Don César d’Avalos/Acte I

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Don César d’Avalos
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 69-86).
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ACTE I.



Scène I.

ISABELLE, BÉATRIX.
Béatrix.

Oui, vous dis-je, l’on vient d’assurer votre pere,
Qu’ici, depuis une heure, on a vû votre frere.
Par les derniers vaisseaux arrivés de Cadix
De son prochain retour on avoit eu l’avis.
Peut-être est-il fâcheux qu’après douze ans d’absence
Il vienne avecque vous partager la finance ;
Mais le Ciel qui vous donne un époux à souhait,
Répare assez le tort que ce frere vous fait.
Les Ducats… À propos, quand vous serez sa femme,
N’allez pas, s’il vous plaît, faire trop la grand’dame.

Je suis de la maison depuis plus de vingt ans.
Je vous ai dirigée, & par-là je prétens…

Isabelle.

Va, ta direction aura son plein salaire.
Ne crains rien ; mais dis-moi, je reviens à ce frere.
Si Dom Lope est ici, pourquoi ne vient-il pas ?

Béatrix.

Peut-être il craint encor le bon-homme ; en ce cas,
Il cherche quelque ami par qui pouvoir apprendre,
Après son fol hymen, l’accueil qu’il doit attendre.
Enlever une fille & sans nom & sans bien…

Isabelle.

Je n’avois que cinq ans, & me souviens fort bien
Que mon pere apprenant qu’ils avoient pris la fuite,
En fit faire par tout une exacte poursuite.
C’étoit fait de Dom Lope, il n’étoit plus son fils.

Béatrix.

Aussi pendant dix ans n’en a-t-on rien appris,
Mais enfin étant veuf, il a demandé grace ;
Sa femme étoit son crime, elle est morte, il s’efface.
Les Lettres l’ont de loin assuré du pardon.
Je croi le voir encor ; il avoit l’air si bon.
C’étoit un de ces gens qu’on ne peut voir, sans prendre,
Dès la premiere fois, je ne sai quoi de tendre.
Son malheur fut d’aimer un peu trop fortement.
Qu’est-ce donc ? Vous voilà tout je ne sai comment ?

Isabelle.

Tu me fais réfléchir sur ce que je hazarde.
C’est au bien seulement que mon pere prend garde.
L’époux qu’on me promet, peut n’être pas de ceux
Qui font parler d’abord leur mérite pour eux.
Mon cœur n’ose m’en faire une aimable peinture ;
Et s’il faut t’expliquer ce que je m’en figure,
Avec un tel exces la fortune lui rit,
Qu’il me trompera fort, s’il est riche en esprit.
Le bien fait de grands sots.

Béatrix.

Le bien fait de grands sots.C’est un prétexte honnête
Pour porter, sans rougir, la qualité de bête.
Mais n’appréhendez rien ; Dom César d’Avalos,
Quoique riche, n’est point du nombre de ces sots.
La preuve par Enrique en est assez facile.
Ainsi que Dom César, Enrique est de Séville ;
Et le bien qui s’en dit par lui-même affermi,
Est d’autant moins suspect, qu’il est son ennemi.

Isabelle.

Peut-être est-ce par-là qu’il tâche de lui nuire.
Quelquefois on éleve afin de mieux détruire ;
Rien n’est plus dangereux que de préocuper.

Béatrix.

Et vous croyez qu’Enrique oseroit vous tromper,
Lui, qui depuis deux ans que dure son affaire,
N’a d’amis à Madrid que ceux de votre pere ?

Isabelle.

Quand il faut dire oui, pour ne plus dire non,
Crois-moi, l’on n’y sauroit faire trop de façon ;
La chose est pour mon compte.

Béatrix.

La chose est pour mon compte.Hé, puisque c’est la mode,
Ne songez qu’aux écus, c’est là le plus commode.
Quand les maris en ont, de quoi s’inquiéter ?
S’ils veulent être sots, il faut les contenter.
Est-il si difficile ?

Isabelle.

Est-il si difficile ?Ainsi, sans nul scrupule
Le bien te feroit prendre un mari ridicule,
Un de ces obstinés dont rien ne vient à bout ?

Béatrix.

Vivent les gens d’esprit, ils se tirent de tout.
Mais quand pour Dom César la crainte vous arrête,
Dites, n’auriez-vous point quelque autre chose en tête ?

Isabelle.

Moi, qu’y pourrai-je avoir ? Est-ce que l’on me voit…

Béatrix.

Hé, mon Dieu, le mal vient plus vîte qu’on ne croit.
Que sait-on ? Depuis peu je vous trouve inquiéte.
De votre cabinet vous aimez la retraite,
Sans moi chez Léonor vous allez fort souvent.

Isabelle.

C’est ma cousine.

Béatrix.

C’est ma cousine.Elle est une tête à l’évent ;
Et pour vous parler franc, vous auriez bien la mine
D’avoir fait un cousin en cherchant la cousine.

Isabelle.

Quoi, tu présumerois que j’aurais pû…

Béatrix.

Quoi, tu présumerois que j’aurais pû…Ma foi,
Si vous me le cachez, défiez-vous de moi.
Je vais, pour le savoir, mettre tout en usage ;
Et si j’apprens sans vous… Vous rougissez ? Courage,
C’est bon signe. Enfin donc vous aimez ?

Isabelle.

C’est bon signe. Enfin donc vous aimez ?Moi, non pas,
Mais…

Béatrix.

Mais…Quelqu’un est épris de vos jeunes appas ?

Isabelle.

Hé.

Béatrix.

Hé.Poursuivez.

Isabelle.

Hé.Poursuivez.Au moins garde-toi d’en rien dire.

Béatrix.

Je ne sai rien encor. Ce quelqu’un qui soupire
Est bien fait ?

Isabelle.

Est bien fait ?L’air, le port, la taille, tout en plaît.

Galant, spirituel, mais je ne sai qui c’est.

Béatrix.

Vous l’ignorez ?

Isabelle.

Vous l’ignorez ?Apprens l’avanture bizarre
Qui m’expose aux chagrins que l’amour me prépare.
Un de ces derniers soirs étant sortie exprès
Pour aller où chacun aime prendre le frais,
Je marchois à pas lens avecque ma cousine,
Quand un je ne sai qui d’assez mauvaise mine,
Troublant notre entretien par de sots complimens,
Nous ôte la douceur de ces heureux momens.
Sa poursuite obstinée allant à l’insolence,
Un cavalier survient qui prend notre défense.
Il repousse l’insulte, & d’un air peu commun,
Met la main à l’épée, & fait fuir l’importun.
Juge à quoi ce service engage une belle ame.
Ce cavalier m’aborde, & d’un œil tout de flamme
S’attachant fortement à me considérer,
Me fait l’offre d’un cœur que je fais soupirer.
Cent discours obligeans secondent cet hommage.
Que d’esprit ! On ne peut en montrer davantage ;
Mais la nuit survenant, nous rompons l’entretien,
Lui sans dire son nom, moi sans dire le mien.
Le reste au lendemain, à même heure, au lieu même,
Il me répond d’un feu qui va jusqu’à l’extrême,
Et devant Léonor veut m’engager sa foi,
Que jamais, quoi qu’on fasse, il n’aimera que moi.
Je l’ai vû quatre fois, toujours même assurance
D’un amour sans égal, d’une entiere constance ;
Mon cœur contre sa flamme a peine à s’obstiner,
Et voudroit être à lui, s’il osait se donner.

Béatrix.

Qu’au moindre mot d’amour la jeunesse est crédule !
Ce diseur de beaux mots sait dorer la pillule ;

Et si vous en croyez son doucereux jargon,
Votre fortune est faite avec lui ?

Isabelle.

Votre fortune est faite avec lui ?Tout de bon,
Par tant de qualités il mérite qu’on l’aime…
Il est fort riche.

Béatrix.

Il est fort riche.Bon, c’est la richesse même ;
Il vous l’a dit, pourquoi ne l’en croiriez-vous pas ?
Pour noble, on l’est d’abord qu’on fait le fierabras.
Ce fut là son début ?

Isabelle.

Ce fut là son début ?Mais quel mal en peut naître,
Puisque apprenant mon nom il se fera connoître ?

Béatrix.

Tenez-vous-en, de grace, à votre époux futur.
Avec lui l’abondance est pour vous un coup sûr ;
C’est là qu’il faut donner, le reste est bagatelle.



Scène II.

D. FERNAND, ISABELLE, GUZMAN, BÉATRIX.
D. Fernand.

Je t’apporte, ma fille, une bonne nouvelle.
Dom César ton époux est ici d’hier au soir.

Guzman.

Il est à quatre pas, qui brûle de vous voir,
Madame ; & comme il veut tout faire avec méthode,
Dans la crainte qu’il a de vous être incommode…

D. Fernand.

Il ne le sera point, qu’il vienne promptement.

Isabelle.

Son maître, ou je me trompe, aime le compliment.

Guzman.

Ah ! Madame, il n’a point son pareil pour en faire.
C’est un esprit… Qu’il parle, on n’a plus qu’à se taire ;
Il sera quatre jours à discourir sur rien.

D. Fernand.

C’est beaucoup que d’avoir le don de l’entretien.

Guzman.

D’abord qu’on l’apperçoit, on accourt pour l’entendre ;
C’est l’humeur la plus drôle…

D. Fernand.

C’est l’humeur la plus drôle…Oui ?

Guzman.

C’est l’humeur la plus drôle…Oui ?S’il est votre gendre,
Je vous tiens tout au moins rajeuni de vingt ans.

D. Fernand.

Comment, s’il est mon gendre ? Est-ce que…

Guzman.

Comment, s’il est mon gendre ? Est-ce que…Je m’entens,
Il vient à ce dessein, mais comme enfin son pere
A tant & tant de biens qu’il n’en sauroit que faire,
Quoiqu’à Madrid encor on ne l’ait jamais vû,
Ses amis ont écrit, il y sera couru.
Pour attraper les gens, il est de fines mouches.

D. Fernand.

Les belles de Madrid ne sont pas trop farouches,
Mais enfin à cela le reméde est aisé.
Si je trouve à l’hymen ton maître disposé,
Pas plus tard que demain…

Guzman.

Pas plus tard que demain…C’est assez bien le prendre.
Le plîtôt vaut le mieux ; mon maître a le cœur tendre,
Et quand on l’amadoue, il a peine à tenir.

D. Fernand.

Suffit qu’un prompt hymen puisse tout prévenir.

Guzman.

Vous verrez là-dessus ce qui se devra faire.
Mais je cours l’avertir qu’il peut entrer.[à Béatrix.]
Mais je cours l’avertir qu’il peut entrer. Ma chere,

Nous ferons connoissance au retour.

Béatrix, à Guzman

Nous ferons connoissance au retour.On t’attend,
Va vîte.



Scène III.

D. FERNAND, ISABELLE, BÉATRIX.
D. Fernand.

Va vîte.Le parti, ma fille, est important.
Quand Dom César viendra, pour lui paroître aimable,
Prens un air enjoué, complaisant, agréable,
Et l’attire si bien, que l’hymen résolu,
Par ses propres desirs, dès demain, soit conclu.
Tu lui plairas sans doute.

Isabelle.

Tu lui plairas sans doute.Et s’il ne peut me plaire ?

D. Fernand.

Il est unique, & c’est un Crésus que son pere.
Tu rouleras sur l’or en l’épousant.

Isabelle.

Tu rouleras sur l’or, en l’épousant.Tant mieux.
L’or est d’une couleur qui réjouit les yeux ;
Mais le cœur ?

Béatrix.

Mais le cœur ?De quel soin vous chargez-vous ? En somme
Il est riche, peut-il n’être pas honnête homme ?

D. Fernand.

Béatrix a raison, l’argent est le bon mot,
Et tout gueux, quel qu’il soit, ne peut être qu’un sot.
Je me souviens du temps où dans notre jeune âge
Je fis avec son pere un assez long voyage.
Nous étions l’un pour l’autre amis si complaisans,
Qu’aux Indes pour lui seul je m’arrêtai six ans ;
C’est là qu’a commencé sa premiere fortune.
Il me jura dès-lors que nous l’aurions commune.

Elle s’est augmentée ; &, quoique rarement
L’amitié tienne bon contre l’éloignement,
Les lettres ont toujours, malgré vingt ans d’absence,
Entretenu le cours de notre intelligence.
Nous avons l’un de l’autre assuré le crédit,
Je l’emploie à Séville, il m’emploie à Madrid,
Et sur divers payemens, par la premiere lettre,
J’attens vingt mille écus qu’il cherche à me remettre ;
Son fils sera chargé de lettres pour cela.

Isabelle.

J’appréhende si fort…

Béatrix.

J’appréhende si fort…Taisez-vous, le voilà.



Scène IV.

D. FERNAND, ISABELLE, D. PASCAL, BÉATRIX, GUZMAN.
Guzman, bas à D. Pascal.

Si Dom César arrive, adieu le personnage,
Sous ce nom dérobé pressez le mariage,
Qu’on découvre la fourbe après qu’il sera fait,
Volontiers, les grands mots auront eu leur effet.

D. Pascal.

Ne t’inquiéte point, je jouerai bien mon rôle.
Excusez si je suis un peu court de parole.
Pour la premiere fois me trouver à la cour,
Où les mots recherchés se disent nuit & jour ;
Voir de plain-pied d’abord & beau-pere & maîtresse,
Savoir qu’ils font tous deux la même politesse,
C’est de quoi m’étonner ; mais cela passera.
Mon espoir mal en train se raccommodera ;
Et bientôt pour vous faire une juste harangue,
J’espere rattraper l’usage de ma langue.

Pour la premiere fois, si je ne vous dis rien…

D. Fernand.

Vous en dites assez, & cela va fort bien.
Embrassez-moi. Ma fille, allons qu’on se déméne,
Saluez votre époux.

D. Pascal.

Saluez votre époux.A-t-elle la migraine ?
Je lui vois certain air renfrogné, sérieux.

Isabelle.

Qu’il est sot, Béatrix !

Béatrix.

Qu’il est sot, Béatrix !S’il l’est déjà, tant mieux,
C’est pour vous, au besoin, de la peine épargnée.

D. Pascal.

Beau-pere, seriez-vous pour l’humeur refrognée ?
Elle n’est nullement de mon goût.

D. Fernand.

Elle n’est nullement de mon goût.Ni du mien.

D. Pascal.

Allons, ma belle, allons, gaiement, tout ira bien.
Puisque vous me voyez, tâchez de mettre à l’ombre
La nébulosité de ce visage sombre ;
Riez, goguenardez, & vivons sans façon.
Quant à moi, je suis gai toujours comme un pinson,
Cent jovialités me sont partout de mise ;
Et si le mariage ôtoit la gaillardise,
Plûtôt que ne pas rire, & danser, & sauter,
Je ferois vœu cent fois de m’encélibater.
Le mot est-il de Cour ? M’encélibater ! Peste,
Qu’il est long !

D. Fernand.

Qu’il est long !Les plus fins auroient par vous leur reste…
Quel éveillé !

D. Pascal.

Quel éveillé !J’ai cru qu’il eût été trop plat
De dire simplement, suivre le célibat.
J’aime le style haut. Enfin à la bonne heure,
Vous riez. Elle en est plus aimable, ou je meure.

Guzman, vois-tu ces yeux de feu tout pétillans ?
Quand la friponne veut, qu’elle les a brillans !

D. Fernand.

Elle est le vrai portrait de sa défunte mere.

D. Pascal.

J’oublie à vous donner les lettres de mon pere.

D. Fernand.

Il est bien tourmenté des gouttes ?

D. Pascal.

Il est bien tourmenté des gouttes ?Quelquefois.

D. Fernand.

Nous nous sommes connus en six cens trente-trois.
Ensemble de Goa nous fîmes le voyage,
Grand commerce depuis d’écriture.

Isabelle.

Grand commerce depuis d’écriture.Ah ! j’enrage.
Béatrix, épouser un ridicule, moi !

D. Pascal.

Lisez.

Béatrix.

Lisez.Il aime à rire, est-ce là tant de quoi ?

D. Fernand lit.
À D. FERNAND DE VARGAS,
à Madrid.

Si j’étois moins sujet aux attaques de la goutte, je vous aurois mené mon fils moi-même, pour goûter avec vous la joie que la nôce vous donnera. C’est un fils qui m’est d’autant plus cher, qu’il est unique. Je l’ai toujours élevé dans la vûe d’en faire votre gendre, & je suis ravi qu’en épousant votre fille, il vous fasse part des grands biens que j’ai commencé d’amasser avec vous. Je m’acquitte par-là de ce que je dois à notre vieille amitié, & meurs d’impatience que vous me donniez des nouvelles du mariage. Comme mon fils n’est jamais sorti de Séville, ne vous étonnez point si vous ne le trouvez pas fait à l’usage de la cour.

D. Pascal.

Avecque les leçons du révérend beau-pere,
Avant qu’il soit très peu, je prétens bien m’y faire.
En province, on ne peut qu’être provincial.

D. Fernand.

Je suis content de vous.

D. Pascal.

Je suis content de vous.Ah !

Isabelle.

Je suis content de vous.Ah !Quel original !

D. Fernand continue à lire.

Il vous parlera d’une affaire fâcheuse qui est de la derniere importance pour lui. Je vous prie de l’y servir, en cas que vos soins lui soient nécessaires, & de ne point faire difficulté de lui donner l’argent dont il pourra avoir besoin.

C’est pour vous en tout temps une sûre ressource.
Employez mon crédit, servez-vous de ma bourse.

D. Pascal.

Trop d’honneur ; le beau-pere est un Homme obligeant,
Qui…

D. Fernand.

Qui…Vous ne manquerez ni d’amis ni d’argent.

[Il continue à lire.]

Il vous porte des lettres-de-change pour la remise de vingt mille écus que vous m’avez fait toucher ici. Donnez-moi au plûtôt de vos nouvelles, & me croyez toujours,

Votre meilleur ami, D. ALONSE d’AVALOS.

Que de bonté !

D. Pascal.

Que de bonté !Voici les lettres de remises.

D. Fernand.

Sus, mon gendre, usez-en avec pleine franchise.
Quelle est donc cette affaire où je puis vous servir ?

D. Pascal.

C’est qu’un jour… Voyez-vous, l’honneur qu’on veut ravir,

Porte souvent si loin la chaleur qu’il inspire,
Que m’étant arrivé…

D. Fernand.

Que m’étant arrivé…Quoi ?

Guzman.

Que m’étant arrivé…Quoi ?Que lui va-t-il dire ?

D. Pascal.

Il est des gens hargneux, qui, sur les moindres cas…

D. Fernand.

Expliquez-moi la chose.

D. Pascal.

Expliquez-moi la chose.Elle ne le vaut pas
D’ailleurs, l’heur de vous voir si fortement me touche,
Que sur toute autre chose il me ferme la bouche.
Ne parlons que de joie, & jusqu’au conjungo,
Laissez-moi, s’il vous plaît, m’en donner à gogo,
Point d’affaires en jeu que celle de la noce.
[À Isabelle.]
Je vous promet au reste un superbe carrosse,
Avec six chevaux… là, de ces chevaux fringans…
Pour des jupes, des points, des coëffes, & des gans,
À foison tout cela.

Isabelle.

À foison tout cela.Rien encor ne vous presse.

D. Pascal.

Non, dites-vous ; & moi je presserai sans cesse,
À moins que ce ne soit vous choquer, car mon cœur
A déja fait pour vous un si grand fond d’ardeur…

D. Fernand.

Pour pouvoir promptement écrire à votre pere,
Demain, à petit bruit, nous conclurons l’affaire.
Vos emplettes après se feront à loisir.

D. Pascal.

Me marier demain ! Vous me ferez plaisir.
J’ai naturellement quelques impatiences.
Qu’elle est belle !

Isabelle.

Qu’elle est belle !Moi ?

D. Pascal.

Qu’elle est belle !Moi ?Plus cent fois que tu ne penses,
Follette. Pardonnez, le style est familier ;
Mais quand le lendemain on doit se marier…

Isabelle.

Non pas si-tôt.

D. Pascal.

Non pas si-tôt.Beau-pere, on remet la partie.
Des six chevaux fringans veut-elle être nantie ?
Tout-à-l’heure, on en trouve à Madrid de tout faits.
On m’a bien défendu de prendre garde aux frais ;
Mon pere a tant de bien, que pour être aimé d’elle,
Semer dix mille écus c’est une bagatelle.
J’ai quelque diamans qui nous méneront loin.

D. Fernand.

Vous pouvez disposer de ma bourse au besoin
Je vous l’ai déjà dit. Quant à l’hymen…

Isabelle.

Je vous l’ai déjà dit. Quant à l’hymen…Mon pere,
Vous voulez bien qu’au moins nous attendions mon frere ?

D. Pascal.

Quoi, ce frere indien, Dom Lope, qu’autrefois
L’Amour fit décamper ? S’il ne vient de six mois ?
Le terme seroit long.

Isabelle.

Le terme seroit long.Pas tant qu’il dût détruire…

D. Pascal.

De tout, en arrivant, je me suis fait instruire.
On vous fait de ce fils espérer le retour ?

D. Fernand.

Nous le verrons sans doute avant la fin du jour,
Il doit être à Madrid.

D. Pascal.

Il doit être à Madrid.Dom Lope ?

D. Fernand.

Il doit être à Madrid.Dom Lope ?Ainsi, mon gendre,
Soyez sûr que demain, sans davantage attendre…

Isabelle.

Hé, mon pere, daignez m’accorder quelques jours.

D. Fernand.

L’insensée !

D. Pascal.

L’insensée !Il me faut mettre sur mes atours,
Et, pour me façonner, aller voir quelque Belle.
Béatrix de Guzman, j’ai des Lettres pour elle.
Ynès de Vélasco, je la dois voir aussi.

D. Fernand.

Non, mon gendre, il est bon que vous restiez ici ;
La noce pour demain. Quand vous en serez quitte,
Je prétens vous mener partout faire visite.

D. Pascal.

Volontiers, c’est le mieux d’être produit par vous.

Isabelle.

Mon pere.

D. Fernand.

Mon pere.Quoi, tu veux le perdre pour époux ?
Ynès & Béatrix, je n’ai rien à t’apprendre ;
S’il en voit une, adieu. Çà, qu’on songe à mon gendre ;
Qu’on aille donner ordre à son appartement,
Ma fille, ayez-y l’œil vous-même promptement,
Que tout soit propre.

Isabelle à Béatrix.

Que tout soit propre.Hélas ! Que je suis malheureuse !

Béatrix.

Le plus grand des malheurs, c’est celui d’être gueuse.

Guzman à Béatrix.

La Béatrix pour moi ne sent-elle encor rien ?

Béatrix.

Tout vient avec le temps, laisse faire.

Guzman.

Tout vient avec le temps, laisse faire.Fort bien.



Scène V.

D. FERNAND, D. PASCAL, GUZMAN.
D. Pascal.

À ne vous rien cacher, votre infante Isabelle,
Beau-pere, est d’une humeur grandement telle-quelle ;
Elle n’a qu’à parler, si je ne lui plais pas.
Le bien, vous le savez, est un puissant appas ;
Je trouverai partout des femmes à revendre.
C’est par pure amitié…

D. Fernand.

C’est par pure amitié…Je le sai bien, mon gendre.
Quoi qu’Isabelle dise, elle sait comme moi
L’honneur qu’elle reçoit à vous donner sa foi ;
Mais souvent, par pudeur, une fille bien née
Parle de reculer le jour de l’hyménée ;
La grimace sied bien à son sexe.

D. Pascal.

La grimace sied bien à son sexe.Demain
Je me tiendrai donc prêt à lui donner la main.
Si je la trouve encor d’humeur contrariante,
Bon soir & bonne nuit.

D. Fernand.

Bon soir & bonne nuit.Elle en sera contente,
J’en répons. Cependant vous voulez acheter ?
Quelle somme faut-il que j’aille vous compter ?

D. Pascal.

Je crois n’avoir besoin que de cinq cens pistoles.

D. Fernand.

Au moins ne faites pas de dépenses frivoles.

D. Pascal.

Hé, beau-pere, il sera de l’argent après nous.
J’irai faire tantôt emplette de bijoux,

Je m’y connois, j’en veux régaler votre fille.
C’est l’ornement du sexe, il aime ce qui brille.

D. Fernand.

Venez donc pour cela jusqu’en mon cabinet.

D. Pascal.

Je vous suis, laissez-moi parlez à ce valet,
J’ai quelque ordre à donner.

D. Fernand.

J’ai quelque ordre à donner.Coupez, taillez en maître,
Vous pouvez tout.



Scène VI.

D. PASCAL, GUZMAN.
D. Pascal.

Vous pouvez tout.Guzman.

Guzman.

Vous pouvez tout.Guzman.Cela ne peut mieux être.
Si le vrai Dom César dont vous volez le nom,
N’arrive point si-tôt, demain, c’est tout de bon,
Je vous tiens marié.

D. Pascal.

Je vous tiens marié.La rencontre est heureuse.

Guzman.

Que ne répondiez-vous sur l’affaire fâcheuse
Dont votre passe-port fait mention ?

D. Pascal.

Dont votre passeport fait mention ?Suffit
Que je m’en suis tiré.

Guzman.

Que je m’en suis tiré.Tenez bon, tout vous rit.
Arriver à minuit dans une hôtellerie,
N’y trouver qu’une chambre, & grande gueuserie,

Coucher, sans vous rien dire, où couche un cavalier,
Lui, partir avant vous, & si fort s’oublier,
Qu’au lieu de sa valise il fait prendre la vôtre.

D. Pascal.

Il pouvoit s’y tromper ; qui fit l’une, a fait l’autre ;
Toi-même ne connus l’échange que le soir ;
Sans argent, nous cherchions le moyen d’en avoir,
Le voilà tout trouvé.

Guzman.

Le voilà tout trouvé.Mais si, comme il peut être,
Quelqu’un pour Dom Pascal vous allait reconnoître ?

D. Pascal.

Va c’est si rarement que je viens à Madrid,
Qu’à moins de Dom César, je tiens la pie au nid.
Moyennant ce que j’ai trouvé dans la valise,
Je passe ici pour lui ; Dom Fernand me courtise,
Et craint tant que de moi je n’ose disposer,
Qu’au besoin pour sa fille il voudroit m’épouser.

Guzman.

Je croi de votre humeur qu’elle a pris de l’ombrage.
Vous avez je ne sai quel diable de langage.

D. Pascal.

C’est par-là que je plais, on me cherche par tout.

Guzman.

Bon pour rire, mais quand un hymen se résout…

D. Pascal.

J’en ai pris l’habitude, & ne m’en puis défaire.
Il s’agit d’attraper les écus du beau-pere.
Si Dom César ici me vient prendre sans verd,
Ce que j’aurai touché sera mis à couvert,
J’aurai bientôt alors disparu. Va m’attendre
Dans ce petit logis qu’exprès tu m’as fait prendre.
La fourbe va trop bien pour ne pas l’achever ;
Quand je serai garni, j’irai te retrouver.