Dupleix et l’Inde française/1/8

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Champion (Tome 1p. 299-354).


CHAPITRE VIII

Le Commerce d’Inde en Inde.


Le commerce d’Inde en Inde était plus chanceux que celui d’Europe. On sait comment il fonctionnait : des particuliers ou des employés de la Compagnie achetaient un navire ou s’entendaient pour l’exploiter en commun. Ils chargeaient les marchandises leur appartenant ou recevaient à fret, moyennant un prix courant de 7 %, celles qu’on leur confiait. Souvent encore ils prenaient à la grosse, à 18 % d’intérêt, les sommes qu’on voulait bien leur donner pour les faire valoir. C’étaient les trois parties constitutives d’un armement. La situation de Dupleix comme directeur du Bengale lui permettait naturellement de prendre une part prépondérante dans les entreprises qui se préparaient. Ses prédécesseurs avaient eu les mêmes facilités ; mais c’étaient des gens à audace limitée : ils regardaient toujours en arrière avant de faire un pas en avant. Dupleix se distingua d’eux non par ses pouvoirs qui étaient les mêmes, mais par l’esprit de décision, qui prépare le succès, et celui de ténacité qui triomphe des obstacles et des revers. Il faillit plusieurs fois sombrer dans des entreprises malheureuses, où il fut desservi par les éléments et par les circonstances bien plus que par son génie : mais il résista toujours avec une confiance indomptable dans l’avenir : ses pertes étaient des épreuves envoyées par Dieu pour affermir son caractère et fortifier sa volonté. Ce n’est point sa faute si malgré toutes ses peines et tous ses efforts il n’arriva pas à la fortune, qu’il considérait moins comme un but que comme un moyen d’acquérir de l’autorité et de la considération.

Toutes les affaires en effet ne réussissaient pas ; en dehors de l’aléa toujours dangereux d’achats mal conçus ou de ventes mal effectuées, il fallait compter avec les retards dans la navigation pouvant compromettre toute une campagne, avec l’insécurité des pays où l’on abordait, souvent troublés par les guerres intestines, et enfin avec les fatalités mêmes de la nature. Des navires faisaient naufrage et la cargaison était anéantie. Dupleix perdit ainsi pendant sa direction du Bengale des sommes très importantes sur quatre vaisseaux dont deux portaient des richesses de retour considérables. Les bénéfices des autres armements ne compensaient pas toujours ces pertes que le temps seul pouvait réparer. Et le temps, après une éclaircie plus ou moins longue, amenait fatalement un nouveau désastre. Ainsi d’espérance en désillusion on courait après la fortune sans jamais l’atteindre. Dans le commerce d’Inde en Inde, il n’y avait guère que les capitaines et subrécargues qui pussent faire des bénéfices certains, les capitaines par l’abus des port-permis et la fraude dans les embarquements, les subrécargues par leurs commissions de 3 %, dans les ventes effectuées et réalisées. Les armateurs et fréteurs n’avaient que des risques à courir.

Mais l’humanité aime les risques, autrement que vaudrait la vie ? Après une perte écrasante, il suffisait d’une grosse recette pour amorcer même de folles entreprises et certains voyages donnèrent 40 et même 55 % de bénéfice. Dans d’autres, il est vrai, on devait quelquefois s’estimer heureux de retirer son capital.

Dupleix ne fut pas un des moins ardents à courir la chance ; il s’intéressa chaque année dans presque tous les voyages qui s’organisèrent à Chandernagor pour la mer Rouge, le golfe Persique, les Maldives, Achem, Malacca et Manille. Il eut voulu également faire le voyage de Chine, réservé à Pondichéry, mais même en s’adressant au concours amical de Dumas, il ne put mettre ses projets à exécution. Il dut dans les mêmes conditions renoncer au commerce du Pégou.

Malgré cette exclusion, son champ d’action était encore très vaste, il ne lui suffisait pourtant pas. Il essaya d’une entreprise commerciale en Assam, un pays alors inconnu où jamais Européen n’avait encore pénétré, il songea à aller au Népal, qui confine au Thibet ; il organisa trois expéditions à Mozambique, enfin — et ce n’est pas la moins curieuse de ses conceptions, — il proposa au ministre et à la Compagnie de faire à ses frais une reconnaissance des terres australes, si l’on voulait lui en concéder le privilège commercial.

Il s’intéressa également dans des armements à Pondichéry, d’abord avec Lenoir puis avec Dumas et avec ce dernier les rapports furent très fréquents ; l’un et l’autre étaient associés dans presque toutes les entreprises. Que de marchandises appartenant à Dumas Dupleix ne vendit-il pas au Bengale ! Dans la plupart de ses lettres, il n’est question que de placements de fonds, de dividendes dans les armements, de transfert de comptes, d’achat d’opium ou de salpêtre, de ventes de toutenague, de cire, de vermillon, etc. Nous sommes évidemment loin des grandes conceptions politiques qui ont illustré le nom de ces deux hommes. Dupleix ne dédaignait pas non plus de faire des affaires avec les Anglais et les Hollandais, avec les premiers surtout. Il leur vendait et achetait des marchandises et ils firent en commun plusieurs armements. Plein de confiance en leur loyauté, il ne lui arriva pas toujours d’être payé de retour, mais même en cette occurrence, aucune animosité à leur égard, aucune critique faisant présager les terribles rivalités de l’avenir.

En dehors de ces idées générales qui dominent les conceptions commerciales de Dupleix, le récit même des opérations où il se trouva engagé ne présente pas un grand intérêt pour l’histoire, même pour son histoire personnelle. Rien n’est fastidieux ni monotone comme le récit de l’armement d’un navire. Aussi, à part quelques particularités qui méritent d’être notées, nous contenterons-nous le plus souvent d’une simple indication des voyages qui furent entrepris. Les opérations chevauchant en général sur deux années, de novembre ou décembre à mai ou juin, nous leur consacrerons dans leur ensemble un double millésime avec les deux ou trois derniers mois de l’année comme point de départ[1].


1731-1732.

Lorsque Dupleix arriva à Chandernagor le 28 août 1731, les opérations de l’année 1730-1731 étaient terminées ; une partie de celles de l’année en cours était déjà engagée, il en restait cependant encore quelques-unes qui ne se préparent guère qu’à l’automne pour se terminer en janvier ou en février. Dupleix plein d’ardeur voulut tout de suite mettre la colonie sur un pied où on ne l’avait jamais vue, et d’abord il entreprit de la « réveiller de son évanouissement[2] ».

De même qu’il se déclarait prêt pour le commerce d’Europe à charger quatre ou cinq navires, il ne voyait pas de difficultés à armer jusqu’à trois bateaux pour Surate ou la Perse, où cependant les affaires étaient peu brillantes. Il est vrai que les Anglais étaient alors gênés par les Maures dans toutes leurs entreprises et Dupleix comptait profiter de leurs incommodités. Les marchands, disait-il, étaient portés pour lui « d’une ardeur inconcevable » ; ils avaient les plus grandes espérances en sa direction et étaient tout disposés à lui faire un grand crédit. Malheureusement pour lui, le nabab se laissa gagner par quelques cadeaux et nous dûmes, selon l’usage, faire la part des Anglais. Dupleix arma dans l’Inde pour Mazulipatam, Pondichéry, Mahé et Surate et en dehors de la péninsule pour Achem, Benderabbas, Bassora et les îles Maldives. Il songea, sans les réaliser encore, aux voyages de Manille et de Djedda. Le plus important des chargements fut celui d’Achem, avec 100.000 roupies.

Différentes personnes, dont Lenoir, y furent intéressées. Dupleix continuait la tradition en associant à ses entreprises le gouverneur de Pondichéry, mais il le faisait de mauvaise grâce, avec l’idée d’en finir avec lui aussitôt qu’il le pourrait. Il préférait de beaucoup le concours de Trémisot, directeur à Mahé et surtout celui de son ami Vincens, dont il désirait faire la fortune. Vincens fut intéressé de 2.000 roupies dans le voyage d’Achem, dans celui de Surate et celui de la côte Malabar, et 1.000 dans ceux des Maldives et de Mazulipatam. Dupleix, qui poursuivait déjà le projet de ramener Vincens à Chandernagor, lui destinait éventuellement les voyages de Manille ou de Djedda en qualité de subrécargue. À son défaut il songeait à Aumont et à Féneley, et en attendant il avait partie liée avec les frères Carvalho, qui dans la suite se trouvèrent apparentés à presque toutes les bonnes familles de l’Inde ; le gouverneur Law de Lauriston épousa en 1755 une Carvalho dont il y a encore aujourd’hui une très nombreuse descendance[3].

En dehors des bateaux servant au commerce spécial de l’Inde, Dupleix avait reçu de Pondichéry un quatrième vaisseau d’Europe, nommé la Galathée, arrivé à Pondichéry entre le 10 et 20 septembre, trop tard pour qu’on put lui confier un chargement ; à défaut d’autre navire le Conseil supérieur le fit passer au Bengale avec 100 barriques de vin de Bordeaux. Son arrivée dans le Gange, suivant de quelques semaines celles de la Vierge-de-Grâce, de l’Argonaute et du Jason, produisit une profonde impression ; jamais on n’avait vu pareil nombre de navires français. Cette activité insolite, au moment où Dupleix venait d’acheter le Cauris et cherchait, au su de tous, à accroître encore sa flotte particulière, suscita la jalousie des Anglais et des Hollandais et ne fut pas étrangère aux difficultés qu’ils nous suscitèrent à propos de la Compagnie d’Ostende pour la navigation du Gange. Les Anglais disaient que notre activité n’était qu’un feu de paille, mais Dupleix se promettait bien de les faire mentir.


1732-1733.

Les opérations de 1732-1733 furent heureuses. Dupleix les avait préparées par l’achat de cinq navires : le Fidèle, (250 tonnes), l’Union, l’Harrisson, le Bal ou Diligent et l’Entreprenant, qui portèrent sa flotte à dix ou onze unités, de telle sorte qu’avec les vaisseaux d’Europe, les navires français entrant dans le Gange ou en sortant se montèrent à quatorze ou quinze[4].

Après ces achats, il ne restait plus au Conseil supérieur pour faire le commerce d’Inde en Inde que le Pondichéry et le Louis XV, l’un destiné à Moka et l’autre à Achem. Il semble que dans cette circonstance Dupleix ait poursuivi le dessein de mettre le Conseil dans l’impossibilité de faire du commerce, en lui enlevant ses navires les uns après les autres. Vincens qui avait acheté l’Union et l’Entreprenant, devait encore, s’il lui était possible, acheter le Pondichéry. Si l’opération avait réussi — et elle ne réussit pas — il ne serait plus resté au Conseil supérieur qu’un seul navire, celui d’Achem ; c’eût été la fin de son commerce particulier : « Il ne lui restera plus pour tout négoce, écrivait Dupleix à Trémisot, que de nous écrire des lettres impertinentes ; ils sont au désespoir de notre commerce. » Et ailleurs, même lettre, « ce qui fait donner au diable bien des gens[5] ».

Dupleix exagérait en paraissant attribuer uniquement à son initiative personnelle la ruine du commerce particulier de Pondichéry ; la vérité est que le Conseil supérieur résolut très volontairement de discontinuer le commerce de Bassora et de Manille pour lequel il n’était pas en situation de fournir les marchandises appropriées. Chandernagor bénéficia très naturellement de cet abandon et devint dès lors la véritable métropole commerciale de nos établissements.

Il n’en faut pas moins reconnaître que Dupleix sut réveiller Chandernagor de sa torpeur ; grâce à lui, neuf navires purent se livrer cette année au commerce d’Inde en Inde. Ce furent le Jean-Baptiste pour la côte Malabar, Goa et Bassora ; le Cauris et le Fidèle pour les îles Maldives ; l’Harrisson devenu l’Aimable et le Bal devenu le Diligent pour Surate ; l’Entreprenant pour Manille. Un autre alla au Pégou. Le Louis XV armé en commun avec Lenoir alla à Achem.

C’était la première fois que les Français entreprenaient du Bengale le commerce de Manille. Les Anglais y avaient envoyé au début de l’année un petit brigantin avec quelques marchandises. Le voyage projeté par Dupleix fut d’une réalisation difficile ; il aurait voulu l’effectuer d’accord avec les autorité anglaises de Calcutta, Stackhouse et Braddyl, en se servant de Boisrolland et d’Alex. Carvalho comme capitaine et subrécargue ; mais ni les uns ni les autres ne purent s’entendre. Carvalho et les Anglais voulaient que l’armement fut fait à Madras avec Louis de Médére qui en préparait un, Dupleix tenait pour Chandernagor. À la fin Dupleix résolut de se passer de tout concours étranger. Lorsqu’ils le surent, ce fut au tour des Anglais à lui faire des propositions. Elles ne furent pas admises, et Dupleix y substitua les conditions suivantes : il acceptait que l’armement fut fait à Madras, mais il voulait :

1° que nos marchandises fussent rendues à Manille libres de toute avarie à 8 % de fret ;

2° que nous pussions les consigner à qui nous jugerions à propos ;

3° que nous eussions la moitié d’intérêt dans les cauris qui seraient embarqués sur les vaisseaux et viendraient sans fret à Chandernagor, aussi bien que le reste de nos fonds en argent ;

4° que Stackhouse et Braddyl s’engageassent à ne point s’intéresser en 1733 dans aucun armement pour Manille ;

5° qu’enfin Alex. Carvalho, ses frères et beaux-frères fissent en 1733 leur armement à Chandernagor ou s’intéressassent dans celui que Dupleix pourrait faire en février 1734.

Les Anglais refusèrent de souscrire à ces conditions ; et Dupleix arma en toute hâte l’Entreprenant, qu’il venait d’acheter.

Il avait également songé à faire un armement pour Djedda et un autre pour la Chine. Celui de Chine était presque terminé dès le mois de mars. Dupleix comptait le confier à Vincens en qualité de subrécargue, mais Vincens ne se résolut qu’au début de 1733 à abandonner son poste de conseiller à Pondichéry pour venir à Chandernagor et le voyage de Chine n’eut pas lieu.

Dupleix était plus ou moins intéressé dans tous les armements qui eurent lieu, sans qu’il soit possible de dire pour quelle part, mais il faisait aussi d’autres opérations, tels qu’achats de coton et de cauris, qui contribuaient autant à accroître ses bénéfices qu’à développer les affaires de Chandernagor. Dans sa joie des résultats obtenus, il écrivait à Duvelaër le 30 novembre que grâce à Dieu ou plutôt grâce à ses soins « le pays avait un peu changé de face, tandis que Pondichéry était absolument tombé ». On ne peut certes que souscrire aux témoignages de satisfaction que Dupleix s’accordait à lui-même, mais pourquoi faut-il qu’il insiste sur la malheureuse situation qu’il aurait lui-même créée à Pondichéry ? On dirait un duel où son honneur et sa fortune étaient engagés, tandis que la seule haine de Lenoir dictait ses sentiments.


1733-1734.

Bien que nous ne soyons pas renseignés sur les opérations de cette année, on peut supposer qu’elles furent heureuses dans leur ensemble. La Garde Jazier, l’un des capitaines de la Compagnie, qui se trouvait à Chandernagor en 1734, nous a laissé de la colonie à cette époque une esquisse qui, pour être exacte, suppose nécessairement des succès commerciaux. « Chandernagor, écrivait-il le 23 août 1734, n’a commencé à devenir considérable que depuis que le sieur Dupleix le dirige. La plus grande partie de ses prédécesseurs, soit par l’impuissance de rien entreprendre, soit par la crainte des événements, s’en sont toujours tenus à régir les affaires de la Compagnie et n’ont fait que peu au point du commerce particulier. On y voit depuis trois ans, suivant l’aveu de tout le monde, un grand changement et pour peu que les affaires réussissent, cet établissement approchera de celui des Anglais. »

Nous ne savons si le voyage de Chine projeté en 1733 put avoir lieu : il est certain en tout cas que Vincens n’y participa point. Même obscurité sur tous les autres voyages. En janvier 1734, on attendait avec impatience le retour des vaisseaux de Bassora, pour avoir de l’argent de plus en plus rare. Le Fidèle envoyé aux Maldives en décembre ou janvier ne put y arriver et vint relâcher à Pondichéry le 10 mars 1734. Les relations avec Surate étaient devenues difficiles par suite de la guerre civile. Nous y avions subi des pertes évaluées à 19.000 roupies et le gouverneur déclarait que, pour nous faire rembourser, il ne voyait pas d’autres moyens que d’arrêter les vaisseaux de Mamet-Ali, le plus fort négociant de la place, à l’instigation de qui les troubles avaient éclaté. Suivant les suggestions du gouverneur, le Conseil supérieur recommanda à celui de Chandernagor de faire saisir tous les navires lui appartenant qui se présenteraient dans le Gange, à condition toutefois qu’on put le faire sans s’attirer des difficultés avec le gouvernement maure[6].

Le commerce avec Moka fut avantageux. Vincens était parti pour cette ville au début de 1734 à bord du Pondichéry et en revint le 20 juillet, après avoir vendu dans de bonnes conditions la majeure partie de la cargaison.

Le Conseil envoya du riz à Pondichéry comme il l’avait déjà fait en 1733, mais ce riz fut de mauvaise qualité et il en manqua 15 % sur le chargement. Dupleix ne semble pas avoir apporté aux expéditions tout le soin désirable : les embarras du comptoir principal le touchaient médiocrement. Alors que la disette régnait toujours à Pondichéry, il fit passer à Madras au mois de juillet un vaisseau chargé de riz. Lenoir releva le procédé en ces termes : « Si nous avons quelque secours à espérer dans un temps aussi malheureux, c’est des colonies françaises que nous devons l’espérer : vous n’ignorez pas la conduite que tiennent les Anglais à votre égard et combien ils séviraient contre des Anglais qui les auraient frustrés d’une cargaison de grains en pareille conjoncture[7]. »

Nous ne connaissons pas les explications de Dupleix.

Pour les relations avec les îles de France et de Bourbon, Dupleix reçut de la Compagnie elle-même l’instruction formelle de ne rien envoyer désormais dans ces îles sans des ordres et des états remis de Pondichéry[8].


1734-1735.

Au printemps de 1735, Dupleix avait deux vaisseaux en route pour la côte Malabar : l’un toucha Cochin le 14 janvier et l’autre, avec Vincens comme subrécargue, le 10 février. Le Diligent après avoir déchargé des marchandises à Surate était revenu à Mangalore, d’où il était parti pour Bender Abbas en compagnie des Quatre-Sœurs, avec une cargaison de riz. Le Chandernagor allant à Djedda était passé à Mahé le 13 mars et l’Union en était partie le 20 pour continuer sa route pour Bassora, où l’on espérait que le commerce serait meilleur que les années précédentes. L’Entreprenant avait pris une cargaison à Mahé et était allé ensuite à Mascate ; la Naïade, après avoir vendu ses marchandises à Goa, avait chargé du poivre à Mahé puis était allée à Moka. Deux navires, dont le Fortuné, étaient partis pour les Maldives[9]. L’Aimable avait quitté Chandernagor le 1er février, et était arrivé à Surate le 1er avril pour continuer sur Moka. Enfin un navire avait été expédié à Manille. Ce furent au moins dix navires que Dupleix et ses associés avaient aventurés à la fin de 1734 ou dans les premiers jours de 1735.

En juillet, Dupleix calculait que le voyage de Manille donnerait 25 % de bénéfices, mais ailleurs il eut de graves mécomptes et même des pertes douloureuses. Si le Fortuné, rentré à Pondichéry le 1er juin, lui rapporta des cauris sur lesquels il réalisa des bénéfices, le Chandernagor, conduit par un mauvais capitaine, Larivière Pénifort, toucha sur des rochers au cap Saint-Jean près de Daman et ne fut sauvé que par le concours désintéressé de don Antonio Joan de Siqueira et Faria, capitaine et gouverneur des ville et fort de Daman. Un missionnaire jésuite du pays, le P. Joachim Dias, le mit en état de pouvoir faire son voyage de retour à Chandernagor, où il arriva avec plusieurs mois de retard en novembre 1735. Dupleix s’estimait heureux que le navire lui-même n’eût pas été perdu, mais les marchandises qu’il transportait arrivèrent trop tard pour être vendues dans d’heureuses conditions[10].

L’Union dut hiverner à Bender Abbas.

Le Diligent fut victime d’un accident qui retarda également son retour à Chandernagor ; le capitaine des Quatre-Sœurs commit des vols importants et abandonna son navire pour éviter d’être arrêté ; mais l’accident le plus désastreux fut le naufrage de l’Aimable, deux jours après son départ de Djedda, au commencement de juin. Il avait à bord Vincens comme subrécargue.

« Vincens, Beaumont, du Gayrosse, Lhostis, avec 70 autres personnes, eurent à peine le temps de se sauver en chemise dans la chaloupe et le canot, — écrivit plus tard Dupleix à la Farelle. Ils y furent neuf jours à ne boire qu’une coupe à thé d’eau par jour et un morceau de biscuit, gros comme le pouce. Vincens, plus altéré que les autres, buvait son urine et la trouvait, dit-on, bonne. Il a beau me le persuader, je n’en crois rien du tout. Enfin, après avoir souffert tout ce qu’on peut souffrir, ils sont arrivés à Moka où ils se sont distribués sur différents vaisseaux que nous avions d’ici et de Pondichéry. Chadeau avec trente hommes, sont restés ; il y a toutes les apparences qu’ils sont submergés[11]. »

L’Aimable rapportait 500.000 roupies en or ; on n’en put sauver que 24.000. « J’y suis fourré pour une très grosse part, écrivit Dupleix à son frère. Dieu soit loué ! je me soumets à sa sainte volonté et je ne perds point courage[12]. » « Mes pertes ne m’ont point fait murmurer contre la Providence, écrivait-il au P. Turpin ; au contraire, je m’y suis soumis plus que jamais et elle m’a donné la force et les moyens de soutenir ces voyages que je mets sous sa haute protection, vous priant de joindre vos prières pour en obtenir une meilleure réussite que l’année passée. »

Castanier, l’un des directeurs de la Compagnie, était intéressé de 15.000 roupies dans l’armement de l’Aimable ; il en perdit 12.000. Les pertes des autres associés furent dans la même proportion ; il est à présumer que celles de Dupleix furent très élevées[13].

À l’exception de l’Aimable, perdu, de l’Union et des Quatre-Sœurs, retardés pour diverses causes, tous les vaisseaux expédiés par Dupleix à la fin de 1734 ou au début de 1735 étaient de retour à Chandernagor en novembre 1735. Ils avaient presque tous laissé quelques bénéfices. Dupleix s’était également intéressé dans l’armement d’un navire anglais, l’Ellenor, dont la liquidation donna lieu à de longues difficultés et à un interminable procès en raison de la mort de l’un des associés, M. Wycht, de Madras.


1735-1736.

Dupleix prépara la saison de 1735-1786 par l’achat de deux nouveaux navires, la Ressource et l’Édouard, celui-ci de 300 tonnes ou du port d’environ 8.000 mans, qu’un Arménien du nom de Félix Saffar lui vendit le 10 septembre pour 9.500 roupies[14] et qu’il fit appeler la Précaution. Malgré ces achats, il lui manquait trois vaisseaux pour faire ses opérations habituelles. Qu’étaient-ils devenus ? Vendus ou hors d’usage ? On ne saurait le dire.

L’arrivée d’un nouveau gouverneur à Pondichéry modifia quelque peu les dispositions hostiles de Dupleix à l’égard du chef-lieu ; alors qu’il mettait la plus mauvaise grâce à s’entendre avec Lenoir, il se montra au contraire tout disposé à plaire à Dumas et lui fit les offres les plus avantageuses pour les opérations qu’il voudrait faire au Bengale et notamment à Patna. Il lui proposa notamment (19 décembre 1735) d’acheter en commun un navire de 7 à 8.000 pagodes pour faire le voyage de Chine, en le faisant partir de Surate, suivant un projet qui lui tenait à cœur depuis trois ans. Il s’offrait de s’intéresser lui-même pour moitié dans l’achat du navire et de la cargaison. Dupleix suggéra également à Dumas l’idée de vendre à la côte Coromandel de la soie écrue du Bengale ; les Anglais en envoyaient chaque année à Madras et gagnaient de ce chef jusqu’à 25 %.

L’armement pour Djedda fut celui auquel Dupleix consacra le plus de soin : il voulait atténuer les pertes de l’Aimable, autant qu’affirmer sa résistance aux coups de la fortune. En décembre, il comptait que cet armement pourrait aller jusqu’à 140.000 roupies de mise dehors, non compris 4 à 500.000 roupies de fret. C’était presque tenter le destin. « Cela doit vous faire voir, écrivait-il à Dulaurens le 19 décembre, que Dieu a soutenu notre crédit et qu’il aide ceux qui se soumettent à sa providence. » En réalité, le Chandernagor partit le 20 janvier avec une mise dehors de 193.000 roupies et plus de 500 grosses de marchandises, que Dupleix estimait valoir plus de 500.000 roupies ; plus de la moitié était consignée à Vincens. Il n’y avait rien que les Anglais n’eussent fait pour empêcher le chargement ; pour nous contrarier ils avaient expédié un simple brigantin avec 150 balles. Malgré leurs menées, nous avions pu nous procurer 182 balles de marchandises à Calcutta même et nous aurions pu en prendre davantage s’il y avait eu plus de place sur le navire[15].

L’armement du Chandernagor avait donné lieu à un incident qu’il convient de raconter.

L’un des bateaux d’Europe avait, en 1735, amené à Pondichéry pour y faire du commerce, un nommé de Villeneuve, parent de l’ambassadeur du même nom à Constantinople ; en dehors de cette parenté, Villeneuve se réclamait encore de Castanier, qui lui avait confié des fonds à faire valoir. Après avoir séjourné quelques semaines à Pondichéry, il arriva à Chandernagor le 12 août ; par égard pour ses protecteurs, Dupleix lui fit bon accueil, encore qu’il fut précédé de la réputation de « maître ladre ». Il le reçut chez lui et l’hébergea. Villeneuve apportait 60.000 roupies environ. Comme la saison était avancée et que les fonds d’Europe n’étaient pas encore arrivés, Dupleix le pria de lui prêter cette somme pour le compte de la Compagnie : ce qui fut fait. Villeneuve prétendit peu de jours après qu’il avait prêté cette somme à Dupleix personnellement et le laissa croire aux Anglais et aux Hollandais dans des termes fort désobligeants, Dupleix va jusqu’à dire « déshonorants ». Dans le même temps, Dupleix organisait le voyage de Djedda avec Féneley comme capitaine et Vincens comme subrécargue : Villeneuve y était intéressé. Vincens, très au courant des affaires du pays, devait en principe avoir toute la commission, soit 5 % ; mais Villeneuve se récria si fort, et Dupleix, on doit le reconnaître, eut si peur de mécontenter ses protecteurs, que Vincens consentit à se dépouiller d’une partie de ses droits, en laissant 1 % à Féneley et un autre à Villeneuve. Celui-ci aurait voulu avoir la moitié ; Dupleix eut beaucoup de mal à le décider à se contenter de sa part.

Lorsqu’il fut question de donner dans l’armement un prix au navire, au lieu de le compter 54.000 roupies, prix qu’il avait coûté, on proposa de le passer à 45.000. Là-dessus, Villeneuve s’emporta, sous prétexte que la dépréciation était plus forte et traita Dupleix de fripon ou peu s’en faut. Dupleix, moins disposé d’ordinaire à transiger, fit faire un nouveau rapport et l’estimation fut ramenée à 40.000 roupies. Puis le navire partit pour Djedda au début de janvier avec Villeneuve comme second subrécargue. Dupleix n’avait pas attendu son départ pour apprécier en toute indépendance auprès de Castanier lui-même les procédés dont il avait été la victime. « Je l’ai logé, nourri et voituré, écrivait-il le 10 décembre en parlant de Villeneuve, et pour tout paiement, j’en ai reçu un affront en pleine assemblée de tous les négociants de ce pays. Il m’a offensé d’une façon indigne et comme je ne l’ai jamais été de mes jours. Ma patience a été admirée ; il ne le doit qu’à la considération que j’ai pour vous ». Villeneuve s’était également recommandé de Dumas, qu’il aimait, disait-il, à la folie ; Dumas était son procureur unique et spécial. Le même jour où il écrivait à Castanier, Dupleix le lui dépeignait en ces termes : « défiant, brutal, avare, impoli, calomniateur, médisant, ennuyant, piqueur de table, malpropre, puant… l’âme la plus basse que j’aie encore connue. » Après son départ pour Djedda, il espérait bien ne plus jamais le revoir.

Quelques jours auparavant, 28 novembre, il avait écrit à Trémisot : « C’est l’âme la plus basse que j’ai connue de nos jours ; sa conduite déshonore tout à fait le titre dont son parent est revêtu et je crois sans doute que c’est ce qui aura fait prendre le parti à son parent de l’éloigner de lui, d’autant plus que la qualité d’ambassadeur du roi très chrétien n’est point compatible avec celle de très petit marchand qu’avait son parent dans une des échelles du Levant… De tels gens ne servent qu’à avilir la nation : il en sort (Villeneuve allait partir pour Djedda) avec tout le mépris que vous pouvez imaginer. »

Le Chandernagor revint de la mer Rouge à Pondichéry le 10 septembre ; il ramenait tous les employés de Moka et toutes les marchandises. Vers le même temps, le Saint-Joseph allait partir pour Moka avec un chargement de marchandises. Mais on était à la veille d’une guerre avec les gens du pays et l’on jugea plus prudent de le désarmer.

Depuis plusieurs années en effet le gouverneur exigeait d’Ingrand, chef de notre comptoir, différentes sommes à titre d’emprunt et prélevait des droits excessifs sur nos marchandises sans qu’il fut possible de lui faire entendre raison. Ingrand avait proposé à la Compagnie dès 1734 d’armer un vaisseau d’Europe pour réclamer aux Arabes les sommes dues à la Compagnie pour exaction et les droits exigés par eux au delà de la teneur des traités. La Compagnie entra dans ces vues et pria le Conseil supérieur de s’y conformer. Le Conseil fit choix pour l’expédition du vaisseau d’Europe le Maurepas, auquel il joignit le Saint-Pierre, le Héron et le brigantin l’Indien.

L’expédition, dont le Maurepas formait l’unité principale, partit de Pondichéry au début de 1737 et, sans courir le moindre danger, eut un heureux succès. Les affréteurs du Saint-Joseph furent autorisés à charger leurs marchandises sur les vaisseaux de l’expédition, à la condition expresse qu’il ne serait question de commerce qu’après la conclusion d’un traité et que si les marchandises étaient un obstacle à ce traité, il n’en serait vendu aucune pièce[16].

Comme tous les ans on fit un certain commerce avec les îles. La Bourdonnais, qui pouvait déjà recruter au Bengale des topas et des lascars, fut autorisé à y acheter chaque année un certain nombre d’esclaves ; la Légère lui ramena au début de 1736 une trentaine de lascars. Cette frégate avait eu une singulière aventure. Partie de Bourbon en février 1733 pour aller hiverner à Madagascar, elle se trouva portée à l’île d’Anjouan où le Lys et le Duc-d’Anjou la trouvèrent désemparée au début de 1735. Malgré le site enchanteur de cette île et l’exubérance de sa végétation, qui en fait un des endroits les plus charmants du monde, une partie de l’équipage était mort. Le Lys et le Duc-d’Anjou lui en donnèrent un de rechange, aussi réduit que possible, et la Légère put arriver péniblement à Pondichéry le 15 août en faisant de l’eau. Aucune partie essentielle n’était gravement endommagée, le Conseil supérieur l’envoya au Bengale pour s’y faire réparer. Elle en repartit le 15 février suivant avec 100 sacs de sucre, du beurre, de l’huile, du riz et des gonis, d’une valeur totale de 12.867 roupies. Les officiers de la Légère avaient utilisé leur port-permis en chargeant de riz la moitié du navire, sans laisser suffisamment de place pour les autres marchandises. Sur les plaintes du Conseil de l’île de France, il fut décidé qu’à l’avenir le port-permis ne pourrait plus jouer que pour les objets moins encombrants, tels que le sucre et la bougie.

Le 4 mars tous les vaisseaux étaient partis, fin octobre ils étaient tous de retour.

Le commerce, de l’aveu de Dupleix, avait mieux réussi que celui de 1735 ; toutefois les vaisseaux étaient revenus sans beaucoup de profit. La perte de l’Aimable pesait lourdement sur la situation et ne pouvait être réparée en peu de temps. Dupleix cependant ne désespérait pas de l’avenir ; c’était la première fois que de Chandernagor, on était allé à Djedda ; ce voyage avait fait connaître la nation où elle ne l’était pas auparavant ; le Chandernagor avait même ramené un ambassadeur du chérif de la Mecque, qui, de son côté, venait pour la première fois au Bengale. C’étaient de nouveaux liens commerciaux qui se formaient pour l’avenir. Dupleix avait engagé des sommes importantes sur presque tous les navires ; le 21 mars, il avait écrit à Groiselle pour lui demander s’il voulait assurer 80.000 roupies sur le Diligent, 10.000 sur l’Heureux, 10.000 sur le Chandernagor, 20.000 sur la Précaution, 15.000 sur le Fortuné et, comme pour le décider, il avait ajouté — et l’indication est précieuse — que pour son compte il avait bien au delà de ces sommes sur les dits vaisseaux.

Si la navigation avait été satisfaisante pour nous, elle ne le fut pas au même degré pour les Anglais ; les Angrias leur enlevèrent à la côte Malabar un vaisseau d’Europe, leur vaisseau de Bassora, une palle et d’autres petits navires venant de Surate. Jamais ces pirates n’avaient été aussi audacieux ni aussi heureux. Le prestige de la Compagnie d’Angleterre en fut légèrement affaibli, par la manifestation de son impuissance.

La lettre suivante du 12 avril 1736, écrite à Dumas, nous dit dans quelles conditions Dupleix et Dumas réglaient leurs comptes ou leurs associations :

« J’accepte tous les intérêts que vous m’avez cédés dans les différentes marchandises que vous m’avez envoyées. J’ai écrit à nos subrécargues de Bassora, Djedda et Moka de vous laisser l’argent que vous leur demanderez pour les avances que vous avez été obligé de faire. J’apprends par la lettre de M. Boisrolland (à Bassora) qu’il compte vous laisser 30.000 rs. pour mon compte. Ne serait-il pas juste, puisque je jouis des bénéfices, que vous tirassiez l’intérêt des sommes que vous avez avancées pour moi ? Par le moyen des fonds que vous remettront nos subrécargues et les avances nécessaires pour les marchandises que vous m’avez ordonnées, vous vous trouverez remboursé des sommes que vous avez employées en marchandises et je ne serai pas obligé de tirer les lettres de change sur le Conseil de Pondichéry. Cette façon de commercer me paraît plus convenir ; ce sera celle dont il sera plus convenable de se servir par la suite[17]. »


1736-1737.
La Naïade à Mozambique. — Le voyage du François.
Le Consulat de Bassora.
La reconnaissance des terres australes.

Les expéditions de 1736-1737 s’élevèrent à dix-sept vaisseaux dont cinq pour l’Europe, Mahé et les Îles : le surplus fut pour le compte de la colonie. Les opérations furent dans leur ensemble assez heureuses : l’une d’entre elles, celle de Manille, donna 65 % de bénéfice. C’était la meilleure que Dupleix eut encore faite. Par contre, le voyage de Mascate ne réussit point parce que le navire arriva trois semaines plus tard qu’il n’eut fallu. Vincens cadet, qui représentait nos intérêts dans ce port inhospitalier, l’un des plus chauds du monde, y fut trouvé mort d’épuisement.


Quatre affaires méritent cette année de retenir notre attention par leurs particularités : le voyage de la Naïade à la côte d’Afrique, celui du François à Bassora, la création d’un consulat français en cette ville, et le projet de reconnaissance des terres australes.

Le voyage à la côte d’Afrique était nouveau. Des navigateurs avaient dit à Dupleix qu’il serait possible d’abréger de 15 à 20 jours le voyage des vaisseaux d’Europe en passant au sud des Maldives. Dupleix résolut de se rendre compte si les vents ou courants nous seraient effectivement favorables aux époques voulues pour l’aller ou le retour de nos navires et envoya en reconnaissance la Naïade, cap. Tully. Toutefois, la Naïade devait d’abord aller à Anjouan et Mohéli voir s’il y avait des cauris, puis se rendre à la côte d’Afrique, visiter les ports de Mélinde, Mozambique et Sofala, lever les plans de tous les lieux où elle mouillerait, s’instruire autant qu’il lui serait possible du commerce des Portugais et des forces dont ils disposaient ; c’est seulement à son retour qu’elle devait rechercher la route au sud des Maldives. Le plan, sans être audacieux, justifiait d’une certaine initiative ; évidemment, Dupleix ne se contentait pas de suivre les voies consacrées par la routine ou par les habitudes.

La Naïade partit de Chandernagor en décembre 1736 avec un chargement de 20.000 roupies pour le compte de Dupleix ; à son passage à la Grande Comore, elle toucha sur des rochers, qui ne l’endommagèrent pas assez gravement pour l’empêcher de continuer son voyage, mais à son arrivée à Mozambique, il fallut l’échouer, après avoir débarqué les marchandises. Le capitaine, hors d’état de revenir, acheta un mauvais bateau du pays et s’y embarqua pour Goa avec une partie de l’équipage. Mais après 40 ou 50 lieues de navigation, il dut revenir à Mozambique par suite de la mauvaise qualité du bateau qui risquait de couler. En attendant qu’un vaisseau portugais put le ramener à Goa, Tully étudia la ville et les environs et fit avec un rapport une carte du port de Mozambique. Puis ayant laissé ses marchandises sous la sauvegarde des autorités portugaises il repassa à Goa pour obtenir du gouverneur général main-levée de la cargaison ou permission de la vendre. Lorsqu’il apprit cette fâcheuse nouvelle, dans le courant de novembre 1737, Dupleix ne désespéra point ; il compta que le gouverneur de Goa favoriserait la vente de nos marchandises, si même il ne s’y intéressait et songea aussitôt à envoyer un autre bateau en droiture, autant pour liquider les marchandises de la Naïade que pour en écouler d’autres. Si ce voyage réussit, écrivait-il aux directeurs, le 23 novembre, « ce sera une nouvelle porte que j’ouvre au commerce de l’Inde. » Bien entendu la recherche d’une nouvelle passe au sud des Maldives fut abandonnée. Le nouveau bateau qui était le Petit-Heureux, fut confié au capitaine La Renaudais. Dupleix ne voulut point intéresser Dumas dans cet armement trop aventureux ; il le fit seul pour son propre compte, ou plutôt à ses propres risques. Le vice-roi ayant accordé l’autorisation demandée, Tully passa à Cochin pour remettre à La Renaudais les billets des débiteurs, opération indispensable pour pouvoir recouvrer les effets laissés à Mozambique, mais il y attendit vainement l’Heureux qui, après avoir relâché à Galles, ne put aller jusqu’à la côte Malabar et continua sur celle d’Afrique.

Sur ces entrefaites, Dupleix reçut avis de la Compagnie qu’il n’était pas autorisé à faire du commerce à cette côte ; la Compagnie le réservait à la Bourdonnais, comme intéressant beaucoup plus les Îles que l’Inde elle-même.

La mémoire où la Bourdonnais exprima cette opinion n’aurait été écrit, suivant lui, qu’à la suite d’une sorte d’abus de confiance commis par Dupleix. Celui-ci n’aurait en effet entrepris le commerce de Mozambique qu’après avoir pris connaissance d’un mémoire secret sur le commerce que lui aurait confié la Bourdonnais. Lorsqu’il connut cette accusation par avis de la Compagnie elle-même, Dupleix s’en défendit énergiquement. D’après lui, la Bourdonnais lui aurait proposé de faire du commerce entre les Îles et Chandernagor, en faisant passer aux Îles une certaine quantité de marchandises du Bengale. Or ce commerce était interdit par la Compagnie et Dupleix n’aurait pas voulu l’entreprendre. C’est pourquoi la Bourdonnais aurait écrit à la Compagnie au sujet de Mozambique, mais sa lettre était à ce point mensongère que trois membres de son conseil auraient refusé de la signer.

Dupleix ne releva pas sans quelque amertume les procédés du gouverneur des Îles : il ne manqua pas de faire valoir que c’était à ses frais et non à ceux de la Compagnie qu’il avait entrepris le commerce de Mozambique et que de telles initiatives auraient dû être encouragées au lieu d’être arrêtées dès leur origine. On avait l’air de l’accuser d’avoir réalisé des bénéfices par quelques machinations ténébreuses : à quoi se réduisaient-ils jusqu’à présent ? à la perte de la Naïade ? au succès plus que douteux du voyage de l’Heureux ?

Ce voyage en effet ne fut guère favorable et Dupleix eut beaucoup de mal à retirer son capital tant de la Naïade que de l’Heureux. Comme ce dernier navire n’avait pu toucher Cochin, Dupleix, dans l’incertitude des événements, avait obtenu du Conseil supérieur que, par une dérogation spéciale aux ordres de la Compagnie, il fut autorisé à armer un troisième et dernier navire pour Mozambique. Ce fut la Princesse-Émilie, avec Tully comme capitaine. Tully arriva en effet à Mozambique où il trouva une partie des affaires liquidées par la Renaudais ; il liquida les autres et mourut quelques jours après son embarquement. Dupleix se promettait bien de ne plus recommencer de pareilles expériences, quand même il y serait autorisé par la Compagnie ; il s’estimait trop heureux de n’avoir rien perdu. Cependant, le Petit-Heureux était revenu de Mozambique à Mahé, où il débarqua son capitaine et une partie de ses marchandises ; à son retour vers Chandernagor, il se perdit dans le golfe de Bengale, au cours de l’été de 1739.


Le voyage de Bassora donna lieu à de nouveaux incidents avec Villeneuve, retour de Djedda. Lorsque ce dernier était arrivé à Pondichéry, à l’été de 1735, il s’était secrètement entendu avec les deux frères Larivière, tous deux capitaines de navire, mais tous deux fort peu estimés, et déclarés incapables de servir la Compagnie, pour combiner avec les Hollandais un voyage à Bassora en 1736, et d’un commun accord ils avaient acheté à Madras, pour 5.500 pagodes, un mauvais bateau, le François, sur lequel ils étaient venus ensemble à Chandernagor ; avant leur départ, le Conseil supérieur leur avait donné un passeport pour le voyage projeté. À l’arrivée à Chandernagor, Villeneuve publia partout que ce navire lui appartenait en propre ainsi qu’au chef des Hollandais de Chinsura. Il fit 18.000 roupies de dépenses pour le mettre en état de tenir la mer, et acheta pour l’armer autant de marchandises qu’il put à Calcutta et à Chinsura. Dupleix soupçonna que l’idée de cet armement revenait surtout au chef hollandais pour ruiner notre commerce, en nous suscitant avec les Maures quelque mauvaise affaire ; car, expliquait-il, les navires qui venaient à Chandernagor ne pouvaient faire du commerce que sous le nom de la Compagnie et par conséquent sous la direction de ses employés. Tout commerce particulier était interdit à ces derniers à moins de se soumettre aux droits payés par les particuliers, qui allaient jusqu’à 25 %. En proclamant si hautement qu’il était le propriétaire du navire acheté à Madras, Villeneuve s’exposait manifestement à se faire traiter par les Maures comme un simple particulier et par conséquent à payer les droits les plus forts.

Dupleix l’invita à surveiller son langage s’il ne voulait courir ces risques. Villeneuve s’obstina. Alors les Maures, bien convaincus que ce bateau n’appartenait pas à la Compagnie, et supposant que les autres pouvaient se trouver dans le même cas, firent arrêter en différents lieux ceux qui naviguaient au Bengale et en retinrent quelques-uns une trentaine de jours. Il fallut pour les libérer que Dupleix jura sur sa tête — un serment tout indien — que le bateau de Villeneuve appartenait à la Compagnie, que c’était par pure jactance que celui-ci soutenait le contraire. Les Maures ne furent pas bien convaincus, mais ils ne purent ou ne voulurent rien objecter. Si Dupleix eut hésité à prendre ce parti, l’armement eut été perdu et nous n’aurions pu par la suite faire aucun commerce particulier sans nous exposer à de perpétuelles chicanes. En somme, par son intervention, Dupleix couvrit une supercherie courante : afin d’éviter de payer les droits de 25 %, les particuliers se retranchaient derrière l’autorité et le nom de la Compagnie qui paraissait ainsi faire les opérations pour son propre compte. Il fallait avoir la tête à l’envers comme Villeneuve pour ne pas vouloir entrer dans ce jeu si naturel et si facile. « Il n’y a jamais eu de difficultés, expliquait Dupleix à Dumas le 31 juillet 1737, lorsque les commissions — ou passeports — ont été données à des personnes sages et prudentes, se conformant aux règlements, il y en a toujours eu lorsqu’on a eu affaire à des vaniteux, prétendant ne dépendre de personne et que leur vaisseau leur appartenait. Aussi que de précautions ne faut-il pas prendre pour cacher son jeu ; c’est une étude toute particulière que l’on n’acquiert que par l’usage. »

Villeneuve ne témoigna naturellement aucune reconnaissance à Dupleix du service qu’il lui avait imposé ; il continua jusqu’au moment de son départ pour Bassora au début de janvier 1737 à l’attaquer et à le maudire. Il partit en menaçant tout le monde ; d’après lui tout Chandernagor devait s’attendre à être renvoyé en Europe les fers aux pieds. Mais telle était la confiance et l’estime qu’il inspirait que, malgré ses menaces, personne ne voulut accepter sa procuration ; il fallut que le procureur du roi voulut bien s’en charger ; encore spécifia-t-il qu’au fur et à mesure qu’il recevrait des fonds, il les consignerait au greffe, afin de n’avoir aucune discussion avec Villeneuve.

Le François quitta le pilote le 18 janvier, après avoir chargé 120 balles à Calcutta. Cet armement était surtout profitable aux étrangers, car à la même époque il y avait en magasin à Chandernagor pour plus de 60.000 roupies de marchandises propres pour Bassora, et les marchandises prises à Calcutta avaient coûté 10 à 15 % plus cher et étaient de moins bonne qualité.

Cependant les différends de Dupleix avec Villeneuve avaient eu un écho à Paris et à Pondichéry. De même que Dupleix s’était plaint de Villeneuve à Castanier à propos de l’armement de Djedda, Villeneuve s’était plaint de Dupleix. Pris pour ainsi dire comme arbitre, le directeur de la Compagnie répondit à Dupleix qu’il lui paraissait n’avoir pas eu absolument tort dans cette affaire ; Dupleix en conclut qu’on ne lui donnait pas plus raison qu’à Villeneuve et cette appréciation lui causa le chagrin le plus cuisant qu’il eut jamais ressenti. Si l’on s’en rapporte à cette réponse, qui est du 31 juillet 1737, Castanier l’aurait accusé de vivacité et d’avoir eu des hauteurs avec Villeneuve. Hauteurs ! Vivacités ! retenons ces mots au passage ; car c’est la seule fois à notre connaissance que l’on trouve dans une correspondance quelconque un jugement ou même un simple aperçu sur le caractère de Dupleix. Et, sans donner raison à Villeneuve, on est obligé de reconnaître qu’à distance, à une très longue distance, Castanier ne se trompait que très médiocrement. Ce fut d’ailleurs une nouvelle occasion pour Dupleix de ne pas ménager Villeneuve, « un homme violent, indiscret, vaniteux, débraillé, sans aucune tenue ». Vraiment le portrait est peu flatteur et nous pouvons le tenir pour exact.

À Pondichéry, le Conseil supérieur n’avait pas approuvé non plus sans quelques réserves l’attitude de Dupleix vis-à-vis de Villeneuve ; Dumas était intéressé de 30.000 roupies dans l’armement des Larivière et il lui semblait que dans la question du passeport les critiques de Dupleix avaient été exagérées. Avec son impétuosité naturelle, Dupleix avait accusé Dumas et le Conseil d’avoir délivré inconsidérément un passeport aux frères Larivière : si, disait-il, on s’était adressé au dernier commis de la Compagnie, on eut évité cette faute. Dupleix excusait d’ailleurs le Conseil supérieur de n’avoir pas été plus prévoyant : car celui-ci ignorait le secret de cet armement, c’est-à-dire l’intérêt que les Hollandais y avaient sous le nom des Larivière.

En voyant partir leur bateau avec Villeneuve. Dupleix prévoyait que de pénibles incidents pourraient surgir à Bassora, où nous n’avions pas d’autre autorité établie que celle des Carmes qui y remplissaient les fonctions consulaires. Dupleix craignit que Villeneuve se servit d’eux pour commettre quelques actes déplacés et d’autres en opposition avec les privilèges de la Compagnie ; il envoya en conséquence des instructions à Aumont pour s’opposer aux prétentions des Carmes si Villeneuve invoquait leur juridiction.

Ces instructions ne furent pas communiquées au Conseil supérieur, qui ne s’en offusqua pas outre mesure, mais n’en fut pas davantage très satisfait. Il reprocha surtout à Dupleix d’avoir cru trop aisément que l’armement avait été surtout inspiré par Sichtermann, pour faire tort au commerce de la Compagnie.

« La défiance, répondit Dupleix, le 10 août, règne entièrement dans votre dernière lettre et l’on y avance un peu légèrement que sans aucun fondement nous disions que les Hollandais sont intéressés dans l’armement du sieur Villeneuve. Je crois qu’il eut été plus convenable de dire simplement que vous ignoriez que les Hollandais eussent aucun intérêt dans cet armement. Tout cessait par là et votre Conseil ne nous eut pas forcé, pour nous éviter les qualités de menteurs ou d’étourdis, de lui expliquer les fondements de ce que nous avons avancé à ce sujet… Notre amour-propre ne se trouve point flatté… on nous juge peu capables de prudence et l’on veut vous faire entendre que nous écrivons sans réflexion. Il est fâcheux pour nous que l’on ait de pareilles idées[18]… »

Dumas répondit assez vaguement au sujet de la participation de Sichtermann et l’incident fut clos.


Pour ne pas interrompre l’unité du récit, nous avons poursuivi plus haut l’odyssée de la Naïade même au delà de l’année 1736-1737 ; pour le même motif nous remonterons de quelques années en arrière pour exposer l’affaire du consulat de Bassora, qui se dénoua en 1737. non sans avoir produit quelque froissement entre les Conseils de Chandernagor et de Pondichéry.

Les Pères Carmes, établis à Bassora depuis déjà longtemps, y exerçaient les fonctions consulaires en vertu de titres réguliers accordés par le roi et dont ils étaient possesseurs ; mais leur juridiction ne s’exerçait pas toujours au profit de la Compagnie ni même des Français ; il arrivait souvent que le supérieur de la Communauté fut un Italien. Aussi leur autorité était-elle mal reconnue des navigateurs et négociants, qui leur soumettaient avec répugnance leurs contestations et différends. Il est vrai que les Carmes émettaient parfois des prétentions peu compatibles avec le règlement des affaires commerciales, où ils n’entendaient rien. Les plaintes des particuliers et celles des agents de la Compagnie elle-même, formulées dès 1730, devinrent si vives en 1734 que la Compagnie et le ministère se résolurent à retirer aux Carmes les droits consulaires et à les transférer à un représentant de la Compagnie, détaché du service des Indes et choisi par le Conseil supérieur, qui siégerait en personne à Bassora avec un traitement fixe de 1.500 livres et un supplément variable provenant des droits sur les marchandises vendues (lettre du 26 novembre 1736).

Ces droits allaient naturellement frapper des marchandises provenant pour la plupart du Bengale, puisque c’était du Bengale que se faisait presque tout le commerce du Golfe Persique. Il était légitime que le commerce de Chandernagor s’émut, d’autant plus que par sa lettre du 26 novembre arrivée à Pondichéry le 20 septembre 1787 la Compagnie recommandait au Conseil supérieur de se concerter sur le montant des droits avec celui de Chandernagor, plus directement intéressé.

Au même moment (fin 1736), Dupleix conférait le titre de chef de la nation à Aumont, subrécargue de l’Union, qui partait pour Bassora. L’attribution de ce titre ne plut pas au Conseil de Pondichéry, qui se considérait comme seul autorisé pour l’accorder ; il défendit à Aumont de le prendre, mais il lui en reconnut tous les pouvoirs et comme pour lui prouver qu’il n’en voulait nullement à sa personne, il lui donna la mission spéciale de négocier un traité avec la Perse et de fonder un établissement à Bender Abbas.

Lorsque Dupleix fut informé de la décision de la Compagnie et bien que le consul dut être un de ses agents, il en désapprouva nettement l’institution par lettre adressée directement en France dès le 19 décembre, mais qui fut communiquée au Conseil supérieur. La création de ce consulat lui enlevait en effet une partie de son autorité dans la direction des affaires du Golfe Persique. Jusqu’alors, le Conseil de Chandernagor était le seul à y faire le commerce ; Pondichéry y avait peu de part. Il usait de cette sorte de monopole comme il lui convenait, se réservant les armements et les interdisant aux particuliers, même aux vaisseaux qui partaient de Pondichéry et remontaient d’abord au Bengale. Il désignait les subrécargues qui, à chaque saison, se rendaient en Perse pour présider à la vente des marchandises et régulariser les opérations. Ces subrécargues investis d’un pouvoir momentané, sans traditions ni expérience du pays, agissaient le plus souvent à leur fantaisie, se déclaraient chefs de la nation et s’avisaient parfois d’écrire directement au roi de Perse et à ses principaux officiers et de leur faire, sans autorité, des promesses d’établissement dans leur pays. Cela donnait un certain relief au comptoir de Chandernagor. La nomination d’un consul détruisait cet apparat de souveraineté, en même temps qu’elle réglait les fantaisies et prévenait les fautes. Désormais, toutes les opérations commerciales devraient se faire par l’intermédiaire du consul responsable vis-à-vis de la Compagnie et des autorités locales. Ce consul, mis au fait du commerce du pays, connaissant les bons et les mauvais marchands, ferait vendre les marchandises avec plus de sûreté, en prenant à l’avance les mesures nécessaires pour que la défaite d’une cargaison pût s’effectuer la même année[19].

Nous n’avons pas le texte de la lettre de Dupleix du 19 décembre ; mais, d’après le Conseil supérieur, les motifs de l’opposition de Dupleix reposaient sur le désir qu’il aurait eu de pouvoir désigner lui-même le consul et sur le dépit de ne pas avoir obtenu satisfaction. Avec la désignation du consul, il eut pu continuer à avoir la haute main sur la conduite des opérations commerciales, en narguant l’autorité du Conseil de Pondichéry. « Nous avions lieu de croire, écrivait celui-ci, que si la Compagnie avait remis à la nomination de la personne du Bengale celui qui doit aller à Bassora, il n’aurait pas improuvé si fort cet établissement qui nous paraissait si convenable[20] ».

Quant aux propositions relatives à la fixation du droit consulaire, Dupleix répondit à Damas que ce serait être libéral aux dépens du Bengale et qu’il n’avait point d’ordres à recevoir de Pondichéry. Ces ordres, il les attendait de France où il les provoqua par une lettre particulière, qui resta inconnue de Dumas[21].

Le consul désigné fut Jogues de Martinville, second du comptoir de Cassimbazar, arrivé depuis moins de deux ans au Bengale et qui, sans être en opposition avec Dupleix, n’était pas cependant l’une de ses créatures. Le choix de Martinville était déjà arrêté et connu, lorsque Dupleix présenta ses observations[22].

« Ces observations, disait le Conseil supérieur, ne partent que du chagrin qu’a eu le Conseil de Chandernagor devoir que la Compagnie nous en ait adressé les patentes. Cela est si vrai que par notre lettre du 28 juin nous l’avions prévenu que la Compagnie devait nous envoyer ces patentes et qu’il a attendu à nous faire réponse qu’il eut su la personne qu’elle avait nommée au Consulat.

« Messieurs de Chandernagor ne balancent point à vous écrire qu’ils sont les seuls depuis longtemps qui font ce commerce. Il est vrai qu’ils voudraient être les seuls à faire le commerce de l’Inde… Ce qu’ils écrivent à la Compagnie que le commerce à Bengale doit passer par les mains du directeur en est une preuve. Leur but est d’empêcher les particuliers d’armer à Bengale.

« Ils avancent encore mal à propos, au sujet du droit de consul, que nous serons libéraux à leurs dépens, comme si toute l’Inde ne savait pas que leurs vaisseaux sont presque entièrement chargés pour le compte des étrangers et que les employés de Chandernagor n’y ont que très peu d’intérêt, au lieu que les marchandises qui composent les cargaisons de nos vaisseaux tant à fret qu’à l’armement appartiennent aux négociants français de Pondichéry. Il est aisé de faire beaucoup d’armement quand il faut peu de capital et qu’on trouve des étrangers qui les chargent. Nous avions passé à Messieurs de Chandernagor l’extrait de votre lettre où vous nous marquez de nous concilier avec eux pour régler le droit à accorder au Consul, nous comptions qu’en réponse ils nous auraient marqué leur sentiment ; ils se contentent de nous renvoyer à ce qu’ils vous écrivent et ajoutent qu’ils ne pensent pas recevoir d’ordres de Pondichéry là-dessus. Il est bien vrai qu’ils sont dans l’usage de faire peu de cas des ordres de Pondichéry. Nous ne serons point libéraux à leurs dépens ; nous avons plus d’intérêt qu’eux à ne pas accorder au consul plus qu’il n’est raisonnable. Nous estimons qu’on ne peut lui donner moins d’un cent pour les cargaisons. Les particuliers seront bien dédommagés de ce droit par les services que leur rendra une personne capable que sa résidence aura mis au fait du commerce du pays, qui connaissant les bons marchands fera vendre avec sûreté et prendra à l’avance des mesures pour la vente des cargaisons. Nous faisons une grande différence d’un consul résidant sur les lieux d’avec un subrécargue qui, le plus souvent, doit son poste moins à son mérite qu’à la faveur et à la protection.

« L’exemple du consul anglais que Messieurs de Chandernagor vous citent, supposé que ce qu’ils disent soit vrai, ne vient point à propos pour rendre suspecte la probité d’un consul ni celle de M. Martinville. Nous avons très bonne opinion de lui pour croire qu’il tient une conduite semblable. Les craintes qu’ils paraissent être qu’il ne leur faille abandonner le commerce de Perse n’ont pas plus de fondement que celles qu’ils disaient avoir au sujet de l’armement de M. de Villeneuve. L’intérêt particulier ne doit en aucun cas prévaloir sur le bien général qui peut résulter à la Compagnie et à la nation de l’établissement d’un consul en Perse. Cet employé y établira le commerce des draps, serges et autres marchandises du royaume qui conviendront, et procurera à la Compagnie des laines de Caramanie, des gommes et autres drogues propres pour le royaume, ce qu’un subrécargue ne fera jamais[23] ».

Une lettre identique mais plus courte fut adressée par Dumas à Dupleix le 18 février. Il n’y est pas fait allusion à la prétention de Dupleix d’accaparer à son profit le commerce du Bengale ni à l’affrètement des navires français de Chandernagor pour le compte presque exclusif des étrangers. Insérées comme en passant dans sa lettre à la Compagnie, ces affirmations de Dumas jettent cependant une lueur assez vive sur la nature des opérations du Bengale ; elles établissent leur caractère pour ainsi dire international. Il ne semble pas au surplus que Dumas en fasse un grief à Dupleix ; si Madras eut été aussi rapproché de Pondichéry que Chandernagor l’était de Calcutta ou de Chinsura, il est possible que les négociants des deux nations se fussent volontiers intéressés dans des entreprises communes.

Dupleix avait écrit le 14 décembre à Dumas qu’il n’était opposé au consulat que dans le seul intérêt du commerce, le train qu’il faudrait au consul et la permission d’arborer le pavillon coûteraient cher et ces dépenses retomberaient sur Chandernagor. Martinville, pendant son séjour au Bengale, n’avait, disait-il, cherchée gagner l’amitié de personne ; comment va-t-il faire maintenant que le voilà forcé de faire la cour à deux conseils ? Comment pourra-t-il vivre avec 1.500 livres si, comme tout me porte à le croire, le commerce vient à cesser ? L’exemple de Gardanne et de Padery qui l’ont précédé en Perse, devrait le faire trembler[24]. Après la lettre de Dumas, Dupleix ne formula pas de nouvelles objections et mit avec quelque mauvaise grâce Martinville à sa disposition.

En même temps qu’elle modifiait le consulat de Bassora, la Compagnie, suivant un ancien programme conçu depuis vingt ans au moins, se proposait de fonder un établissement à Bender Abbas. Nos vaisseaux touchaient à ce port depuis de nombreuses années, mais nous n’y avions pas de consul. Quand les vaisseaux étaient partis, personne, pas même un drogman, n’y représentait plus la nation. Les opérations commerciales se succédaient les unes aux autres, sans autre lien que l’ordre chronologique. Enfin en 1737, la Compagnie envoya des instructions au Conseil supérieur pour le prier de fonder un établissement fixe, sauf à l’abandonner plus tard, si l’expérience n’était pas concluante. Lorsqu’il reçut ces instructions dans le courant de 1738, le Conseil supérieur n’avait pas l’intention d’envoyer cette année de bateau au golfe Persique ; il s’en remit au Conseil de Chandernagor du soin d’exécuter les ordres de la Compagnie et de choisir parmi les employés les plus capables de ses comptoirs deux commis qui se rendraient à Bender Abbas par le bateau de Bassora. Dupleix leur donnerait des ordres tant sur les buts de la Compagnie que sur la meilleure façon de se comporter avec les gens du pays (18 septembre 1738).

Dupleix fit choix de Beaumont, qui avait déjà séjourné en Perse et lui adjoignit Bellegarde, plus jeune et plus inexpérimenté. Ils devaient être subordonnés à Martinville et lui rendre compte de leurs opérations. Ces trois agents s’embarquèrent à Mahé pour rejoindre leurs postes respectifs dans les premiers jours d’avril 1739.


Il nous faut maintenant dire quelques mots du curieux projet de Dupleix pour la reconnaissance et l’exploitation des terres australes. L’idée ne lui était pas rigoureusement personnelle ; quelques jours avant son retour en France, à la fin de 1736, M. de Lozière-Bouvet, capitaine de la Paix, lui avait communiqué un mémoire sur la découverte de ces terres. Sans trop approfondir le sujet, Dupleix pensa tout de suite que l’exécution ne serait pas difficile et que ce serait un grand avantage pour la Compagnie qui peut-être y trouverait un commerce riche ou tout au moins une relâche pour ses vaisseaux. Quelles étaient ces terres ? étaient-ce les terres polaires proprement dites ou seulement les îles Kerguelen ? Nous pensons qu’il ne s’agit pas des premières ; l’illusion eût été un peu forte de considérer les terres polaires comme un lieu de relâche pour l’Inde et nous ne parlons pas de leurs richesses, aujourd’hui encore des plus douteuses. L’idée de Bouvet, aussitôt accueillie par Dupleix, n’en est pas moins des plus intéressantes : elle précède de peu d’années le grand mouvement d’exploration qui portera nos marins à la découverte des îles de l’Océanie : les grands projets étaient déjà dans l’air et n’effrayaient personne.

Dupleix se serait volontiers chargé lui-même de l’entreprise sans les frais qu’elle devait occasionner ; il acceptait néanmoins de la tenter à ses dépens si la Compagnie voulait permettre à l’un des vaisseaux qui feraient la découverte, d’aller ensuite aux îles d’Amérique pour y faire du commerce avant de revenir en France puis dans l’Inde : il estimait qu’avec cette faculté un particulier pouvait courir les risques de faire les dépenses de la découverte. Dans le cas où la Compagnie serait disposée à la lui accorder, il consentait à faire l’entreprise à ses frais ; il ajoutait toutefois d’autres conditions. Lorsque Christophe Colomb eut découvert l’Amérique, le roi d’Espagne lui accorda de grands titres et Améric Vespuce donna son nom au Nouveau Monde. Le premier eut en outre le privilège de jouir seul du commerce des pays qu’il découvrit ; ne conviendrait-il pas de stipuler pour lui des conditions analogues s’il réussissait à ouvrir de nouvelles terres à l’activité de la nation[25] !

Dupleix fit part de ces suggestions à Bouvet (janvier 1737) et il pria Duvelaër de pressentir les intentions de la Compagnie. Bien entendu Bouvet devait avoir la conduite de l’opération : Dupleix lui reconnaissait toute la sagesse et toute la prudence nécessaire. On ne sait quelle réponse fut faite à ce projet dont il ne fut plus ensuite question. Les îles Kerguelen, s’il s’agit d’elles, n’ont été officiellement reconnues qu’en 1772 ; elles n’ont jamais eu et n’ont pas encore la valeur des découvertes de Christophe Colomb.


1737-1738.
Le cyclone du 12 octobre. — L’armement de Manille.

La campagne de 1737-1738 s’annonça sous de fâcheux auspices. En juin, le Chandernagor revint de la côte Malabar ayant perdu presque tous ses mâts. Le Philibert, venant de France, faillit, au début de juillet, périr par suite d’un coup de vent qui le prit au sud de la fausse pointe des Palmiers ; en entrant dans le Gange, le pilote l’échoua sur un banc, et il fallut le décharger pour qu’il put franchir l’obstacle. Le même coup de vent fit périr sur les bancs de Sagor l’Alcyon, appartenant à Dumas ; tous les autres navires, y compris ceux des Anglais et des Hollandais, perdirent leurs ancres.

Au mois d’août, trois navires chargés de riz et autres provisions pour Pondichéry, ne purent achever leur voyage. L’un, le Fort-Louis, appartenant à la Compagnie, après avoir touché deux fois sur les hauts fonds de Bourbaloue, creva sur son ancre. On parvint cependant à le conduire jusqu’à Ingely, où le pilote l’échoua pour essayer de le sauver. Il se tint droit pendant trois jours ; mais le troisième il se coucha et se rompit par le milieu. La cargaison de riz, blé et salpêtre fut entièrement perdue ; on ne sauva que quelques gonis et divers objets sans valeur. Le Fort-Louis avait à peine un an d’existence ; il avait été construit au Pégou en 1736 et Dumas l’avait acheté 12.500 pagodes.

Le Saint-Benoit, appartenant également au Conseil de Pondichéry, évita les hauts fonds de Bourbaloue, mais arrivé au pied des brasses, il trouva la mer si grosse qu’elle lui emporta son gouvernail. Il dut tant bien que mal rentrer dans la rivière.

Enfin le Chandernagor, sorti des brasses, avait déjà doublé la fausse pointe des Palmiers lorsqu’il trouva un très mauvais temps qui lui détermina une voie d’eau. Comme pour le Saint-Benoit, il fallut le ramener dans l’Hougly. Ce fut un autre bateau, d’un plus faible tonnage, l’Indien, appartenant à Dumas et à Dupleix, qui le 16 septembre put prendre une partie du chargement du Saint-Benoit et l’emmena à Pondichéry.

Les accidents n’étaient pas terminés. Un orage plus violent encore que les précédents se déclara du 11 au 12 octobre. Les vaisseaux depuis la pointe des Palmiers jusqu’à Bernagor furent jetés à la côte. À Calcutta, 200 maisons furent abattues ; la mer monta de plus de dix pieds au-dessus des terres. Jamais on n’avait vu pareil cataclysme ; tout le bas Gange fut submergé ; des vaisseaux se trouvèrent transportés au milieu des terres ; des tigres et des caïmans, des bœufs, des vaches, des chevaux et des rhinocéros furent trouvés morts sur la côte, et l’infection était si grande que l’on eut peine à travailler aux navires échoués. Le nombre des habitants morts n’aurait pas été inférieur a 50.000 ; dans une lettre de Saint-Georges, il est écrit 300.000. 20.000 bateaux divers auraient disparu dans le Gange.

Nous avions alors quatre vaisseaux en rivière : le François appartenant à Villeneuve, il se perdit corps et bien à Rangafoula, avec le capitaine, un autre officier, le pilote et 40 hommes d’équipage ; l’Union, venant de Bassora, il fut jeté sur une maison à Fulta ; le Saint-Benoit, il fut précipité dans un ruisseau grossi par les pluies ; un quatrième, dont le nom n’est pas cité, fut jeté sur les rives du fleuve près de Calcutta. Les navires anglais furent encore plus mal partagés, un seul put arriver sans encombre à Calcutta, tous les autres furent jetés de ci et de là, écrasés ou démâtés. Les Anglais perdirent encore quatre vaisseaux d’Europe à Coulpy et deux en rade de Balassor ; sur onze qu’ils comptaient dans le Gange, deux seulement se trouvèrent en état de retourner immédiatement en Europe. Dupleix était tout disposé à leur porter secours ; mais Stackhouse dédaigna de le lui demander.

Quant aux Hollandais qui avaient quatre vaisseaux à Fulla, deux seulement purent retourner en Europe, un troisième put se réparer ; le quatrième dut être transformé en ponton.

Nous fûmes en somme beaucoup moins éprouvés que nos voisins. Outre que les trois navires échoués purent être remis à flot, aucun de ceux qui se trouvaient à Chandernagor n’eut à souffrir ; nous perdîmes seulement trois bots, deux bazaras, quelques pans de mur et deux pilotes. Le Conseil de Chandernagor trouvait une sorte de consolation, dans cet immense désastre, en songeant que les pertes des Anglais ayant été supérieures aux nôtres, le cyclone nous avait en réalité favorisés en rendant indisponible la majeure partie des vaisseaux de nos concurrents ; mais Burat avait ordre d’exagérer quand même notre détresse auprès du Nabab et d’Agy Hamet.


D’autres pertes, d’un ordre plus intime, vinrent dans le même temps affliger Dupleix. Aumont, qu’il avait envoyé comme subrécargue sur l’Union, mourut à Bassora au mois d’octobre. Dupleix en fut très douloureusement et très sincèrement affecté ; il estimait Aumont pour son intelligence et son caractère, et il avait fondé sur lui les plus grandes espérances pour le développement de nos affaires en Perse et à Bassora. Par sa mort, Aumont ne laissait pas en souffrance moins de 150.000 roupies en marchandises ou en argent, dont 100.000 appartenaient à Dupleix ; Dupleix pria son neveu Kerjean qui avait fait le même voyage, de prendre la suite des affaires et d’accord avec le capitaine Perdiguier de les régler pour le mieux. Mais avant que ces instructions ne lui fussent parvenues, il avait lui-même succombé au climat. « C’était, dit Dupleix, un bon garçon et qui travaillait comme un cheval ; mais il avait l’esprit un peu bouché et ne paraissait pas appelé à un brillant avenir. » La mort d’Aumont et celle de Kerjean suivant de très près celle de Villeneuve réduisirent à cinq dont deux Pères Carmes le nombre de nos nationaux résidant à Bassora. Ce n’était pas de bon augure pour ceux qui allaient avoir le devoir d’y installer le consulat, et de fonder l’établissement de Bender-Abbas[26].


Le commerce lui-même fut l’objet de quelques innovations. Revenant sur ses décisions antérieures, la Compagnie résolut de s’intéresser à nouveau dans le commerce particulier et pria le Conseil supérieur d’arrêter et de fixer une fois pour toutes l’intérêt qu’elle désirait avoir dans tous les vaisseaux grands ou petits. Le Conseil supérieur fixa cette participation à un quart très exactement, sans qu’il fut possible d’augmenter ou diminuer cette somme. Dupleix reçut de son côté de la Compagnie des instructions spéciales[27]. Une première application de ce principe fut aussitôt faite à un armement pour Manille ; la Compagnie y fut intéressée pour 20.000 pagodes, les marchandises devant être fournies par le Bengale.

La Compagnie prit également des dispositions pour déterminer dans l’Océan Indien la sphère d’action des conseils de l’Inde et de celui de l’Île de France. La Bourdonnais, dont l’activité ne connaissait pas de bornes, envoyait directement des cafés à Bassora qui était sous la juridiction de Pondichéry ; bien plus, il écrivait au roi de Perse et à ses ministres pour leur faire des propositions de commerce. Dupleix de son côté avait fait en 1736 un armement pour Anjouan, Mozambique et la côte de Sofala. Il y avait là une confusion pouvant entraîner de sérieuses difficultés. La Compagnie pensa qu’il n’y avait dans l’Inde qu’une seule autorité ayant qualité pour négocier avec le roi de Perse ; autrement les puissances asiatiques ne sauraient plus à qui s’adresser si chacun s’avisait de parler au nom de la nation. Elle décida en conséquence que les cafés de Bourbon destinés à être vendus en Perse seraient d’abord apportés à Pondichéry ou Chandernagor. La Bourdonnais devrait renoncer à envoyer des vaisseaux à Djedda et à Bassora comme Dupleix et le Conseil de Mahé cesseraient d’en envoyer à Madagascar et à la côte d’Afrique. La ligne de démarcation des deux navigations était ainsi nettement déterminée[28].

Cette limitation du commerce de l’Inde était logique et aucun de nos établissements n’en souffrit.


Nous n’entrerons pas dans le détail des opérations commerciales, sauf pour celles de Manille qui présentent un intérêt particulier.

Le voyage de Manille avait été si heureux en 1736-37 que chacun voulut l’entreprendre l’année suivante, aussi bien Dumas à Pondichéry[29] que Stackhouse à Calcutta et Dupleix à Chandernagor. Stackhouse prévoyait même l’envoi de deux navires. Dans la fièvre du succès, on ne songeait guère que la campagne précédente n’avait réussi que par la perte de plusieurs sampans chinois ; et que si les Anglais et les Français envoyaient ensemble quatre navires, les Espagnols auraient les marchandises pour rien. Dumas et Dupleix s’entendirent du moins pour ne pas se concurrencer personnellement et prirent une part égale dans les armements l’un de l’autre. Restait Stackhouse, fort menaçant avec ses deux voyages en perspective. Dupleix manœuvra fort habilement pour les empêcher l’un et l’autre. C’étaient surtout les Arméniens qui devaient en faire les frais avec leurs nombreuses balles prêtes à partir. Dupleix ne les aimait pas ; avec eux, disait-il, il faut toujours craindre d’être trompé ; mais dans l’occurrence, il avait besoin de leur concours : il leur fît entendre par des moyens détournés que s’ils s’engageaient en ce voyage avec les Anglais, il n’en pourrait résulter pour eux que les suites les plus fâcheuses. Le commerce de Manille était, en effet, interdit en principe à tous les étrangers et surtout aux protestants ; étaient-ils bien sûrs que le navire de Stackhouse où il n’y aurait pas de catholiques romains ne serait pas inquiété à son arrivée ? Le danger serait au contraire écarté s’ils chargeaient sur un navire français. La manœuvre fut si bien conduite que Stackhouse, ne trouvant ni cargaison ni fret, dut renoncer à ses projets.

Dupleix restait donc maître de la situation. D’accord avec Domingue Carvalho, qui devait être son subrécargue, il pressa l’armement du Richmond qu’il venait d’acheter 27.000 roupies et qui devint le Balocopal. Les Arméniens séduits par son activité et son esprit de décision, lui apportèrent en masse leurs marchandises, mais on a bien raison de dire qu’on n’est jamais trahi que par ses amis. Dugard et Carvalho, l’un capitaine et l’autre subrécargue du Balocopal, avaient la permission d’embarquer pour leur compte 200 balles de marchandises, sans compter une partie de fer assez considérable. Loin de s’en contenter, ils chargèrent en plus 54 balles et 250 sacs tant de blé que de pois de Patna, qui prirent la place de 100 balles de mouchoirs qu’auraient pu fournir les Arméniens ; et pour être plus favorisés encore, ils débarquèrent 19 balles de la cargaison.

Ces procédés suscitèrent dans la colonie arménienne une indignation justifiée ; les marchands qui avaient chargé à fret, réclamèrent et protestèrent avec énergie et conviction ; mais Dugard et Carvalho, se croyant à l’abri de toute concurrence, ne voulurent rien entendre et tranquillement ils commencèrent à descendre le fleuve vers le 20 mars 1738, au milieu des imprécations générales.

Lorsque Dupleix eut connaissance de cette manœuvre, il en comprit l’indignité et le danger et d’urgence il acheta pour 12.050 roupies avec Eliot, négociant anglais de Calcutta, un petit navire nommé la Princesse Émilie pour prendre les balles restées en souffrance. Mais il était trop tard. Dans l’intervalle et sous le coup de la colère, les Arméniens s’étaient entendus pour affréter un navire anglais, le Sagragaly et l’avaient fait partir presque aussitôt après le Balocopal avec un chargement de 300 balles. Dugard et Carvalho étaient pris à leur propre piège ; il semble que la responsabilité de l’opération retombe surtout sur le capitaine.

Sans compter le fret fourni par les Arméniens, l’armement du Balocopal était de 243.000 roupies, dont 105.000 pour le compte d’Eliot, 30.000 pour Dumas, 23.500 pour Castanier, 40.000 pour Carvalho et 30.000 pour Dupleix. Sur le bruit que le gouvernement des Philippines voulait accroître les droits d’entrée, Dupleix écrivit à don Fernando Valdes Tamon, gouverneur général, et à son lieutenant le marquis de Monte Castro Llano Hermosa, que s’ils étaient appliqués, ils dégoûteraient le commerce et c’est la colonie elle-même qui en souffrirait. Il les pria l’un et l’autre de continuer leur bienveillance à nos navigateurs.

L’absence du Balocopal dura quinze mois ; à la fin, Dupleix avait conçu pour son retour les plus légitimes inquiétudes. Les opérations furent très mal conduites par Dugard, qui, au lieu de revenir en un port français, débarqua à Madras avec un chargement de riz (mai 1739). Il eut les plus violentes discussions avec Carvalho et s’il n’avait tenu qu’à Dupleix on l’eut arrêté dès son retour. Le Balocopal disparut deux ou trois mois plus tard dans le golfe du Bengale, en regagnant Chandernagor ; on n’eut jamais de ses nouvelles. Dupleix perdit dans ce malheur plus de 40.000 roupies.


Un cousin de Dupleix, Massac, arriva de France à Pondichéry dans le courant de l’année 1737 pour faire le voyage de Chine. Il ne vint pas jusqu’à Chandernagor et l’on n’a d’autres traces de son passage dans l’Inde que des lettres de recommandation en sa faveur à l’adresse de Dumas et de la Franquerie, le capitaine avec qui il devait faire le voyage.


1738-1739.

Les affaires de l’année 1738-1739 furent extrêmement difficiles, surtout à partir de mars 1739. La révolution de Delhi provoquée par l’invasion de Nadir-Cha, puis l’insécurité créée au Bengale par la mort de Sujah Khan paralysèrent toutes les affaires pendant plusieurs mois. L’argent devint d’une rareté inexprimable : on ne pouvait ni acheter ni vendre et Dupleix ne soutint ses dépenses journalières qu’avec des peines infinies. Il avait en magasin plus de 150.000 roupies de coton et autres marchandises dont il ne pouvait tirer un sou.

Des malheurs plus directs l’atteignirent personnellement ; ce fut l’année où le Balocopal venant de Manille et le Petit-Heureux venant de Mozambique disparurent dans le golfe du Bengale. Le Philibert, vaisseau de la Compagnie, qui arrivait d’Europe, échoua dans le Gange par suite d’une erreur du pilote, il s’y abîma et avec lui toute la cargaison, moins 30.000 roupies qu’on put sauver. Dupleix qui attendait les fonds de ce navire pour parer aux nécessités les plus urgentes, se trouva dans une situation désespérée. Plus que jamais les négociants indigènes lui refusèrent tout crédit ; Agy Hamet pensa même que nous abandonnerions nos établissements. Dupleix se raidit contre le malheur avec obstination et sa confiance fut récompensée. Les navires qui suivirent le Philibert lui apportèrent assez d’argent pour faire des avances aux marchands et dès la fin de septembre les choses avaient repris leur cours normal. Cette épreuve accrut même le prestige de la nation, qui avait fait preuve d’une résistance insoupçonnée. Mais il était temps qu’elle prit fin ; Dupleix était à bout de forces ; une autre année comme celle-là, disait-il, l’eut conduit au tombeau.

Conformément à ses instructions, la Compagnie fut intéressée d’un quart dans tous les armements qui furent : un vaisseau pour Djedda, deux pour Surate, un pour Bassora, un pour Bender Abbas et trois pour les Maldives. Il y eut en outre un armement pour Manille avec un navire acheté par Dupleix.

Aucun ne nécessite un récit particulier ; si certaines opérations furent bonnes, d’autres le furent moins, mais il n’y eut pas de perte de navires à déplorer, pas de voyages qui manquèrent complètement. Les affaires ne dépassèrent pas la moyenne habituelle des demi-succès et des échecs limités.


1739-1740.

Les opérations de l’année 1739-1740 nous sont peu connues. Dupleix nous dit dans une lettre du 3 janvier que le commerce de l’Inde était entièrement tombé et que l’on était réduit aux expédients pour trouver quelque endroit où l’on put gagner de l’argent. Lui-même ne pouvait songer à rentrer en Europe après toutes les pertes qu’il venait de subir. Ces pertes ne se renouvelèrent point en 1739-1740, mais il est probable que les bénéfices réalisés cette année ne les compensèrent pas. Dupleix arma comme d’habitude pour la côte Malabar, Surate, Bender-Abbas, Bassora et Djedda, et il reprit le voyage de Manille, il fit aussi sans aucun doute celui des Maldives qui était assez avantageux.

Castanier lui avait renouvelé sa confiance. Au début de 1740, Dupleix l’avait intéressé de 36.000 roupies dans les armements du golfe Persique et de la mer Rouge et avait reçu pour lui plus de 34.000 roupies pour sa part dans divers armements.

Au Bengale même, Dupleix continua de faire ses affaires avec les Anglais, mais avec plus de réserve que les années précédentes. Il y eut à Calcutta plusieurs faillites retentissantes dont celle d’Eliot. Malgré la pénétration fréquente de leurs intérêts, Dupleix avait été assez prévoyant ou assez habile pour ne rien perdre. Eliot repassa en Europe par un navire français.

Dupleix eut également à se tenir sur la défensive avec les Hollandais. Il eut avec Huyghens, second du comptoir de Chinsura, des règlements de compte assez difficiles, à propos de sandal et de planches de doublage. Huyghens se prétendait lésé et Dupleix lui répondait (26 décembre) : « Il y a longtemps que je fais des affaires de conséquence. Je ne crois pas avoir jamais donné lieu de penser qu’un sordide intérêt ait été mon guide, ni que j’ai jamais manqué à ma parole. »


1740-1741.

L’inconstance était une des règles de la Compagnie. Il n’y avait pas deux ans qu’elle avait résolu à nouveau de s’intéresser dans le commerce d’Inde en Inde et elle avait fixé à un quart sa participation dans tous les armements particuliers. Sans attendre les résultats de cette expérience et sous prétexte que ce commerce devenait de jour en jour plus mauvais et que l’emploi de ses fonds lui serait plus avantageux dans le commerce d’Europe, elle décida tout d’un coup (lettre du 18 février 1741) de retirer ses fonds du commerce particulier. Elle calculait que par cette mesure 40.000 pagodes au moins resteraient disponibles. Si l’on admet que cette somme représentait le quart du commerce d’Inde en Inde — et c’est la première indication précise que nous en trouvions — ce commerce roulait bon an mal an autour de 160.000 pagodes, soit 1.600.000 livres, dont la plus grande partie pour Chandernagor.

Malgré cette décision, le Conseil de Chandernagor résolut (13 novembre) de continuer l’intérêt de la Compagnie dans les armements pour Mombaza et les Maldives et arrêta en même temps qu’elle demeurerait intéressée pour le quart de la valeur du corps des vaisseaux qui avaient servi aux armements dans lesquels elle avait précédemment des intérêts.

Au moment où les instructions de la Compagnie arrivèrent dans l’Inde, les armements de l’Entreprenant à Bassora, du Maure et du Fidèle à Moka, du Neptune au Bengale, dans lesquels la Compagnie était intéressée, étaient entièrement soldés ; elle n’avait plus de participation que dans le Soucourama et le Nousseretcha pour Manille, le Cantorbéry pour la côte d’Afrique et le Nancy pour Achem.

Des mesures spéciales furent prises contre les officiers des navires faisant le commerce de l’Inde et des îles. L’usage s’était introduit de leur accorder un port-permis en vivres et provisions de bouche, puis en mouchoirs et toiles diverses. Ces effets, malgré leur peu d’encombrement, n’en tenaient pas moins la place d’autres marchandises, sans compter que les officiers en embarquaient toujours plus qu’ils ne devaient. Pour couper court à ces abus, la Compagnie convertit ces ports-permis en numéraire, ainsi qu’elle l’avait fait pour les officiers des vaisseaux d’Europe ; elle prescrivit en conséquence qu’avant de s’embarquer pour les îles, ils déposeraient à la caisse de Pondichéry le montant des sommes équivalant à leur port-permis ; elles leur seraient remboursées à leur retour avec les intérêts[30].

Dumas se conforma à ces instructions par délibération du 7 octobre 1740, non toutefois sans faire observer à la Compagnie que les officiers de ces vaisseaux n’ayant que des gages extrêmement faibles[31], insuffisants pour les nourrir et les entretenir pendant leur voyage, loin de perdre les menus avantages dont ils bénéficiaient dans un métier aussi dur et aussi dangereux que celui de la mer, ils devaient plutôt être soutenus par l’espérance de quelque profit qui les mit en état de vivre lorsqu’ils seraient dans un âge avancé et dans l’impossibilité de continuer la navigation, sans quoi, disait-il, « il ne restera à son service que de mauvais sujets, incapables d’aucune autre ressource[32]. »

En remplacement du port-permis supprimé, il fut accordé une somme fixe à 30 % de grosse à chaque officier selon son grade. Les officiers furent peu satisfaits de cet arrangement qui leur laissait peu de profits. Mais dans le même temps le commerce des îles étant devenu libre pour tout le monde, moyennant 5 % d’entrée et 10 % de fret, ces avantages devinrent inopérants.

Il est difficile sinon impossible d’estimer quels furent les pertes et gains de Dupleix, soit dans le commerce d’Europe, soit dans celui d’Inde en Inde. Nous n’avons le détail complet et précis d’aucun armement non plus que des sommes pour lesquelles Dupleix y fut intéressé. Mais si l’on rapproche certains chiffres connus et qu’on les généralise, on peut estimer à 80.000 roupies au maximum les sommes que Dupleix engagea bon an mal an dans les différentes opérations auxquelles il prit part. Si certaines d’entre elles se traduisirent par des bénéfices de 50 %, d’autres aboutirent à des pertes sensibles, soit par naufrage, soit pour tout autre motif. En estimant à 15 ou 20 % le bénéfice moyen de chacune d’elles on ne doit pas être très éloigné de la vérité. Dans le premier cas, cela ferait 12.000 roupies et dans l’autre 16.000. Si l’on s’étonne de la modicité de ces chiffres, nous rappellerons que 12.000 roupies faisaient déjà 42.000 livres et que la solde annuelle de Dupleix était seulement de 5.000. Enfin la valeur de l’argent n’était pas la même qu’aujourd’hui.

Nous avons comme une confirmation de ce chiffre hypothétique par certains envois de fonds que Dupleix fit en France à diverses époques. En 1732, il envoya 128 marcs d’argent soit environ 3.250 livres par lettre de change à l’ordre de son frère et en 1733, 20 marcs de piastres ou 960 livres — (le marc de piastre valait 48 livres)[33]. Les chiffres de 1734 et 1735 ne nous sont pas connus. En 1736, nous comptons 20.000 roupies, ce qui à raison de 3.70 la roupie, valeur intrinsèque, représenterait 74.000 livres. Cette somme s’ajouta à l’héritage paternel que Dupleix venait de recueillir. En 1737, il nous faut enregistrer une nouvelle somme de 29.000 roupies, soit 107.300 livres. Sur ces 29.000 roupies, 12.000 étaient en topazes.

Les années suivantes furent moins bonnes et même mauvaises. On peut admettre cependant que tout ne se terminait pas par des pertes et que Dupleix ajouta encore quelque chose à ses bénéfices antérieurs.

Si nous nous en tenons à notre évaluation moyenne de 12.000 roupies par an. Dupleix en dix ans aurait augmenté sa fortune dans l’Inde de 120.000 roupies, soit plus de 400.000 livres. Avec les biens qu’il avait recueillis en France, il devait se trouver alors possesseur dune fortune globale de 550 à 600.000 livres. La Bourdonnais et Dumas avaient mieux réussi.

Sa correspondance nous fait connaître par quels moyens ces fonds parvenaient en France. Les uns étaient réguliers ; ils consistaient en traites ou en port-permis ; ceux-ci pouvaient donner 25 % de bénéfices. Les autres moyens était ingénieux mais peu réglementaires. Il s’agissait de valeurs tels que bijoux, or, soies fines, etc., qui ne pouvaient pénétrer en France que par contrebande, ou moyennant des droits prohibitifs. Dupleix avait à Amsterdam comme correspondant un négociant en vins nommé Pauw. Il lui avait déjà fait passer quelques fonds en 1735, par l’intermédiaire de son ami Sichtermann. Les 20.000 roupies de 1736 suivirent la même adresse. Pauw devait les faire parvenir à Bacquencourt par la voie qui lui paraîtrait la plus sûre.

« Je le prie, écrivit alors Dupleix à son frère le 13 novembre, de te donner son avis sur le transport des dites marchandises en France soit par terre soit par mer. Tu verras laquelle des deux voies est la plus convenable. Celle par mer me paraît la moins sujette à bien des inconvénients, puisque tu les pourras faire venir dans un port où ton poste peut te procurer bien des facilités que d’autres n’ont point. Le transport jusqu’au voisinage de Paris serait facile et de là dans ton carrosse jusque chez loi et de là jusque chez Madame Leleu qui a la pratique de toute la cour, où ces effets peuvent se vendre très avantageusement. Profite des avantages de ton poste sans cependant te compromettre en rien du tout[34]. »


  1. On trouvera en appendice un état plus détaillé de ces opérations. Il nous a paru préférable de ne pas en encombrer l’histoire elle-même et de n’en donner ici qu’un exposé général.
  2. Lettres à Massiac et à Dumas des 30 novembre 1731 et 14 janvier 1732.
  3. Il y avait trois frères Carvalho, Alexandre qui habitait Calcutta et épousa Anne de Saint-Hilaire, Dominique et François qui résidaient à Madras et une fille nommée Antoinette, mariée en premières noces à Antoine de Barneval, sujet anglais de Calcutta, mort en 1725 et en secondes noces à Louis de Médére ou Medeiros, habitant Madras. C’est le fils de Barneval et d’Antoinette Carvalho qui en 1738 épousa Marie Rose Vincens.
  4. L’Union et l’Entreprenant furent achetés par Vincens à Pondichéry, le Bal à Surate par Martin, employé du comptoir et les deux autres au Bengale par Dupleix lui-même. L’Harrisson coûta 17.600 roupies et le Bal 30.000 ; le Bal était le meilleur voilier de l’Inde.

    Détail particulier : tous les vaisseaux de Dupleix étaient peints en rouge ; c’étaient les seuls de l’Inde ayant cette couleur.

  5. B. N. 8979. Lettre du 31 août 1732.
  6. C. P., I. p. 311.
  7. C. P., t. I. Lettre du 8 octobre 1734, p. 289.
  8. A. P., 102, p. 114.
  9. Ars. 4743, p. 11.
  10. Ars. 4743, p. 23.
  11. Ars. 4743, 52. Lettre du 19 décembre.
  12. Ars. 4743, 31. Lettre du 9 novembre.
  13. Dupleix avait été jusqu’alors le correspondant de Castanier dans l’Inde ; c’était lui qui faisait valoir ses capitaux et les engageait dans diverses entreprises. Mais en 1735, Castanier confia également des fonds à d’autres personnes, notamment à Lenoir. « C’est pour moi, lui écrivit Dupleix, un vrai chagrin de voir que votre confiance en moi ne répond point à l’attente que vous aviez pu vous former. » En attendant de nouveaux ordres de Castanier, Dupleix, qui venait de faire rentrer par lui 35.066 rs, en mit 30.000 sur le vaisseau de Manille et le reste sur le vaisseau de Perse, où Castanier avait déjà 25.000 rs. (Ars. 4743, p. 47).
  14. D’après les actes de notaires de Chandernagor.
  15. Ars. 4743. Lettres du 12 janvier et du 4 mars.
  16. C. P. I, p. 349.
  17. Ars. 4.744, p. 4.
  18. Ars. 4744. p. 90.
  19. A. P., t. V, p. 82.
  20. A. P., t. V, p. 73.
  21. A. P., t. V, p. 82.
  22. Martinville, désigné pour servir dans l’Inde à la fin de 1731, s’était embarqué à Lorient le 1er février 1732 et dès son arrivée à Pondichéry avait été nommé, par délibération du Conseil supérieur du 29 décembre, second par intérim de la loge de Mahé, en remplacement de Bunel rentrant en France. Au retour de celui-ci en 1733, il fut nommé second de la loge de Cassimbazar et sous les ordres de Burat.

    C’est là que vinrent le trouver les ordres de la Compagnie pour Bassora. Martinville n’arriva à Pondichéry que le 28 février 1738 et comme le bateau de Perse venait de partir, il dut attendre près d’un an avant de rejoindre son poste. Il ne quitta Pondichéry que le 8 février 1739 par le Mercure.

  23. A. P., t. V. p. 82.
  24. B. N. 8980, p. 76.
  25. Ars. 4744, p. 37.
  26. Martinville mourut en effet à Bassora le 8 novembre 1741 comme Bellegarde et Beaumont moururent à Bander Abbas les 9 et 39 octobre 1740.
  27. C. P., t. II, p. 37.
  28. A. P., t. V, p. 170.
  29. Le navire envoyé par Dumas fut la Notre-Dame de Santé, dans laquelle la Compagnie était intéressée de 10.000 pagodes. Dupleix et Dumas auraient vivement désiré ne faire qu’un armement commun avec un gros navire plutôt que de diviser leurs efforts en deux petits ; mais le subrécargue du voyage précédent voulut rester seul et ses prétentions firent tout échouer.
  30. Les ports-permis furent fixés à 1.000 pagodes pour le capitaine, 500 pour le second, 200 pour le troisième et 100 pour le quatrième, le bénéfice ne pouvant excéder 30 % (C. P. 2, p. 156).
  31. Les capitaines touchaient 30 pagodes par mois, le second officier 20, le troisième 15 et le quatrième 10.
  32. A. P., 6, lettre du 1er janvier 1741.
  33. A. P., 102, p. 273.
  34. Ars. 4744, p. 20.

    Dans une autre lettre à son frère du 10 janvier 1737, Dupleix détaille ainsi ses envois :

    "Avec le duplicata de ma lettre du 23 décembre dernier, tu trouveras un double du billet de M. Vincens de 1.000 pagodes que je lui ai remis, lesquelles à raison de 315 roupies pour cent pagodes, font 
    3.150 rs.  
    je t’ai remis suivant ma lettre du 13 novembre dernier, par voie de Hollande (M. Pauw) 
    4.110 rs. 8
    tu recevras à présent, savoir : par M. de La Renaudais en pagodes d’or 500, à raison de 315 roupies pour cent 
    1.575 rs.
    Idem par M. Dufay, capitaine de l’Amphitrite, 500 autres pagodes à raison de 315 roupies pour cent 
    1.075 rs.
    En port-permis :
    Savoir, celui du maître du vaisseau la Paix, suivant l’acte de vente ci-joint 
    18 m. 1 on. 1 gr.
    de MM. de la Renaudais, capitaine du vaisseau à 25 % de grosse pour son port-permis 
    132 m. 1 on.
    de M. Fouquet du Rumel, enseigne sur le dit vaisseau, à id 
    11 m.
    du Sr Halivan Duclos, chirurgien sur le dit vaisseau, à id 
    9 m.
    du Sr Legal, premier pilote sur le dit vaisseau, à id 
    18 m. 1 on. 1 gr.
    de M. Drake, 1er lieutenant sur le vaisseau l’Amphitrite, capitaine Dufay, à 20 % pour idem 
    132 m.
    du Sr Lebrun de la Franquerie, sur le dit vaisseau, à id 
    79 m. 2 on.
    du Sr Paillart, chirurgien sur ledit vaisseau, à id 
    19 m. 1 on. 3 gr.
    du Sr Pennelie, enseigne surnuméraire sur ledit vaisseau à id 
    12 m. 6 on.
    du Sr Bouvet, lieutenant sur la Paix, capitaine la Renaudais, à 24 % pour id 
    46 m. 1 on. 4 gr.
      478 m. 3 on. 1 gr.
    qui font en roupies Madras 
    8.984 rs.
     
    Total roupies 
    19.394 rs. 8

    Tu as ci joint les billets de toutes ces personnes de qui le port-permis, suivant les dits billets, m’est hypothéqué. Tu auras soin, mon ami, de te faire payer de toutes ces sommes qui se montent ensemble à 19.394 roupies 8, non compris la grosse de 25 % de bénéfice sur l’or, celui sur la pacotille permise du maître de la Paix qui doit me revenir en entier, suivant l’acte de vente ci-joint et le reçu du garde-magasin et le bénéfice sur ce que j’ai fait passer en Hollande. J’adresse les pagodes à M. Duvelaër à Lorient, à qui tu pourras les demander.

    Tu recevras aussi par mon ami hollandais, savoir par la Paix, un lingot d’or pesant 4 m. 3 on. 6 gr. et par l’Amphitrite un lingot pesant 1 m. 3 on. 7 ⅓, 5 coupons du Japon pesant 2 on. 7 ½, deux morceaux d’or n° 3 pesant 4 on. 2 gr. et enfin 35 différentes espèces monnaies d’or d’Europe, de l’Inde et du Japon. Tu vendras le tout à la réserve de ces 35 différentes monnaies » (Ars. 4744, p. 71).