En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/Voyages et excursions/1864

La bibliothèque libre.
Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 511-523).

1864.




SUR LE RHIN ET EN BELGIQUE.


15 août. — Nous partons aujourd’hui lundi par Southampton par le Normandy à 9 h. 1/2. Nous passons très près d’Aurigny. Les rochers et les falaises de la côte sud sont superbes. On n’en parle jamais. Cela vaut presque Serk. Beau temps. Vent nord-est. Tangage.

Nous arrivons à Southampton à 7 heures du soir.


17 août. — Partis pour Bruxelles par Douvres et Ostende à 7 h. 30 du matin. Vu en passant Chatham. Il faudra le revoir. Magnifique ruine d’un donjon.

J’ai cette nuit, en dormant, fait sur Franklin ce vers :

Alter Prometheus direpto fulmine magnus.

Arrivés à 9 heures à Douvres. — Partis à 9 h. 1/2 pour Ostende par le Rubis, steamer belge.

Vent debout. Bon temps du reste. Mer très belle. — Passe un steamer à hélice, ayant sa voilure à l’avant et sa machine et sa cheminée à l’arrière. Ainsi :


21 août. — Dinant. Nous partons aujourd’hui avec Victor. Charles nous rejoindra en route. Loué une voiture moyennant 25 francs par jour. Nous partons à midi pour Bouillon par Beauraing. Passé à Beauraing sans arrêter. Arrivés à Bouillon à 8 heures du soir.


22 août. — J’ai averti les ouvriers qui creusent une conduite d’eau dans la rue pour qu’on y mette un lampion la nuit. Notre voiture hier soir en arrivant a failli tomber dans un trou de dix pieds de profondeur devant la porte de l’auberge.

Visité le château de Bouillon (avec Victor). Deux voyageurs demandent à nous accompagner. (Un propriétaire du pays, et le premier président de la cour d’appel de Liège.)


23 août. — Vu avec Victor l’abbaye d’Orval.


Arrivés à Arlon à 7 heures du soir. Pas de place. Logés dans les moulins. On se ravise. On se gêne, on nous loge à l’hôtel de l’Europe. Pluie à torrents.


25 août. — Luxembourg. Revu la ville, les fossés, les ponts, l’église Notre-Dame, la Maison liée à cause des lacs et des entrelacs sculptés dans les panneaux de la façade. L’encoignure romaine d’une rue près de la caserne. Vu le champ de foire.


26 août. — Partis à 11 h. 1/2 pour Trêves. Arrivés à 6 heures. Vu avec Victor les églises, les fontaines, le palais électoral, l’escalier rococo que j’ai sauvé, les ruines des bains romains, le cirque et la porte noire.


30 août. — Partis à midi pour Kapellen. Passé le bac à Acham. D’Acham à Dieblich route exécrable en construction indéfiniment depuis trois ans. À 6 heures à Kapellen.

Visité le Stolzenfelz restauré. Grand Rozel-Manor. — Restauration inepte, décor de Bobino payé plusieurs millions. Chambre en acajou du roi et de la reine. Boiserie gothique troubadour peinte en jaune d’œuf avec filet rouge. Du reste quelques meubles magnifiques, belle collection de vider-come et de grès. Beaux tableaux de l’école gothique allemande. Fresques modernes médiocres. Superbe fauteuil en chêne sculpté de l’empereur d’Allemagne. (Probablement Mathias.) — Admirable cheminée en pierre du seizième siècle du palais des électeurs de Cologne. Sur le retable, la légende de Curtius. Cette cheminée est dans un grand vestibule bête. Très beaux et très rares vitraux. — Pantoufles obligatoires comme pour les mosquées. — Ensemble farce.


31 août. — Saint-Goar. Dessiné le Rhinfels[1].


1er septembre. — Partis à midi pour Bacharach. Dessiné le clocher.


3 septembre. — Francfort-sur-le-Mein. Deux pièces en batterie sur la grande place. Ville libre. Liberté ornée de deux canons, l’un prussien, l’autre autrichien.


4 septembre. — Vu le Rœmer. Le Rœmer défiguré. La grande salle barbouillée de peintures quelconques. Empereurs médiocres. La salle des électeurs prise par le sénat bourgeois de Francfort. La table et les fauteuils des neuf électeurs ont disparu. On ne sait où est ce bric-à-brac.

La place encombrée de baraques de la foire. Les deux fontaines revêtues de carapaces de planches.

Partis à 2 heures pour Darmstadt. Nous arrivons à 6 heures. Nous errons d’hôtel en hôtel. Tout est plein.

L’impératrice de Russie est arrivée aujourd’hui. L’empereur arrive demain.

Darmistadt. Ville remarquable par l’arrivée de l’empereur de Russie et par deux pauvres petits veaux attachés sur l’impériale d’un coche au-dessous de ma fenêtre.


6 septembre. — Revu Heidelberg. Toujours admirable. Musée spectacle. Visite au Gros tonneau.

À 7 h. 1/2 du soir, illumination du Schloss. Incendie du Palatinat. Turenne redivivus. Effet de Louis XIV. Le château, rouge et sombre, avait l’air d’être en flammes.

9 septembre. — Bade. Revu le burg. — Le Falsenbruckke. — Les rochers.

À trois heures à la Favorite. Revu la Favorite et l’ermitage de Sybille.


10 septembre. — Visite à Eberstein. Restauration grotesque : Bourgeoisisme princier, acajou. Vitraux admirables encadrés dans des bordures du café turc. Ensemble grotesque.

Retour à l’Ours.

Le roi de Prusse et sa femme sont venus ce matin déjeuner d’un œuf et d’une tasse de thé à l’Ours ; la reine, vue de dos, chapeau Paméla, manteau de drap gris bordé de moire bleue. Le roi vu de profil, chapeau rond, cravate noire militaire, redingote longue bourgeoise, pantalon gris,
favoris gris, cheveux gris. Air d’un caporal et d’un maréchal. Gros rire.


11 septembre. — Visite à la cascade la Geroldsau.


12 septembre. — Méry. Hetzel l’avait invité à déjeuner sans lui rien dire. Je suis entré. Il a pleuré de me voir. Nous passons la journée ensemble.

Nous sommes allés avec Méry à Rastadt. Il nous a montré la place où les plénipotentiaires français ont été assassinés à la sortie du bois.

Nous avons revu la dévastation du château. Méry m’a montré sur un panneau de boiserie la tache d’encre historique (de Villars, selon les uns ; de Bonaparte selon les autres).

Nous avons visité la chapelle de la margrave sybille. Autre dévastation. Méry croit apocryphe la légende de l’oratoire près la Favorite.

Le concierge de la chapelle a refusé le florin que je lui offrais, premier exemple d’un refus de pourboire dans ce pays.

Retour à Bade à 4 heures.

13 septembre. — Promenade à Steinbach, par la montagne. Retour par la plaine. — Méry a dîné avec nous.


14 septembre.Carlsrühe. Vu le château. Dépouilles de Rastadt. Belles tapisseries. Admirables armoires Burgau. Salle du trône empire, tenture velours rouge à fleurs d’or donnée par Napoléon à la grande-duchesse Stéphanie. Magnifique salle des États. (Louis XV.) — Salle du margrave Ludwig, le vainqueur des turcs. Choses prises sur les turcs. Tombeau turc curieux.

Le soir, vu au clair de lune le parc ; très beau ; charmante fontaine rococo. L’homme dompte le cheval (marin), la femme le dragon.


15 septembre. — Partis à 1 heure pour Manheim. Promenade au clair de lune au bord du Rhin.


17 septembre. — Mayence. Visite au musée. Revu le Jordaëns et le Dominiquin.

Vu la bibliothèque. Première bible imprimée par Gutenberg. Pièce de 5 francs à l’effigie de Henri V (duc de Bordeaux) roi de France. — Mille volumes d’incunables. Collection complète des Bollandistes. — Le squelette romain qui a une pièce d’or dans les dents.


18 septembre — Partis pour Wiesbade. — Insignifiant. La Platte, château de 1511 selon les uns, de 1624 selon les autres. Il n’en reste absolument rien. Le duc actuel de Nassau l’a fait rebâtir en guinguette de la barrière Fontainebleau. Bête, blanc, laid, deux cerfs de bronze à la porte, qui devraient être en carton.

Vue magnifique. Le Rhin. Mayence. Le Taunus. Les Vosges.

Revenus de Wiesbade à 6 heures. Vu la cathédrale de Mayence, l’intérieur, au crépuscule. Les vitraux fantômes, les statues spectres. Sublime.

Le palais de l’archevêque de Mayence est surmonté du dieu Mars et tout sculpté de casques, de canons et de glaives, le palais de l’archevêque de Trêves plein d’amours, de nymphes et de gorges nues.


19 septembre. — Partis à midi pour Rudesheim[2] ; station à Hattenheim. Revu Rudesheim après vingt-quatre ans. Donjon romain, puis roman, puis gothique, admirable.

La vieille comtesse Ingelhem, ruine, habite cette ruine.

20 septembre. — À 1 heure à Bingen, revu Bacharach. — Oberwesel. — Saint-Goar. — À 6 heures à Boppart. Des troupes partout. Auberges encombrées.


Nous descendons au Rheinischer-Hof. — Pas de chambre. Logés chez des voisins. Ma chambre, toute petite, mitoyenne aux latrines, avec une fenêtre sur un égout. Toute la nuit cavalerie de rats au-dessus de ma tête. Au mur une gravure représentant une jeune fille respirant une rose.


21 septembre. — Visité l’église gothique. Belle boiserie du 15e siècle au chœur. Beaux tombeaux des sires d’Ems.

Andernach. Il y a dans la chambre de Victor des vers de moi traduits en allemand.


22 septembre. — Partis à midi pour Rolandseck. En route une idée nous vient. Allons au lac dans la montagne[3]. Nous nous détournons. Route pittoresque. Ruisseau. Tufs étranges. Ruines d’une abbaye. Montagnes faites des tas de cendre des anciens volcans. Nous arrivons au lac à 3 h. 1/2.

Visite à l’église romane. Porche-cloître magnifique. Très beau tombeau du premier comte palatin Henri II. Tombeau gothique. Pinacle roman. Crypte. Pierres tombales curieuses. Beau jardin sur le lac. Jésuites partout. Charmant pavillon Louis XV.

24 septembre. — Cologne. Promenade le soir sur le pont de bateaux. Vu la cathédrale. Mal continuée. Il faudra cinquante ans pour l’achever. D’ici là on se ravisera. Beaux vitraux anciens. Les vitraux modernes donnés par Louis Ier, roi de Bavière, inférieurs. Admirable retable gothique flamboyant (Charles VIII) représentant la Passion. Vu deux autres églises curieuses. Magnifique chaire jésuite.


26 septembre. — Partis à 1 heure pour Aix-la-Chapelle. Station à Mérode. Magnifique carcasse de château du 16e siècle. Habitable. Indigence intérieure. Délabrement. Portraits. Trois grosses tours. Deux à toits bulbeux. Deux pignons. Fossés pleins d’eau. Curieux portrait d’un Mérode debout près de l’empereur Charles VI assis (1736)[4].

Arrivés à Aix-la-Chapelle à 5 h. 3/4.


27 septembre. — Revu après vingt-quatre ans la Chapelle et le Hochmunster. Le trésor. Reliquaire des grandes reliques. Cercueil de vermeil où est le squelette de Charlemagne. Son crâne. Son bras. — Quatre panneaux d’Albert Dürer. — Le sarcophage d’Auguste. La chaire où Saint-Bernard a prêché. La chaise de marbre où Charlemagne mort était assis. Sa couronne (trop grande pour une tête humaine) ; son sceptre, bâton d’argent creux surmonté d’une petite colombe d’or.

(Nous n’avons plus de monnaie. Le suisse s’en va, nous tournant le dos. Je le rappelle. Je change de l’or.)


30 septembre. — Partis pour Liège à midi. Charmante route par Pepinster et Chaudfontaine.

À Liège, revu la cour du palais des évêques. On la restaure gauchement. Il ne faudrait pas toucher aux colonnes, restituer seulement le style des étages supérieurs qui encadrent la cour. — Vu une église. Beaux vitraux. Soir. Orgue. Nous nous sommes promenés le soir dans la ville. Illuminations pour le 34e anniversaire de leur 1830 belge.


1er octobre. — Partis pour Tirlemont. Nous nous arrêtons à Saint-Trond. Vu la ville. Charmant beffroi. Belle église. Bien restaurée au dedans.

Charivari de corne à un veuf qui se remarie.


2 octobre. — Partis pour Louvain. Nous faisons un détour pour voir Léau, ville inédite ; on n’y passe jamais. Très bel hôtel de ville (Charles VIII). Très belle église (14e siècle). Dans l’église plusieurs retables (Charles VIII) du plus riche et du plus charmant goût. Magnifique tabernacle de la Renaissance, haute pyramide tourelle de pierre ouvragée à dix étages décroissants de figures, de statues, de bas-reliefs et d’architectures. Napoléon a voulu enlever ce chef-d’œuvre ; on l’eût mis en poussière, il y a renoncé. Vis-à-vis une tombe du comte de Léau et de sa femme qui ont donné ce tabernacle à l’église. Voilà monsieur et madame, nous disait un habitant. Le tabernacle est garanti par une superbe grille de cuivre repoussé et menuisé ; l’ensemble est splendide.

Arrivés à Louvain à 6 heures. Vu l’hôtel de ville au crépuscule.


3 octobre. — Revu l’hôtel de ville, la cathédrale (Sainte-Marguerite), les tableaux (la Cène et le Saint-Erasme de Hemling). Revu la belle façade jésuite. On la gratte stupidement.


4 octobre. — Malines. Longé le canal. Revu Vilvorde. Kermesse sur la grande place. Vu l’exposition votée par le congrès catholique. Innombrables richesses des trésors des églises de Belgique. Grande politesse du directeur qui me guide partout. Crosse de bois de Saint-Malo. Crosse de cuivre de Saint-Bernard. Magnifique chandelier de cuivre de l’église de Léau. — Vu la cathédrale.

Partis à 3 h. 1/4 pour Anvers. Revu la cathédrale. La Descente de croix de Rubens et l’hôtel de ville. La maison des arbalétriers.


6 octobre. — Termonde[5]. Vu le soir la place de l’hôtel de ville. Causerie avec l’architecte. Je décide l’architecte à modifier son plan, et à conserver le plus possible l’ancien hôtel de ville.


8 octobre. — Partis pour Courtrai. Je me suis arrêté en route pour dessiner un moulin curieux sur le toit d’une maison. Visité et revu Courtrai après 27 ans. Promenade le soir. Les deux vieilles grosses tours. La Lys. Les églises. Hôtel de ville bêtement restauré.


9 octobre. — Ypres. — Hôtel de la Châtellenie. C’est l’ancienne maison, des sept planètes dont il ne reste que les sept figures médaillons en ronde-bosse. La façade est refaite et détruite. Hôtel de ville splendide, très bien restauré. Le soir, à table, visite du substitut du procureur du roi et de deux membres du congrès d’Amsterdam, etc. — Revu la place au clair de lune. Nous décidons que nous verrons Furnes et Dixmude.

10 octobre. — Visité l’Hôtel de ville. J’y suis reçu par le bourgmestre d’Ypres. Intérieur délabré et défiguré. Très belles salles gothiques avec restes de peintures murales. Le bourgmestre me conduit, accompagné du premier échevin et de l’archiviste, sous le toit, immense salle, ancien lieu d’exposition des drapiers du temps qu’Ypres avait 200 000 habitants. Très belle charpente du comble en essence de châtaignier.

Visite aux archives. Un coffre du 13e siècle en bois. Très curieux. Très précieux manuscrit des coutumes et us des drapiers. Très rare comme manuscrit laïque. Le bourgmestre m’offre le diplôme de membre honoraire de la société des antiquaires d’Ypres.

Visite à la grande église. Très belle nef du 14e siècle. — Portrait de Jansenius. Tombeau de Jansenius devant l’autel. Une simple pierre avec une croix et une date.

Vu le musée. Le premier avocat d’Ypres et le substitut du procureur

du roi nous accompagnent. Vitrine pleine d’instruments de torture, achetés il y a 50 ans comme vieux fer par MM. Carton et Vandepereboom, au moment où l’on allait en faire une ancre.

Lame à scier les cous. Fer emmanché de bois pour brûler les dos. Traces de brûlure sur le bois. Engins à écraser les bras. Cela se serre avec des écrous. Engins à écraser les doigts.

Collier à suspendre le patient armé de pointes en dedans. Quatre rangs de pointes, quatre anneaux, quatre cordes, quatre poulies aux quatre murs de la chambre. Tout cela servait encore au siècle dernier. Divers procès-verbaux de torture. Un de 1712, en flamand. — Vitrine où est la tenaille de fer dont on a supplicié huit échevins au 15e siècle. Longue et lourde. En face, vitrine où est l’épée à mains qui a coupé la tête d’Egmont et de Horn, rapportée par l’évêque d’Ypres qui les avait assistés sur l’échafaud (afin qu’elle ne serve plus, si ce n’est pour des personnes du même rang). — Magnifique et rare coffre de laque-coromandel.

Rôdé dans les rues. Vu la maison des Templiers. — Deux très belles maisons de bois. Il y a un beau Rubens dans le musée. (La prédication de Saint-Benoit pendant la peste.)

Un dessinateur prend soin de dessiner toutes les vieilles maisons d’Ypres avant qu’on les démolisse.

Partis à 3 heures pour Furnes.


11 octobre. — Furnes. Visité l’Hôtel de ville. Je suis reçu par un membre du conseil municipal et par le bibliothécaire. Très belles salles. Ameublements en partie conservés. Cuir de Cordoue sur les murs, tenture magnifique. Plusieurs cheminées de la Renaissance. Au premier étage, une grande salle absolument intacte, style Philippe II. Cuir de Cordoue. Trois portraits d’empereurs en pied, Mathias, Léopold et Joseph II. Haute cheminée de chêne où sont incrustés les portraits d’Albert et d’Isabelle, avec chambranles à figures de marbre noir et de marbre blanc. Deux admirables portes en chêne sculpté du seizième siècle. Très beau tapis de table à blasons avec les portraits des rois d’Espagne. Plafond de chêne à poutres. — Autres salles. Le tribunal. Chambre des condamnés à mort. En bas est la chambre de torture. On voit encore, sur le mur, la fumée des brasiers et sur le plancher les taches de la graisse et du sang des torturés. On ne peut voir cette chambre. On en a fait, à intention peut-être, un magasin. Elle est encombrée et fermée. Le greffier qui en a la clef est à la campagne. — Au rez-de-chaussée, jolie chambre bleue tapissée de velours d’Utrecht avec meuble pareil et deux charmants trumeaux bleus au-dessus des portes. — Bibliothèque. Cuirs de Cordoue. Armoires Louis XV. Très beau Snyders sur la cheminée, nature morte, bêtes tuées. — Le bibliothécaire me prie de signer sur son registre et m’offre un livre sur la vieille pénalité flamande.

Vu l’église. Très belle boiserie de 1632, orgues du temps de Louis XIV, très hardiment dressées au-dessus de la porte du chœur. Superbe tabernacle de la Renaissance en marbre.

Ancien hôtel de ville, à demi dégradé par Vauban. Édifice du douzième siècle. Très beau. Jolie porte trilobée à jour. — La grosse tour de l’église ; au bas de la tour très beau porche du douzième siècle à voussures et à figures, du plus grand style. — Plusieurs jolies maisons des 16 et 17e siècles.

À 4 h. 1/2 à Dixmude. — Vu l’église. Très curieux jubé flamboyant ; le chef-d’œuvre peut-être du gothique extrême. On ne sait en quoi il est fait. Les uns disent en stuc, les autres en pâte de seigle, les autres en pain d’épices. Je le crois en terre glaise à brique. Toute l’église est du plus haut intérêt. Jolie boiserie Louis XII. Beaux fonts baptismaux. Quelques tableaux. Rare et magnifique banc d’œuvre du 17e siècle. À Ypres à 7 h. 1/4.

Le soir, arrivés à l’hôtel de la Châtellenie, visite des habitants notables. La commission du Musée se présente (trois membres) et m’apporte le registre avec prière de le signer. Je le signe. Mes fils signent. Petites harangues. On me remet une médaille en commémoration de mon passage. Je revisiterai le musée.


12 octobre. — Revu le musée. Je revois les instruments de torture. La grande lame servait à briser les membres sur la roue. Les petites menottes à écrous servaient à réunir les pouces des mains et les orteils des pieds en X dans le même écrasement ; on suspendait, par les pouces et les orteils ainsi reliés, les torturés au-dessus d’un brasier ; on ne les brûlait pas, on les cuisait. Le collier à pointes servait à faire mourir les condamnés par la privation de sommeil. Ils étaient debout le cou dans ce collier rattaché au mur par quatre cordes. Si leur tête fléchissait sous le sommeil, un coup de bâton sur les cordes les réveillait en leur enfonçant dans le cou les pointes du collier. — L’évêque d’Ypres qui a confessé Egmont et Horn était Reithovius. Il a rapporté le glaive. L’usage était que l’instrument du supplice fût donné aux confesseurs.

Les huit échevins tués dans une émeute en 1303 ont été, non tenaillés, mais assommés avec la pincette de fer qui est là et qui était dans la cheminée. Elle a quatre pieds de longueur. Puis on les a jetés par la fenêtre. — On photographiera pour moi les engins de torture.

Le bâtonnier des avocats, qui m’accompagne avec toute la commission du musée, me prie de voir chez lui un Rubens qu’il a dans sa collection. Nous y allons. Puis visite chez un vieux peintre très intéressant qui a beaucoup de bahuts très beaux. Nous partons à 4 h. 1/4. Arrivés à Menin à 6 heures.


13 octobre. — Menin. Pendant le déjeuner, foule à la porte. Baptiste entre, et dit qu’on va me donner ce soir une sérénade. Entre le bourgmestre. Il me prie, au nom de la ville, de rester un jour. Il m’annonce la visite des autorités, des notables, du corps des sapeurs-pompiers, etc. Je le remercie. Je suis forcé de partir. Nous partons à midi. Foule à la porte, très cordiale, qui me salue.

À 5 heures à Tournai. — Le beau beffroi de la grande place est défiguré (surtout à la partie inférieure) par une restauration absurde. Nous voyons la cathédrale. Magnifique au dehors, superbe au dedans. Cinq clochers, quatre cents (sans) cloches, dit le proverbe local. Presque entièrement romane. — Admirable jubé de la Renaissance. Beaux vitraux modernes de Capronnier.


14 octobre. — Revu la cathédrale. Le jubé est composé de sujets contrastés de l’ancien et du nouveau testament (comme je l’ai dit dans William Shakespeare) : Jonas, Isaac, etc. — Très beaux médaillons de bois sculpté, venant du chœur. Chaque fenêtre verrière Capronnier complète coûte 3 500 francs. Quiconque veut donner une fenêtre à l’église le peut, moyennant quoi il a son blason dans la cathédrale de Tournai.

Vu le trésor. Plutôt vestiaire que trésor. Chaque ornement se compose de dix chapes. Les chapes moyennes coiitent 3 000 francs. Une des chapes est le manteau de couronnement de Charles-Quint, velours rouge avec fleur d’or courant sur le velours. Le devant de ce manteau est estimé 150 000 francs. — Ostensoir de vermeil de 1698. — Beaux rubis. Anecdote racontée par le suisse qui était là. Le comte de Flandre est venu à Tournai, a vu cet ostensoir, a ôté une bague à rubis qu’il avait au doigt et en a comparé le rubis aux rubis de l’ostensoir. Le duc d’Arenberg qui était présent a montré le bas du crucifix et a dit : Prince, ce rubis serait bien là. Le comte de Flandre a paru ne pas entendre.


15 octobre. — Antoing[6] que nous avons vu hier est un vieux château des 12e, 15e et 16e siècles, bien restauré aujourd’hui, à la porte près, qui est bâtarde et mauvaise. L’architecte est de Paris et habile. L’ensemble est magnifique. Il y a dans un renfoncement de muraille une grosse pierre suspendue à des barres de fer. Probablement quelque légende.

— Vu Belœil. De très belles eaux, trop stagnantes pourtant, et de beaux arbres. Deux admirables tilleuls en entrant ; deux chimères de blason, en marbre, superbes, un lion et un griffon. Le château est un vieux donjon à quatre tours, abâtardi en château Louis XIV. Les statues sont peu nombreuses et mauvaises. Détestable groupe de Neptune au bout de la grande pièce d’eau. Neptune est badigeonné en jaune.

Revu de dos le prince de Ligne après dix-sept ans ; il rentrait suivi de deux chiens, à pied, en long paletot. Il a l’air fort invalide. Il a soixante ans.

J’ai marché en avant deux lieues. La voiture m’a presque perdu, et ne m’a pas rejoint sans peine.

Arrivés à Mons à 5 h. 1/2.

Le soir, en sortant de dîner, revu Mons (après vingt-sept ans). Clair de lune. Le beffroi espagnol, l’hôtel de ville, les carillons. Sainte-Waudru. La grande place, même effet féerique et même clair de lune qu’en 1837.


16 octobre. — Visite à Sainte-Waudru. Admirable nef, beaux vitraux. Il y avait un jubé de la Renaissance, on l’a détruit ; on en voit çà et là les restes magnifiques dans les chapelles. — On m’a reconnu comme je sortais de Sainte-Waudru. En passant devant l’hôtel de ville le chef du poste me fait le salut militaire. À l’hôtel de la Couronne, je trouve le directeur du théâtre qui vient m’offrir une loge pour le soir. On donne le Caïd et les Pattes de mouche. Je ne puis accepter, je pars.

Il y a une très curieuse et très précieuse serrure gothique à la grande porte de l’hôtel de ville. La façade est très belle. Les gargouilles de Sainte-Waudru sont nombreuses et originales. Ce sont les démons condamnés à faire le service des eaux sales de l’église.


17 octobre. — Nous passons à Beaumont. Dans la maison de M. de Caraman, il y a une chambre où Napoléon a couché, allant à Waterloo.

Walcourt. — Revu après trois ans l’église, très belle. 14e siècle. Beaux vitraux. Très beau porche, intérieur flamboyant.


18 octobre. — Partis à midi pour Dinant. Revu Philippeville. Le puits. — Suivi le cours de la Meuse. — Vu dans les rochers une caverne habitée sept ans par un couple avec six enfants, et portant le no 70. — Vu près du tunnel du railway de Givet une grotte très haute habitée par les luteaux (lutins) ; ils raccommodaient les souliers et les hardes qu’on déposait à l’entrée de leur grotte avec une assiette de soupe. J’ai vu l’escalier taillé dans le roc, ébauché plutôt que taillé, qui monte jusqu’à cette grotte.

  1. Voir page 563.
  2. Voir page 565.
  3. À Laach.
  4. Est-ce ce burg, habitable et délabré, qui a donné à Victor Hugo l’idée du décor de la première Trouvaille de Gallus : Margarita ?
  5. Voir page 567.
  6. Voir page 569.