Du vert au violet/Traduction d’une chanson polonaise 2

La bibliothèque libre.
Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 129-131).

TRADUCTION D’UNE CHANSON POLONAISE



Afin de te réveiller, ô Incurieuse, je me suis accroupie au milieu des grenouilles dont le chant mélancolique charme les marais.

Mais ta fenêtre demeura close et tu n’as point écouté le chant des grenouilles.

J’ai ululé comme les hiboux dont le chant mélancolique charme les bois et la nuit.

Mais ta fenêtre demeura close et tu n’as point écouté le chant des hiboux.

Afin de te réveiller, ô Incurieuse, j’ai pris une poignée de rayons de lune et je les ai jetés comme des fleurs contre ta fenêtre.

Mais ta fenêtre demeura close et les rayons de lune n’effleurèrent pas ton front insensible.

Je me suis vêtue de neige pour te plaire, et la neige me brûlait comme le contact de ta chair froide et virginale.

Mais tu n’ouvris point ta fenêtre, tu ne te penchas point afin de contempler mon clair manteau de neige.

Je me suis couverte de boue pour te plaire, et la boue ruisselait sur mon corps fiévreux et l’étreignait de son odeur fétide.

Mais tu n’ouvris point ta fenêtre et tu ne te penchas point afin de contempler mon abjection.

Je prendrai la forme de ton rêve, ô Incurieuse, pour te posséder pendant ton sommeil.

J’ai festoyé avec les crapauds dans les marécages où les serpents sifflaient harmonieusement pour nous réjouir.

Mais je n’ai pu t’oublier parmi les lumières du festin.

Comme les araignées j’ai tissé les toiles et j’ai voulu t’arrêter au passage lorsque tu effleurais les champs lumineux de rosée.

Mais tu n’as point quitté l’ombre de la demeure obstinément close où j’allais autrefois te murmurer de fébriles paroles d’amour.

Et, dans le désespoir de ne plus retrouver la saveur de tes lèvres, je me suis faite goule, et j’ai pénétré les Ténèbres des tombeaux, et j’ai dévoré la chair des Mortes.