Du travail dans les mines à la Conférence internationale de Berlin

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Du travail dans les mines à la Conférence internationale de Berlin
Revue des Deux Mondes5e période, tome 6 (p. 830-846).
LE TRAVAIL DANS LES MINES
Á LA
CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE BERLIN

Dans la récente communication qu’il adressait à M. le président de la commission du travail de la Chambre, M. Duval, parlant au nom de l’Union des industries métallurgiques et minières, évoquait le souvenir de la Conférence internationale de Berlin en 1890, et se demandait s’il était bien prudent de la part du législateur français de vouloir trancher à lui seul une question aussi délicate et aussi complexe que celle de la réglementation de la journée de travail dans les mines. Rien ne se perd si vite, de notre temps, que le souvenir des faits les plus rapprochés de nous : le kaléidoscope des événemens quotidiens en efface l’impression, avant que les contemporains aient pu en dégager les enseignemens ; la polémique des partis en travestit le sens et la portée, sans que le philosophe ou l’historien puissent prendre le recul nécessaire pour leur restituer leur physionomie exacte. La plupart des hommes distingués qui avaient le grand honneur d’être les délégués de la France à cette conférence, MM. Jules Simon, Burdeau, Tolain et Delahaye, ne sont plus de ce monde. Peut-être ne semblera-t-il pas oiseux qu’un témoin assidu de leur mission[1] vienne rappeler ce qui s’est passé à Berlin, pourquoi les promoteurs de la Conférence avaient voulu faire de la limitation de la journée de travail, dans les mines ou ailleurs, une question internationale, au nom de quels principes et en vue de quel intérêt précis, la France et d’autres puissances avec elle la revendiquèrent comme essentiellement nationale.

C’est en 1881 que, pour la première fois, la Confédération helvétique fit pressentir les gouvernemens des principaux États industriels de l’Europe pour savoir s’ils seraient disposés à se prêter à la conclusion d’une convention internationale sur le travail ; c’est seulement en 1889 qu’après avoir triomphé de certaines résistances et soigneusement limité le programme des travaux de la future conférence, le cabinet de Berne lança ses invitations officielles. Sa pensée était double, mais très clairement exprimée dans sa circulaire du 15 mars[2] : « Il ne devrait pas s’agir uniquement, disait-il, de conventions internationales dans l’intérêt pur et simple des ouvriers et de leurs familles... ; il nous semble que l’on devrait tenir compte plus particulièrement de deux points spéciaux : d’une part, une certaine réglementation de la production industrielle, et, de l’autre, l’amélioration des conditions de la vie de l’ouvrier. Quant au premier point, qu’il nous soit permis de nous référer au fait que, pour beaucoup de gens, les traités internationaux paraissent être le moyen le plus efficace pour restreindre la production, qui aujourd’hui s’étend bien au delà des besoins, et, par conséquent, pour diminuer le mal qui résulte de cet état de choses, et ramener ainsi les conditions réciproques de production dans des limites naturelles et rationnelles. Il est vrai de dire que, de ce premier point, dépend aussi le second, c’est-à-dire l’amélioration de la situation de l’ouvrier. En effet, la législation nationale ne peut pas étendre sa bienfaisante influence, pour la sauvegarde des familles ouvrières, au delà d’une certaine mesure... L’humanité, aussi bien que le souci d’améliorer la force armée des États, affaiblie par la dégénérescence de nombreuses classes de population, interdit de laisser subsister plus longtemps cet état de choses. »

Ainsi, la préoccupation économique domine les problèmes ouvriers, ou, plus exactement, ceux-ci ne peuvent être utilement abordés sans que la première ait été écartée ; la concurrence internationale détermine la surproduction, celle-ci amène le surmenage, lequel entraîne à son tour la dislocation des familles et la dégénérescence des races ; donc il faut limiter la production pour aboutir ensuite à un ensemble de mesures concertées en faveur des prolétaires. Mais, comme il s’agissait d’entrer dans une voie tout à fait nouvelle, où les répugnances de certains États à se laisser conduire étaient manifestes, la Suisse réduisait ses ambitions à la tenue d’une conférence en quelque sorte technique, d’où sortiraient seulement des vœux ou « des propositions pures et simples ne liant encore personne ; » après quoi, « dans le cas où l’un ou l’autre des gouvernemens ne trouverait acceptable pour lui qu’une partie seulement de ces propositions, on pourrait conclure des conventions internationales spéciales entre ceux des États qui tomberaient d’accord sur la solution d’un même groupe de questions, » et qui s’obligeraient ainsi à introduire dans leurs lois spéciales « certaines prescriptions de minimum. » Bien mieux : ces premières restrictions ne suffisant pas encore à calmer toutes les susceptibilités éveillées par l’initiative helvétique, le programme de la Conférence ne parlait plus que d’interdire le travail du dimanche, et de réglementer la durée du labeur pour les personnes dites protégées, femmes et enfans. On n’osait pas aborder la limitation de la journée des ouvriers adultes, mais, comme le déclara par la suite le délégué suisse à Berlin, on n’y avait renoncé que pour des motifs d’opportunité, « momentanément et à contre-cœur, » pour ne pas écarter de la Conférence certains États que l’on savait irréductibles à cet égard.

L’invitation suisse est du 15 mars 1889. La France, la Grande-Bretagne, l’Autriche-Hongrie, l’Italie, d’autres gouvernemens encore, l’acceptèrent telle qu’elle avait été formulée ; mais, en juillet, ni l’Allemagne, ni les États scandinaves n’avaient encore répondu, efforce fut au cabinet de Berne d’ajourner au mois de mai de l’année suivante la réunion de la Conférence, qu’il avait d’abord fixée pour septembre. Dans les premiers jours de février 1890, le programme des travaux fut définitivement arrêté, et tout paraissait convenu, lorsque soudain l’empereur Guillaume prescrivit au chancelier de Bismarck de convoquer à bref délai à Berlin les gouvernemens « disposés à entrer en négociation afin d’amener une entente internationale sur la possibilité de donner une satisfaction aux besoins et aux désirs des ouvriers, qui ont trouvé une expression au cours des grèves des dernières années et dans d’autres circonstances. » Mais, pas plus chez l’empereur Guillaume qu’auprès du gouvernement helvétique, peut-être moins encore, ce n’est la préoccupation humanitaire qui domine : « Je suis résolu, dit le rescrit impérial du 4 février, à prêter les mains à l’amélioration du sort des ouvriers allemands, dans les limites qui sont fixées à ma sollicitude par la nécessité de maintenir l’industrie allemande dans un état tel qu’elle puisse soutenir la concurrence sur le marché international, et d’assurer par là son existence ainsi que celle des ouvriers. La décadence de l’industrie allemande, par la perte de ses débouchés étrangers, priverait de leur pain, non seulement les patrons, mais encore les ouvriers. Les difficultés qui s’opposent à l’amélioration du sort de nos ouvriers et qui proviennent de la concurrence internationale, ne peuvent être, sinon surmontées, du moins diminuées, que par l’entente des pays qui dominent le marché international. »

Ce langage, qui paraît emprunté aux socialistes les plus déterminés[3], diffère cependant essentiellement et de la pure doctrine internationaliste et des visées plus spéculatives, plus académiques, plus désintéressées en un mot, de la Confédération helvétique : tandis que le socialisme théorique sacrifie volontiers les frontières pour assurer suivant ses formules propres le bien-être des ouvriers, tandis que le cabinet de Berne semblait mû par des considérations de principe plutôt que par le souci des destinées de l’industrie et du commerce suisses, Guillaume II affirme catégoriquement sa volonté de n’être humanitaire que dans la stricte mesure où cela sera compatible avec les besoins de la production et de l’exportation allemandes. C’est pour favoriser celles-ci, en aidant l’industrie à sortir de ses difficultés intérieures, qu’il fait appel à la bonne volonté des États industriels concurrens ; c’est dans un dessein principalement national qu’il provoque une entente internationale. L’intention est déjà évidente dans le rescrit cité plus haut. Elle est plus brutalement exprimée encore dans la lettre d’invitation adressée aux chancelleries par M. de Bismarck : « Vu la concurrence internationale sur le marché du monde, lit-on dans ce document, et vu la communauté des intérêts qui en provient, les institutions pour l’amélioration du sort des ouvriers ne sauraient être réalisées par un seul État, sans lui rendre la concurrence impossible vis-à-vis des autres. Des mesures dans ce sens ne peuvent donc être prises que sur une base établie d’une manière conforme par tous les Etats intéressés. Les classes ouvrières des différens pays, se rendant bien compte de cet état de choses, ont établi des rapports internationaux qui visent à l’amélioration de leur situation. Des efforts dans ce sens ne sauraient aboutir que si les gouvernemens cherchaient à arriver par la voie de conférences internationales à une entente sur les questions les plus importantes pour les intérêts des classes ouvrières. »

On ne pouvait se méprendre sur la portée de déclarations aussi précises : il s’agissait pour l’Allemagne, ou d’entraîner les autres puissances à sa suite dans la réalisation des réformes sociales, de manière qu’elle ne s’affaiblît point sur le marché universel par une initiative isolée, ou de trouver, dans le refus de ses émules à suivre son impulsion, un prétexte pour résister aux envahissemens de la « social-démocratie » germanique. Que Guillaume II se fût substitué à la Confédération helvétique, à la veille du jour où celle-ci allait voir aboutir ses efforts et ses négociations de dix années, la cause en était simplement, suivant toute apparence, dans son goût prononcé pour tenir les premiers rôles et son dédain pour les doublures. Qu’il tînt un langage aussi net et aussi impératif, c’est qu’il avait des motifs pressans de le faire, motifs que l’on verra bientôt, et qui le conduisirent, plus audacieux que le cabinet de Berne, à reprendre l’un des problèmes abandonnés par celui-ci : à son instigation, en effet, à côté du repos dominical et de la règlementation du labeur des enfans et des femmes, M. de Bismarck inscrivit la limitation de la journée de travail pour tout le monde, adultes compris, parmi les objets d’étude de la Conférence, et cette addition, par son extrême importance, révélait toute l’acuité de la crise économique et sociale où se débattait alors l’Allemagne.

Les mois qui avaient précédé la subite résolution de l’empereur Guillaume avaient été marqués par une série de grèves. Avant cette période troublée, l’extraction de la houille allemande était en progrès constans : pour la seule Westphalie, l’année 1888 avait fourni une augmentation de production de 10 pour 100 sur l’année précédente, et le premier trimestre de 1889 donnait encore un accroissement de 8,50 pour 100 sur la période correspondante de 1888[4]. Or, la cessation du travail, en mars et avril, amena une diminution de 363 000 tonnes dans les exportations de combustibles et obligea l’industrie allemande à se procurer 1 230 000 tonnes au dehors, après le rapide épuisement des faibles stocks de l’Empire.

Ces résultats inquiétèrent à tel point le gouvernement que, par une décision à la fois très grave et très hardie, il chercha à ramener la production à ses conditions normales en concédant aux ouvriers, ou plutôt à une partie d’entre eux, l’une de leurs principales revendications, à savoir la journée de huit heures, — huit heures au trait s’entend, c’est-à-dire huit heures de travail effectif. Il le fît, non pas en tant que législateur et puissance publique, par une mesure générale et difficilement révocable, mais à titre expérimental et précaire, agissant comme patron dans les mines dont la couronne est restée propriétaire. L’expérience fut lamentable : la production par homme diminua dans de fortes proportions ; on essaya de parer au déficit en augmentant de 11 pour 100 le personnel des mineurs ; la production ne se releva que de 6 1/2 pour 100 environ ; elle ne suffisait plus à la consommation ; les industries dont le sort dépend de l’extraction de la houille, la métallurgie et la construction mécanique notamment, restaient en souffrance ; on ne pouvait assurer, en vue de la mobilisation, ni les approvisionnemens de charbon, ni les réserves de matériel roulant ; la défense nationale se voyait aussi compromise que la vie économique du pays, et M. de Bismarck, dont les dissentimens avec son souverain commençaient à n’être plus un secret, attribuait couramment cet état de choses aux folles complaisances de l’Empereur pour ses ouvriers.

Convenait-il de faire le jeu de l’Allemagne et de l’aider à se tirer de ce gros embarras ? La chose ne souriait à personne ; même au sein de la Triple Alliance, on jugeait excessives les prétentions de Guillaume II. Ailleurs, c’était pis ou mieux, suivant le point de vue. La Grande-Bretagne, toujours très empirique dans ses conceptions législatives, est du moins très intransigeante sur son indépendance, et ne se soucie pas que des tiers aient un droit de regard indiscret dans ses affaires intérieures. En France, c’était alors un axiome à peu près indiscuté que la puissance publique doit abandonner au libre jeu des contrats privés tout ce qui concerne le travail des adultes, et que la protection de la loi s’arrête dès que les êtres humains atteignent leur majorité ; sans doute, l’esprit public commençait à admettre quelques exceptions en ce qui concerne la femme, soit pour l’enlever à la fabrique la nuit et la rendre à la famille, soit pour lui assurer quelque repos en suite de couches ; mais la loi était encore muette à cet égard, et, pour les hommes, nul n’acceptait sérieusement l’immixtion du législateur ni dans la fixation des salaires, ni dans la limitation de la journée de travail ; on était à peu près unanime à proclamer qu’on avait assez fait pour eux en leur donnant par la loi de 1884 sur les syndicats la faculté de se coaliser pour tenir tête aux patrons ; l’on n’était aucunement enclin à se lancer dans de périlleux excès d’intervention législative. À ces motifs permanens pour repousser les prétentions allemandes s’en joignaient d’autres de circonstance : au nom des principes qui prévalaient dans notre droit interne, nous avions amené la Suisse à renoncer à parler de la limitation du travail dans son projet de conférence de Berne ; il eût été infiniment délicat, lorsque déjà certains partis discutaient s’il était convenable pour nous de participer à la Conférence de Berlin, de nous montrer plus concilians et plus larges pour l’Empire allemand que pour la Confédération helvétique.

Des négociations actives se poursuivirent pendant tout le cours du mois de février 1890. La Suisse tout d’abord s’effaça, plus ou moins volontiers, devant l’initiative de l’Allemagne : elle abandonna, malgré qu’elle en eût la priorité, l’idée de réunir la Conférence à Berne, et annonça qu’elle se rendrait à Berlin, acceptant du même coup, — ce fut peut-être une faute, étant donnée la politique qu’elle entendait suivre, — que la délibération, par le seul fait de ce changement de lieu, apparût à tous comme moins impartiale, moins scientifique, plus commandée par des intérêts locaux. De son côté, la France fit savoir, le 27 février, qu’elle se rendrait à la convocation impériale, mais sous la condition expresse que, tout comme dans le projet suisse, l’œuvre que la Conférence devait accomplir serait une simple enquête internationale dont les conclusions ne pourraient entraîner aucune sanction positive. « Personne, en effet, disait M. Spuller, alors ministre des Affaires étrangères, ne saurait se faire illusion sur les difficultés de tous genres qu’un règlement, et même une simple étude, au sein d’une conférence internationale, de questions déjà si complexes et si délicates par elles- mêmes, est appelé à rencontrer, tant dans la différence des législations, des conditions du travail et de la vie sociale, que dans le conflit inévitable des intérêts qu’il s’agirait de concilier. Il est, en tous cas, une question qui, moins que toute autre, paraîtrait pouvoir être l’objet d’une entente internationale. C’est celle de la limitation de la journée de travail : elle se rattache si étroitement, au moins en ce qui concerne les adultes, d’une part aux principes sur lesquels reposent les législations politiques des différens Etats, et, d’autre part, aux conditions générales de la production industrielle, qu’elle doit être considérée comme étant exclusivement d’ordre intérieur et parlementaire, et ne saurait, dès lors, être utilement soumise à une discussion diplomatique. »

Des réserves analogues avaient été évidemment formulées par d’autres puissances, car, ce même jour 27 février, l’ambassade d’Allemagne à Paris remettait au ministère des Affaires étrangères le programme définitif de la Conférence, et il n’y était plus question, au moins d’une manière générale et absolue, de la limitation de la journée de travail : le repos du dimanche, la réglementation du travail des enfans, des jeunes ouvriers et des femmes étaient assignés comme objets principaux à l’étude de la Conférence ; aux adultes, il n’était plus fait allusion qu’implicitement, à propos du travail dans les mines ; encore n’en parlait-on qu’en s’abritant derrière des considérations d’hygiène ou d’intérêt public, et sans invoquer à nouveau les exigences de la concurrence internationale, ainsi qu’en témoignent ces deux articles du programme :

« La journée du travail dans les mines offrant des dangers particuliers pour la santé, doit-elle être soumise à des restrictions ?

« Pourra-t-on, dans l’intérêt public, pour assurer la continuité de la production du charbon, soumettre le travail dans les houillères à un règlement international ? »

Malgré les termes sibyllins de ce dernier paragraphe, qui ne s’éclairèrent complètement que quelques jours plus tard, dans une conversation particulière du chancelier de Bismarck avec l’un des délégués de France, on se plut à considérer de toutes parts la concession comme suffisante. La France notamment adhéra définitivement le 7 mars, en prenant acte qu’ « il n’était plus fait mention de la limitation de la journée de travail » et que, d’autre part, si une entente s’établissait sur un certain nombre de questions, le protocole signé par les délégués « serait ensuite soumis aux divers gouvernemens, à titre de simples propositions. »

Ainsi réduite dans son objet et dépouillée de toute sanction immédiate, la Conférence de Berlin s’ouvrit le 15 mars, trois ou quatre jours seulement avant la démission définitive du prince de Bismarck, avec le concours de tous les États industriels de l’Ouest, du Centre et du Midi de l’Europe ; seule parmi les grandes puissances, la Russie n’y figurait point. Chacun se rendait compte du caractère tout platonique de l’œuvre que l’on allait entreprendre, mais chacun cherchait aussi, dans les détails d’attitude et les nuances de discours de son voisin, plus que dans les vœux à émettre, l’intérêt de ce premier contact, sur des sujets aussi nouveaux, entre délégués de rivaux industriels aussi âpres. Déjà, d’ailleurs, l’Allemagne n’osait plus invoquer que timidement, et pour ainsi dire par acquit de conscience, les motifs tirés de la concurrence internationale ; même chez elle, les argumens d’ordre sentimental revenaient au premier rang. « Dans la pensée de l’Empereur, dit le discours inaugural du président, M. de Berlepsch, ministre prussien du Commerce et de l’Industrie, la question ouvrière s’impose à l’attention de toutes les nations civilisées, depuis que la paix des différentes classes paraît menacée par la lutte à la suite de la concurrence industrielle (on ne disait même plus internationale). La recherche d’une solution devient dès lors non seulement un devoir humanitaire, mais elle est exigée aussi par la sagesse gouvernementale qui doit veiller en même temps au salut de tous les citoyens et à la conservation des biens inestimables d’une civilisation séculaire. »

La modestie de ces paroles cadrait fort bien avec les instructions données le 13 mars aux délégués français : « L’enquête internationale à laquelle il sera procédé doit donner d’utiles renseignemens ; nous avons, en tout cas, la confiance qu’elle démontrera que, dans aucun pays, les institutions sociales ne sont aussi complètement qu’en France, ni depuis aussi longtemps, en harmonie avec les idées de justice, de liberté et d’égalité qui tendent de plus en plus à inspirer les législations intérieures de tous les États. Toutefois, les élémens qui constituent les législations sont encore si dissemblables, il existe de si grandes différences dans les mœurs et les traditions de leur production industrielle, qu’il est difficile de penser que la Conférence puisse poser les bases d’une entente internationale sur les questions si complexes du travail des enfans, des filles mineures et des femmes, ainsi que du repos dominical. Nous avons dû cependant prévoir cette éventualité, mais nous entendons, dans tous les cas, réserver entièrement notre liberté d’appréciation... Il est d’ailleurs bien entendu que cet accord ne pourrait, en toute hypothèse, porter sur d’autres questions que celles qui ont été spécifiées limitativement dans le programme de la Conférence et qui doivent faire exclusivement l’objet des discussions. »

De fait, il s’agissait en premier lieu de faire un brillant exposé de la législation française : pour le repos hebdomadaire et la protection des enfans et des femmes, la matière y prêtait, la loi du 19 mai 1874, l’amélioration qui en était déjà projetée et qui est devenue la loi du 2 novembre 1892, ne nous laissant pas grand’chose à envier à nos voisins ; de la description des faits, l’onctueuse et enveloppante maestria de M. Jules Simon, la finesse toute parisienne de M. Tolain, la vigoureuse intelligence de M. Burdeau, la compétence technique de M. Linder, pouvaient tirer et tirèrent en effet, avec de beaux développemens oratoires, de très solides argumens ; si l’ouvrier professionnel de la délégation, M. Delahaye, se hasarda parfois à des manifestations trop personnelles, la sincérité de ses convictions et la haute honorabilité de son caractère lui concilièrent la bienveillance et l’indulgence générales. Si bien que la délégation française put sans peine s’associer à tous les vœux formulés sur ces diverses questions, tout en apportant un soin extrême à s’abstenir, conformément à ses instructions, chaque fois que la question de principe, le travail des adultes, se trouvait indirectement posée, même pour les femmes, même pour le repos dominical.

Au vrai, là n’était ni la difficulté, ni l’intérêt propre de la Conférence, mais bien dans les deux questions relatives aux mines. Sur ce point, les instructions données aux délégués français étaient complètement muettes : ils n’avaient qu’à s’inspirer des circonstances et de la volonté formelle de leur gouvernement de ne point favoriser les empiétemens internationaux ou législatifs sur la réglementation du travail des adultes. Pour la première de ces questions, — mines insalubres, — le programme allemand était vague ; pour la seconde, — continuité de la production de charbon, — il risquait d’être trop précis, quoique à la première réunion de la commission chargée par la Conférence d’en faire l’examen préalable, le président se fût borné à dire que « la portée en serait définie ultérieurement. » Des deux côtés, il fallait donc travailler à l’aveugle, ou plus exactement laisser s’engager les autres puissances avant de prendre soi-même position.

Il faut rendre cette justice à celui des délégués allemands qui présidait la commission, M. Hauchecorne, qu’il ne chercha pas à étendre le problème de la salubrité des mines et à poursuivre, sous le prétexte plus ou moins spécieux de l’hygiène, la limitation générale de la journée de travail. Il rappela que l’insuffisance d’aérage, la chaleur due à la profondeur ou aux incendies des galeries, l’air comprimé ou le voisinage de l’eau sont des causes de danger particulier pour les ouvriers, et il cita l’exemple de la Westphalie, où les mineurs ne doivent pas travailler plus de six heures par jour lorsque la température atteint 29 degrés. L’Espagne fit constater qu’ici à cause des émanations mercurielles, là pour excès de chaleur souterraine, des précautions analogues ont été prises, mais toujours pour raisons spéciales à une exploitation déterminée. La Belgique observa que c’est principalement aux ingénieurs de l’État qu’il incombe d’assurer la sécurité et la salubrité des travaux souterrains et qu’il suffit de les armer des pouvoirs nécessaires pour prescrire les mesures utiles. L’Autriche essaya bien de provoquer la restriction de la journée de travail « dans les mines ou chantiers offrant des dangers particuliers pour la santé ; » mais, devant les objections des Anglais, des Belges et des Français contre une formule aussi compréhensive, on se mit unanimement d’accord sur le texte suivant : « Il est désirable que, dans les cas où l’art des mines ne suffirait pas pour éloigner tous les dangers d’insalubrité provenant des conditions naturelles ou accidentelles de l’exploitation de certaines mines ou de certains chantiers de mine, la durée du travail soit restreinte. Le soin est laissé à chaque pays d’assurer ce résultat par voie législative ou administrative, ou par accord entre les exploitans et les ouvriers, ou autrement, selon les principes de la pratique de chaque nation. »

Cet incident constituait une victoire de principe pour ce qu’on pourrait appeler le parti de la résistance, au sein de la Conférence, la phrase finale de ce vœu excluant toute idée de contrainte ou de contrôle international. Il était d’un mauvais présage pour les visées de l’Allemagne en ce qui concernait les moyens d’assurer la continuité de la production du charbon. On avait attaché d’autant plus d’importance à la régler d’une manière satisfaisante, qu’un mot de M. de Bismarck avait jeté une lumière très crue sur « la portée ultérieure » de cette dernière question.

Un jour, durant une suspension de séance, le Chancelier de fer, qui laissait à d’autres le soin de diriger les travaux de la Conférence, était entré subitement dans la salle où devisaient les délégués, suivi, comme toujours dans les circonstances « intimes, » de ses deux magnifiques chiens danois. On conçoit aisément la sensation que produisirent cette irruption et ce cortège sur tous ceux — et ils étaient nombreux — qui n’avaient jamais approché le ministre, tout-puissant depuis tantôt trente ans et pour deux jours encore. Les présentations faites, M. de Bismarck se mit à causer familièrement de choses indifférentes avec les principaux personnages présens, puis, soudain, avec la brusquerie tranchante qu’il apportait si volontiers dans ses communications les plus importantes, il aborde l’un des délégués français en ces termes imprévus : « Je ne puis tolérer plus longtemps que la production de la houille soit à la merci des fantaisies ouvrières ; il est inadmissible que le sort de l’industrie nationale tout entière, celui même de la patrie à un moment donné, soit livré à la discrétion d’une minorité turbulente ; je suis résolu à tout pour faire cesser une situation aussi précaire ; au besoin, je militariserai les mineurs, les affranchissant du service armé, mais ayant du moins en main les moyens de les contraindre à extraire du sol le pain de nos usines et de nos locomotives. » Et il sortit, en caressant ses molosses[5].

La stupéfaction fut grande, et aussi l’émotion. Cette déclaration, aussitôt colportée de groupe en groupe, donnait enfin son véritable sens à cette partie du programme dont M. Hauchecorne avait dit que « sa portée serait définie ultérieurement. » La définition n’était point faite pour calmer les scrupules de la plupart des puissances adhérentes. Évidemment la pensée dominante de l’Allemagne était surtout personnelle ; si, à la rigueur, l’empereur Guillaume II, dont on peut dire parfois qu’il aime les événemens et les idées suivant l’ampleur des images oratoires qu’il en tire, avait pu être accessible à certaines conceptions mondiales ou humanitaires, l’implacable réaliste qu’était M. de Bismarck avait bien vite ramené les choses à la mesure des intérêts présens de son pays. Mais plus étroite était cette mesure et plus immédiats ces intérêts, moins les puissances étaient prêtes à rendre la main à la politique allemande et à quitter le terrain des purs principes libéraux. Déjà, à propos des mines insalubres, le premier délégué anglais, sir John Gorst, avait catégoriquement déclaré que son pays, satisfait de sa législation de 1887, ne pourrait donner son assentiment à une limitation du travail des adultes masculins. Ce fut mieux encore lorsque l’on aborda, — trois jours après la démission de M. de Bismarck, — la fameuse question de la continuité de la production minière.

En l’exposant à la commission, M. Hauchecorne tenta d’y intéresser, non sans raison, jusqu’aux puissances non productrices de charbon ; il ne cacha pas que, là plus que partout ailleurs peut-être, une entente internationale, serait indispensable pour atteindre le but. Mais, en même temps, sentant la répugnance invincible de la grande majorité de ses collègues à accueillir les vœux de son gouvernement, il indiqua très habilement qu’à défaut de moyens propres à empêcher radicalement la naissance de conflits arrêtant l’extraction, la Conférence pourrait examiner utilement les divers procédés mis en œuvre pour atténuer, amortir ou apaiser le désastreux effet des grèves. Et chacun se précipita à l’envi dans ce sentier latéral, pour éviter de s’attaquer de front à ce redoutable problème.

L’Angleterre, d’abord, se complut dans un tableau minutieux et enchanteur des résultats obtenus dans ses mines du Nord par le fonctionnement compliqué de l’échelle mobile, lequel fait dépendre le taux des salaires des prix moyens de vente constatés par des experts jurés. La France montra ses patrons surtout attachés à procurer la stabilité des salaires, même en temps de crise, ce qui est à peu près l’opposé du système précédent, puisque cela suppose la constitution de réserves importantes prélevées sur les bénéfices acquis. L’Autriche préconisa la multiplicité des « institutions humanitaires, » maisons ouvrières, primes d’ancienneté, caisses de secours, etc., destinées à attacher le mineur à la mine, et eut le courage d’affirmer que, lorsque, malgré tout, l’on en vient à manquer de charbon national, il faut s’en procurer à temps au dehors. Tout le monde s’accorda à reconnaître qu’il serait vain de vouloir imposer un délai de préavis à la dénonciation du contrat de travail, car aucune sanction pratique ne pouvait assurer l’application d’une semblable prescription. Seul, ou à peu près, un délégué belge, M. Harzé, tout en concédant que les divers remèdes prônés par ses collègues n’étaient ni indifférens au point de vue humanitaire, ni inefficaces pour diminuer l’acuité des luttes sociales, eut la franchise de proclamer que la matière des grèves, dans la civilisation contemporaine, échappe à toute règle et, par conséquent, à toute réglementation.

Les grèves, dit-il, éclatent dons tous les pays, sous les régimes politiques les plus différens, en temps de crise comme aux heures de prospérité, dans les populations aisées aussi bien que parmi les misérables, qu’elles soient secourues ou non par l’initiative patronale ou tenues en tutelle « éclairée » par l’autorité de l’Etat. La conquête d’un salaire convenable, rémunérant un travail sans excès, est l’objectif principal de tout ouvrier sérieux. Mais où est la norme permettant de décider si ce salaire est convenable ? Il est moindre en Belgique qu’en France : soit, mais la vie est moins chère dans le bassin de Mons ou de Charleroi, qu’elle ne l’est à Anzin ou à Lens, et, si l’on prétendait conclure quelque entente, il faudrait faire entrer en compte ce facteur capital pour que la comparaison fût possible. Ce n’est pas tout : en Belgique même, il diffère d’une région à l’autre, il est plus élevé par exemple à Liège que dans le Centre. Pourquoi ? Les conditions du travail et la richesse des gisemens ne sont pas les mêmes. De 1885 à 1887, l’ouvrier du fond a produit en Angleterre 410 tonnes par an, en Prusse 352, dans le Nord de la France 295, en Belgique 232 seulement, ou 280 si l’on écarte de la statistique les demi-ouvriers (garçons et femmes) qui ne fournissent pas la pleine journée de travail. Est-ce à dire que telle race soit supérieure à telle autre sous le rapport de la capacité productrice ? Non pas : chacun sait, au contraire, que le mineur belge est fort recherché et très apprécié par les bouilleurs français. Mais, en France, les couches sont belles ; en Belgique, on opère dans des veines que d’autres pays jugeraient souvent inexploitables. Si bien que, si l’on édictait jamais une règle uniforme, il faudrait, pour qu’elle ne fût pas inique, faire jouer pour chaque pays, bien mieux, pour chaque exploitation, pour chaque chantier, un coefficient nouveau résultant des conditions d’extraction que la nature même lui impose.

Il était malaisé, pour ne pas dire impossible, de répondre à une argumentation aussi serrée. On ne l’essaya même pas. M. Hauchecorne constata, non sans une nuance de regret, que « la commission ne semblait pas avoir en vue de résoudre la dernière question de son programme par un règlement international. » Chacun conserva ses positions particulières en confondant son vote dans le vœu unanime « que, dans le but d’assurer la continuité de la production du charbon, on s’efforce de prévenir les grèves, l’expérience tendant à prouver que le meilleur moyen préventif consiste à ce que les patrons et les mineurs s’engagent volontairement, dans tous les cas où leurs différens ne pourraient pas être résolus par une entente directe, à recourir à la solution par l’arbitrage. »

C’était l’échec complet de la politique allemande, le triomphe de la doctrine française que M. Burdeau avait résumée d’un mot : « L’Etat n’a à jouer qu’un rôle de gardien de la liberté des personnes et de la loyale exécution des contrats. » Par le seul fait que, même en matière d’arbitrage, la Conférence se prononçait pour l’adhésion volontaire des parties, toute idée de contrainte légale ou internationale se trouvait décidément écartée.

La Conférence avait aussi à s’occuper des moyens de mettre à exécution les vœux qu’elle avait adoptés. La Suisse, toujours allante, ne proposait rien moins que la conclusion de traités entre les États qui se trouveraient d’accord, la création d’un bureau international de centralisation de renseignemens, et la périodicité de nouvelles conférences « pour assurer le développement ultérieur de la législation nouvelle, aussi bien que pour résoudre les difficultés survenues dans la pratique. » A peine formulée, cette proposition se heurta au refus hautain et dédaigneux des délégués de la Grande-Bretagne. « Même si nos hommes d’Etat, dirent-ils, avaient la volonté de contracter des liens internationaux relativement à la réglementation du travail des fabriques, ils n’en auraient pas le pouvoir : il leur est défendu de mettre leurs lois industrielles à la discrétion d’un pouvoir étranger. » Et l’on se contenta de voter, avec l’abstention de la France et de la Suède, l’échange entre les États des publications officielles, statistiques et rapports d’inspection sur la matière, ainsi que la réunion de conférences ultérieures « afin de se communiquer réciproquement les observations que les suites données aux présentes délibérations auront suggérées et d’examiner l’opportunité de les modifier ou de les compléter. » Rédaction bien inoffensive à coup sûr, qui n’en permit pas moins à M. de Berlepsch de résumer ainsi, dans la séance de clôture, l’œuvre à laquelle il achevait de. présider : « Chaque pays devra accorder à la classe ouvrière, soit par la législation, soit dans les mœurs, tout ce qui n’est pas incompatible avec la sûreté de l’existence et le développement de l’industrie nationale, desquels dépend, d’ailleurs, le bien-être des ouvriers. »

Cette histoire, si lointaine soit-elle, — elle est vieille de douze ans, — n’est point sans intérêt dans l’époque de trouble où se débat en ce moment la grande industrie. On y voit une puissance, dont nul ne saurait contester la vitalité ni les progrès, se lancer non sans imprudence dans les réformes ouvrières les plus osées ; s’aviser soudain, à la lueur des résultats acquis, qu’elle risque, en marchant plus avant, de placer sa production nationale dans une position d’irréparable infériorité vis-à-vis de la concurrence universelle ; s’arrêter net pour tenter d’entraîner les autres États à imiter son exemple ; et, n’y pouvant parvenir, renoncer à ses premiers essais de réduction de la journée de travail pour revenir à l’état de choses antérieur. Contre les visées de la politique allemande, quels argumens ont invoqué les États récalcitrans ? Des argumens de principe sans doute, tirés des différences qui séparent le droit public des diverses nations, leur concept du rôle incombant à l’Etat, leur respect de la liberté individuelle ; mais aussi, mais surtout des argumens de fait, antérieurs et supérieurs, parce que permanens, à toutes les abstractions. L’Allemagne et la Suisse disent : « On ne peut faire un pas de plus si tous les États producteurs ne consentent à marcher du même pas. » Et ces derniers ne contestent pas qu’il en soit vraiment ainsi ; ils constatent seulement, et ils prouvent, qu’il est impossible pour eux d’entrer dans cette voie.

Impossible, pourquoi ? Parce que ni le salaire ni la durée du travail n’ont de valeur absolue d’un pays à l’autre, voire dans l’intérieur d’un même pays. Parce que le premier est en fonction des conditions matérielles de l’existence, du prix des loyers et de l’alimentation, du poids des impôts ; la seconde, en fonction des conditions matérielles de la production, nature du sol, facilités des communications, taxes publiques et locales. Parce que, pour déterminer une règle équitable, cette règle ne devrait pas être uniforme, et que ses variations dans l’espace, c’est-à-dire entre pays différens, seraient commandées par des facteurs infiniment nombreux, très difficiles à mesurer avec rigueur, variables eux-mêmes dans le temps, c’est-à-dire d’une année à l’autre. Parce que, à supposer cette règle une fois établie, son application serait soumise ou à l’arbitraire de chaque Etat, — et, dans ce cas, l’on n’aurait rien fait, car, en changeant l’un quelconque des facteurs en question, l’on modifierait dans leur essence même les résultats escomptés ; — ou au contrôle mutuel et réciproque des Etats, — et alors c’est la négation de toute autonomie nationale, le système des impôts, celui des douanes, la législation civile, pénale ou commerciale, le régime des a oies de communication, en réalité la civilisation tout entière de chacun livrée à « la discrétion d’un pouvoir étranger. » — Pouvoir international ou fédéral, dira-t-on. Certes, mais qui ne sait que dans toute fédération, le plus fort s’est toujours imposé au plus faible ? Aux Etats-Unis, le Nord a prévalu sur le Sud ; en Allemagne, la Prusse sur tous les autres Etats.

La question est internationale assurément, de l’aveu des ouvriers aussi bien que des gouvernemens[6], mais elle ne saurait se résoudre par les voies internationales, car, s’il est loisible de concevoir la suppression des frontières, la géographie, la géologie et l’ethnologie ne peuvent être supposées autres que ne les a faites la nature. La militarisation même du personnel minier, chère à M. de Bismarck, ne ferait que déplacer la question, aucun pouvoir humain n’étant capable d’inspirer à tous les gouvernemens un courage égal pour maintenir une discipline unique. Quand on étudie le problème de près. l’on en vient aussitôt à reconnaître qu’il ne comporte point de solution ni de système absolu, mais bien autant de solutions qu’il y a d’espèces différentes, et que, dans chaque espèce, c’est aux intéressés seuls, ouvriers et patrons, qu’il appartient de la chercher « volontairement » et d’un commun accord. Il n’existe et ne saurait exister aucun lit de Procuste pour égaliser les conditions du travail dans l’univers.


ANDRE LEBON.

  1. L’auteur était secrétaire de la Délégation française.
  2. Livre jaune de 1890.
  3. Voyez notamment l’interpellation de M. Antide Boyer à la Chambre, le 6 mars 1890, et la déclaration faite en son nom personnel à la Conférence de Berlin par l’un des délégués français, M. Delahaye Livre Jaune, p. 76 et 87).
  4. Ces chiffres sont extraits d’un important et intéressant travail de M. Vuillemin, ingénieur des mines, qui fut cité à la Chambre dans la séance du 6 mars 1890.
  5. Il est curieux de constater qu’une idée analogue s’était fait jour à la tribune de la Chambre dans l’interpellation du 6 mars : « C’est un intérêt supérieur, avait dit M. Francis Laur, très préoccupé des approvisionnemens de charbon pour le cas de guerre, qui me force, pour une fraction des travailleurs français, à différer un peu cette revendication qui est la mienne (la journée de huit heures), et, comme compensation, nous demanderons pour eux, en temps de mobilisation, l’exemption du service militaire, qu’ils remplissent si admirablement au fond de la mine si dangereuse. »
  6. Voyez, dans la Revue du 1er novembre, l’article de M. Charles Benoist, Le Travail, le Nombre et l’État. — III. Les Lois, p. 114-118.