Documents inédits sur Alfred de Musset/Quelques Œuvres inédites ou peu connues d’Alfred de Musset

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QUELQUES OEUVRES INÉDITES

OU PEU CONNUES

D’ALFRED DE MUSSET


Lorsque la Revue Bleue analysa naguère[1], comme étant d’Alfred de Musset, Denise, une nouvelle de son frère Paul[2], un journal a demandé s’il ne serait pas possible de dresser une sorte de liste des oeuvres inédites de l’auteur des Nuits. Cela me paraît difficile, car ces œuvres sont par elles-mêmes d’une nature très complexe.

Des pièces de vers comme la Chanson pour la fête de sa mère, les Stances à Mlle Z., sont des souvenirs intimes, restés dans la famille du poète, reliques sacrées qui, par un sentiment facile à comprendre, sont pieusement conservées dans les archives familiales d’où elles ne doivent pas sortir.

D’autres, adressées à des jeunes filles, à des jeunes femmes surtout, poèmes d’amour qui sont demeurés un secret entre celui qui les a écrits et celles qui les ont reçus, sont si soigneusement cachées, quand elles n’ont pas été détruites, qu’il est impossible de les retrouver. Et dans les quelques occasions où le hasard ou une indiscrétion les a fait connaître, donner même des initiales serait compromettre inutilement des réputations jusqu’ici sans tache.

Quant aux essais, aux ébauches de ce que j’appellerai les œuvres de travail, aux débris de toutes sortes qui ont été retrouvés dans les papiers du poète, où commencer, où finir ? Paul de Musset en donne un certain nombre dans la BIOGRAPHIE[3] de son frère :

La Prêtresse de Diane, fragment d’élégie.

Agnès, fragment de poème dramatique, dont une « ballade » est encore inédite.

Stances à Ninon : « Avec tout votre esprit… »

La Nuit de Juin, quatre vers :

Muse, quand le blé pousse, il faut être joyeux.
Regarde ces coteaux, et leur blonde parure !
Quelle douce clarté dans l’immense nature !
Tout ce qui vit ce soir, doit se sentir heureux…

Des Fragments du Poëte Déchu, sorte d’autobiographie, qui, avec « Le Poète et le Prosateur », publié dans les Œuvres Posthumes, constituent à peu près tout ce qui reste du manuscrit de l’œuvre, laissé inachevé par Alfred et lacéré par Paul.

Des stances A la sœur Marcelline, incomplètes, mais données en entier dans le FIGARO du 14 mai 1887.

L’Exercice de nos facultés, fragment en prose.

A trente ans, fragment en prose.

Judith et Allori, fragment dramatique, en vers.

Un Sonnet à sa Marraine : « Qu’un sot me calomnie… »

Des Stances à Mme Ristori.

Une Chanson : « Hélas ! Hélas !… »

Le petit moinillon, stances à Mlle E. d’A.

Un Quatrain à Mlle Melesville, écrit au bas d’un dessin de M. Chenavard, représentant la première rencontre de Petrarque et de Laure, dessin où les deux figures du poète et de sa maîtresse avaient quelque ressemblance avec les traits d’Alfred de Musset et de Mlle Melesville. Il avait été question d’un mariage entre les deux jeunes gens.

A ces fragments, il faut joindre les poésies publiées par les soins de Paul :

Le 3 mai 1814, stances. MAGASIN DE LIBRAIRIE, 10 décembre 1859.

Après la lecture d’Indiana, poésie. REVUE DES DEUX-MONDES, 1er novembre 1878.

Variante en vers de : On ne badine pas avec l’amour, acte I. REVUE NATIONALE, 1er novembre 1861.

Sauf quelques exceptions que nous indiquons plus loin, les fragments demeurés inconnus n’offrent qu’un intérêt secondaire, par suite de leur peu d’étendue ou de l’impossibilité de les rattacher à quelque chose. Bien plus, parmi ces exceptions, se trouvent des satires, des facéties sur le personnage ou l’événement du jour, charges d’atelier ou de salon, faites entre amis, pour passer le temps, « en riant et sans malice ni aversion contre personne », comme Alfred de Musset le déclare lui-même au bas de l’une d’elles, mais qui, connues du grand public, pourraient quelquefois être mal interprétées. Celles qui ne peuvent éveiller aucune idée malveillante ont été publiées :

L’Anglaise en Diligence, dans l’ART du 18 février 1883.

Les premières strophes des Stances burlesques à George Sand, dans la REVUE DE PARIS du 15 août 1896.

Des fragments de la Réponse à Ulric Guttinguer, en vers, dans la GAZETTE ANECDOTIQUE du 30 juin 1891.

Le Songe du Reviewer ou Buloz consterné dans le COURRIER DE PARIS du 19 mai 1857, la PETITE REVUE du 15 juillet 1865, et L’INTERMÉDIAIRE DES CHERCHEURS du 10 octobre 1891.

A une Muse ou Une Valseuse dans le Cénacle romantique, en partie dans le FIGARO du 4 novembre 1855, et en entier dans le tome I de la CURIOSITÉ LITTÉRAIRE. (Paris, Liseux, 1880. In-12).

Le Voyage à Pontchartrain, dans une brochure de M. Lorin : UNE EXCURSION A PONTCHARTRAIN. Rambouillet, 1890. In-8º. C’est un récit humoristique, adressé à Charles Nodier, qui répondit à l’auteur par ces stances célèbres, composées sur le même rythme :

J’ai lu ta vive odyssée
    Cadencée, etc…

Ajoutez à cela que Mme Lardin de Musset, faisant un nouveau choix après son frère Paul, a publié encore quelques-unes de ces reliques :

Valentin, qui n’est autre que l’avant-propos de la nouvelle Les deux Maîtresses, dans le GAULOIS du 22 août 1896.

Le Roman par lettres, dont plusieurs passages se retrouvent dans FANTASIO, dans le GAULOIS des 17, 18, 19 et 20 juillet 1896[4].

Des poésies adressées A George Sand, dans la REVUE DE PARIS du 1er novembre 1896.

Restent enfin les communications faites par des tiers, amis ou collectionneurs, qui nous fournissent une nouvelle moisson :

Variantes de La Coupe et les Lèvres. — L’ÉVÉNEMENT, 29 novembre 1881.

Moi, je n’ai jamais fait à la nature humaine…, etc…

Autres Variantes du même poème, le VOLTAIRE, 17 mai 1887, que voici, d’après le manuscrit, le texte publié étant peu correct :

Poésie ! Harmonie ! Amour ! Larmes célestes,
Que les douleurs de l’homme arrachèrent aux yeux
Du vengeur immortel qui les chassa des cieux,
Si vous versez parfois, poisons doux et funestes,
Le baume de l’oubli sur mes cuisants regrets,
Quels trésors ignorés doit recéler une âme
Dont le ciel a puisé l’essence à votre flamme ?
Camp où les feux sacrés ne s’éteignent jamais ?
    Dieu donna la beauté, dont le regard attire
A ces êtres divins qu’il créa d’un sourire,
Leur fit un front de vierge et de longs yeux voilés
Et leur dit en partant : « Allez et consolez ! »
    Mais eux-mêmes souvent, du feu qui les habite,
On les voit ici-bas se plaindre et s’étonner,
Ne pouvant contenir le rayon qui s’agite,
Et qui, venu du Ciel, y voudrait retourner.

[ACTE I, SCÈNE 2].

Ex Dono à un astronome. BIBLIOGRAPHIE ROMANTIQUE, par Charles Asselineau. 2e édit. Paris, Rouquette, 1874. In-8º.

Un Fragment en Vers qui est le début de l’article, en prose, Un Mot sur l’art moderne (publié dans les Mélanges de Littérature). ÉCHO DE

LA SEMAINE, 24 mai 1896 :

Pourquoi la Poésie est-elle morte en France ?
On dit que le public vit dans l’indifférence,
Que le siècle est distrait, que tout meurt aujourd’hui ;
Bonaparte, à Wagram, était distrait, je pense,
Il avait cependant son Ossian avec lui…, etc…

Stances à Buloz. La REVUE DE PARIS ET SAINT-PÉTERSBOURG, 15 décembre 1887 :

Buloz, ma dernière heure est-elle donc venue ?
Dois-je enfin vous compter parmi mes ennemis ?
N’est-il donc rien d’humain au fond d’une revue
Et toute charité vous est-elle inconnue,
Vous qui disiez jadis être de mes amis,
De demander les vers que je vous ai promis ?…..

Quatrain à Gustave Planche. L’ÉVÉNEMENT, 28 janvier 1886.

Crayonné sous les Arbres de Louveciennes, poésie. LA REVUE DE PARIS ET SAINT-PÉTERSBOURG, 25 décembre 1890 :

Pour ouïr les antiques
Dans mes délires rustiques,
Je vais tout droit devant moi…

Madrigal à Augustine Brohan. LE NAIN JAUNE, 7 octobre 1877, souvent réimprimé.

A Pépa, stances. SOUVENIRS DE Mme JAUBERT. Paris, Hetzel, 1881. 1 vol. in-12.

Le Comte d’Essex, plan de tragédie. L’ÉVÉNEMENT, 21 novembre 1885.

Alliance de la prose et de la poésie. LE VOLTAIRE, 23 avril 1887.

Alliance de la prose et de la poésie, qui n’est autre chose que celle de la prose et de la versification. Entre les deux limites qui les séparent, un seul esprit français a trouvé une route, celui dont Molière disait : « Le bonhomme vivra plus que nous ». C’est la seule fois que Molière se soit trompé ; mais le bonhomme allait son chemin, ne se souciant ni de la

prose ni de la versification ; il était le maître et lorsqu’il s’endormait sous les arbres de Versailles, ses gros souliers pleins d’herbes fleuries, il revenait d’un rêve dans un certain sentier où personne après lui ne passera jamais.

[Illustration : Le Comte d’Essex, fac-similé de la 4e page du manuscrit d’Alfred de Musset.

(transcription)

(acte 4)

(chez la reine)

La reine, ses femmes.

La Comtesse D’Essex vient implorer la grace de son mari. Froideur d’Elysabeth — elle la repousse. celle-ci part desesperée —

La reine fait demander Cécil ; elle veut travailler avec lui, son esprit distrait la reporte toujours vers le Comte ; elle songe à la Bague qu’elle lui a donné, et compte sur ce dernier moyen —

(chez Essex)

La Comtesse se désespère —

Raleigh arriva ; il lui propose la grâce de son mari si elle veut le trahir ; refus en colère de la Comtesse. Raleigh sort furieux —

(jugement du Comte)

Il est condamné à mort — ……]

L’ALMANACH DU JOUR DE L’AN, petit messager de Paris pour 1846, publié par J. Hetzel, est un volume in-32, presqu’introuvable aujourd’hui, qui, à la suite des Vers inscrits dans la cellule no 14 de la maison d’arrêt de la Garde Nationale (Œuvres Posthumes) donne ce Quatrain inédit :

Dans cette petite chapelle
L’ennui ne vient qu’aux ennuyeux.
Pense un instant et pars joyeux,
Ta maîtresse en sera plus belle.

On peut encore se procurer facilement :

Un Rêve, ballade, insérée dans LE PROVINCIAL DE DIJON du 31 août 1828, et réimprimée à la librairie Rouquette. (Paris, 1875. In-8º.)

Les Variantes de Venise, écrites pour être mises en musique par Gounod. Choudens, éditeur à Paris.

L’Habit Vert, proverbe par Alfred de Musset et Émile Augier, qui a plusieurs éditions à la librairie Michel ou Calmann Lévy et fait partie du THÉÂTRE d’Émile Augier. C’est cette pièce que le CONSTITUTIONNEL et la REVUE DES DEUX-MONDES annonçaient en 1846 sous le titre de La Montre.

Les vers écrits Au bas d’un portrait d’Augustine Brohan, dans le DÉCAMÉRON DRAMATIQUE, no 5, chez l’éditeur Heugel et qui nous semblent

si jolis que nous ne craignons pas de les citer :[5]

      J’ai vu ton sourire et tes larmes,
      J’ai vu ton cœur triste et joyeux,
      Qui des deux a le plus de charmes ?
      Dis-moi ce que j’aime le mieux :
Les perles de ta bouche ou celles de tes yeux ?

Comme cela rentre bien dans « ce bon souvenir d’une amitié qui vaut bien des amours » !

Le PANTHÉON DES ILLUSTRATIONS FRANÇAISES AU XIXe SIÈCLE, par Victor Frond, donne, comme fac-similé d’autographe, ce fragment :

Froide, maigre, légère, une main palpitante
Voltigeait sur la table où roulait des flots d’or.
Entrons, murmurait-on ! Tuons-le, puisqu’il dort !
Le vieillard chévrotait dans sa robe sanglante :
C’est mon pain quotidien, mon travail, ma sueur.
Le toscin répondait : la ville est au pillage !
Les enfants de la mort lui fouillent dans le cœur !
Les mères, tout en sang, couraient sur le rivage
Appelant leurs enfants qui flottaient sur les eaux.

La Quenouille de Barberine, comédie en deux actes, contient des passages et des scènes que l’on ne retrouve pas dans Barberine, comédie en trois actes. Cette première version de la même pièce se trouve dans toutes les éditions des COMÉDIES ET PROVERBES antérieures à 1852, et la seconde version dans toutes les éditions postérieures.

Le Chant des Amis, cantate, paroles de M. Alfred de Musset, musique d’Ambroise Thomas, exécutée à Lille le 21 juin 1852, éditée primitivement chez Gérard, a été réimprimée chez Brandus et se trouve chez les marchands de musique.

Et même, si l’on veut se donner la peine de chercher un peu, il n’est pas très difficile de mettre la main sur la Dissertation Latine qui remporta le 2e prix au Concours général de 1827 : « Quæniam sint judiciorum motiva ? An cuncta ad unum possint reduci ? » dont le texte est imprimé in-extenso dans les ANNALES DES CONCOURS GÉNÉRAUX. Philosophie. Paris, Hachette, 1828. 1 vol. in-8º, ainsi que sur les articles de critique au TEMPS, omis dans les œuvres, parce que Paul de Musset ne sut pas retrouver ces numéros du journal, qui existent cependant à la Bibliothèque de l’Arsenal et ailleurs :

Exposition du Luxembourg au profit des blessés, 2e partie, 1er janvier 1831.

Revue Fantastique, 2e article, 1er février 1831.
         — 5e article, 21 février 1831.
         — 6e article, 28 février 1831.
         — 13e article, 18 avril 1831.
         — 18e article, 30 mai 1831.

Quant à Alceste, tragédie qu’Alfred de Musset avait l’intention d’écrire pour Mlle Rachel, elle n’a dû exister qu’à l’état de projet, car Paul de Musset déclare que lui-même n’en a jamais connu que le titre.

Comme on le voit, il y aurait matière à former un volume des plus curieux et d’un réel intérêt, avec ces œuvres inédites, surtout si l’on y ajoute les pièces sur lesquelles je vais essayer de donner quelques renseignements, n’ayant point qualité pour en publier le texte.

Mais avant d’aller plus loin, j’indiquerai les pièces apocryphes :

La Satire contre l’Académie qui a paru dans la REVUE ANECDOTIQUE des 1er et 15 juin 1857 n’est pas d’Alfred de Musset, mais de Mme Louise Colet. Le 24 juin 1857, Paul de Musset adressa à ce sujet une lettre de protestation au directeur de la GAZETTE DE PARIS, qui l’inséra dans le numéro du 28 juin. La meilleure preuve que je puisse fournir à l’appui de mon dire, est que le manuscrit trouvé dans les papiers du poète était en entier de la main de cette dame. — Le sonnet Promenade au Jardin des Plantes donné par le MONDE ILLUSTRÉ du 9 mai 1857 et le fragment d’une Comédie en prose se passant rue Saint-Honoré, dans l’ÉVÉNEMENT du 29 novembre 1881, sont du même auteur. — La Branche de Myrthe (GRAND JOURNAL, 23 septembre 1866) n’a jamais existé dans LA PSYCHÉ de 1826. — La Jeune Tarentine (REVUE RÉTROSPECTIVE, 1er mai 1891) est de Sainte-Beuve. — Le quatrain d’Envoi de Denise (l’ÉVÉNEMENT, 25 octobre 1878) est de Aurélien Scholl. — Sur la mort d’un parapluie, poésie, datée du 5 mars 1849 et dans laquelle il parle de ses collègues de l’Académie Française, où il ne fut reçu qu’en 1852, publiée dans l’ILLUSTRATION du 20 décembre ses collègues de l’Académie Française, où il ne fut reçu 1873, fait plus que me sembler être composée par le signataire de l’article, Philibert Audebrand. — Nous avons dit plus haut quel est l’auteur du conte Denise de la REVUE BLEUE. Pour la Critique de Notre-Dame de Paris dans le TEMPS des 31 mai et 17 juillet 1831[6], le Paysage Matinal, sonnet, du VOLEUR du 25 août 1876, et les stances Ce qu’il me faut, du NOUVEAU PARNASSE SATIRIQUE (Bruxelles, 1881, in-8º), j’ignore quels en sont les auteurs, mais ce n’est certes pas Alfred de Musset.

Je citerai enfin comme une simple curiosité six Poésies Médianimiques que M. L. Vavasseur, directeur de la Revue Spirite, a publiées en 1867 dans une plaquette in-18, intitulée : ÉCHOS POÉTIQUES D’OUTRE-TOMBE et une autre pièce du même genre dont M. le Vicomte de Spoelberch de Lovenjoul donne le texte dans son HISTOIRE DES OEUVRES DE TH. GAUTIER (Charpentier, 1887. 2 vol. in-8º, II, p. 311). — LE FIGARO du 17 janvier 1899 donne encore le texte d’une nouvelle poésie médianimique, empruntée au livre de M. Diguet : LES VERS DE L’ESPRIT, RECUEIL DE COMMUNICATIONS TYPTOLOGIQUES.


I

LA NUIT

Alfred de Musset, lorsqu’il était au collège Henri IV, avait été présenté par son condisciple Paul Foucher, dans sa famille, et ce fut ainsi que vers 1822, il fit connaissance de Victor Hugo, qui venait voir sa fiancée, sœur de son ami. Quelques années se passèrent, et lorsqu’un nouveau Cénacle se forma chez M. et Mme Victor Hugo, pour remplacer l’ancien cercle littéraire de la Muse française, Alfred de Musset fut l’un des premiers appelés avec Sainte-Beuve, Émile et Antoni Deschamps, Ulric Guttinguer, Louis Boulanger, etc… On lisait force vers, on causait, on discutait ; on faisait de longues promenades les soirs d’été, et c’est au lendemain d’une de ces conférences littéraires que le futur poète, qui n’avait encore rien produit, cheminant seul sous les arbres du bois de Boulogne, composa sa première ballade, La Nuit :

Quand la lune blanche
S’accroche à la branche
  Pour voir
Si quelque feu rouge
Dans l’horizon bouge
  Le soir,

Fol qui dit un conte,
Car minuit qui compte
  Le temps,
Passe avec le Prince
Des sabbats, qui grince
  Des dents…

C’était en 1827 ou 1828, et hormis la chanson pour la fête de sa mère (16 novembre 1824) et quelques vers adressés en octobre 1826, à une jeune fille de son âge, Alfred de Musset n’avait encore écrit que ses devoirs de collège.


II

L’ANGLAIS MANGEUR D’OPIUM

L’ANGLAIS MANGEUR D’OPIUM, traduit de l’anglais par A. D. M. Tel est le titre de ce petit volume de 221 pages, publié à la librairie Mame et Delaunay-Vallée, en 1828. « Traduit » est certainement exagéré. L’Anglais mangeur d’Opium d’Alfred de Musset n’est ni une traduction ni une imitation, mais une paraphrase du roman anglais de Thomas de Quincey : CONFESSION OF AN ENGLISH OPIUM EATER. D’un trait de plume, le « traducteur » supprime les digressions longues et oiseuses, les qualificatifs répétés, les lourdes discussions qui veulent être pédantes et ne sont qu’ennuyeuses. Là où l’auteur anglais remplit trois pages d’une description, Alfred de Musset poétise et nous rend plus palpable, en trois lignes, le même tableau.

Ce sont bien les mêmes faits, les mêmes idées, la même confession, mais Alfred de Musset n’en a pris que l’essence, et, tout en suivant la donnée du récit, l’a transposé dans son style à lui, en y ajoutant quelques impressions personnelles. En comparant les deux textes, anglais et français[7], je dirai sommairement que Musset a supprimé dans l’ouvrage anglais, en totalité ou peut s’en faut : la notice, les pages 11 à 15, 28 à 30, 55 à 57, 64, 65, 70, 72, 73, 75, 79 à 87, 96, 100, 102, 105, 109, 113, 117, 119, 135 à 144, 149 à 152, 165, 170, 180 à 183 et 187 à 206, sans compter les fragments de phrases retranchés ailleurs ; par contre, sont ajoutées, dans le texte français, les pages 133 à 163, sauf la description de la chaumière (p. 136), de la chambre (p. 139) et l’histoire des deux tasses de thé (p. 140-141) ; le bal, le rendez-vous, l’histoire d’Anna, le duel, sont de son invention, ainsi que la leçon d’anatomie, qui occupe les pages 209 à 216. Cette « leçon d’anatomie » a son importance, non seulement parce qu’elle est entièrement due à la plume d’Alfred de Musset, mais surtout parce qu’elle est le miroir fidèle des impressions qu’il éprouva, lorsque, pendant l’année scolaire 1827-1828, il suivit, à l’École de Médecine, les cours d’anatomie descriptive de M. le docteur Berard[8] ; c’est une page de l’histoire de sa vie :

« La première fois que j’entrai dans les salles de l’École de Médecine, je me souviens encore de l’effet que la vue des cadavres produisit sur moi. Nous étions deux ou trois écoliers ensemble, qui revenions d’une classe de philosophie où l’on nous avait dit beaucoup de belles choses que nous croyions probablement avoir comprises. Nous arrivons. Il y avait sur la table un grand cadavre étendu dans un drap blanc ; on n’en voyait que les pieds, et, à côté, sur la table, un bras écorché qui nageait dans du sang caillé. Je ne sais pourquoi une idée risible qui me vint à l’esprit, me fit tressaillir en ce moment. Je me disais tout bas : « Voilà un bras qui a l’air de demander l’aumône. » Et en effet, la main pendante avait assez cette singulière expression.

« Le professeur n’arrivait pas, et cependant j’attendais avec impatience que ce drap qui me cachait le cadavre fût soulevé. Cet instant vint enfin : je croyais voir quelque chose de beaucoup plus horrible. La leçon commença : je riais de mes camarades que le mal de coeur prenait. Mais lorsque le scalpel vint à entrer dans la chair et que le sang noir, qui coulait lentement sur la poitrine ouverte, commença à exhaler une épouvantable odeur, je m’enfuis à toutes jambes. Que le caractère de l’homme est bizarre ! Il va dans les cimetières arracher les cadavres aux vers et aux corbeaux ; une odeur dangereuse et dégoûtante l’avertit de laisser en paix les morts. Mais la soif de connaître l’anime, et il emporte sous son manteau la tête d’une femme ou le corps d’un enfant : Vouliez-vous que le mal de mer arrêtât de pareils hommes et leur ordonnât de s’en tenir au continent, lorsqu’ils voyaient s’élever en rêve, derrière l’Atlantique, les montagnes d’or de la Colombie ?

« Cependant, rentré chez moi, je voulus manger ; cela me fut impossible ; j’ai même pris tout à fait en horreur le premier plat qu’on me servit et il m’a été impossible d’en manger depuis. Ces impressions, reçues dans ma jeunesse, donnèrent lieu à un rêve que j’avais assez fréquemment.

« Il me semblait que j’étais couché et que je m’éveillais dans la nuit. En posant la main à terre pour relever mon oreiller, je sentais quelque chose de froid qui cédait lorsque j’appuyais dessus. Alors, je me penchais hors de mon lit, et je regardais : c’était un cadavre étendu à côté de moi. Cependant, je n’en étais ni effrayé ni même étonné. Je le prenais dans mes bras, et je l’emportais dans la chambre voisine en me disant : « Il va être là couché par terre ; il est impossible qu’il rentre si j’ôte la clef de ma chambre. »

« Et là-dessus, je me rendormais. Quelques moments après, j’étais encore réveillé ; c’était par le bruit de ma porte qu’on ouvrait ; et cette idée qu’on ouvrait ma porte, quoique j’en eusse pris la clef sur moi, me faisait un mal horrible. Alors, je voyais entrer le même cadavre, que tout à l’heure j’avais trouvé par terre. Sa démarche était singulière : on aurait dit un homme à qui l’on aurait ôté tous ses os, sans lui ôter ses muscles, et qui, essayant de se soutenir sur ses membres pliants et lâches, tomberait à chaque pas. Pourtant, il arrivait à moi sans parler et se couchait sur moi. C’était alors une sensation effroyable, un cauchemar dont rien ne saurait approcher ; car, outre le poids de sa masse informe et dégoûtante, je sentais une odeur pestilentielle découler des baisers dont il me couvrait. Alors, je me levais tout à coup sur mon séant, en agitant les bras, ce qui dissipait l’apparition. Un autre rêve lui succédait.

« Il me semblait que j’étais assis dans la même chambre, au coin de mon feu, et que je lisais devant une petite table où il n’y avait qu’une lumière ; une glace était devant moi au-dessus de la cheminée ; et, tout en lisant, comme je levais de temps en temps la tête, j’apercevais dans cette glace le cadavre qui me poursuivait, lisant par dessus mon épaule dans le livre que je tenais à la main. Or, il faut savoir que ce cadavre était celui d’un homme de soixante ans environ, qui avait une barbe grise, rude et longue, et des cheveux de même couleur qui lui tombaient sur les épaules. Je sentais ces poils dégoûtants m’effleurer le cou et le visage.

« Qu’on juge de la terreur que doit inspirer une vision pareille ! Je restais immobile dans la position où je me trouvais, n’osant pas tourner la page, et les yeux fixés dans la glace sur la terrible apparition. Une sueur froide coulait sur tout mon corps ; cet état durait bien longtemps, et l’immobile fantôme ne se dérangeait pas. Cependant, j’entendais comme tout à l’heure la porte s’ouvrir, et je voyais derrière moi (dans la glace encore), entrer une procession sinistre : c’étaient des squelettes horribles, portant d’une main leur tête et de l’autre de longs cierges qui, au lieu d’un feu rouge et tremblant, jetaient une lumière terne et bleuâtre, comme celle des rayons de la lune. Ils se promenaient en rond dans la chambre, qui, de très chaude qu’elle était auparavant, devenait glacée, et quelques-uns venaient se baisser au foyer noir et triste, en réchauffant leurs mains longues et livides, et en se tournant vers moi pour me dire : « Il fait bien froid ! »

On retrouve une partie de ce cauchemar dans la ballade Un Rêve et dans la 18e Revue Fantastique ; enfin Alfred de Musset se montre encore visionnaire dans la Nuit de Décembre.

L’Anglais mangeur d’Opium a été réimprimé dans le MONITEUR DU BIBLIOPHILE en 1878, de façon à former un volume grand in-8º, avec titre spécial ; il est précédé d’une Notice par Arthur Heulhard.


III

LA QUITTANCE DU DIABLE

La Quittance du Diable, pièce en trois tableaux, en prose, écrite dans le courant de l’année 1830, est le premier essai dramatique d’Alfred de Musset. L’idée primitive lui a été fournie par un épisode du roman de Walter Scott, REDGAUNTLET, intercalé sous le titre de : « Histoire racontée par Willie le Vagabond ». Quelques passages sont même la traduction littérale du texte anglais ; mais, comme pour L’Anglais mangeur d’opium, Musset a transfiguré la narration de son modèle et y a ajouté beaucoup du sien : le personnage de Johny, celui de Miss Eveline et ses amours avec Sténie, sont de son invention.

Cette pièce, présentée et reçue au théâtre des Nouveautés de la place de la Bourse, ne fut cependant pas représentée ; toutefois, il y eut un commencement d’exécution, car sur la première page du manuscrit, se trouve cette distribution des rôles, écrite de la main du Directeur, M. Bossange :

Le Laird de Redgnauntley, M. Casaneuve.

Johny, braconnier Bouffé.

Sténie, jeune fermier Mme Albert.

Miss Eveline, nièce du Laird. Miller.

Gertrude, sa gouvernante Florval.

Écuyers, Piqueurs, Varlets. — La scène est en Écosse.

Mais pendant que le chef d’orchestre du théâtre, M. Beaucourt, composait la musique des vers, éclata la révolution de Juillet, et c’est probablement ce qui empêcha cette tentative d’aboutir.

Devant une interdiction aussi impérieuse qu’inattendue, de la part de Mme H. Lardin de Musset, de donner les moindres indications sur cette pièce, interdiction devant laquelle je m’incline sans vouloir même en rechercher la validité, je renvoie le lecteur aux pages 95-96 de la BIOGRAPHIE d’Alfred de Musset, par Paul de Musset.

Je dirai seulement qu’au 1er tableau, qui renferme une ballade et une chanson en vers, nous assistons à une scène d’amour entre Miss Eveline et Sténie, scène que le laird de Redgnauntley interrompt brusquement en arrivant avec ses piqueurs et ses chiens ; on lui amène un braconnier, Johny, pris en flagrant délit de chasse. Johny et le laird sont deux compères, associés par un pacte avec le diable ; et le braconnier vient réclamer à son seigneur l’exécution de certaines promesses. Au lieu de l’écouter, le laird lance sur lui ses chiens et le fait chasser comme une bête fauve. Grâce à son pouvoir magique, Johny échappe à ceux qui le poursuivent ; il revient vers Sténie, qui pleure ; le laird lui a demandé son fermage, qu’il a déjà payé au défunt maître, qui, mort subitement, n’a pas eu le temps de lui signer sa quittance. Pour se venger, Johny dit à Sténie : Eh bien, viens avec moi, je vais te faire délivrer le reçu qui t’est dû. — Au 2e tableau, nous sommes dans un cimetière, à minuit, et prenons part au sabbat. Après bien des tentations auxquelles résiste Sténie, Sir Robert, le laird défunt, lui donne enfin sa quittance, et dès que le pauvre garçon tient le précieux papier, il s’enfuit, transi de peur, accompagné de Johny. Cette scène comporte une chanson en vers. — Au 3e tableau, tout en prose, nous sommes dans une salle du château de Redgnauntley. Le laird vient de signifier à sa nièce qu’elle va épouser le vieux chevalier Landshaw, que cela lui plaise ou non, quand survient Johny, qui apporte la quittance de Sténie. Le laird reconnaît immédiatement par quel moyen Johny se l’est procurée ; il entre en fureur et veut tuer son acolyte ; mais lui, homme de précaution, est armé, et, de plus, avant d’entrer, a mis le feu au château. Et pendant que Miss Eveline et Sténie, prévenus, s’enfuient loin des tours incendiées, le château s’écroule dans les flammes, ensevelissant sous ses ruines le laird et le braconnier.

Voici la ballade que chante Sténie au premier tableau :

— Beau fiancé, lui dit la dame,
Rattache-moi mes blonds cheveux,
Fais m’en deux tresses et sept noeuds.
Beau fiancé, je suis ta femme ;
Emporte-moi dans ton mantel
Jusqu’au foyer de ton chatel.

— Hélas ! mon amante chérie,
Toute parée en argent fin,
Qui devait m’épouser demain
Dans l’église Sainte-Marie !
Elle m’attendra jusqu’au soir
Dans la grand’salle du manoir.

— Qu’elle t’attende et qu’elle sache
Que ses yeux noirs ne verront plus
Tes varlets aux brillants écus,
Ton casque d’or au blanc panache.
Ton épouse, beau damoiseau,
C’est la pâle Fleur du Lys d’eau !

Mais si la pièce d’Alfred de Musset n’a pas été jouée, le théâtre de l’Opéra-Comique a donné le 31 décembre 1833 la première représentation de Le Revenant, opéra fantastique en deux actes, paroles de M. Albert de Calvimont, musique de Gomis (Paris, Barba, 1834. In-8º), dont le sujet est pris à la même source et l’intrigue presque identique[9]. Albert de Calvimont remonte au point de départ de la légende : nous assistons à la mort de Sir Robert, qui rend l’âme au moment où il va signer la quittance de Sténie ; Miss Eveline est devenue Sara, la filleule de Sir Robert, et Johny le braconnier est remplacé par le fantôme du sommelier Dugald, qui agit sous les ordres de l’ombre de Sir Arundel, aïeul de Sir Robert. Par suite, la chasse à l’homme est supprimée ; même scène d’évocation et du sabbat dans les tombeaux ; Sténie obtient sa quittance. Mais le dénouement se modifie : Sir John, le laird actuel, qui aime aussi Sara, obéissant à un commandement de l’ombre de Sir Arundel : « Mon fils, sois meilleur que ton père ! » revient au bien, et, étouffant son amour qui n’est pas partagé, unit Sténie et Sara.


IV

ALFRED DE MUSSET CRITIQUE

Le 14 janvier 1831, Alfred de Musset écrivait à Alfred Tattet : «…..Je passe ma vie avec une demi-douzaine de peintres ; quels bons garçons, que les artistes, quand ils ne sont pas du même genre que vous ! Je rends compte des petits théâtres, toujours au Temps, je rimaille par boutade…… »

Malgré toutes mes recherches, il m’a été impossible de retrouver ces critiques. A cette époque, aucun article n’était signé dans le Temps et de l’origine du journal à la date de la lettre d’Alfred de Musset, j’ai relevé deux cent trente-six chroniques théâtrales. Combien Alfred de Musset en a-t-il écrit dans ce nombre ? Je l’ignore. Son premier article connu, se trouve dans le numéro du 27 octobre 1830 (Exposition du Luxembourg, 1re partie). Or dans les numéros des 29 novembre, 6, 13 et 27 décembre, on rencontre quatre articles portant cette rubrique : « Revue des Théâtres secondaires ». Peut-être n’est-ce qu’une simple coïncidence, mais dans sa lettre, Alfred de Musset parle de « petits théâtres », et ces quatre revues sont publiées le lundi, comme les Revues Fantastiques, qui, elles non plus, ne sont pas signées.

Et cette collaboration anonyme ne s’est pas bornée au journal Le Temps. L’Europe Littéraire, dont la première période, sous la direction de Victor Bohain et Alphonse Royer, va du 1er mars au 9 août 1833, dans son SUPPLÉMENT AU PROSPECTUS, publie cette lettre :

« A Messieurs les Directeurs de l’Europe Littéraire.

« Messieurs,

« Je serai très heureux de pouvoir entrer pour quelque chose dans la rédaction de votre nouveau journal. En acceptant la proposition que vous avez bien voulu m’en faire, je vous remercie d’avoir associé mon nom à une entreprise pour le succès de laquelle tous les hommes de bon sens doivent faire des voeux, et tous les artistes des efforts.

« Agréez, messieurs, l’expression des sentiments les plus distingués de votre bien dévoué serviteur.

« ALFRED DE MUSSET. »

« Paris, 23 novembre 1832. »

Bien qu’il n’y ait aucun article signé de lui dans ce journal, son nom figure dans la liste de ses rédacteurs.

J’ai la conviction qu’Alfred de Musset a collaboré sous le voile de l’anonyme, à quelque périodique. Ce qui me confirme dans cette idée, c’est que j’ai vu dans ses papiers :

1º Un Compte-rendu du Gustave III, opéra en 5 actes de Scribe, musique d’Auber, représenté à l’Académie royale de musique le 27 février 1833, qui, à de certaines maculatures, semble être passé par les mains d’un compositeur d’imprimerie.

2º Des notes préparées pour une rédaction sur le Procès d’Émile de La Roncière, qui fut jugé en juillet 1835.

3º D’autres notes sur la Guirlande de Julie, offerte à Mlle de Rambouillet, Julie Lucine d’Angennes, par le marquis de Montausier, qui semblent se rapporter à un exemplaire de l’édition illustrée publiée en 1818, chez Didot jeune.

Depuis la publication de ces lignes (15 janvier 1898), j’ai retrouvé le Compte-rendu de Gustave III, et le voici, tel qu’il est imprimé sans signature dans la REVUE DES DEUX-MONDES du 15 mars 1833, tome I, page 682.

« 14 mars 1833.

« Il n’y a d’important dans les nouvelles théâtrales de la quinzaine, que Gustave III. Quelle drôle de chose, que de rendre compte d’un opéra ! Un opéra nouveau est une si drôle de chose par lui-même !

« Autrefois, dans une académie royale de musique, on se serait imaginé qu’on allait entendre de la musique. Quant à moi, je ne suis point musicien, je puis le dire comme M. de Maistre, j’en atteste le ciel et tous ceux qui m’ont entendu jouer du piano. Mais je crois qu’en vérité, je n’en ai pas besoin cette fois-ci. Ce qu’il y a de plus joli dans Gustave, en fait de musique et de poëme, c’est un galop.

« Oui, un galop ! Il n’y a que cela dans la pièce. Vous croyez peut-être que j’en veux dire du mal. Point du tout : la pièce est admirable, car le galop est divin. Et comment aurait-on pu amener le galop sans la pièce ? Comment la pièce aurait-elle fini sans le galop ? Vous voyez bien que cela se tient. Remarquez, je vous prie, comme ce galop est amené :

« Vous savez que Gustave III a été assassiné par un de ses amis, nommé Ankastroëm, par la raison qu’il lui avait fait perdre son argent, en changeant la valeur des papiers publics. C’est une raison comme une autre, et qui vaut bien celle pour laquelle M. Levasseur tire un coup de pistolet à M. Adolphe Nourrit, le seul crime de M. Nourrit étant, à ma connaissance, de chanter une ariette ou deux à Mlle Falcon. Ankastroëm était donc à couteau tiré depuis un an ou deux avec son bon roi ; M. Levasseur est très bien avec M. Nourrit ; c’est son favori, son confident intime. Le premier acte s’ouvre là-dessus.

« Je comprends que le caractère de Gustave est très bien compris par le costumier. Sa redingote verte est admirable. Nonchalamment couché sur un sopha, le sage monarque se fait jouer un ballet, pour se délasser des soins de son empire ; mais, dussé-je passer pour un maniaque et un ignorant, je ne saurais approuver les roses pompons de couleur écarlate, qu’il porte à ses souliers.

« Au second acte, nous sommes chez la sorcière. Quelle sorcière ? dites-vous. C’est ce que j’allais vous demander. Mais qu’il vous suffise d’apprendre que le roi est déguisé en matelot. Le costume va à ravir au jeune page, mademoiselle Dorus. La sorcière prédit au roi qu’il sera assassiné : amen dico vobis. Et comme Jésus-Christ, Gustave reçoit de son futur meurtrier, la poignée de main de Judas.

« Au troisième acte, nous sommes en plein vent. La décoration est superbe. Ankastroëm trouve sa femme en rendez-vous avec son maître, et, comme le mari de Molière, il se charge de la reconduire voilée. Il paraît, d’après ce que j’ai entendu dire, que ce mari, qui ne reconnaît pas sa femme, et qui lui offre galamment le bras pour la ramener à la ville, est d’un effet très dramatique. Voilà comme tout change avec le temps.

« Au quatrième acte, Ankastroëm, qui a reconnu sa femme, chante dans ses appartements, avec un petit nombre d’amis.

« Au cinquième acte, voilà où j’en voulais venir, on danse le galop. Ceux qui n’ont pas vu ce galop, ne savent rien des choses de ce monde. Jamais l’éclat des bougies, le bruit d’une fête, le parfum des fleurs, la musique, la folie et la beauté, n’ont fait une heure de plaisir comparable à celle-là. Jamais les masques agaçants, les costumes bizarrement accouplés, les dominos et les grotesques n’ont fait ondoyer leurs mille couleurs avec plus de grâce et d’esprit sous l’éclatante lueur des lustres. Jamais un collégien lisant les Mille et Une Nuits, n’a vu passer dans ses rêves du soir une fantasmagorie plus voluptueuse et plus enivrante. L’ensemble en est éblouissant ; l’analyse en est amusante. Si c’est là ce qu’on appelle l’art du théâtre, son but est rempli. La réalité est vaincue, et la magie n’ira pas plus loin.

« Et je vous le demande, que nous importe le reste ? Que nous importe à nous qui venons nous accouder sur un balcon deux heures après dîner, que l’art soit en décadence, que la vraie musique fasse bâiller, que les poèmes de nos opéras dorment debout ? Que nous importe que les bouffes aient perdu la vogue, que l’admirable talent de Rubini s’épuise en difficultés et danse sur la corde comme l’archet de Paganini ? Que nous importe qu’on en soit venu, pour attirer le foule, jusqu’à faire de nos opéras des concerts, et de nos concerts, des opéras ; qu’on nous donne un acte de l’un, un acte de l’autre, qu’on mutile Don Juan (Don Juan !) ; qu’on n’ait plus ni le sens commun ni l’envie de l’avoir, qu’avaient du moins nos pères ; que les principes soient à tous les diables et madame Malibran en Angleterre ? Il nous reste un galop, et, du moment qu’on danse, qu’importe sur quel air ? J’aime autant mes yeux que mes oreilles.

« Vous croyez peut-être que c’est par fantaisie que l’opéra est à la mode ? Pas du tout. Il y a une raison à tout ce qui se fait sous la lune, et la Providence sait pourquoi un siècle porte des habits carrés plutôt qu’un autre. C’est l’éternelle sagesse elle-même qui a mis le moyen-âge en pantalon collant, et pas un atome de poudre à la Richelieu n’est tombé impunément sur la nuque de la régence. Avez-vous été au Gymnase depuis peu ? aux Variétés ? à la Porte-Saint-Martin ? Êtes-vous convaincu qu’on y bâille ? Je ne vous demande pas si vous êtes allé aux Français, car il paraît qu’à la lueur de certaines lampes mal entretenues d’une huile épaisse, il se joue chaque jour sous une voûte déserte au coin du Palais-Royal, une certaine quantité de drames ignorés. Mais pour tout dire en un mot, êtes-vous allé hier, irez-vous demain ailleurs qu’à l’Opéra ? Là est le siècle tout entier. Que nos musiciens apprennent à jouer des contre-danses ; qu’ils songent à entourer ce divin spectacle de languissantes mélodies, de molles sérénades ; à ce prix, on veut encore de leurs efforts ; que nos poètes sachent amener une fête, une orgie ; qu’ils placent à propos dans leur cadre douze légères folies armées de leurs grelots ; qu’on y assassine un roi ou deux, si vous y tenez, mais que nous ayons des bals à la cour et des galops.

« A propos de galop, voilà le carnaval qui se meurt. C’est aujourd’hui la mi-carême, bien qu’il n’y ait plus de carême. N’y a-t-il pas eu quelque part des criailleries contre notre carnaval de cette année ? Il appartient à un pédant ennuyé de vivre, d’injurier des mascarades. A qui diable une mascarade a-t-elle jamais fait tort de sa vie ? On se plaint que les jeunes gens aillent aux Variétés ; je demande où l’on veut qu’ils aillent. Le faubourg Saint-Germain n’a pas donné un bal ; il ne s’y prend pas une glace, il ne s’y attèle pas quatre chevaux par jour. La Chaussée-d’Antin bâille fort aussi, quoiqu’on y attèle beaucoup et qu’on y mange de même. Pourquoi le jour du bal de l’Opéra, lorsque le directeur a voulu faire une tentative hardie et nouvelle, personne n’y a-t-il répondu ? Pourquoi ce jour-là comme les autres, pas une femme du monde n’a-t-elle osé prendre le masque ? Je ne dis pas le domino ; ce vieil et insipide oripeau se promène depuis longtemps dans le désert. Mais on nous parle des mœurs de la Régence ; en quoi les nôtres valent-elles mieux ?

« Lorsque la Reine de France, déguisée en marchande de violettes, venait avec sa cour à l’Opéra, l’esprit pouvait entrer dans les plaisirs de la soirée, et il sortait de ces lèvres de carton rose d’autres choses que les hurlements de l’ivresse et les saletés du cabaret. Vous appelez ces mœurs infâmes ; vous repoussez les femmes dans leurs ménages, et vous entourez d’une grille de fer le berceau de leurs filles. Cela est sage, très juste, très décent. Mais un jeune homme ne se marie pas à vingt ans, et tous les ans le mardi gras vient à son heure, qu’on veuille ou non de lui. Accorderez-vous à la jeunesse qu’elle ait des sens, des besoins de plaisir, parfois même des jours de folie ? Où voulez-vous qu’elle les passe ? C’est un Anglais silencieux qui glisse sous une table inondée de porter, sans proférer une plainte, et qui s’éteint dans l’eau-de-vie avec le papier embrasé qui la brûle. Il faut aux Français des voitures pleines de masques, des torches, des théâtres ouverts, des gendarmes et du vin chaud. Tant pis pour le siècle où les cabarets sont pleins et où les salons sont vides. Donnez la terre aux Saint-Simoniens, à chacun une pioche et un bonnet de coton. Otez à l’or sa valeur, au plaisir son attrait ; faites de la société un champ de blé de la Beauce, où pas un épi ne dépasse l’autre. Vous n’aurez plus alors de jeunesse dorée, ni de longchamp sur le boulevard Italien. Mais tant que vous voulez vivre dans un pays libre, où chacun peut faire ce qu’il entend, où l’or est en cours, où le plaisir est à bon marché, ne vous étonnez pas que les jeunes gens aillent en masque ; et vous, législateur prudent et circonspect, qui prêchez la morale publique, souvenez-vous de Caton l’Ancien, qui félicitait un jeune homme en le voyant sortir d’un lieu de débauche. »

V

LES DERNIERS MOMENTS DE FRANÇOIS Ier

On ne connaît des Derniers moments de François Ier, drame en vers, que le fragment qui a été publié dans le KEEPSAKE FRANÇAIS. 2e Année. 1831. Chez Giraldon Bovinet, 1 vol. in-8º, qui fut mis en vente vers la fin de l’année 1830.

Pour quelle raison Alfred de Musset ne termina-t-il pas ce drame ou détruisit-il ce qu’il en avait écrit (car le manuscrit n’a jamais été vu) ? Peut-être la connaissance d’un drame analogue, pour le sujet comme pour la forme, la Mort de François Ier par Félix Arvers[10]. Au mois de janvier 1850, M. Charpentier imprimant un nouveau volume d’œuvres d’Alfred de Musset, lui avait transmis le vœu exprimé par bien des personnes, de voir adjoindre à ce livre des poésies inédites jusqu’à ce jour. En ce qui concerne ce drame, l’auteur se borna à lui répondre : « J’ai beau faire, je ne puis pas corriger ces Derniers Moments de François Ier ; il y a dix-neuf ans que c’est au rancart »[11].

Alfred de Musset et Félix Arvers se connaissaient ; ils avaient des amis communs, Paul Foucher, Alfred Tattet ; tous deux se trouvèrent plus d’une fois côte à côte à la table de Ulric Guttinguer, rue de Courcelles, dans cette maison des Lilas, rendue célèbre par la fête printanière donnée en l’honneur de M. et Mme Victor Hugo. Ils se rencontraient aux soirées de l’Arsenal, chez Charles Nodier, dont ils étaient les hôtes assidus ; ils adressaient même des vers à la fille du maître de ce logis, car l’innommée du fameux sonnet :

« Mon âme a son secret, ma vie a son mystère »

et l’héroïne des Stances :

« Madame, il est heureux, celui dont la pensée »

ne sont qu’une même personne, mademoiselle Marie Nodier, qui devint madame Ménessier. De plus, le 1er janvier 1830, Arvers avait fait ses débuts dans le notariat comme clerc chez Me Guyet-Desfontaines, ami de la famille de Musset ; en sa qualité de poète, le jeune basochien avait ses entrées au salon.

« La Mort de François Ier, drame en 3 actes, en vers, dédié à mon ami Roger de Beauvoir » par Félix Arvers, porte la date de juin 1831, dans le recueil où il a été publié[12]. On y trouve certaines similitudes avec le drame d’Alfred de Musset ; ce passage de la scène 3 du IIIe acte, se rapproche beaucoup du début du dialogue entre François Ier et son Fol :

FRANÇOIS Ier

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
S’il est vrai que souvent ma raison égarée,
Aux pompes de Satan, jadis se soit livrée,
N’ai-je rien fait aussi qui puisse retenir
Le bras de Jésus-Christ levé pour me punir ?
Fils aîné de l’Église, ardent à sa querelle,
J’ai défendu sa gloire et combattu pour elle.
Que me reproche-t-on ? N’ai-je pas résisté
A ce torrent du schisme et de l’impiété ?
N’ai-je pas su, malgré des efforts sacrilèges,
Remettre le Saint-Père en tous ses privilèges ?
Et savez-vous un roi qui fut meilleur soutien
Du Saint Nom de Jésus et du monde chrétien ?…….

Cela se poursuit dans la réplique de Féron, et, quelques vers plus loin, la ressemblance est encore plus grande :

FRANÇOIS Ier

…….. Ah ! ce n’est pas la mort qui m’épouvante !
L’Espagnol me connaît, de reste, et je me vante
Que dans toute l’Europe il n’est pas chevalier
Plus âpre à la besogne et plus franc de collier.
Pourquoi, dans les combats, n’ai-je perdu la vie ?
Je serais si bien mort aux plaines de Pavie,
Au bruit des instruments de guerre et des clairons,
Entouré de mes preux chevaliers et barons !
Mon armure eût servi de linceul militaire
Et mes soldats pleurant m’auraient mis dans la terre
Humide encor du sang que ma main eût versé,
Comme ils ont fait Bayard, quand il a trépassé.

Et dans Alfred de Musset :

LE ROI

Dieu du saint Évangile ! O Dieu, j’ai fait pourtant
Brûler par Bonneval tout un bourg protestant !
Dans un pourpoint de fer, certes, je fus à l’aise ;
Maintenant, je suis mort, ma cuirasse me pèse !
O mon cousin Bayard ! Il mourut tout poudreux,
Les reins tout fracassés !….. Il était bien heureux !
(Délirant) Oh ! parmi les tournois, les écharpes dorées,
Les vieux barons de fer, les femmes adorées !
O soleil d’Italie ! O mon beau Milanais !
Où trouver pour mourir, tes champs, si je renais ?
Mourir la dague au poing, mourir le casque en tête,
Des éclairs que l’acier croise dans la tempête !
En bas d’un palefroi saillir contre un sol dur,
Et tomber sur le dos, sous un beau ciel d’azur !
Hardi, mes preux sans peur, ma vaillante noblesse !
Hardi, mes lansquenets, dans la mêlée épaisse !
Hardi ! — C’est d’Alençon sur la colline assis !
C’est Chabanne et ses gens, de poussière noircis !
Bien combattu, Dunois ! Comme il court, comme il vole !
Je te fais duc et pair, Dunois, sur ma parole !
Trivulce ! A Marignan et tant d’autres endroits,
Mes féaux serviteurs, on vous a vus tous trois !

Marignan laissa-t-il entre vos cicatrices
De quoi, sur votre cœur, écrire vos services ?
Quelle bataille, amis ! Elle dura deux jours !
Un soir vint….. puis un autre….. on se battait toujours ;
Et de faim ni de soif, nul ne sentait l’envie.
Deux jours !….. nul ne songea qu’à sa mort ou sa vie ;
Et les bataillons noirs se heurtaient dans la nuit,
Et fatigués du bruit, n’entendaient plus de bruit.
On se battait ! — Quand vint un matin le silence,
Comme, tout étonné, je restais sur ma lance,
La Tremouille arriva, qui me dit : « Ils sont morts ! ».
Et je vis, en effet, que l’on comptait les corps.

Dans les Derniers moments de François Ier, Féron faisant le compte des maris outragés, qui ont voulu tirer vengeance du roi François, sans y réussir comme lui, émet des idées qu’on retrouve dans les scènes 3, 4 et 5 du 1er acte de La Mort de François Ier.

Malgré ces ressemblances, ces deux drames n’ont pas été copiés l’un sur l’autre, et celui de Musset a une priorité d’au moins une année sur celui d’Arvers.

Il existe deux autres drames célèbres sur les amours de François Ier, qui ont été plus d’une fois comparés avec les deux pièces dont je viens de parler :

Le Roi s’amuse, drame en cinq actes, en vers, par Victor Hugo, représenté pour la 1re fois au Théâtre Français le 22 novembre 1832 et pour la seconde fois le 22 mars 1882.

Et Ango, drame en cinq actes et six tableaux, avec épilogue, en prose, par Auguste Luchet et Félix Pyat, représenté pour la première fois sur le théâtre de l’Ambigu le 29 juin 1835.

Enfin, M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul nous apprend dans ses LUNDIS D’UN CHERCHEUR (C. Lévy, 1894. 1 vol. in-12, p. 8-9), que Théophile Gautier avait songé à composer un drame sur le même sujet.

Les Derniers moments de François Ier ont été réimprimés avec plus ou moins d’exactitude dans le KEEPSAKE FRANÇAIS de 1832, le KEEPSAKE FRANÇAIS DE 1833, le MONDE DRAMATIQUE du 16 juillet 1835, et, sous le titre d’Ango, dans l’ARTISTE du 15 juillet 1850. D’autres revues en ont publié des fragments.


VI

PERDICAN

Perdican est un fragment de drame lyrique, composé peu de temps avant On ne badine pas avec l’amour. Une seule scène est écrite.

Perdican, fils d’Evrard, pleure la mort de son père, tué dans un récent combat ; un chevalier vient essayer d’enlever à son inaction le fils de son ancien compagnon d’armes. Perdican résiste ; d’autres chevaliers surviennent :

Crois-tu que nous soyons comme le vent d’automne,
Qui vient sécher tes pleurs jusque sur ce tombeau
Et pour qui ta douleur n’est qu’une goutte d’eau ?
Les hommes, mon enfant, ne consolent personne ;
L’herbe que nous voulons arracher de ce lieu,
C’est ton oisiveté ! Ta douleur est à Dieu !
Laisse là s’élargir cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du cœur ;
Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur !
Montre la tienne au monde, et prends-la pour armure…

Mais malgré tous leurs discours, Perdican reste indécis.

Plusieurs vers de Perdican se retrouvent dans la Nuit de Mai.


VII

CONFESSION D’UN ENFANT DE L’AUTRE SIÈCLE

Cette Confession d’un Enfant de l’autre Siècle, composée en mai 1842, n’a, malgré son titre, aucun rapport avec la Confession d’un Enfant du Siècle. C’est une sorte de préface, dans laquelle Alfred de Musset s’excuse presque de faire encore des vers, et demande l’indulgence de ses amis :

. . . . . . . . . . . . .
Mil huit cent vingt ! Nous éclosions
Dans les mélanges poétiques
. . . . . . . . . . . . .
Puis dix ans nous nous reposions
Au sein des drames romantiques.
Venaient après ?… je ne sais plus,
Sinon que c’était du plus tendre,
Du cœur brisé, des sens émus,
Et beaucoup de vœux superflus.
Dix nouveaux ans encor de fièvre !
Arthur[13] paraît, le malheureux,
Déplorablement vertueux,
Triste réveil d’un charmant rêve !
Est-ce la fin ? Hélas ! Hélas !
Voilà que viennent des Lilas ![14]
C’est l’amitié qui les fait naître,
Le temps d’éclore et de paraître,
De parfumer une fenêtre,
Et tout est dit de cette fois !

Mais comme ils sont négligés, ces vers, mal présentés,

Avec des trous à leur chemise ;

grande est leur sottise de paraître en pareil accoutrement devant leurs amis et maîtres ; cependant, on leur pardonnera en faveur de leur bonne intention et du grand âge de leur auteur.

Ce petit poème est adressé à Monsieur ou à Madame Alfred Tattet. Peut-être est-ce la lettre qui accompagnait l’envoi d’un volume de poésie.

VIII

LES FRÈRES VAN BUCH

Les Frères Van Buch, légende allemande, tel est le titre d’une nouvelle en prose publiée dans le CONSTITUTIONNEL du 27 juillet 1844 et précédée d’une Lettre au Directeur.

Dans une petite ville des bords du Rhin, habite le vieil orfèvre Hermann ; sa fille Wilhelmine revient ce jour même du couvent, et, dès leur première rencontre avec deux jeunes graveurs, voisins et hôtes assidus de son père, Henri et Tristan Van Buch, inspire un violent amour aux deux frères. Les jeunes hommes se cachent leur mutuelle passion, mais leurs rêves les trahissent, et dans l’impossibilité où ils sont d’épouser la même jeune fille, ils décident de s’en rapporter à son choix : « Ma fille, leur répond l’orfèvre, vous a vus tous deux ; elle chérira Tristan comme un époux et Henri comme un frère. » Henri s’efface devant l’heureux élu, mais bientôt il se sent incapable de tenir son serment. Un jour qu’ils chassent, il s’en ouvre à son frère et le supplie d’attendre qu’il soit mort pour épouser Wilhelmine ; devant un si grand désespoir, Tristan offre à Henri de lui céder ses droits : « Que je l’épouse ! s’écria l’autre. Me transmettrez-vous son amour en me transmettant vos droits ? Il faut cependant que l’un de nous en meure ! ajouta-t-il d’une voix sombre. Sa main tremblait et battait contre son couteau de chasse. — Oui, répondit Tristan. » Et la lutte s’engage. Bientôt tous deux sont mortellement frappés ; Tristan tombe à terre, mais Henri reste debout, vacillant et immobile : « Du fond de la vallée, dans le crépuscule, une forme vague sembla tout à coup se détacher et s’avancer vers eux. Elle montait lentement la colline et, à mesure qu’elle approchait, les fils reconnaissaient leur mère. Au moment où le spectre parut, entièrement visible et reconnaissable, celui qui était debout, par un suprême effort, quitta la place où il était cloué, et alla se jeter dans les bras de celui qui gisait à terre. Ainsi tous deux, couverts de larmes et de sang, expirèrent dans un dernier embrassement. »

Les Frères Van Buch ont été réimprimés dans le supplément du FIGARO du 29 août 1875. En 1878, un admirateur d’Alfred de Musset a fait composer et tirer cette nouvelle à huit exemplaires, pour lui et ses amis, 19 pages in-4º sur papier vergé.

Lous dus frays bessous, per Jasmin, balado dediato a moussu De Salvandy (Agen, Imprimerie Noubel, 1847. In-8º de 32 pages) semblent imités de cette nouvelle d’Alfred de Musset.


IX

EN LISANT LE JOURNAL

Le mariage de la reine Isabelle d’Espagne avec son cousin Don François d’Assises et celui de sa sœur Doña Fernanda avec le duc de Montpensier, célébrés ensemble le 10 octobre 1846, et conclus contre le gré de l’Angleterre, avaient amené des représentations très vives de la part du cabinet anglais. Au mois de novembre de la même année, l’annexion de Cracovie, ville libre, aux États Autrichiens, par suite d’entente entre les trois puissances qui s’étaient partagé la Pologne — la Russie, la Prusse et l’Autriche — donnèrent lieu à des remontrances de la France pour cette violation des traités de 1815, remontrances qui ne furent pas écoutées. Des bruits de guerre coururent ; aussi, à l’ouverture de la session parlementaire de 1847, une discussion très vive eut lieu à la Chambre entre M. Guizot et M. Thiers. Les journaux de l’opposition accusèrent le ministère de reculer et de ne pas oser soutenir l’honneur du drapeau français. C’est la lecture d’un de ces articles qui inspira ces stances à Alfred de Musset, l’une de ses rares pièces politiques, qui débutent ainsi :

J’aurais voulu, même en tremblant,
Même étourdi par ton tonnerre,
J’aurais voulu suivre sur terre,
César, ton éperon sanglant.

Un ami d’Alfred de Musset m’a communiqué le manuscrit d’une autre pièce du même genre, intitulée La Lanterne magique, écrite vers 1830, dans laquelle il passe en revue la double face des choses de ce monde.


X

SUR MES PORTRAITS

Je ne crois pas commettre une indiscrétion en donnant en entier cette poésie satirique, dont L’INTERMÉDIAIRE DES CHERCHEURS ET CURIEUX du 15 juillet 1891 a publié les sept premiers vers :

Nadar, dans un profil croqué,
        M’a manqué,
Landelle m’a fait endormi,
        A demi ;
Biard m’a produit éveillé,
        A moitié ;
Le seul Giraud, d’un trait rapide,
        Intrépide,
Par amour de la vérité,
        M’a fait stupide.
Que pourra pondre dans ce nid
        Gavarni ?

La lithographie de Gavarni fut exécutée en 1854, ce qui nous donne la date du morceau. Tous ces portraits ont été gravés à l’exception de deux : celui de Giraud, charge à l’aquarelle que l’on a pu voir en 1888 à l’Exposition des Maîtres français de la Caricature, et celui de Biard, que, malgré le bon vouloir de la fille du peintre, la spirituelle Étincelle, il m’a été impossible de retrouver.


XI

NAPOLÉON

« Napoléon, ton nom est un cri dans l’histoire….

Ce sonnet est encore une pièce politique, écrite en 1856 et qui semble avoir été inspirée au poète par la vue d’une peinture ou d’une sculpture représentant un soldat blessé, étendu aux pieds d’une Victoire.

Un autre fragment de huit vers, sans date, adressé également à Napoléon, subsiste aussi, qui commence par ces mots : « Oh ! d’ennemis sans foi…. »

  *       *       *       *       *

Je noterai encore quelques brouillons se rattachant à des pièces publiées et qui présentent des variantes avec le texte imprimé, pour Les Marrons du Feu (deux fragments), Le Saule (deux), La Coupe et les Lèvres (quatre, dont l’un porte le titre de Brandel, et qui ne sont pas les mêmes que les deux fragments indiqués ci-dessus) ; Rolla (un) ; quelques phrases inédites de la Confession d’un Enfant du Siècle, dont un passage est publié dans le supplément du FIGARO du 14 mai 1887 ; cinq plans ou divisions de scènes différents pour Lorenzaccio[15] ; deux projets d’un nouveau dénoûment du Chandelier, faits en 1850, lors de l’interdiction de la pièce ; un commencement d’étude en prose Sur Léopardi, qui est publié en vers et terminé sous le titre de Après une lecture ; un sonnet Au Rhin ; un fragment de poème dramatique en trois chants, L’Oubli des Injures, dont plusieurs passages se retrouvent dans La Coupe et les Lèvres ; un autre fragment en vers, qui est un dialogue entre Rolla et le Grand-prêtre, sans titre ; une première version du Sonnet au Lecteur de 1850 ; d’autres fragments inédits des stances Sur la Paresse, de la chanson Les Filles de Cadix, de Louison, de Carmosine, de Faustine et du Songe d’Auguste.

Il ne subsiste après cela, parmi les manuscrits d’Alfred de Musset, que des ébauches (les Deux Magnétismes ; deux Lettres à Buloz, inachevées, l’une sur les réformes théâtrales, l’autre sur les « voleurs de noms » ; cette seconde lettre est le dernier morceau en prose sorti de la plume d’Alfred de Musset. Un Thé ; une Comédie sous le règne de Louis XV, sans titre ; A Mme ***, sur le suicide ; Adolphe, etc…) ; des essais de tournures de phrases, des fragments de poésies où le sens finit au milieu d’un vers inachevé, où les vers s’arrêtent avant le sens (Sur Grévedon, A Mme Ristori, Conte en vers se passant en Limagne, A Willa, A un jeune peintre, etc…) ; des lignes de prose qui n’ont ni commencement ni fin (Sur la Guerre d’Orient, Sur la Visite de la Reine d’Angleterre, etc…), débris qui ne peuvent figurer dans les œuvres de l’écrivain.

  *       *       *       *       *

Il ne me reste plus à parler maintenant que de certaines œuvres que l’on attribue à Alfred de Musset, sans donner la preuve certaine qu’il en est l’auteur : « Alfred de Musset n’a jamais employé de secrétaire, dit Paul de Musset. Toute publication posthume dont on ne pourra pas produire l’autographe, sera évidemment apocryphe et mensongère. » (BIOGRAPHIE, p. 371). Il faut s’entendre sur ce mot autographe : Paul de Musset désigne non seulement ceux écrits en entier par Alfred, mais aussi ceux écrits sous sa dictée, après 1842, par Mlle Colin, alors qu’il était malade et dans l’impossibilité de tenir une plume, lesquels sont revus par lui et corrigés de sa main ; le plus important de ces « seconds autographes » est celui de Carmosine.

Tel est le cas des pièces qui suivent : où est l’autographe ?

Chanson de Sténio, intercalée dans la première édition de LÉLIA par George Sand. (Dupuy et Tenré, 1833. 2 vol. in-8º. Tome II, p. 208.)

Quatrain à H. de Latouche, composé en 1833, à propos des polémiques sur George Sand. LA REVUE DES FAMILLES, 1er mars 1892.

Deux Sonnets à Alfred de Vigny, l’un par George Sand, l’autre par Alfred de Musset, envoyés à l’auteur de Chatterton au lendemain de la représentation de cette pièce. REVUE MODERNE, juin 1865.

Avant de les publier dans la Revue, M. Louis Ratisbonne avait soumis ces deux sonnets à l’appréciation de Paul de Musset, qui lui fit cette réponse :


« Monsieur et cher confrère,

« En pensant aux deux sonnets que vous avez eu l’obligeance de me communiquer, j’ai conçu des doutes sérieux sur leur authenticité. A moins de preuves du contraire, je ne puis croire qu’ils soient de mon frère. Le mot race bovine, que contient l’un des deux, et plusieurs autres expressions de colère ou de mépris appliquées aux critiques du drame de Chatterton, me semblent un peu trop forts en crudité. On n’a pas tant de ressentiment pour des critiques adressées à un autre. Je croirais volontiers que M. de Vigny a pu faire ces deux sonnets dans un moment d’irritation, et s’amuser ensuite à supposer qu’il les avait reçus de personnes qui, sans doute, lui avaient fait des compliments sur la pièce qu’on représentait alors avec succès à la Comédie Française. Je vous engage donc à ne pas publier sous le nom de mon frère celui que M. de Vigny lui a attribué, à moins que vous n’en retrouviez l’autographe, car cet autographe doit exister si le sonnet a été envoyé. Quant à l’autre sonnet, attribué à une personne qui n’a jamais fait de vers, son caractère évidemment pseudonyme est une preuve à l’appui de mon opinion que tous deux sont de l’auteur de Chatterton. Je ne vois que la découverte des autographes qui puisse me faire revenir de cette opinion. Si vous les retrouvez, soyez assez bon pour m’en donner avis ; mais s’il n’existe dans les papiers de M. de Vigny que la copie écrite de sa main, dont vous m’avez donné lecture, il sera prudent de ne les considérer que comme des documents incertains.

« Agréez, Monsieur et cher confrère, l’assurance de mes sentiments distingués.

« 9 mai 1865.

« P. DE MUSSET. »

Malgré cette lettre, la publication fut faite et M. L. Rastibonne eut raison, car M. Georges Jubin, dans la Revue bleue du 3 avril 1897, a publié des documents, dont une lettre d’Alfred de Musset à Buloz, qui ne laissent plus aucun doute sur l’authenticité de ces deux sonnets, dont Alfred de Musset est l’auteur.

Sur les Auteurs de mon temps, strophes burlesques dont voici la dernière :

          Lassailly
          A failli
      Vendre un livre.
Il n’eût tenu qu’à Renduel
Que cet homme immortel,
Eût enfin de quoi vivre.[16]

L’autographe que je possède est écrit par Roger de Beauvoir, qui est pourtraicturé dans la troisième strophe :

    De Beauvoir
    Bel à voir
  Nous amuse
Lorsqu’il a bien dîné
Il nous prie à déjeuné
On y va, l’on s’abuse.

Les autres écrivains dépeints sont Henri Blaze, d’Anglemont, Sainte-Beuve, Capo de Feuillide, Paul de Musset et Paul Foucher.

Ce genre de plaisanterie était très en vogue parmi les habitués du salon de George Sand. M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, dans sa VÉRITABLE HISTOIRE D’ELLE ET LUI (C. Lévy, 1897. 1 vol. in-12, p. 8), publie une Complainte sur le Duel de Gustave Planche et de Capo de Feuillide, que l’on attribua à la collaboration d’Alfred de Vigny et de Brizeux, mais dont l’héroïne connaissait le véritable auteur (ce n’est pas à nous de soulever le voile). Lui écrivit à cette époque une Revue Romantique ; Elle, le 23 novembre 1834, une Complainte sur la mort de François Luneau. Nous indiquons d’autre part les charges faites à l’atelier d’Achille Devéria par Alfred de Musset, qui écrivit aussi une parodie des Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand ; et peut-être a-t-il aidé Mme Augustine Brohan à confectionner son « beau couplet de la vierge en patache ».

Rêves d’Hiver. Janvier 1838. Tel est le titre d’un manuscrit passé en vente chez Laverdet le 10 avril 1855. J’ignore ce qu’il est et qui le possède aujourd’hui.

Quatrain Italien, inscrit sur l’album de M. le comte Dousse d’Armanon. L’ARTISTE, 29 septembre 1844 :

La rosa e un vago fiore
  Come la giornata,
Presto che nasce e muore
  E non ritorna piu

Cette petite pièce est citée dans un article de M. Guénot-Lecointe sur la manie des albums ; il l’accompagne de cette réflexion : « Au lieu de ces quatre lignes italiennes qui ne sont même pas des vers, pourquoi M. Alfred de Musset n’a-t-il pas écrit une strophe des Contes d’Espagne ? »

La même revue, dans sa livraison du 21 novembre 1844, donne encore une Prière inscrite sur l’album des moines du Carmel.

Stances à Henri Cantel. REVUE DE FRANCE, 1er mars 1881.

8º Un ami inconnu, qui me permettra de le remercier ici, me faisait parvenir, naguère, ce sonnet, dont il attribue la paternité à l’auteur de la Ballade à la Lune :

LUNA

Ce soir, la Lune est ronde, et sa tête fantasque
Comme un domino, passe entre les peupliers.
— Peste ! la folle nuit ! et vous avez, beau masque,
Choisi là, sur ma foi, d’étranges cavaliers.

Quoi, jusqu’au noir clocher, qui, coiffé de son casque,
Semble prêt à vous suivre ! Et, parmi les halliers,
L’âpre Éole intrigué, qui suspend sa bourrasque
Pour ne pas déranger vos projets singuliers !

Partez donc, o Luna ! Le ciel clair et sans voiles
A pour vous rallumé ses claustrales étoiles…
Et moi, qu’a su charnier votre air leste et fringant,

Voyant vos doigts si blancs rayer la toile verte
De mes rideaux, je dis : « Sur ma fenêtre ouverte,
« Ma mie, n’auriez-vous pas laissé choir votre gant ? »

Quatrain à une dame, en lui envoyant des bonbons lors de sa grossesse. L’ÉVÉNEMENT, 25 décembre 1876.

10º Quatrain à une vieille coquette. L’ESTAFETTE, 24 juin 1892.

11º A une Espagnole, stances improvisées sur un rythme de Victor Hugo. LE VOLEUR, 2 mai 1873.

12º Stances à Buffon, écrites sur un panneau de son cabinet de travail, à Montbard. LE CENTENAIRE DE BUFFON, Troyes, Montgolfier. 1889. Br. in-8º, page 68.

13º Déclamation. — A miss Anna X***, deux poésies, dans la GRANDE REVUE DE PARIS ET SAINT-PÉTERSBOURG, 25 juillet 1890.

14º Pour les vers inscrits Sur l’Album du château de Clisson, pendant un voyage qu’Alfred de Musset fit dans la Loire-Inférieure, il se récuse lui-même dans une lettre qu’il adressa d’Angers à Mme Alfred Tattet :

«…Quant aux vers du livre de Clisson, on m’en a parlé plusieurs fois et je les tiens pour admirables, mais je n’ai pas l’honneur d’en être le père ; il paraît qu’en mettant mon nom au bas, on a voulu du moins m’en faire le parrain. Je n’ai jamais été par là, et quand cet enfant-là m’est né, j’étais probablement bien loin. Ma Muse aura accouché pendant mon absence, c’est pour le moins un cas rédhibitoire. J’ai déjà assez mis au monde de mauvais garnements pour ne pas vouloir d’intrus dans la famille…. »[17]

Est-ce que certaine conférencière célèbre, qui jadis incarna Lucretia del Fede, ne connaît pas le véritable auteur ? Je suis allé souvent à Clisson et je me suis procuré le fameux livre ; mais les pages où se trouvaient les soi-disant vers d’Alfred de Musset ont été arrachées par quelque visiteur peu délicat. On voit encore des vers ou des lignes de prose, signés Victor Hugo, Lamartine, George Sand, mais malheureusement pour l’authenticité de ces autographes, aucun de ceux dont je connais l’écriture de leur pseudo-auteur, n’a été écrit par son signataire.

  *       *       *       *       *

Avant de mettre fin à cette longue énumération que le lecteur doit trouver bien ardue, il me faut encore indiquer quelques pièces données comme inédites, et qui ne sont en réalité que des réimpressions d’œuvres publiées :

1º L’Épigraphe placée en tête du tome II de LÉLIA par George Sand (Dupuy et Tenré, 1833. 2 vol. in-8º). — Le Fragment donné page 190 de LES DEUX SOEURS, par Mme Aglaé de Corday (Louviers, Achaintre, 1838. 1 vol. in-8º), ne sont que deux strophes de Namouna.

2º La Nouvelle en prose que publie la GAZETTE DE LA NOBLESSE du 16 octobre 1856, est un extrait du Voyage où il vous plaira, par Hetzel.

3º La couverture de la 87e livraison des FRANÇAIS PEINTS PAR EUX-MÊMES (Curmer, 1840, in-4º), donne comme inédits 18 vers, que reproduit LE NATIONAL de Bruxelles du 26 mars 1880, lesquels sont les 18 premiers vers des Secrètes pensées de Rafaël.

4º LE DIOGÈNE du 19 octobre 1856 annonce des Stances à Mme Dorval, mais rectifie son erreur dans le numéro du 9 novembre ; ce sont les stances A la Malibran.

5º Le journal LE PLAISIR A PARIS du 26 juin 1889 publie « Le Navire », fragment du Retour, et l’« Ennui », fragment des Stances : « Je méditais courbé ».

  *       *       *       *       *

Il reste une question que j’aurais voulu aborder, celle de la Correspondance d’Alfred de Musset, mais cela m’entraînerait en des détails bibliographiques bien longs[18]. Les trente-cinq lettres mises à la fin du volume des OEUVRES POSTHUMES, ne donnent qu’un bien faible aperçu de ce qu’elle est.

Par les publications faites en 1896 à propos d’Elle et Lui, on connaît des fragments des lettres qu’Alfred de Musset écrivait à George Sand ; d’autres, adressées à Buloz, Alfred Tattet, Pierre Pagello, Alfred Arago, Boucoiran, Mme de Belgiojoso, Mme Augustine Brohan, David d’Angers, Maxime Du Camp, Alexandre Dumas, Sainte-Beuve, Mme Olympe Chodzko, Albéric Second, Alfred de Vigny, Mme de Girardin, Arsène Houssaye, Eugène Renduel, Mme Levrault, Frantz Liszt, Émile Péhant, etc…, ont été publiées dans des journaux, des revues ou des livres ; nous en avons découvert cent dix, imprimées en entier ou peu s’en faut, dans ces conditions, sans compter les lettres ou fragments de lettres d’Alfred de Musset à George Sand, ainsi que celles dont tout ou partie est, pour la première fois, publié dans le présent volume ; et l’on peut tenir pour certain qu’il en existe un plus grand nombre. Mais combien curieuses sont celles qui demeurent encore inconnues parmi les noms cités plus haut et celles qu’il envoya à son frère Paul, à ses éditeurs, aux interprètes de ses comédies, à divers membres de sa famille, aux directeurs des revues où il a écrit, à Émile Augier, Ulric Guttinguer, Théophile Gautier, au comte d’Alton, à Désiré Nisard, Ambroise Thomas, Auguste Barre, Mlle Rachel, même à sa gouvernante, Mlle Colin (dont la REVUE DE PARIS ET SAINT-PÉTERSBOURG et les ANNALES LITTÉRAIRES ont publié les mémoires)[19], et à beaucoup d’autres, dont je ne puis dire les noms.

J’omets avec intention la correspondance…. amoureuse, trop intime pour être publiée, et qui ne sera jamais connue ; car, avec un tact que je ne puis qu’approuver, lors de la mort du poète, toutes les lettres de femmes qui furent trouvées dans ses tiroirs, furent restituées sans échange à celles qui les avaient écrites. Toutefois, le mystérieux paquet déposé à la Bibliothèque Nationale, pour être ouvert et publié en 1910, renferme, si je ne me trompe, l’une de ces correspondances ; ce n’est pas celle de George Sand, comme on l’a prétendu ; celle-ci, pensons-nous, est adressée A une belle inconnue :

Si vous croyez que je vais dire
      Qui j’ose aimer,
Je ne saurais, pour un empire,
      Vous la nommer.

Les lettres à sa Marraine sont aussi peu connues que les autres, car les textes que Mme Jaubert a intercalés dans ses SOUVENIRS (Hetzel, 1881, 1 vol. in-12) et ceux donnés par Paul de Musset, sont, sauf quelques rares exceptions, absolument altérés et défigurés. J’ai pu en vérifier la majeure partie sur les autographes originaux et j’ai constaté qu’ici une lettre avait servi à en faire deux ; que là, deux ou trois lettres étaient fondues en une seule ; ailleurs, les phrases sont interposées, et très souvent les dates supprimées ou changées. N’eût-il pas mieux valu rien plutôt que cela ! Que de jolies choses cependant elles renferment, et que de récits j’y ai lus, semblables à Un souper chez Mlle Rachel, qui n’est que l’une d’elles, dont on a supprimé le commencement et la fin ![20].

Comment conclure, si ce n’est en exprimant le désir de voir un jour joindre aux œuvres du poète, toutes ces pages inédites, toutes ces lettres surtout, qui révèleront un Musset inconnu ?

  *       *       *       *       *

LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES du 19 septembre 1897 commencent la publication de Denise, cette nouvelle dont je parle au début de cet article, en laissant planer, par un Avertissement, un doute sur le véritable auteur. Il suffit, pour éviter toute équivoque, de se reporter à la REVUE DE PARIS du 2 mai 1841 ; on y trouvera, page 5, Denise, avec la signature de Paul, son seul et véritable auteur. Cela a été révélé par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul dans une lettre publiée par le JOURNAL DES DÉBATS du 1er juillet 1897. Le même journal donnait le lendemain une autre note rectificative (qui émanait de moi) dans laquelle je disais que le fait d’attribuer à Alfred ce qui venait de Paul, n’était pas unique, et je faisais allusion à une lettre envoyée par Alfred de Musset à un de ses éditeurs pour se plaindre de cela. Voici cette lettre :

« Monsieur Charpentier, 19, rue de Lille.

« Lundi, 30 septembre [1850].

« Mon cher ami,

« Je vous envoye le catalogue de l’Assemblée, où vous trouverez quatre ou cinq romans de mon frère, annoncés sous mon nom. Vous m’avez dit que vous vous chargeriez de demander la rectification. J’aimerais mieux en effet que vous me rendissiez ce service, attendu qu’il est délicat pour moi de parler de mon frère.

« D’ailleurs, votre position, étant mon éditeur, vous donne, il me semble, toute espèce de droit. Car c’est, au bout du compte, une sotte tromperie qui est toujours préjudiciable : le public peut nous croire complices.

« Si vous voulez bien vous en charger, tenez-moi au courant, parce que, si on ne rectifie pas l’erreur, il faudra écrire dans d’autres journaux.

« Tout à vous.

« ALFRED DE MUSSET. »

Ce catalogue est annoncé dans le numéro de l’ASSEMBLÉE NATIONALE du 26 juillet 1850, et paraît pour la première fois dans le numéro du 28 juillet ; il est fréquemment reproduit, notamment dans le numéro du 21 septembre. En ce qui concerne les deux frères, l’annonce est ainsi faite :

« Le Bracelet, par Alfred de Musset. 1 vol. in-8º.

Samuel, par Alfred de Musset. 1 vol. in-8º.

Tête et Coeur, par Alfred de Musset. 1 vol. in-8º.

Les Amours de Planoche et de Mme de Laguette, par Paul de Musset. 2 vol. in-8º.

Lauzun, par Alfred de Musset. 1 vol. in-8º. »

Dans ce numéro, qui est probablement celui qui accompagnait la lettre, le catalogue occupe toute la troisième page et la moitié de la quatrième. Toutefois, si M. Charpentier a demandé une rectification, il ne fut pas tenu compte de sa demande, car le catalogue continue à paraître avec ses inexactitudes ; je l’ai retrouvé tel jusque dans le numéro du 7 décembre 1850.


  1. Livraison du 26 juin 1897.
  2. Publiée dans la Revue de Paris du 2 mai 1841, où elle est signée : « Paul de Musset » et reproduite dans la Revue pittoresque de mai 1845, avec la signature d’Alfred.
  3. Biographie d’Alfred de Musset, par Paul de Musset. Paris, Charpentier, 1877. 1 vol. in-12.
  4. La donnée du roman de George Sand, Le Secrétaire intime, écrit en 1834, offre de très grands points de ressemblance avec cette œuvre d’Alfred de Musset. On retrouve même chez G. Sand le nom de Spark.
  5. Ces vers ont été publiés pour la première fois dans le Journal des Femmes, du 5 novembre 1850.
  6. Voir : Alfred de Musset et ses prétendues attaques contre Victor Hugo, par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul. Paris, Rouveyre, 1878. Br. in-18.
  7. Alfred de Musset a fait sa traduction sur la 3e édition anglaise, publiée à Londres chez Taylor et Hessey, en 1823, 1 vol. in-18 de IV-206 pages.
  8. La sœur du poète possède encore sa carte d’étudiant en médecine.
  9. On trouvera des comptes-rendus de cette pièce dans : Journal des Débats, 6 janvier 1834. Le Moniteur Universel, 6 et 13 janvier 1834. Revue des Théâtres, 12 janvier et 6 février 1834. Le Journal des Femmes, 8 février 1834. L’Artiste, 12 janvier 1834, etc…
  10. Voir : FÉLIX ARVERS, par Charles Glinel. 2e édition. Reims, Michaud. Paris, Rouquette, 1897. 1 vol. in-8º.
  11. Œuvres Posthumes, in-12, p. 241.
  12. MES HEURES PERDUES par Félix Arvers. Paris, Fournier, 1833. 1 vol. in-8º, p. 156 à 293.
  13. Arthur, roman, par U. Guttinguer. Paris, Renduel, 1837. 1 vol. in-8º.
  14. Les Lilas de Courcelles, poésies, par U. Guttinguer. Saint-Germain, Imp. de Beau, 1842. 1 vol. in-8º.
  15. L’édition in-4º, des Œuvres d’Alfred de Musset publiée à la Librairie Lemerre, de 1884 à 1895, est la première qui donne un texte de Lorenzaccio conforme au manuscrit. De nombreux passages sont ajoutés, entre autres, toute la fin de la quatrième scène de l’acte IV, demeurée jusqu’alors inédite.
  16. Publié dans : Les Soupeurs de mon temps, par Roger de Beauvoir. Paris, Faure, 1868. 1 vol. in-12, p. 135. — L’Illustration, 19 septembre 1868.
  17. Cette lettre est publiée en partie dans LE FIGARO du 6 avril 1883, et en entier dans la GAZETTE ANECDOTIQUE du 30 juin 1885.
  18. C’est pour la même raison que j’omets les Variantes qu’offrent entre eux les divers textes imprimés.
  19. Réimprimés sous le titre de : Dix ans chez Alfred de Musset, par Mme Martellet, née A. Colin. Paris, Chamuel, 1899. 1 vol. in-12.
  20. Voir ci-après la Notice bibliographique sur la Correspondance d’Alfred de Musset.