2 novembre 1859, est parvenue à notre connaissance, dans laquelle il lui dit : «… J’ai des engagements pris qu’il serait trop long de vous expliquer, des travaux considérables à faire, et, entre autres, une biographie aussi complète que possible d’un poète aimé, que des harpies déchirent, et dont il faut que je prépare une défense écrasante pour en finir… »
  53. Lui et Elle est publié dans les livraisons des 10, 25 avril et 10 mai 1859, et parut en volume à la fin de la même année, avec la date de 1860.
  54. C’est du moins ce qu’affirme Paul de Musset dans une note manuscrite.