En Espagne (Noailles)

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La Nouvelle Revue FrançaiseTome V (p. 647-660).
EN ESPAGNE

Il faut d'abord avoir soif.
Ste Catherine de Sienne


Août 1905.


Je pense qu'il est pour chaque être un point du monde où soudain lui apparaissent groupés tous les rayons du rêve épars, et, sur une terre encore étrangère, il se sent retenu par des racines nouvelles, mais si profondes qu'en lui va circuler toute la sève enclose depuis des siècles dans le mystérieux terrain. Ce fut pour moi, de l'autre côté d'Hendaye, la petite ville de Fontarabie.

— Petite Fontarabie sur la Bidassoa, vous n'avez pas les syllabes éclatantes de Salamanque ou du Guadalquivir, vous ne brillez pas dans l'imagination comme Bilbao ou comme Valladolid, mais du fond de la barque où j'étais je vous regardais approcher, et, me tournant encore vers Hendaye, j'étais émue de ce mystère qui rend si dissemblables, si marqués de leur race et de leurs passions deux points de terre que sépare un ruban d'eau.

Là-bas la France, ici désormais l'Espagne...

Aucun rayon de la grande gloire ne tombe sur cette petite ville oubliée, qui, pourtant, âpre et brûlée, avec ses toits plats et sa lourde église, annonce toute sa contrée. Sur un étroit monticule elle tourne, s'élève, mystérieuse, noire, couleur de soufre ; il semble qu'elle ait pris sur quelque bûcher cette teinte de fumée et de flamme, au temps où l'Espagne catholique allumait ses hauts incendies. Une oppression tombe sur notre cœur. Mais on aborde ; la pierre où les pieds s'appuient est rose ; déjà cette générosité, ce royal accueil! Franchissant la jetée de granit vermeil nous atteignons le sol même, d'une teinte ocreuse, torride aux regards. Et voici que sous un ciel païen, plus exalté que les chants d'Homère, une cloche sonne ; aussitôt on a reconnu les deux puissances de ces lieux: l'enivrement et le tombeau. On lève la tête, on voit l'imposante, la maussade église ; tout l'azur, qui dans l'espace s'étale sans limites, sans se disjoindre, et semble rouler autour de la terre, ne la baigne pas et ne la pénètre pas: ce sont des royaumes ennemis. Par les plus chauds après-midi d'août le clocher espagnol conserve sa gravité ; sa pierre compliquée, travaillée en retrait comme les alvéoles, repousse les complaisances de l'air, les crépitements du soleil, se fait à soi-même de l'ombre. Ce lourd bijou d'une teinte d'or a la sourde lueur de la topaze ternie. Qui officie dans cette noire église ? Sans doute un prêtre impétueux, cruel, un frère de quelque beau tueur de taureaux ; et la cloche, qui sonne encore, comme un couteau courbe m'entre dans le cœur.

Avant de visiter l’église je veux voir le paysage, et je vais jusqu’à la mer où glisse un mol sable orangé. De solides cabanes, battues par le vent salé, sont plantées dans ce désert amer ; elles étalent leurs dures couleurs jaunes, blanches, vermillon au bord de la vague si bleue ; et ces tons crus et rapprochés, comme on en voit aux costumes des paysans, ont déjà une acre puissance. C’est l’Espagne, sordide, violente, striée d’ocre, de poix, de chaux, ravagée par la clarté, — et rouge piment du monde !

Je monte vers la ville, voici les rues merveilleuses : calle Mayor, calle de Las Tendas, vieilles petites rues intactes, où les maisons s’alignent, éclatantes et diverses comme les perles des bazars. Les toits, sculptés plus soigneusement que les corniches d’un palais, en s’avançant abritent les miradors, les précieux balcons, les rampes de fer verni. Noires et blanches, fragiles comme des vitrines, ornées aux fenêtres de dentelles aussi délicates que les écharpes des madones, faibles sous les diadèmes de leurs toits trop beaux, ces demeures semblent n’être là que pour des scènes de galanterie et de plaisir.

Un œillet jeté ébranlerait toute la mince façade.

Dans ces rues exiguës, pareilles à de somptueux couloirs, on imagine les rôles de l’ingénue, de l’intrigant, du jaloux et du barbier. Les yeux levés, je regarde : au-dessus d’un si étroit espace,

des mains tendues relieraient l'un à l'autre les miradors ; en se penchant les amants pourraient s'embrasser. Toute cette ville semble faite pour des courses nocturnes, pour les furtives trahisons; on croit voir les portes battre, les fenêtres s'ouvrir, se fermer, Almaviva presser Rosine, et les tuteurs apparaître, bafoués, trompés, en robe de chambre, en bonnet de nuit. Ah ! si l'on entendait une guitare ! Et voici qu'une guitare s'accorde, retentit...

On écoute ; d'abord on demeure insensible ; l'oreille accueille défavorablement ce tapage monotone, sans langueur, sans flexion, cet orage sur des fils électriques. Mais le joueur s'acharne, s'étourdit, s'enivre, le bois de l'instrument autant que les cordes résonne ; cette guitare semble une planchette large et lisse où l'on a fixé des nerfs. Quel amoureux ébranlement ! quelle rage ! quelle colère des mains, des pieds et des dents ! Musique barbare, irritante, sans douceur qui parle au rêve ; aucun enjôlement, mais la brutale puissance d'un cri qui ne veut se taire, d'une incurable volupté, qui ne veut ni l'apaisement ni la mort. Que ce soient des habaneras, le tango trépidant, la malaguena, c'est toujours cette même rapide bacchanale, qui fait, dans toutes les Espagnes, les hommes frapper leurs paumes d'une cadence sèche et serrée, tandis que les danseuses heurtent le sol de leur talon précis comme le sabot du bouc, et mêlent, dans les contradictions de leur jeu frénétique, la passion et la révolte.

Soudain, au haut de la ville, un cri de femme s'élance, violent et long, auquel du bas de la ville répond un cri semblable ; cri terrible, déraisonnable, qui, dans nos cités, annoncerait l'assassinat ou l'incendie, et, dans ce pays d'expansion suprême, sert à vendre le poisson que ces jeunes femmes portent sur la tête, dans de plates conques d'osier.

Je quitte la rue stridente, jaune et rouge, et j'entre dans la sombre église. Chez quel Dieu suis-je, qui veut tant de ténèbres et de larmes, qui veut surtout une rigoureuse étiquette, un si pesant cérémonial ?

Tout ce que le siècle de Louis XIV a inventé pour ses réjouissances, pour le mariage des dauphines, d'heureuses draperies, de tentures envolées, de profanes alléluias, ici sert au deuil. C'est une cour. Les saintes vierges semblent moins des mères désolées que des dames d'honneur participant aux catastrophes du palais, et occupées à bien seconder la douleur de leur maître. Elles ne sont ni tendres, ni saintement torturées, ces mères divines qui ne s'appliquent pas à nous faire aimer leur Enfant Jésus. L'une d'elles, vêtue de velours sombre et de dentelles, sorte de duègne magnifique, le tient négligemment, comme un bouquet, un éventail. Mais ses yeux limpides sont levés vers le ciel dans une extase poignardée. Une autre, en manteau noir, a le tumulte des nuées d'orage et le mystère de la foudre. Une autre encore, statuette de bois

peint, debout dans un camail de taffetas cramoisi qui s'écarte comme une pivoine expirante, élance son regard avec la rapidité du parfum et des fusées.

Elles nous donnent le spectacle de l'exagération aisément supportée, ces infantes aux joues voluptueuses, et ce qu'on leur demande du fond du cœur, ce n'est ni l'espoir, ni le repentir, ni une bonne mort, mais la grâce d'accueillir comme elles le font, constamment et sans que le visage en soit terni, les sensations excessives.

Voici, couché dans l'ombre, descendu de sa croix, voilé, en cette saison hors d'usage, le Christ du Vendredi-saint ; il est de la taille d'un homme. On voit les épaules et le dos, d'une teinte livide ; c'est vraiment un homme, un mort, et qui prenait trop de place, car on a un peu replié ses genoux. Ce cadavre de cire contamine de son malaise toute l'église, et d'ailleurs semble au rebut dans l'ombre, tandis que son Père victorieux règne dans les tentures gonflées.

Chez quel Dieu sommes-nous ? Ni un homme, ni un prophète, c'est un empereur. On n'a en lui nulle confiance, on ne peut ni l'adoucir, ni le convaincre ; on le flatte, on le craint ; c'est un Dieu comme il y a des loups, impitoyable : Dieu espagnol, frère de ce Charles-Quint somptueux et hypocondre, dont le pesant palais, sur la place de Fontarabie, — vaste cube couleur de terre

cuite, — frémit encore d'avoir vu passer l'ombre équestre, hautaine, courbée, et portant la longue lance.

Lorsque je sortis de l'église, le soir était venu.

Six heures du soir en été ; l'azur faiblissait à peine, s'argentait seulement. Sur de petits chemins secs, escarpés, pelés, des muletiers avançaient : muletiers en béret bleu, poussant leurs bêtes, transportant des sacs de farine, et tels qu'on les voit passer chez Cervantès, dans la vallée du Toboso...

Six heures du soir en été. Je contemplais le bel horizon. Ici Hendaye, plus loin Béobie, Irun, Hernani ; là-bas l'île des Faisans : île des Faisans, mi-espagnole et mi-française, qui ne conserve des pompes qu'elle eut pour l'entrevue de ses rois qu'un bouquet de feuillage des tropiques, et son nom charmant, au plumage doré....

— Chère Espagne, je vous connais à peine, je n'ai vu de vous que la petite ville de Fuenterrabia qui monte vers le ciel comme un coquillage con- tourné. Je n'ai écouté que pendant quelques instants, devant une auberge où fumait le chocolat à la cannelle, le bruit de la guitare, son crépitement de cigales romantiques; mais cela suffit pour que je vous immole les autres contrées de la terre. Je le sais, quand j'entendrai un bouvier chanter sur la plaine aragonaise, ou Séville se détraquer les nerfs au Carnaval, je posséderai toute ma détresse.

C’est pour cela que je vous aime. Le faste, le deuil et la gloire vous les contenez dans les catafalques de vos églises, dans le nom seul des provinces de Castille ou de Navarre, comme sur vos places éclatantes s’étalent l’amour et la cruauté. Si pitoyable que j’aie été je ne repousserai pas vos jeux féroces, j’aurai pour vos jeunes dieux cornus les regards de Pasiphaé. Je ne chercherai pas à amortir le mal que vous me ferez. Vos saintes vierges, dans leurs niches noires, et tandis que coulent leurs larmes comédiennes, se protègent de deux fines mains le cœur. Je ne protège pas mon cœur.

Dans l’immense arène que vous êtes tout entière, Espagne, je ne recherche point la " place d’ombre " comme font les élégants de vos cités pour les courses de taureaux, mais je prends une " place de soleil " avec les pauvres, les humbles, les véritables, ceux qui portent la fleur de grenade et le couteau, et qui, quand la nuit est venue, aux sons des guitares rageuses, chantent, dansent, se désirent et se tuent, éclatent comme un sol brûlé sous le ciel sec des nuits d’Espagne...

Ah, sous ce ciel uni, d’un bleu qui le soir seulement pâlit, se borde d’un peu de rose, quel cœur ne désespérerait ! Pour une âme trop sensible, un ciel si beau, c’est déjà une grande source de douleur ; un ciel si beau fait rêver d’éternité ;

l'âme alors, irritée, déréglée, que rien ne fléchit, veut aussi des minutes d'humaine éternité. Une voix en elle lui crie : " Demeure... " Il n'est pas, pour les êtres, d'autre manière de demeurer que de tendre vers l'amour. Quel amour ." Hélas ! ici, non la douceur, non la tendresse, mais cet amour de violence et d'imagination qui fait s'appeler et se joindre deux bouches rouges et brûlantes, dans le pays de l'œillet !

Espagne voluptueuse, c'est vous-même qui pour moi serez cet ardent, ce muet complice. En regardant votre peuple léger, brillant, qui brûle et danse comme les étincelles d'un brasier, et dont le visage torturé de joie semble celui d'un damné en para- dis, je croirai avoir sous mes yeux le spectacle de mon propre cœur. Je vivrai là solitaire et méditative. Je n'échangerai avec aucune créature mon amitié ; je trouverai dans l'espace ce qu'il faut d'appui à mon rêve : les plus lourds regards, les plus chargés de détresse et de vie ne se portèrent point sur d'autres yeux, mais sur l'infini, et c'est avec ce qu'ils ont laissé de soupirs et d'amour sur cette surface immobile, que je croiserai mon âme.

— Mais l'âme, qu'en faites-vous, ouragans embaumés d'Espagne ?

Hélas ! à quelle cruauté, à quel égoïsme effréné doit atteindre la religion de soi-même sur cette terre consacrée au bonheur ! Rien ici ne suscite

l'immense et sainte pitié. Une vieille mendiante que je vis assise sur un petit talus couleur de feu, ne paraissait point malheureuse, mais acariâtre ; riche et fille des rois cette vieille femme aurait eu, semble-t-il, la même attitude sombre, digne et fâchée, car c'est d'avoir perdu la jeunesse qui constitue l'irrémédiable déchéance sur ce sol de la volupté.

Ne pas vieillir ! ne pas mourir ! dormir à peine ! Défendre contre le sommeil même les minutes du temps et de la délicieuse jeunesse, voilà ce que conseille cette terre haletante, où la guitare toute la nuit continue son effroyable amusement, où les petites filles déjà, les vieilles femmes encore, frappent passionnément les paumes de leurs mains, par goût de l'incoercible danse !

La lumière déclinait. Assise au coin de la calle Mayor, près d'un aloès luisant, poudreux, sec et grillagé d'épines comme un ananas élancé, je regardais les derniers rayons du soleil perforer, dissoudre les murs de craie. Les cieux envahissants se pressaient autour de moi, j'aspirais le feu du jour ; le silence me frappait de ses coups larges et secrets, qui deviennent dans le cœur sonores jusqu'à l'étourdissement. En face de moi, au coin de la rue dormante, un jeune homme, vêtu de blanc et d'une ceinture bleue, debout dans une échoppe de bois verni, — sorte de casier miroitant

sans porte et sans vitrage, — tressait des espadrilles avec une rapidité, une aisance prodigieuses. Ses bras demi-nus et la longue aiguille saupoudrée d'une farine glissante semblaient escamoter les torsades de chanvre. " O peuple charmant, pensais-je, qui ne faites rien que par adresse, fantaisie ; dont chaque mouvement révèle l'aptitude à l'audace, à la grâce, à la souplesse, au plaisir ! Vous ne réussissez que la beauté ou la tragique détresse. Mais je vous aime de ne pas savoir servir ! J'ai vu dans cette petite ville un douanier, une hôtelière, un cocher, ils étaient ridicules ; ils avaient, en accomplissant leur humble devoir, la contenance effrayée des jeunes fauves travestis qu'on exhibe dans un cirque. Rien ne vaut, sur le sol d'Espagne, qui ne soit emportement, libre désir, volontaire abaissement ! "

Surpris par le crépuscule flamboyant, l'abondant azur, vertigineux et las, semblait tourbillonner ; il se colorait, au couchant, d'un rose incendié. Les hirondelles effilées, leur noir vol recourbé, leurs cris lancés et retombants dessinaient sur le ciel du soir quelque mosquée fantastique, aux arceaux d'amour et de mélodie !

Des larmes coulaient sur mon immobile visage ; chacun des nerfs du cœur, tenté, caressé, irrité par la beauté du jour, et douloureux par le trajet du désir, donnait sa suprême affliction. Une rose trop ouverte que je tenais à la main se laissait mourir

aussi ; nous expirions de plénitude, nous ne pouvions plus contenir tant de forces amassées.

Qu'il faisait chaud, calme, accablant ! Tel un sommeil de tigre le silence de l'Espagne, au crépuscule, inquiète. Un groupe de lavandières se dirigeait, les bras chargés de hardes multicolores, vers les eaux douces du fleuve, là-bas, dans les herbages. Ah ! que n'ai-je pu l'entendre jaillir d'un de ces gosiers de filles farouches le chant forcené, intrépide, la séguedille, rythme du délire, vivace, rauque, intarissable, qui bondit comme au profond des montagnes une claire cascade bouillonnant entre des parois rocheuses ! Tout se taisait. Soumise à la puissante Destinée, je pleurais lentement comme durent pleurer dans la torture les corps maintenus dont les os sous la pression du fer se fendaient. Je ne bougeais pas ; où aller ? Il m'eût fallu fuir l'univers !

Alors, tandis que je souffrais ainsi, je compris vos secrets et vos larmes, vierges en deuil, vierges exaltées et percées de couteaux des fiévreux et ténébreux autels. Abandonnées aux soins de votre Epoux divin, mais sollicitées par toutes les ardeurs et les fureurs de l'Espagne, amantes séquestrées, qui, aux jours des processions, entre les œillets et les éventails, dans les rues de Grenade et de Séville voyez la beauté des hommes et leur incomparable frénésie, quel devient votre

ennui quand on vous replace dans le pieux sérail couleur d'ambre et de sucre brûlé, frais comme un noir parasol, où, par milliers, vous implorez votre impérial et morne ami.

En vain, le regard précipité comme un torrent, vous montrez à ce Dieu impalpable, sans limites, sans regard et sans âge, votre cœur où les sept péchés humains enfoncent leur glaives acérés. En vain vous lui représentez que vos larmes de cristal, vos mains pointues, vos mouchoirs embaumés, votre vocation des pleurs et de la pâmoison vous désignent pour ces danses fières et rebelles qui semblent scandées par les piaffements des chevaux guerriers du Cid. En vain, plus redoutables que les déesses des acropoles, avez-vous rendu par les langueurs et les larmes vos âmes tentantes, il vous garde et ne vous répond rien.

Et devant votre douleur dédaignée, vos cœurs qui " meurent de ne pas mourir ", vos regards qui s'envolent, s'arrachent comme la flamme dans le vent, je songe à votre sœur favorisée, Thérèse d'Avila, Epousée véritable, amie de l'Ami ! Je l'ai vue, cette reine des brûlants transports, un matin de printemps à Rome, dans l'église Santa Maria délia Vittoria, où, — marbre enflammé, — elle perpétue l'image de son grand désir exaucé. De vieux prêtres, des dévotes marmonnaient leurs lentes prières dans l'odeur de l'encens et de l'humide fraîcheur ; on entendait le bruit léger des

rosaires, des chaises remuées. J'avançais ; et alors je la vis dans sa grotte resplendissante qu'éclaire un jaune vitrail où le soleil semble capturé, accumulé. Elle est là, marbre onctueux, reluisant, poli, enduit semble-t-il de cette huile parfumée où se baignait Esther.

Abattue sur les nuées, enchaînée à son Dieu par le lien d'une ineffable volupté, la sainte a les mains ouvertes, elle lâche le monde, ne tient plus rien, attend tout de lui. Et il prend en pitié sa favorite, il répond à l'attente éperdue, à la royale mendicité de ce confiant, de ce violent visage : dépêché par lui, un ange gracieux, curieux, habile, dirige vers ce cœur bouleversé sa flèche d'or.

O promesse de délivrance !

Et dans cette église d'Italie, comme ensuite dans une église d'Espagne, je me souvins du cri ardent que Swinburne prête à Phèdre défaillante : "Viens, prends ton épée et tue, ne me laisse pas périr de faim entre le désir et la mort !"