En habit zinzolin

La bibliothèque libre.
Œuvres de Théodore de BanvilleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 280-291).


 

Vous avez tant d’Iris, de Philis, d’Amarantes…
Molière, Les Femmes savantes, acte V, scène I.



Rondeau, à Églé[modifier]

 
Entre les plis de votre robe close
On entrevoit le contour d’un sein rose,
Des bras hardis, un beau corps potelé,
Suave, et dans la neige modelé,
Mais dont, hélas ! un avare dispose.

Un vieux sceptique à la bile morose
Médit de vous et blasphème, et suppose
Qu’à la nature un peu d’art s’est mêlé
         Entre les plis.


Moi, qu’éblouit votre fraîcheur éclose,
Je ne crois pas à la métamorphose.
Non, tout est vrai ; mon cœur ensorcelé
N’en doute pas, blanche et rieuse Églé,
Quand mon regard, comme un oiseau, se pose
         Entre les plis.



Triolet, à Philis[modifier]

Si j’étais le Zéphyr ailé,
J’irais mourir sur votre bouche.
Ces voiles, j’en aurais la clé
Si j’étais le Zéphyr ailé.
Près des seins pour qui je brûlai
Je me glisserais dans la couche.
Si j’étais le Zéphyr ailé,
J’irais mourir sur votre bouche.



Rondeau, à Ismène[modifier]

Oui, pour le moins, laissez-moi, jeune Ismène,
Pleurer tout bas ; si jamais, inhumaine,
J’osais vous peindre avec de vrais accents
Le feu caché qu’en mes veines je sens,
Vous gémiriez, cruelle, de ma peine.

Par ce récit, l’aventure est certaine,
Je changerais en amour votre haine,
Votre froideur en désirs bien pressants,
         Oui, pour le moins.


Échevelée alors, ma blonde reine,
Vos bras de lys me feraient une chaîne,
Et les baisers des baisers renaissants
M’enivreraient de leurs charmes puissants ;
Vous veilleriez avec moi la nuit pleine,
         Oui, pour le moins.


Triolet, à Amarante[modifier]

Je mourrai de mon désespoir
Si vous n’y trouvez un remède.
Exilé de votre boudoir,
Je mourrai de mon désespoir.
Pour votre toilette du soir
Bien heureux celui qui vous aide !
Je mourrai de mon désespoir
Si vous n’y trouvez un remède.


Rondeau redoublé, à Sylvie[modifier]

Je veux vous peindre, ô belle enchanteresse,
Dans un fauteuil ouvrant ses bras dorés,
Comme Diane, en jeune chasseresse,
L’arc à la main et les cheveux poudrés.

Sur les rougeurs d’un ciel aux feux pourprés
Quelquefois passe un voile de tristesse,
Voilà pourquoi, lorsque vous sourirez,
Je veux vous peindre, ô belle enchanteresse !

Vous serez là, frivole et charmeresse,
Parmi les fleurs des jardins adorés
Où doucement le zéphyr vous caresse
Dans un fauteuil ouvrant ses bras dorés.


Auprès de vous, Madame, vous aurez
Le lévrier qui folâtre et se dresse,
Et le carquois plein de traits désœuvrés,
Comme Diane en jeune chasseresse.

Mais n’allez pas, fugitive déesse,
Chercher, pieds nus, par les bois et les prés
Un berger grec, et pâlir de tendresse,
L’arc à la main et les cheveux poudrés.

Heureusement le cadre d’or qui blesse
Vous retiendra dans ses bâtons carrés,
Et sauvera votre antique noblesse
D’enlèvements trop inconsidérés.
         Je veux vous peindre.


Madrigal, à Clymène[modifier]

Quoi >donc ! vous voir et vous aimer
Est un crime à vos yeux, Clymène.
Et rien ne saurait désarmer
Cette rigueur plus qu’inhumaine !
Puisque la mort de tout regret
Et de tout souci nous délivre,
J’accepte de bon cœur l’arrêt
Qui m’ordonne de ne plus vivre.


===Rondeau redoublé, à Iris===

Quand vous venez, ô jeune beauté blonde,
Par vos regards allumer tant de feux,
On pense voir Cypris, fille de l’Onde,
Épanouir et les Ris et les Jeux.

Chacun, épris d’un désir langoureux,
Souffre une amour à nulle autre seconde,
Et lentement voit s’entr’ouvrir les cieux
Quand vous venez, ô jeune beauté blonde !

S’il ne faut pas que votre chant réponde
Un mot d’amour à nos chants amoureux,
Pourquoi, Déesse à l’âme vagabonde,
Par vos regards allumer tant de feux ?


Laissez au vent flotter ces doux cheveux
Et découvrez cette gorge si ronde,
Si jusqu’au bout il vous plaît qu’en ces lieux
On pense voir Cypris, fille de l’Onde.

Car chacun boit à sa coupe féconde
Lorsqu’elle vient à l’Olympe neigeux
Sur les lits d’or que le plaisir inonde
Épanouir et les Ris et les Jeux.

Donc, allégez ma souffrance profonde.
C’est trop subir un destin rigoureux ;
Craignez, Iris, que mon cœur ne se fonde
À ces rayons qui partent de vos yeux
         Quand vous venez !


Madrigal, à Glycère[modifier]


Oui, vous m’offrez votre amitié,
Pour tous les maux que je vous conte,
Mais quoi ! c’est trop peu de moitié,
Glycère, et je n’ai pas mon compte.
Je soupire, et vous en retour
Vous me payez d’une chimère.
Pourquoi si mal traiter l’Amour ?
Ah ! vous êtes mauvaise mère !


Juin 1842.