Encyclopédie anarchiste/Anarchiste

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 81-91).


ANARCHISTE. N. m. « Partisan de l’Anarchie »

Avant d’exposer ce que sont véritablement les Anarchistes, il n’est pas inutile de faire remarquer que presque tous les dictionnaires qui circulent et que consultent le plus grand nombre représentent les adeptes de l’Anarchisme militant comme des fauteurs de troubles et de désordre, comme des individus de sac et de corde, comme des êtres prêts à tout faire à l’exception de ce qui est bien, comme des monstres à face humaine. Interrogez cent personnes dans la rue et demandez-leur ce qu’elles savent des Anarchistes. Beaucoup répondront par un écartement des bras et un haussement des épaules qui exprimeront leur ignorance. D’autres, ne voulant pas avouer qu’elles n’en savent rien et s’estimant suffisamment renseignées par le journal dont elles recueillent dévotement les informations, répondront :

« Les anarchistes sont de vulgaires bandits. Sans scrupule comme sans pitié, ne respectant rien de ce qui, pour les honnêtes gens, est sacré : la propriété, la loi, la patrie, la religion, la morale, la famille, ils sont capables des pires actions. Le vol, le pillage et l’assassinat sont érigés par eux en actes méritoires.

« Ils prétendent servir un magnifique Idéal ; ils mentent. En réalité, ils ne servent que leurs bas instincts et leurs passions abjectes.

« Il se peut que dans leurs rangs se fourvoient quelques sincères. Ceux-là sont des impulsifs, des illuminés, fanatisés par les meneurs qui les précipitent au danger, tandis qu’eux, les lâches, se tiennent jalousement à l’écart des responsabilités.

« Au fond, leur unique désir est de vivre sans rien faire, après s’être emparés des biens que le travailleur économe a péniblement épargnés. Ces gens-là ne sont que des bandits et les bandits les plus dangereux et les plus méprisables, parce que, pour dissimuler le but véritable que se proposent leurs odieux forfaits, ils ont l’impudence d’évoquer les glorieux et immortels principes sur lesquels il est nécessaire et désirable que repose toute société : égalité, justice, fraternité, liberté.

« Aussi, la société, dont les Anarchistes attaquent avec violence les fondements, manquerait-elle à tous ses devoirs, si elle ne réprimait pas avec la dernière énergie la propagande détestable et les entreprises criminelles de ces malfaiteurs publics. »

Si les privilégiés qui tremblent sans cesse de se voir ravir les prérogatives dont ils bénéficient étaient les seuls à proférer de tels propos, cela s’expliquerait, encore que ce langage serait l’attestation de leur ignorance et de leur mauvaise foi.

Le malheur est que pense et parle de la sorte une foule, de moins en moins considérable il est vrai, mais tout de même fort nombreuse encore, de pauvres diables qui n’auraient rien à perdre et qui, au contraire, auraient tout à gagner, si l’organisation sociale actuelle disparaissait.

Et pourtant, la littérature anarchiste est déjà copieuse et riche en enseignements clairs, en thèses précises, en démonstrations lumineuses.

Depuis un demi-siècle, il s’est levé toute une pléiade de penseurs, d’écrivains et de propagandistes libertaires qui, par la parole, par la plume et par l’action, ont répandu, en toutes langues et en tous pays, la doctrine anarchiste, ses principes et ses méthodes ; en sorte que chacun devrait être à même de mépriser ou d’estimer, d’aimer ou de haïr les anarchistes, mais que personne ne devrait ignorer, aujourd’hui, ce qu’ils sont. Toutefois, il ne faut pas s’étonner des calomnies atroces dont ils sont l’objet, car c’est le sort de tous les porteurs de flambeau d’être abominablement calomniés et persécutés ; c’est le sort de toutes les doctrines sociales qui s’attaquent aux mensonges officiels et aux institutions en cours, d’être dénaturées, ridiculisées et combattues à l’aide des armes les plus odieuses.

Vers la fin du dix-huitième siècle, ce fut le cas des principaux ouvriers de la Révolution française et des principes sur lesquels ils prétendaient jeter les bases d’un monde nouveau ; pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, qui assista à l’écrasement de la République « une et indivisible » par l’Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet, ce fut le cas des Républicains ; pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, qui vit éclore et se développer le triomphe de la démocratie républicaine, ce fut le cas des Socialistes et de la doctrine qu’ils entendaient substituer au démocratisme bourgeois ; à l’aurore du vingtième siècle qui enregistre l’accession des socialistes au pouvoir, il est fatal que les Anarchistes soient calomniés et persécutés et que leurs conceptions, qui s’attaquent aux mensonges et aux institutions en cours, soient dénaturées, ridiculisées et combattues par les moyens les plus perfides.

Mais c’est le devoir des Annonciateurs de la vérité nouvelle de confondre la calomnie et d’opposer aux coups incessants du Mensonge la constante riposte de la Vérité. Et, puisque les imposteurs et les ignorants — ceux-ci sous l’influence de ceux-là — s’obstinent à vilipender nos sentiments et à travestir nos conceptions, je crois nécessaire d’exposer, en un raccourci aussi net que possible ce que sont ces êtres rares, encore à l’état d’exceptions, qui se donnent de tout cœur au magnifique dessein de jeter les bases d’une humanité libre, heureuse et réconciliée.

On se fait des anarchistes, comme individus, l’idée la plus fausse.

Les uns nous considèrent comme d’inoffensifs utopistes, de doux rêveurs ; ils nous traitent d’esprits chimériques, d’imaginations biscornues, autant dire de demi-fous. Ceux-là daignent voir en nous des malades que les circonstances peuvent rendre dangereux, mais non des malfaiteurs systématiques et conscients.

Les autres portent sur nous un jugement très différent : ils pensent que les anarchistes sont des brutes ignares, des haineux, des violents et des forcenés, contre lesquels on ne saurait trop se prémunir, ni exercer une répression trop implacable.

Les uns et les autres sont dans l’erreur.

Si nous sommes des utopistes, nous le sommes à la façon de tous ceux de nos devanciers qui ont osé projeter sur l’écran de l’avenir des images en contradiction avec celles de leur temps. Nous sommes, en effet, les descendants et les continuateurs de ces Individus qui, doués d’une perception et d’une sensibilité plus vives que leurs contemporains, ont pressenti l’aube, bien que plongés dans la nuit. Nous sommes les héritiers de ces hommes qui, vivant une époque d’ignorance, de misère, d’oppression, de laideur, d’hypocrisie, d’iniquité et de haine, ont entrevu une Cité de savoir, de bien-être, de liberté, de beauté, de franchise, de justice et de fraternité et qui, de toutes leurs forces, ont travaillé à l’édification de cette Cité merveilleuse.

Que les privilégiés, les satisfaits et toute la séquelle des mercenaires et des esclaves intéressés au maintien et préposés à la défense du Régime dont ils sont ou croient être les profiteurs, laissent dédaigneusement tomber l’épithète péjorative d’utopistes, de rêveurs, d’esprits biscornus, sur les courageux artisans et les clairvoyants constructeurs d’un avenir meilleur, c’est leur affaire. Ils sont dans la logique des choses.

Il n’en reste pas moins que, sans ces rêveurs dont nous faisons fructifier l’héritage, sans ces constructeurs chimériques et ces imaginations maladives — c’est ainsi qu’en tout temps ont été qualifiés les novateurs et leurs disciples — nous en serions aux âges depuis longtemps disparus, dont nous avons peine à croire qu’ils aient existé, tant l’homme y était ignorant, sauvage et méprisable !

Utopistes, parce que nous voulons que l’évolution, suivant son cours, nous éloigne de plus en plus de l’esclavage moderne : le salariat et fasse du producteur de toutes les richesses un être libre, digne, heureux et fraternel ?

Rêveurs, parce que nous prévoyons et annonçons la disparition de l’État, dont la fonction est d’exploiter le travail, d’asservir la pensée, d’étouffer l’esprit de révolte, de paralyser le progrès, de briser les initiatives, d’endiguer les élans vers le mieux, de persécuter les sincères, d’engraisser les intrigants, de voler les contribuables, d’entretenir les parasites, de favoriser le mensonge et l’intrigue, de stimuler les meurtrières rivalités, et, quand il sent son pouvoir menacé, de jeter sur les champs de carnage tout ce que le peuple compte de plus sain, de plus vigoureux et de plus beau ?

Esprits chimériques, imaginations biscornues, demi-fous, parce que, constatant les transformations lentes, trop lentes à notre gré, mais indéniables, qui poussent les sociétés humaines vers de nouvelles structures édifiées sur des bases rénovées, nous consacrons nos énergies à ébranler, pour finalement la détruire de fond en comble, la structure de la société capitaliste et autoritaire ?

Nous mettons au défi les esprits informés et attentifs d’aujourd’hui d’accuser sérieusement de déséquilibre les hommes qui projettent et qui préparent de telles transformations sociales.

Insensés, au contraire, non pas à demi mais totalement, ceux qui s’imaginent pouvoir barrer la route aux générations contemporaines qui roulent vers la Révolution sociale, comme le fleuve se dirige vers l’Océan : il se peut qu’à l’aide de digues puissantes et d’habiles dérivations, ces déments ralentissent plus ou moins la course du fleuve, mais il est fatal que celui-ci tôt ou tard se précipite dans la mer.

Non ! Les Anarchistes ne sont ni des utopistes, ni des rêveurs, ni des fous et la preuve, c’est que partout les Gouvernements les traquent et les jettent en prison, afin d’empêcher la parole de Vérité qu’ils propagent d’aller librement aux oreilles des déshérités, alors que, si l’enseignement libertaire relevait de la chimère ou de la démence, il leur serait si facile d’en faire éclater le déraisonnable et l’absurdité.

Certains prétendent que les anarchistes sont des brutes ignares.

Il est vrai que tous les libertaires ne possèdent pas la haute culture et l’intelligence supérieure des Proudhon, des Bakounine, des Élisée Reclus et des Kropotkine. Il est exact que beaucoup d’anarchistes, frappés du péché originel des temps modernes : la pauvreté, ont dû, dès l’âge de douze ans, quitter l’école et travailler pour vivre ; mais le fait seul de s’être élevés jusqu’à la conception anarchiste dénote une compréhension vive et atteste un effort intellectuel dont serait incapable une brute.

L’anarchiste lit, étudie, médite, s’instruit chaque jour. Il éprouve le besoin d’élargir sans cesse le cercle de ses connaissances, d’enrichir constamment sa documentation. Il s’intéresse aux choses sérieuses ; il se passionne pour la beauté qui l’attire, pour la science qui le séduit, pour la philosophie dont il est altéré. Son effort vers une culture plus profonde et plus étendue ne s’arrête pas. Il n’estime jamais en savoir assez. Plus il apprend, plus il se plaît à s’éduquer. D’instinct, il sent que s’il veut éclairer les autres, il faut que, tout d’abord, il fasse provision de lumière.

Tout anarchiste est un propagandiste ; il souffrirait à taire les convictions qui l’animent et sa plus grande joie consiste à exercer autour de lui, en toutes circonstances, l’apostolat de ses idées. Il estime qu’il a perdu sa journée s’il n’a rien appris ni enseigné et il porte si haut le culte de son Idéal, qu’il observe, compare, réfléchit, étudie toujours, tant pour se rapprocher de cet Idéal et s’en rendre digne, que pour être plus en mesure de l’exposer et de le faire aimer.

Et cet homme serait un brute épaisse ? Et c’est un tel individu qui serait d’une ignorance crasse ?

Mensonge ! Calomnie !

L’opinion la plus répandue, c’est que les Anarchistes sont des haineux, des violents.

Oui et non.

Les anarchistes ont des haines ; elles sont vivaces et multiples ; mais leurs haines ne sont que la conséquence logique, nécessaire, fatale de leurs amours. Ils ont la haine de la servitude, parce qu’ils ont l’amour de l’indépendance ; ils détestent le travail exploité, parce qu’ils aiment le travail libre ; ils combattent violemment le mensonge, parce qu’ils défendent ardemment la vérité ; ils exècrent l’iniquité, parce qu’ils ont le culte du Juste ; ils haïssent la guerre, parce qu’ils bataillent passionnément pour la paix.

Nous pourrions prolonger cette énumération et montrer que toutes les haines qui gonflent le cœur des Anarchistes ont pour cause leur inébranlable attachement à leurs convictions, que ces haines sont légitimes et fécondes, qu’elles sont vertueuses et sacrées.

Nous ne sommes pas naturellement haineux ; nous sommes, au contraire, de cœur affectueux et sensible, de tempérament accessible à l’amitié, à l’amour, à la solidarité, à tout ce qui est de nature à rapprocher les individus.

Il ne saurait en être autrement, puisque le plus cher de nos rêves et notre but, c’est de supprimer tout ce qui dresse les hommes en une attitude de combat les uns contre les autres : Propriété, Gouvernement, Église, Militarisme, Police, Magistrature.

Notre cœur saigne et notre conscience se révolte au contraste du dénuement et de l’opulence. Nos nerfs vibrent et notre cerveau s’insurge à la seule évocation des tortures que subissent ceux et celles qui, dans tous les pays et par millions, agonisent dans les prisons et les bagnes. Notre sensibilité frémit et tout notre être est pris d’indignation et de pitié, à la pensée des massacres, des sauvageries, des atrocités qui, par le sang des combattants, abreuvent les champs de bataille.

Les haineux, ce sont les riches qui ferment les yeux au tableau de l’indigence qui les entoure et dont ils sont la cause ; ce sont les Gouvernants qui, l’œil sec, ordonnent le carnage ; ce sont les exécrables profiteurs qui ramassent des fortunes dans le sang et la boue ; ce sont les chiens de police qui enfoncent leurs crocs dans la chair des pauvres diables ; ce sont les magistrats qui, sans sourciller, condamnent au nom de la Loi et de la Société, les infortunés qu’ils savent être les victimes de cette Loi et de cette Société.

Quant à l’accusation de violence dont on prétend nous accabler il suffit, pour en faire justice, d’ouvrir les yeux et de constater que, dans le monde actuel comme dans les siècles écoulés, la violence gouverne, domine, broie et assassine. Elle est la règle, elle est hypocritement organisée et systématisée. Elle s’affirme tous les jours sous les espèces et apparences du percepteur, du propriétaire, du patron, du gendarme, du gardien de prison, du bourreau, de l’officier, tous professionnels, sous des formes multiples, de la Force, de la Violence, de la Brutalité.

Les Anarchistes veulent organiser l’entente libre, l’aide fraternelle, l’accord harmonieux. Mais ils savent — par la raison, par l’histoire, par l’expérience — qu’ils ne pourront édifier leur volonté de Bien-Être et de Liberté pour tous que sur les ruines des institutions établies. Ils ont conscience que, seule, une Révolution violente aura raison des résistances des maîtres et de leurs mercenaires.

La violence devient ainsi, pour eux, une fatalité ; ils la subissent, mais ils ne la considèrent que comme une réaction rendue nécessaire par l’état permanent de légitime défense dans lequel se trouvent, à toute heure, situés les déshérités.

Cela dit, et pour définir clairement ce qu’est un anarchiste, j’ajoute, dussé-je me répéter — mais il est des vérités sur lesquelles il est bon d’insister — que l’Anarchisme n’est pas une de ces doctrines qui emmurent la pensée et excommunient brutalement quiconque ne s’y soumet pas en tout et pour tout.

L’anarchiste est, par tempérament et par définition, réfractaire à tout embrigadement qui trace à l’esprit des limites et encercle la vie.

Il n’y a, il ne peut y avoir ni Credo, ni Catéchisme libertaires.

Ce qui existe et ce qui constitue ce qu’on peut appeler la doctrine anarchiste, c’est un ensemble de principes généraux, de conceptions fondamentales et d’applications pratiques sur lesquels l’accord s’est établi entre individus qui pensent en ennemis de l’Autorité et luttent, isolément ou collectivement, contre toutes les disciplines et contraintes politiques, économiques, intellectuelles et morales qui découlent de celle-ci.

Il peut donc y avoir et, en fait, il y a plusieurs variétés d’anarchistes mais toutes ont un trait commun qui les sépare de toutes les autres variétés humaines. Ce point commun, c’est la négation du principe d’Autorité dans l’organisation sociale et la haine de toutes les contraintes qui procèdent des institutions basées sur ce principe.

Ainsi, quiconque nie l’Autorité et la combat est anarchiste.



Ici, quelques précisions sont de rigueur. L’Anarchiste considère que dans la société actuelle, l’Autorité revêt trois formes principales engendrant trois groupes de contraintes : 1o la forme politique : l’État ; 2o la forme économique : le Capital ; 3o la forme morale : la Religion. (Il est entendu que le sens que j’attribue, ici, au mot « religion » dépasse, et largement, celui qui s’attache couramment à ce terme. Ici, « Religion » comprend tout ce qui, en principe et en fait, ligote, enchaîne ou paralyse la raison, les sens ou la volonté.) (Voir le mot Religion.)

La première : l’État, dispose souverainement des personnes ; la deuxième : le Capital, règne despotiquement sur les objets ; la troisième : la Religion, pèse sur les consciences et tyrannise les volontés.

L’État prend l’homme au berceau, l’immatricule sur les registres de l’état civil, l’emprisonne dans la famille s’il en a une, le livre à l’Assistance publique s’il est abandonné des siens, l’enserre dans le réseau de ses lois, règlements, défenses et obligations, en fait un sujet, un contribuable, un soldat, parfois un détenu ou un forçat ; enfin, en cas de guerre, un assassiné ou un assassin.

Le capital règne sur les objets : sol, sous-sol, moyens de production, de transport et d’échange, toutes ces valeurs d’origine et de destination communes sont peu à peu devenues, par la rapine, la conquête, le brigandage, le dol, la ruse ou l’exploitation, la chose d’une minorité. C’est l’Autorité sur les choses, consacrée par la législation et sanctionnée par la force. C’est, pour le propriétaire, le droit d’user et d’abuser (jus utendi et abutendi), et, pour le non-possédant l’obligation, s’il veut vivre, de travailler pour le compte et au profit de ceux qui ont tout volé. Établie par les spoliateurs et appuyée sur un mécanisme de violence extrêmement puissant, la Loi consacre et maintient la richesse des uns et l’indigence des autres. L’autorité sur les objets est à ce point criminelle et intangible que, dans les sociétés où elle est poussée jusqu’aux extrêmes limites de son développement, les riches peuvent tout à leur aise et impunément crever d’indigestion, tandis que, faute de travail, les pauvres meurent de faim. ( « La richesse des uns, dit l’économiste libéral J.-B. Say, est faite de la misère des autres. » )

La religion — ce terme étant pris dans son sens le plus étendu et s’appliquant à tout ce qui est Dogme — est la troisième forme de l’Autorité. Elle s’appesantit sur l’esprit et la volonté ; elle enténèbre la pensée, elle déconcerte le jugement, elle ruine la raison, elle asservit la conscience. C’est toute la personnalité intellectuelle et morale de l’être humain qui en est l’esclave et la victime.

Le Dogme religieux ou laïc — tranche de haut, décrète brutalement, approuve ou blâme, prescrit ou défend sans appel : « Dieu le veut ou ne le veut pas. — La Patrie l’exige ou l’interdit. — Le Droit l’ordonne ou le condamne. — La Morale et la Justice le commandent ou le prohibent. »

Se prolongeant fatalement dans le domaine de la vie sociale, la Religion crée, entretient et développe un état de conscience et une moralité en parfait accord avec la morale codifiée, gardienne et protectrice de la Propriété capitaliste et de l’État, dont elle se fait la complice et dont elle devient, ainsi, ce que, dans certains milieux férus de superstition, de chauvinisme, de légalité et d’Autoritarisme, on appelle volontiers « la gendarmerie préventive et supplémentaire ».

(Je ne prétends point épuiser ici l’énumération de toutes les formes de l’Autorité et de la Contrainte. J’en signale les essentielles et, pour qu’on s’y retrouve plus aisément, je les classifie. C’est tout.)

Négateurs et adversaires implacables du principe d’Autorité qui, sur le plan social, revêt une poignée de privilégiés de la toute-puissance et met au service de cette poignée la Loi et la Force, les Anarchistes livrent un combat acharné à toutes les Institutions qui procèdent de ce principe et ils appellent à cette bataille nécessaire la masse prodigieusement nombreuse de ceux qu’écrasent, affament, avilissent et tuent ces Institutions.

Nous voulons anéantir l’État, supprimer la Propriété capitaliste et éliminer de la vie l’Imposture religieuse, afin que, débarrassés des chaînes dont la pesanteur écrasante paralyse leur marche, tous les hommes puissent enfin — sans Dieu ni Maître et dans l’indépendance de leurs mouvements — se diriger, d’un pas accéléré et sûr, vers les destinées de Bien-Être et de Liberté qui convertiront l’enfer terrestre en un séjour de félicité.

Nous avons l’inébranlable certitude que, lorsque l’État, auquel s’alimentent toutes les ambitions et rivalités, lorsque le Capital qui fomente la cupidité et la haine, lorsque la Religion qui entretient l’ignorance et suscite l’hypocrisie auront été frappés de mort, les vices que ces trois Autorités conjuguées jettent au cœur des hommes disparaîtront à leur tour. « Morte la bête, mort le venin ! »

Alors, personne ne cherchera à commander, puisque, d’une part, personne ne consentira à obéir, et que, d’autre part, toute arme d’oppression aura été brisée ; nul ne pourra s’enrichir aux dépens d’autrui, puisque la fortune particulière aura été abolie ; prêtres menteurs et moralistes tartufes perdront tout ascendant, puisque la nature et la vérité auront repris leurs droits.



Cette thèse anarchiste entraîne, dans la pratique, quelques conséquences qu’il est indispensable de signaler.

Le rapide exposé de ces corollaires suffira à situer les Anarchistes face à tous les autres groupements et à toutes les autres thèses et à préciser les traits par lesquels nous nous différencions de toutes les autres Écoles philosophico-sociales.

Première conséquence. — Celui qui nie et combat l’Autorité morale : la Religion, sans nier et combattre les deux autres, n’est pas un véritable anarchiste et, si j’ose dire, un anarchiste intégral, puisque, bien qu’ennemi de l’Autorité morale et des contraintes qu’elle implique, il reste partisan de l’Autorité économique et politique.

Il en est de même et pour le même motif, de celui qui nie et combat la Propriété capitaliste, mais admet et soutient la légitimité et la bienfaisance de l’État et de la Religion.

Il en est encore ainsi de celui qui nie et combat l’État, mais admet et soutient la Religion et le Capital.

L’Anarchiste intégral condamne avec la même conviction et attaque avec une égale ardeur toutes les formes et manifestations de l’Autorité et il s’élève avec une vigueur égale contre toutes les contraintes que comportent celles-ci ou celles-là.

Donc, en fait comme en théorie, l’Anarchiste est antireligieux, anticapitaliste (le capitalisme est la phase présentement historique de la Propriété) et anti-étatiste. Il mène de front le triple combat contre l’Autorité. Il n’épargne ses coups ni à l’État, ni à la Propriété, ni à la Religion. Il veut les supprimer tous les trois.

Deuxième conséquence. — Les Anarchistes n’accordent aucune efficacité à un simple changement dans le personnel qui exerce l’Autorité. Ils considèrent que les Gouvernants et les possédants, les prêtres et les moralistes sont des hommes comme les autres, qu’ils ne sont, par nature, ni pires ni meilleurs que le commun des mortels et que, s’ils emprisonnent, s’ils tuent, s’ils vivent du travail d’autrui, s’ils mentent, s’ils enseignent une morale fausse et de convention, c’est parce qu’ils sont fonctionnellement dans la nécessité d’opprimer, d’exploiter et de mentir.

Dans la tragédie qui se joue, c’est le rôle du Gouvernement, quel qu’il soit, d’opprimer, de faire la guerre, de faire rentrer l’impôt, de frapper ceux qui enfreignent la loi et de massacrer ceux qui s’insurgent ; c’est le rôle du capitaliste, quel qu’il soit, d’exploiter le travail et de vivre en parasite ; c’est le rôle du prêtre et du professeur de morale, quels qu’ils soient, d’étouffer la pensée, d’obscurcir la conscience et d’enchaîner la volonté. (Qui ne veut ni opprimer, ni exploiter, ni mentir, n’a qu’à refuser d’être gouvernant, patron, magistrat, policier, officier, prêtre, etc.)

C’est pourquoi nous guerroyons contre les bateleurs, quels qu’ils soient, des partis politiques, quels qu’ils soient, leur unique effort tendant à persuader aux masses dont ils mendient les suffrages, que tout va mal parce qu’ils ne gouvernent pas et que tout irait bien s’ils gouvernaient.

Troisième conséquence. — Il résulte de ce qui précède que, toujours logiques, nous sommes les adversaires de l’Autorité à exercer au même titre et au même degré que de l’Autorité à subir.

Ne pas vouloir obéir, mais vouloir commander, ce n’est pas être anarchiste. Refuser de laisser exploiter son travail, mais consentir à exploiter le travail des autres, ce n’est pas être anarchiste. Le libertaire se refuse à donner des ordres autant qu’il se refuse à en recevoir. Il ressent pour la condition de chef autant de répugnance que pour celle de subalterne. Il ne consent pas plus à contraindre ou à exploiter les autres qu’à être lui-même exploité ou contraint. Il est à égale distance du maître et de l’esclave. Je puis même déclarer que, tous comptes faits, nous accordons à ceux qui se résignent à la soumission les circonstances atténuantes que nous refusons formellement à ceux qui consentent à commander ; car les premiers se trouvent parfois dans la nécessité — c’est pour eux, en certains cas, une question de vie ou de mort — de renoncer à la révolte, tandis que personne n’est dans l’obligation d’ordonner, de faire fonction de chef ou de maître.

Ici éclatent l’opposition profonde, et la distance infranchissable qui séparent les groupements anarchistes de tous les partis politiques qui se disent révolutionnaires ou passent pour tels. Car, du premier au dernier, du plus blanc au plus rouge, tous les partis politiques ne cherchent à chasser du Pouvoir le parti qui l’exerce que pour s’emparer du Pouvoir et en devenir les maîtres à leur tour. Tous sont partisans de l’Autorité… à la condition qu’ils la détiennent eux-mêmes.

Quatrième conséquence. — Nous ne voulons pas seulement abolir toutes les formes de l’Autorité, nous voulons encore les détruire toutes simultanément et nous proclamons que cette destruction totale et simultanée est indispensable.

Pourquoi ?

Parce que toutes les formes de l’Autorité se tiennent ; elles sont indissolublement liées les unes aux autres. Elles sont complices et solidaires. En laisser subsister une seule, c’est favoriser la résurrection de toutes. Malheur aux générations qui n’auront pas le courage d’aller jusqu’à la totale extirpation du germe morbide, du foyer d’infection ! Elles verront promptement reparaître la pourriture. Inoffensif au début, parce qu’inapparent, imperceptible et comme sans force, le germe se développera, se fortifiera et lorsque le mal, ayant perfidement et dans l’ombre grandi, éclatera en pleine lumière, il faudra recommencer la lutte pour le terrasser définitivement.

Cette vérité est de celles que Élisée Reclus, incomparable géographe et anarchiste convaincu, a merveilleusement condensées en écrivant : « Aussi longtemps que la Société sera basée sur l’Autorité, les Anarchistes resteront en état perpétuel d’insurrection. »

Il faut anéantir l’Autorité. Tel est le « delenda Carthago » des Anarchistes. (Voir Capital, État, Propriété, Morale, Religion.).

Sébastien Faure.


ANASTASIE. Sobriquet donné à la censure (voir ce mot), que les caricaturistes représentent ordinairement sous les traits d’une horrible mégère, le long nez chevauché par une paire de lunettes, dans la main d’énormes ciseaux, et qui coupe sans pitié tout ce qui dépasse la longueur prévue par le règlement. Symbole de ridicule et de décrépitude.


ANATHÈME. n. m. (du grec anathêma, chose mise à part, séparée, le plus ordinairement offrande réservée à quelque divinité). Chez les Païens comme chez les premiers Chrétiens, le mot « anathème » a été pris dans un sens favorable et dans un sens odieux. Dans un sens favorable, chez les Païens : victimes, offrandes consacrées aux dieux du ciel, de la terre et de la mer. Les anathèmes étaient ou des animaux, ou des fleurs, parfois même des productions artistiques. Chez les premiers Chrétiens, toutes sortes d’offrandes, principalement celles qu’on suspendait, dans les églises, en souvenir de quelque grâce reçue du ciel. Dans un sens odieux : chez les Païens, victimes consacrées aux divinités infernales ; chez les Chrétiens primitifs, toute personne ou objet, destiné à la destruction.

En droit ecclésiastique, l’anathème est une sentence prononcée par un haut dignitaire de l’Église ou par un Concile, qui rejette hors du sein de la Société religieuse ceux qui en sont atteints et les voue aux flammes de l’enfer. On dit : « prononcer, fulminer, lancer l’anathème ; frapper d’anathème ; dire anathème à quelqu’un, lever l’anathème, s’exposer aux anathèmes. Par extension, anathème signifie réprobation, blâme solennel : « tout le monde jette l’anathème à l’assassin. » L’anathème et l’excommunication ne doivent pas être confondus. Ce sont deux mesures bien distinctes : l’excommunication interdit au Chrétien l’accès de l’Église et la communion ; l’anathème fait plus : il le retranche de la Société des fidèles. L’excommunication ne peut toucher les hérétiques, puisqu’ils sortent volontairement de la communion ; c’est l’anathème qui leur est réservé, ainsi, du reste, qu’aux grands criminels dans l’ordre politique et moral. Ces mots : anathème, excommunication qui, de nos jours, laissent indifférents les uns et font sourire de pitié les autres n’ont plus qu’une valeur historique ; mais, durant des siècles et aux époques de l’hégémonie catholique, ils possédaient un immense et terrible retentissement. Nul Chrétien n’osait les prononcer, ni même y songer, sans éprouver un indicible frissonnement. Au moyen âge, celui qui avait encouru l’anathème (voir moyen-âge, excommunication) était, de son vivant, en proie aux tourments de l’enfer. Pour lui, plus de repos, plus de tranquillité, plus de sommeil ; ses amis, ses proches le fuyaient comme un maudit, un lépreux ou un pestiféré. S’il ne se repentait pas publiquement, s’il ne faisait pas amende honorable, s’il n’était pas admis à résipiscence, il ne trouvait de calme que dans la mort. Souvent, l’anathème frappait des hérétiques de haute intelligence, de vaste culture et de puissante énergie ; ceux-ci, forts de leurs croyances, bravaient superbement la sentence d’anathème qui faisait trembler les autres et ils subissaient héroïquement le martyre plutôt que de se soumettre. Armand de Brescia, Jean Huss, Jérôme de Prague, nombre d’autres encore furent ainsi torturés, brûlés, après avoir été anathématisés. Si ces procédés monstrueux ne sont plus usités à notre époque, ce n’est pas que l’Église catholique les ait réprouvés et y ait renoncé d’elle-même ; c’est, uniquement, parce que l’Église, ayant perdu en partie sa prestigieuse puissance, ne pourrait se permettre de tels crimes sans soulever contre elle la réprobation et la révolte. — S. F.


ANATOMIE. n. f. (du grec ana, à travers et tomé, section). C’est l’étude de la structure des êtres organisés, à l’aide de la dissection. Dans un sens plus général et plus étendu, c’est l’étude des corps organisés, soit végétaux, soit animaux, pour nous faire connaître les organes et les parties élémentaires qui entrent dans la composition de ces êtres, non seulement au point de vue de leurs formes, de leur structure, de leurs connexions et de leurs propriétés physiques, mais encore sous celui de leur structure intime, de leurs propriétés chimiques, de leur développement et de leurs altérations. Cette science est la base de toutes celles qui ont pour objet les organismes vivants, telles que les sciences zoologique, physiologique et médicale qui lui sont redevables de tous leurs progrès. Considérée ainsi, l’anatomie embrasse un champ immense, dont les divisions et subdivisions forment tout autant de sciences qui portent des noms spéciaux composés du nom du sujet dont cette science s’occupe et du mot tomie, qui signifie section, ou bien encore, elles gardent le nom générique d’anatomie modifié par un terme spécial. L’anatomie est dite descriptive quand elle étudie et décrit les organes les uns après les autres et indique leur poids, leur forme, etc. ; elle est dite générale, quand elle étudie les tissus et non les organes ; elle est pathologique quand elle étudie les lésions dues aux maladies ; topographique, quand elle se limite à une région déterminée. On la dénomme comparée, quand elle concerne l’étude d’un organe dans la série des êtres. Enfin, l’anatomie végétale s’occupe des tissus végétaux.

L’anatomie a été étudiée par les anciens. Parmi les causes qui ont retardé ses progrès, on doit surtout citer les préjugés religieux fort répandus dans l’antiquité et dont le christianisme hérita (comme de tant d’autres choses). Il faut venir jusqu’à Aristote pour trouver un véritable anatomiste ; encore n’est-on pas certain qu’il ait disséqué des cadavres humains. Il est, toutefois, le véritable créateur de la zoologie comparée et, en quelque sorte, le fondateur de l’anatomie générale dont il jeta les fondements. Après Aristote, c’est l’école d’Alexandrie qui, sous les Ptolémées, enseigne l’anatomie. C’est là que Protagoras va l’étudier et donner le nom d’artères aux vaisseaux qui partent de l’aorte. Hérophile distingue les nerfs des ligaments et découvre qu’ils président aux sensations et aux mouvements. Deux siècles plus tard, les travaux de Galien de Pergame témoignent d’immenses recherches et d’une remarquable sagacité. Mais Galien n’opère que sur des singes ; de là, des erreurs qui entravent la science aussi longtemps que persiste la foi dans le Maître : quatorze siècles environ. Enfin, Vésale vint qui affranchit l’anatomie, en ruinant la réputation de Galien. Depuis, elle a marché d’un pas rapide. Au xvie siècle, la Faculté de Médecine de Paris obtint le droit de prendre le cadavre des suppliciés. Servet découvre la petite circulation. En 1619, l’anglais Harvey découvre et démontre la circulation du sang ; l’italien Aselli et le suédois Rudbeck font connaître les vaisseaux lymphatiques et chylifères. En 1637, le hollandais Swammerdam écrit la Bible de la Nature. En 1638, le hollandais Leuwen-Loeck découvre le monde microscopique. Au commencement du xixe siècle, l’illustre Bichat publie l’Anatomie générale appliquée à la physiologie et à la médecine, ouvrage conçu et exécuté avec tant de maîtrise que, malgré quelques erreurs de détails, c’est encore le meilleur qu’on connaisse. Puis, Cuvier étonna le monde savant en démontrant que le globe avait été peuplé par des races d’animaux éteintes et en reconstituant le squelette de ces animaux à l’aide de débris dispersés. (Voir le mot « Paléontologie ».) L’anatomie doit encore beaucoup et d’immenses progrès aux travaux des Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, Tenon, Béclard, Milne Edwards, Auzouk, Carl Vogt, Owen, Malgaigne, etc.


ANCÊTRES. n. m. (du bas latin ancestor, corruption du latin antecessor, celui qui précède, qui marche devant ; formé de ante auparavant et cedere marcher). Au pluriel et pris dans son sens le plus large, le mot « Ancêtres » représente l’incalculable lignée de tous ceux qui ont vécu avant nous, qui nous ont précédés dans la marche ininterrompue du temps écoulé et de qui nous pouvons tenir quelque chose, de quelque nationalité qu’ils soient. Dans les familles nobles, dans les maisons illustres, on limite le cercle des Ancêtres aux ascendants qui ont porté le même nom ou appartenu à la même maison : « Faire honneur à ses ancêtres. Descendre de ses ancêtres. » Étendu à une nation, à un peuple, à une race, le mot Ancêtres s’applique à ceux qui, dans l’histoire de cette race, de cette nation ou de ce peuple, ont marqué leur empreinte par des actions d’éclat, d’éminentes qualités, des traits spéciaux, des vertus particulières ou des services exceptionnels. Au Moyen-Âge, au temps de la féodalité et, de nos jours encore, dans les pays où les distinctions de castes et de classes sont nettement et brutalement tranchées, on attache une grande importance aux questions d’ascendance et d’origine, l’héritage moral et physique se confondant, en l’espèce, avec celui des biens matériels ; terres, châteaux, bijoux, objets d’art, souvenirs de famille, traditions, us et coutumes, toutes ces choses étant étrangement enchevêtrées et formant comme une sorte de patrimoine familial.

Toutefois, notre époque tend de plus en plus à la disparition de ces pauvres vanités, en dépit du sot orgueil des familles, emmillionnées par la spéculation et la rapine, qui ambitionnent de faire de leurs titres de rente des titres de noblesse. Le mérite personnel tend à se substituer à celui que, naguère encore, les dégénérés et crétins, porteurs d’un nom illustre et respecté, empruntaient à leurs ancêtres. « Tant qu’on peut se parer de son propre mérite, on n’emprunte point celui de ses ancêtres. » (Saint-Evremond). Vices et vertus, défauts et qualités, lâcheté et vaillance, laideur et beauté, ignorance et savoir, rentrent peu à peu dans le domaine strictement individuel, et le jour n’est plus très loin où il sera admis, partout et par tous, que ces expressions : « noble extraction » et « basse origine » sont sans réelle portée, et découlent d’un fait circonstanciel dont l’individu n’aura ni à rougir ni à s’enorgueillir. Il est reconnu déjà et accepté par tous les esprits équitables, que les responsabilités, en quelque matière que ce soit, sont d’ordre personnel. Pourquoi ne serait-il pas proclamé demain que les mérites le sont aussi ?



Influence des Ancêtres. — Il est cependant impossible de méconnaître l’influence considérable que les Ancêtres exercent sur nous, individuellement et socialement. Par voie d’hérédité, chacun de nous reproduit assez fidèlement ses ascendants ; il en recueille les forces et les faiblesses ; il hérite de leurs tares ; il bénéficie de leurs qualités ; il reflète, dans une mesure appréciable, leurs prédispositions et leurs aptitudes ; il porte en soi sensiblement les tendances, les aspirations, les instincts par lesquels se sont signalés ses prédécesseurs dans l’arbre généalogique sur lequel il est ramifié. Cette influence ne va pas, reconnaissons-le, jusqu’à le dominer entièrement, jusqu’à lui enlever toute volonté personnelle, tout développement à lui, bien à lui et, encore moins, toute possibilité de réagir et de se soustraire à cette influence. Mais il n’en est pas moins vrai que cette conquête de soi-même, en lutte contre la pression multiforme qu’exerce sur lui, physiquement, intellectuellement et moralement, la famille à laquelle, de naissance, il appartient, exige, le plus fréquemment, des efforts persévérants et énergiques. (Voir : alcoolisme, atavisme, culture, éducation, enfant, hérédité, rachitisme, tuberculose.)

Considéré comme être social, l’individu subit plus fortement encore l’influence des Ancêtres. Formidable est le poids qui, d’âge en âge, de civilisation en civilisation, accable l’homme du vingtième siècle. Celui-ci est le présent anneau — dernier en date — de l’imbrisable chaîne qui relie le contemporain au primitif. L’enfant dont la vie commence aujourd’hui est le continuateur de toutes les générations qui, depuis des temps immémoriaux, ont vécu sur notre globe. Il est comme la synthèse de tous les siècles révolus. Grandeur et décadence, servitude et révolte, courage et lâcheté, imbécillité et génie, puissance et débilité, cruauté et bonté, violence et mansuétude, audace et timidité, amour et haine, il est le résumé et l’aboutissant de ces poussées, de ces luttes, de ces progrès et de ces reculs, de ces incessantes et tragiques batailles, de ces ruptures et de ces rapprochements, de ces ruées de haine et de ces élans de fraternité qui tour à tour ont agité, soulevé, emporté frénétiquement les tribus, les races et les peuples. De toutes les étapes parcourues par les hommes depuis qu’ils sont sortis de la bestialité originelle jusqu’à nos jours, chacun a déposé sa marque — plus ou moins affaiblie par la distance, mais certaine — dans l’homme d’aujourd’hui. Celui-ci est comme un tableau noir sur lequel chaque époque aurait tracé une inscription, en sorte que, pour y inscrire ce qui vient de lui-même, il faut que, tout d’abord, il efface tout. Notre génération vit sous cette écrasante pyramide de morts qui, de leur vivant, ont confectionné les lois qui nous régissent, élaboré les idées qui nous gouvernent, forgé la tradition qui nous enchaîne, établi les institutions qui nous emprisonnent, façonné les sentiments qui nous impulsent. Est-ce à dire que ces sentiments, ces institutions, cette tradition, ces idées et ces lois nous enserrent si étroitement qu’il nous soit impossible d’en briser le réseau de fer ? Est-ce à dire que telle est la pression subie par nous, que la présente génération est condamnée à lui rester soumise et qu’elle soit dans l’incapacité de s’y dérober ? Évidemment non. Mais la pesée des disparus est si massive et si lourde que, rien que pour y échapper, il est indispensable que les vivants y consacrent le meilleur et le plus décisif de leur vigueur et de leurs efforts persistants.

« Nous vivons avec les morts ». Cette assertion n’est que trop exacte et certaines écoles — entr’autres l’École Positiviste d’Auguste Comte — ont poussé si loin cette constatation et en ont extrait de telles conséquences, qu’elles ont abouti à couler l’Individu dans le creuset des collectivités successives et qu’elles en sont arrivées à sacrifier totalement l’unité vivante à la somme fabuleuse des morts et à celle qui, sous l’appellation générique et vague de « Humanité », englobe, dévore et escamote les réalités vivantes et concrètes et les jette, pêle-mêle, dans le gouffre sans fond des générations passées, présentes et futures.

Eh bien ! Les Anarchistes n’acceptent pas de vivre avec les morts et ils se révoltent contre la domination, que les puissances du jour, au nom du passé qu’elles se targuent de représenter, prétendent leur infliger. Ils ne sont ni assez ignorants ni assez ingrats pour nier ce qu’ils doivent à leurs devanciers ; ils apprécient, autant qu’il est juste, les efforts accomplis et qui sont profitables aux générations présentes ; ils se sentent les successeurs de tous ceux qui, depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque, ont lutté pour briser les entraves, écarter les obstacles et élargir la route ; ils rendent hommage aux grands Ancêtres qui ont, à leur époque, bataillé contre les douleurs de l’esclavage, au labeur opiniâtre et fécond des chercheurs et des savants qui, dans la lenteur des siècles, ont arraché à la Nature les secrets qu’elle gardait jalousement enfermés dans son sein ; ils exaltent la ferveur et l’héroïsme avec lesquels les hommes de toutes conditions, animés de l’esprit de Révolte, se sont dressés contre le despotisme des Gouvernants et la rapacité des Riches. Pour tout dire en quelques mots, ils sont pénétrés de ce qu’ils doivent à ceux de leurs Ancêtres qui ont creusé le sillon et y ont jeté la semence des récoltes fertiles ; mais ils proclament que c’est l’Humanité tout entière, et non pas une fraction de· celle-ci, qui doit moissonner et que le travail des Ancêtres doit être profitable à tous et non pas à quelques-uns seulement.

Influence des Ancêtre ? Oui ! les anarchistes la constatent. Ils ont les yeux trop grandement ouverts sur les réalités pour la nier. Mais ils ne consentent pas à en être les victimes résignées, tandis que d’autres en sont les arrogants profiteurs. Ils entendent : d’abord, étendre à tous, sans exception aucune, le bénéfice ou la charge de tout ce qui, dans le passé, a été utile ou nuisible à l’espèce humaine ; ensuite, — ce patrimoine de honte et de gloire, de succès et de revers, ayant été, par la Révolution sociale, mis fraternellement en commun, sans exception d’aucune sorte, de façon que personne n’en soit et n’en puisse être frustré, — ils veulent instaurer un milieu social (voir Anarchie) qui assure à chaque Individu le droit et les moyens de briser l’influence des Ancêtres, quand, par la force souvent néfaste du passé, elle s’oppose à la marche en avant vers la lumière, vers les modes nouveaux d’existence, vers des arrangements sociaux égalitaires et fraternels, vers le rayonnement de la pensée, vers l’épanouissement de la vie.

Sébastien Faure.

ANIMISME n. m. (du latin anima, âme). Système philosophique, créé par Stahl, dans lequel l’âme est la cause première des faits vitaux aussi bien que des faits intellectuels et moraux. Les vitalistes, au contraire, admettent, à côté de l’âme, un principe vital. C’est Stahl qui a réuni en un corps de doctrine, les idées éparses sur l’animisme et dont les principales remontent à Aristote. La vie, d’après lui, ne peut être ramenée ni aux lois générales du mouvement, ni à un système de combinaisons chimiques : le principe vital est proprement l’âme pensante.

ANONYMAT (an, priv., et gr. onuma, nom, qui n’a pas de nom, sans nom) — Des faits de plus en plus nombreux ont attiré l’attention sur ce vocable, qui jouit désormais d’une triste célébrité. La chose qu’il désigne est proprement sans nom ! — L’anonymat est par excellence l’arme des lâches, des résignés, des timorés, des faibles, des impuissants méchants ou bêtes. Des gens seront toute leur vie des anonymes : anonymes dans leurs actes, dans leurs sentiments, dans leurs pensées. Ils manquent de personnalité. Mais pour nuire ils retrouvent toute leur énergie. Comme ces larves sans yeux qui désagrègent les bois les plus durs, ils s’attaquent aux âmes nobles et élevées, et tentent d’abattre la pensée hautaine et solitaire qui dédaigne la populace. Combien de crimes dont nous ignorerons à jamais les auteurs ! Souvent, les anonymes nuisent plus par leur silence que par leurs paroles : ils ont juré de perdre le génie et tous les moyens leur sont bons. Il faut qu’ils suppriment ceux qui ne pensent pas comme eux (ce qui équivaut à ne pas penser du tout). — Ces lâches anonymes, qui n’ont pas le courage de leurs opinions (!), sont pour nous des barbares, des ennemis, des étrangers (bien qu’ils prêchent l’union sacrée) avec lesquels nous n’avons rien de commun. Ils ont de la vie — et de l’art — une conception différente de la nôtre. Par ces temps d’hypocrisie et de mensonge, il fallait s’attendre à voir l’anonymat devenir comme une sorte de symbole de la décadence sociale. Il résume nos mœurs politiciennes. Il a le privilège de représenter un état d’esprit, il est à la hauteur des événements. Nul autre temps ne lui fut sans doute aussi favorable. C’est l’ère de l’anonymat qui commence, une ère de délations et de persécutions comme aux époques les plus sinistres de l’Histoire. Chaque époque a ses anonymes, et la nôtre a les anonymes qu’elle mérite. — Il y a les anonymes qu’on connaît et les anonymes qu’on ne connaît pas. Les uns et les autres sont aussi dangereux. Les premiers, malgré leur dissimulation, sont vite repérés. Les seconds, c’est n’importe qui, des gens qu’on rencontre qu’on ne reverra sans doute jamais, mais qu’il suffira d’avoir vus une fois pour les juger ; des parasites, des sous-ordres qui s’inclinent devant un « patron », suivent les conseils d’un directeur d’inconscience, s’auto-suggestionnent ou se laissent dominer par le premier et le dernier venu, prêts à offrir à qui leur demandera leurs témoignages avariés et leurs paroles d’honneur suspectes. Qu’importe leurs noms ! Ils ne comptent pas (ils comptent cependant par leurs méfaits). — On est à la merci d’X mystérieux, qui ne se fatiguent pas de répéter quotidiennement les mêmes sales gestes. La méchanceté comme la bêtise est inlassable. — L’administration, la presse et la littérature (pseudo-) sont remplies d’anonymes dont l’unique fonction est de nuire à ceux qui leur déplaisent (pour leur déplaire, il suffit d’être indépendant). Anonymes de la diplomatie et de la politique tiennent entre leurs mains la destinée des individus : leur pouvoir occulte exerce ses ravages sans limites et sans contrôle), ils sont irresponsables. Il y a des sociétés anonymes de mercantis qui volent légalement les esprits simples qui leur confient leurs intérêts. Policiers-anonymes se chargent de faire respecter l’autorité au moyen de rapports rédigés en dépit du bon sens. La puissance térébrante des anonymes est telle que bien peu d’individus résistent à son action souterraine et méthodique (seules les âmes fortement trempées en viennent à bout). Ce qui guide l’anonyme dans ses pérégrinations, inquisitions, perquisitions, dénonciations, c’est l’amour du mensonge ; c’est le besoin de satisfaire de vieilles rancunes et d’assouvir de petites vengeances. C’est l’intérêt. L’anonyme est souvent un raté et un mécontent qui rend les autres responsables de sa non-réussite (!). Il faut qu’il s’en prenne à quelqu’un de son néant. Les anonymes sont plats comme des punaises (c’est faire injure à ces animalcules que de leur comparer ces tristes sbires !) Cette lâcheté sans nom (elle n’a de nom dans aucune langue, comme la pourriture dont parle Bossuet) qui consiste à jeter la suspicion sur celui-ci ou celui-là, pour le perdre irrévocablement dans l’esprit de mauvais juges et de méchantes gens, est tolérée, encouragée et récompensée par une société qui a horreur de la vérité. La société entretient dans son sein l’anonymat, il est nécessaire à son existence. Elle a horreur de ceux qui ont une personnalité, qui s’élèvent au-dessus de la moyenne. Qui n’a pas été victime — au moins une fois dans sa vie — des agissements de quelque anonyme qu’on ne soupçonne pas, et qui souvent n’est pas loin, jaloux de votre « place » qu’il cherche à prendre, — ami, confrère ou collègue, — et qu’une idée fixe domine : vous faire du tort ? Parfois on se demande ce qu’on a bien pu faire à tel ou tel personnage pour qu’il vous regarde de travers. Ne cherchez pas. C’est quelque anonyme, tapi dans un coin, qui observe chaque jour vos gestes, et qui les lui rapporte, sans que vous vous en doutiez. C’est toujours infidèlement que l’anonyme rapporte vos paroles, c’est en les déformant, c’est en les dénaturant. Il falsifie vos idées, il vous prête des sentiments que vous n’avez pas. Ce mouchard amateur, inconscient et borné, sait pourtant bien ce qu’il fait : il sait qu’en falsifiant tel document, qu’en interprétant telle pensée, il vous enverra au bagne ou… à la mort (et s’évitera ainsi d’y aller lui-même, car tout bon anonyme a quelque chose sur la conscience, qu’il cherche à se faire pardonner). — Quiconque pense est tôt ou tard victime du mouchardage et de la délation. On laisse de côté l’imbécile : mais celui qui pense, et qui a le tort de dire ce qu’il pense, malheur à lui, son compte est bon ! C’est alors que l’anonyme accomplit une fonction vraiment sociale : contribuer à supprimer ce qui dépasse le niveau commun, faire rentrer chacun dans le rang. — Les plaintes anonymes pleuvent pendant la guerre. Elle favorise l’éclosion d’un certain héroïsme. Des gens, qui ne savent comment se rendre utiles, se révèlent soudain moralistes et hommes de devoir. — On rencontre, — ceci n’est pas un paradoxe — des anonymes sincères : il y a des gens qui croient vraiment accomplir une besogne salutaire en dénonçant leurs voisins. Ils font ce qu’ils peuvent, ce sont des mystiques de la dénonciation, extrêmement dangereux, souvent plus bêtes que méchants. — Surveillez vos propos : ils peuvent tomber dans les oreilles d’un anonyme qui vous écoute. — L’administration accueille à bras ouverts l’anonymat qui lui fournit l’occasion de se débarrasser d’un « fonctionnaire » gênant. Le pire c’est que ce dernier ne connaît jamais les termes exacts de l’accusation. Il ne peut se défendre. Il ne sait pas ce que contient son dossier ! — La vermine anonyme qui grouille dans les bas-fonds d’une certaine presse, composée de ratés et de laissés-pour-compte de tous les milieux (anarchistes et bourgeois bons à mettre dans le même sac, rien ne les différenciant qu’une étiquette) contribue à doter notre époque d’une beauté spéciale. Sous le voile de l’anonymat, les journalistes-policiers abritent leurs petites saletés, lâchetés et insanités. Leurs insinuations perfides sont autant de flèches empoisonnées qu’ils décochent des officines qui leur servent d’abri. Ils perpètrent sans danger (pas toujours) les pires forfaits. — Les hommes-de-lettres anonymes foisonnent, ils sont légion et sont la plaie de notre époque. Les belles-lettres sont devenues les laides-lettres. Ils ne signent pas leurs « ordures » et se croient tout permis. Ils versent le poison et se sauvent aussitôt. Ils vous tirent lâchement dans le dos. Ils ont de l’influence, naturellement, et des titres. Ce sont des êtres malfaisants, dépourvus d’héroïsme, mais non d’égoïsme, qui se servent de la calomnie pour « arriver ». Nuire est leur but de guerre. Ils trahissent leurs amis et ménagent leurs ennemis. Ce sont de tristes individus. — Le cambrioleur qui opère dans les grands quartiers, sous un nom qui inspire confiance, met des gants pour dépouiller ses victimes ; l’anonyme des salles de rédaction ne met point de gants, lui, pour tuer ses amis. Il opère, non à ses risques et périls, comme l’apache, mais sous le regard bienveillant de ses chefs, qui l’encouragent, se dispensant de faire eux-mêmes la besogne, et lui paient ses… échos (l’anonyme n’oublie jamais de passer à la caisse, plutôt deux fois qu’une, c’est un des traits de son caractère !), le récompensant de ses services par quelques pièces de cent sous. L’anonyme se vend (dans les prix doux, — il ne vaut pas cher. Quelquefois, il faut y mettre un prix raisonnable, par exemple s’il est académicien !). Untel a de l’avancement (bien mérité), et une sinécure. On y ajoute un ruban, incapable de faire autre chose que de « moucharder », l’anonyme trouve toujours à s’employer. Il s’embusque quelque part. Il ne meurt jamais de faim (il y a cependant des exceptions !) Empêcher certains individus de « calomnier », ce serait leur ôter le pain de la bouche. Ils font ce qu’ils peuvent pour vivre, et leur sort n’est pas enviable ! L’anonyme touche des pots-de-vin, est à la solde des gouvernants. Le pouvoir s’en sert pour les besognes les plus louches. L’autorité lui confie des « missions ». C’est un répugnant personnage, qui mange à tous les râteliers, se plie à toutes les circonstances, s’adapte à tous les milieux. Sa fonction essentielle est de ramper. Il donne au verbe « servir » sa véritable signification. — Il est des calomniateurs qui signent leurs articles. Ils les signent soit pour se faire de la réclame, comptant que leurs révélations « sensationnelles » feront du bruit, soit dans n’importe quel but, mais enfin, ils les signent. On sait que tel énergumène a mis son nom au bas d’une saleté.

On peut lui répondre. Sans doute ont-ils intérêt à se faire connaître, et c’est pourquoi il ne faut pas trop exagérer leur mérite. Ils espèrent ainsi qu’on les croira sur parole. Et ils n’en sont pas moins pour cela au-dessous de tout. Ils n’ont pas l’excuse de s’être dévoilés. C’est plutôt une circonstance aggravante. On sait néanmoins d’où viennent les coups. On ne s’étonne plus, le « monsieur » étant avantageusement connu. On a devant soi un être en chair et en os. Mais que dire de ceux qui insinuent, avec des apparences de vérité et une habile consommée, par la voie de la presse, ou par toute autre voie, leurs petites perfidies, sans dire : « C’est moi. Je revendique hautement la responsabilité de mes actes. Je signe, donc j’existe ». Mais ces gens-là n’ont jamais eu et n’auront jamais le courage de leurs lâchetés. Ils resteront malhonnêtes jusqu’au bout. On est tente de s’écrier : « Montrez-vous qu’on vous voie ! Êtes-vous petits ou grands ? bien bâtis, ou mal fichus ? Qu’on connaisse vos défauts, et aussi vos qualités (?). Qu’on sache où vous trouver. Soyez des hommes, pensez bassement, si cela vous plaît, mais au moins faites-vous connaître ! » — L’anonyme a beau se cacher sous différents pseudonymes, on le reconnaît toujours. Il change de couleur, mais sent toujours mauvais : l’odeur ne trompe pas. On le sent, on le voit venir. Un simple serrement de main est une révélation. Un regard suffit à vous renseigner. On voudrait ignorer l’anonyme : c’est impossible : il est omniprésent et s’attache a vos pas. Il est un et plusieurs, agit seul ou de concert ; c’est une masse, et c’est un individu. L’anonyme finit toujours par être découvert : on le découvre où il se terre, et tout le monde le montre au doigt. C’est le secret de polichinelle. On sait quel métier il fait et son nom court les rues. On sait à quoi s’en tenir sur son compte. On sait ce que valent ses « compliments » et ses « avances ». On s’éloigne de lui comme de la peste. On lui tourne le dos et on fait sur son nom la conspiration du silence (pour une fois, cette fameuse conspiration a un sens). Là est le châtiment de l’anonyme (que tout le monde connaît) qui n’a pas le courage de ses opinions (?), car croyez bien que ce n’est pas par modestie qu’il néglige de mettre son paraphe au bas de ses articles. C’est par haine de la beauté qu’il calomnie, une de ces haines instinctives comme en ont les médiocres qui seraient incapables de dire ce qu’elle est, mais la découvrent où elle est. — C’est donner beaucoup d’importance aux faits et gestes de l’anonyme (que tout le monde connaît) que de leur accorder la moindre attention. Ils ne présentent aucun intérêt. Si on refusait de le prendre au sérieux, son influence serait nulle et il en serait réduit à se tourner les pouces : mais la bêtise l’applaudit, et il trouve un écho chez les imbéciles (dont le nombre est infini !). L’anonymat acquiert des forces en courant, comme la renommée, soutenu par les encouragements de ses « pairs ». Il exerce sa coupable « industrie » avec l’assentiment de la majorité. Ses gestes sans intérêt offrent cependant un certain intérêt : ils sont un symptôme de décomposition sociale et nous ouvrent des « horizons ». — Les maux qui enlaidissent notre époque, parmi lesquels le culte de l’incompétence qui est à la fois national et international, la peur des responsabilités, le manque d’initiative qui caractérise administrateurs et administrés de toutes races ont leur source dans ce pouvoir anonyme des médiocres, pouvoir insaisissable, car si l’on trouve des juges et des bourreaux pour vous pendre, on ne trouve plus personne dès qu’il s’agit d’obtenir justice : chacun se dérobe au moment de rendre des comptes : les responsables lèguent à leur voisin une succession embarrassante, et s’en tirent à peu de frais. Les coupables sont impunis. Essayez de déchiffrer les « signatures » de tous ces serviteurs de l’État : elles sont illisibles. Et pour cause ! L’anonymat est un moyen de gouvernement. — Les anonymes ont construit les cathédrales. Ceux d’aujourd’hui ne sont pas de la même famille : ils détruisent pour… détruire. Ils n’édifient rien. Ils sèment ruines, deuils et massacres. Dans le mystère, ils perpètrent la fin de l’humanité. Les anonymes d’aujourd’hui ne créent pas de la vie ; ils sèment la mort. — Il entre une sorte de sadisme dans le fait de faire du mal anonymement. Quelle sensation plus ou moins rare éprouverait-on à nuire en se dévoilant (il est vrai qu’il existe des « consciences pourries » qui préfèrent se révéler, et, piétinant un ennemi vaincu, lui cracher au visage : « c’est moi qui t’ai conduit au bagne » ) ? On exulte à la pensée que nul ne vous soupçonne, et on est fier de son œuvre. On assiste dans un coin aux effets de la « dénonciation ». On contemple avec orgueil le « beau travail » dont on est l’auteur. On dort en paix, la conscience satisfaite (?). On a fait tout son devoir. Il importe de prolonger le supplice, et d’éviter toutes les « réparations ». On se gardera bien de publier les « réponses », « rectifications », etc… dans les feuilles où l’on a pu calomnier impunément, et, quand on s’y décide, c’est afin de répandre de nouveaux bruits « tendancieux », de propager de nouveaux mensonges, l’occasion étant offerte de tronquer les phrases, de falsifier les documents, de dénaturer les idées. On trouve toujours des prétextes quand on veut nuire à quelqu’un. La mauvaise foi a plus d’un tour dans sa besace. Il ne faut pas s’attendre à de la justice de la part de ces gens-là. Ils ne vivent que pour nuire. — L’anonyme saura toujours vous répondre : « Ce n’est pas moi, c’est lui ». Il n’avoue jamais. Il ment par patriotisme et n’en est pas à un faux près. — L’anonyme est souvent votre meilleur ami. — Dans un seul cas, l’anonymat est supportable : quand un « généreux anonyme » fait un don destiné à soulager une misère… et sa conscience, ce qui compense dans une certaine mesure la vanité des philanthropes dont les journaux publient les noms en première page. — Peu de gens font le bien en gardant l’anonymat : ils préfèrent livrer à la publicité leurs noms de bienfaiteurs ! Par contre, ceux qui font le mal négligent de se faire connaître. Ils ne se font connaître que dans certaines occasions : quand ils ne peuvent pas faire autrement. Tel individu sort de l’ombre, qu’on ne soupçonnait pas d’être policier-amateur, et son nom est dans toutes les gazettes ! — Je connais pas mal de petits jeunes gens dont les noms figurent au sommaire des revues d’avant-garde et qui font passer des échos dans les grands quotidiens contre leurs « camarades », jettent la suspicion sur tel ou tel projet littéraire, etc… C’est évidemment un procédé indélicat ! — L’anonymat, comme la laideur dont il est une des formes, revêt les mêmes déguisements, opère dans les mêmes milieux, et produit les mêmes effets. Le régime de l’anonymat est un régime odieux. Il est en honneur dans les autocraties qui assassinent par « raison d’État » ceux qui les gênent, et dans les démocraties qui ne veulent pas qu’un homme signe une œuvre, jalouses du nom qu’il porte, et qui aiment l’impuissance. Les démocraties ont hérité de l’anonymat des monarchies, elles continuent leurs erreurs qu’elles prétendent avoir abolies, et elles se montrent pareillement hostiles à la justice. — Les anonymes pratiquent cette solidarité qui fait leur force et ils ne se querellent que pour la forme. Ils se soutiennent ; ils ont les armes qu’il faut pour attaquer. Pourquoi se gêneraient-ils ? L’anonyme est au-dessus (et au-dessous) de tout, et se permet toutes les audaces. Il sait qu’il est soutenu (et on sait ce dont sont capables certains individus quand ils se sentent soutenus !). Cette race anonyme de monomanes de la délation, de fonctionnaires du chantage et du mouchardage, de professionnels de l’assassinat moral (et physique) est une race reptilienne. Mais comment la supprimer ? Il faudrait supprimer la société elle-même, qui les couve dans son sein. — De faux jugements sur toutes choses, des phrases toutes faites circulent parmi les masses, des lieux communs stupides s’implantent dans les méninges affaiblies, entretenant l’ « esprit de réaction » dans toute son horreur. L’absence de critique triomphe insolemment. On vit au sein de préjugés transmis de générations en générations, qui constituent ce que nous appelons progrès, civilisation, morale. Il y a tout ce qu’il faut dans ce monde pourri pour façonner une âme de « bon citoyen » et une conscience « droite » prête à tout supporter. Ce serait faire preuve d’une mauvaise foi évidente que de ne pas se soumettre corps et âme à une société qui procure à ses membres des avantages vraiment appréciables. Des maîtres sans nom (leur nom n’est qu’une marque de fabrique) composent les recettes sans lesquelles on ne peut pas vivre « honnêtement ». De combien de manuels édifiants, d’éditions expurgées, de traités de morale et de pédagogie ne sommes-nous pas redevables à des jésuites bien intentionnés qui tiennent à garder l’anonymat, par humilité ! — Quand un homme politique a compromis son pays par des maladresses, il disparaît de la scène et rentre dans l’oubli. Personne ne lui demande de comptes. Le peuple n’a pas le temps — ni le courage — de fourrer le nez dans ses « affaires ». — Nous sommes esclaves des anonymes dans tous les domaines. Nous les rencontrons dans tous les milieux. Une partie de la vie se passe à se défendre contre leurs machinations. Anonymes manuels et intellectuels, toutes les classes sont confondues dès qu’il s’agit de nuire. Le penseur-libre trouve sur son chemin les plus redoutables de tous peut-être, — les anonymes de la littérature, de l’art et même de la philosophie. Il semble que leur petitesse d’esprit soit en raison de leur universalité, car ces anonymes-là sont des gens très connus, et estimés dans le monde entier. — Jamais les anonymes n’ont été plus utiles aux fabricants d’opinion qu’aux époques de veulerie. Tout leur appartient : ils sont les « maîtres de l’heure ». Ils usent et abusent d’une situation que le mensonge a créée. Ce sont des profiteurs. Nous voyons en ce moment les anonymes de la mort, redoublant d’ardeur dans leur besogne, tenter de salir quiconque pense, déverser leurs ordures par pelletées sur la tête des passants, poursuivre de leurs rires narquois l’indépendance et donner au bon sens les pires entorses. Ces anonymes pourris dont chaque milieu fournit son contingent nous prouvent à quel point est nuisible le faux individualisme, celui des êtres inférieurs qui n’ont qu’un idéal : nuire, et qui font le mal pour le mal, et… pour vivre (comme si leur existence avait un sens). Ce sont des ratés prêts aux plus sales besognes, pour se donner l’importance qu’ils n’ont pas. Et ce sont de précieux « indicateurs » pour ceux dont la fonction est de juger et de condamner… sans preuves, les esprits libres. — Remède contre l’anonymat. — Il n’y en a point. On arrive, au moyen de certains insecticides, à se débarrasser d’hôtes encombrants. Pour l’anonymat, il n’y a rien à faire. Le remède contre l’anonymat, ce serait de s’isoler, de se retirer dans sa tanière et de n’en plus sortir. Est-ce possible ? Quiconque vit est en butte aux coups sournois de l’anonyme. Être bon, humain et juste, c’est s’exposer à ses coups. Plus l’individu possède de nobles sentiments, plus on cherche à l’atteindre (les anonymes ne se mangeant pas entre eux, — il y a cependant des exceptions à cette règle, on les a vus souvent se dévorer). Et comme il répugne à l’être supérieur de s’abaisser au niveau de ses adversaires en discutant avec eux (on a toujours tort et on ne parvient jamais à se faire comprendre) ou en leur appliquant leurs méthodes, l’anonyme continue. L’anonyme a la mentalité de l’homme d’affaires. Il est sans scrupules et n’a aucun sentiment. — Pouvons-nous cependant combattre l’anonymat ? Par beaucoup de vigilance et une attention de chaque instant. Il convient de se tenir sur la défensive. Si on ne parvient pas à supprimer l’anonymat, on peut du moins en atténuer les effets. Dans certains cas, on devra répondre ; dans d’autres, le silence sera de rigueur. Il n’est pas possible d’adopter une ligne de conduite uniforme dans toutes les circonstances ; bien qu’il s’agisse ici d’une attitude caractéristique, et que les procédés de la mauvaise foi soient toujours les mêmes, il y a des méthodes qui réussissent mieux avec certains « pleutres » qu’avec d’autres (quand on connaît l’individu, on sait par quel bout le prendre, mais quand on ignore le nom du « vil délateur », du « lâche calomniateur », il convient d’agir avec précaution). On peut traiter l’anonyme par le mépris ou l’indifférence (non qu’il en éprouve du dépit, car l’anonyme ne ressent rien et n’a pas d’amour-propre, mais il s’imagine que les coups, ne vous ayant pas atteint, il est inutile pour lui d’insister), — ou par une bonne correction, dans les cas désespérés : c’est souvent la meilleure solution. Elle agit plus efficacement que les ménagements et la patience. L’argument du bâton a du bon. On ne recommence pas. Quoiqu’au fond on laisse l’anonyme pour ce qu’il vaut, on n’en est pas moins souvent « gêné » et contrarié par ses procédés. On peut dire de l’anonymat ce que l’on dit de la calomnie : il en reste toujours quelque chose. L’anonyme sait bien que ses efforts auront toujours un résultat, mince ou important, mais enfin un résultat ! — Lettre anonyme. — Moyen à la portée des imbéciles pour se venger de ceux qui leur ont rendu service ou dont la tête leur déplaît. Les auteurs de ces missives ridicules procèdent comme de vulgaires journalistes en ne signant pas ou en signant d’un nom d’emprunt (Dupont ou Durand) leurs élucubrations. La lettre anonyme « fleurit » beaucoup en temps de guerre : elle est d’un usage courant chez les embuscomanes, espionomanes, jusqu’auboutistes et sur-stratèges, professeurs de haine et de bêtise qui ne savent à quoi employer leurs loisirs. L’administration ajoute foi aux rancunes d’anciens larbins congédiés et aux petites vengeances de littérateurs sans talent. Elle se fait complice de commérages abjects. L’homme intelligent jette au panier la lettre anonyme et fait justice de « racontars » plus ou moins intéressés (voir aussi calomnie, dénonciation, laideur, mensonge, etc.).

Gérard de Lacaze-Duthiers.


ANTAGONISME n. m. (de anti et du grec agônistès, combattant). Rivalité ; opposition ; résistance que s’opposent deux forces contraires, deux puissances inconciliables, deux principes contradictoires. Lutte, compétition : Antagonisme des idées, des esprits, des doctrines, des Partis, des intérêts. On pourrait presque dire que tout est antagonisme dans les sociétés capitalistes contemporaines : car, que l’observation vise l’ensemble ou le détail, elle constate partout la rivalité, la concurrence, la lutte.

S’agit-il de l’État ? Tous les partis politiques aspirent à s’en emparer et, pour atteindre ce résultat, les uns et les autres ne se laissent rebuter par aucun scrupule, par aucune considération, par aucune manœuvre. La raison d’être d’un parti politique, c’est de mettre la main sur le Gouvernement et d’installer les siens au Pouvoir. Les batailles électorales, les débats parlementaires, les campagnes de presse, les agitations fomentées par les partis politiques n’ont pas d’autre but. Sous la forme courtoise ou violente des grandes discussions au sein des Assemblées nationales, départementales ou communales, un combat acharné met aux prises des groupements et des hommes que propulsent les rivalités d’intérêt et d’ambition qu’on se garde bien d’avouer, mais sur lesquelles ne se méprend aucun de ceux qui prennent part aux débats. Les grands mots d’intérêt général, de bien public, d’ordre, de justice, de bienfaisance, de droit, de solidarité ne sont prodigués que pour masquer les vanités et les intérêts antagoniques.

La finance, l’industrie et le commerce sont le champ clos de tous les antagonismes. Sous les espèces et apparences de la concurrence (que volontiers on dit être « l’âme du Commerce » et dont on ferait tout aussi bien de dire qu’elle est l’âme de l’Industrie et de la Banque), le monde des affaires se livre à des luttes homériques et sans arrêt. Bourse des valeurs et bourse des marchandises sont, chaque jour, le théâtre des rivalités qui s’affrontent et des intérêts qui se heurtent. Ce qui enrichit les uns appauvrit les autres et toute opération aboutit à une balance dont les plateaux oscillent sans cesse, mais dont les fluctuations ont pour résultat de favoriser ceux-ci au détriment de ceux-là.

Cette concurrence n’épargne pas le monde des salariés ; elle y revêt, toutefois, un autre caractère. Entre travailleurs, les antagonismes éclatent à l’usine, au magasin, à la manufacture, à la mine, au chantier, au bureau. Là, c’est la lutte pour les postes les plus avantageux, l’avancement le plus rapide, les places les mieux rétribuées et le travail le moins pénible.

Ce sont ces mêmes antagonismes (opposition d’intérêt, rivalités de préséance, compétitions diplomatiques, militaires, coloniales ou métropolitaines) qui déterminent les conflits armés. Les guerres qui précipitent, à l’heure présente, les uns contre les autres, les peuples qui semblaient parfois les mieux prédisposés et faits pour vivre en paix, ont pour cause profonde, les antagonismes (rivalités, concurrences et oppositions d’intérêts) fatalisés par l’agencement politique et économique des sociétés capitalistes, agencement qui de chaque nation fait une nation de proie dont l’insatiable cupidité s’abrite sous le pavillon du Patriotisme et de l’Honneur National. Le Droit, la Civilisation, le Progrès, la Justice, la Liberté ! Autant de mensonges proférés officiellement et bien haut, pour dissimuler l’odieuse réalité, toute de rapacité et de conquête.

On peut regarder partout : au cœur de chaque pays et au-dessus de toutes les frontières, on ne trouvera pas un coin, pas un seul, où ne sévissent les antagonismes qui, de façon constante ou périodique, opposent les uns aux autres, les individus et les peuples.

Mais c’est surtout de classe à classe et de catégorie à catégorie que s’affirment les oppositions d’intérêts. Le salariant a intérêt à payer la main-d’œuvre le moins cher possible et le salarié a intérêt à vendre son travail le plus cher qu’il peut ; le commerçant cherche à écouler sa marchandise au plus haut prix et le consommateur cherche à payer celle-ci au plus bas prix ; le propriétaire veut augmenter sans cesse le loyer de ses locataires et ceux-ci résistent, autout qu’ils le peuvent, à cette augmentation. Les employeurs se groupent ; les commerçants se liguent, les propriétaires se syndiquent de leur côté, les salariés se syndiquent, les consommateurs se liguent et les locataires se groupent. Ces coalitions, cimentées, ici et là, par des intérêts communs, n’ont pour objet et pour résultat que de modifier l’aspect des antagonismes qui s’opposent ; mais ces antagonismes persistent. Au lieu de provoquer des conflits individuels, ils suscitent des conflits collectifs ; les oppositions n’en sont que plus graves et la lutte n’en est que plus âpre.

L’antagonisme des classes s’accentue ; le dualisme des intérêts s’accuse toujours plus violent et plus irréductible. Les défenseurs du régime capitaliste sont plus féroces et mieux organisés que jamais ; mais les travailleurs sont plus éduqués et plus conscients qu’autrefois. Déjà les adversaires s’affrontent de temps à autre dans d’immenses mouvements de grève ou de vastes insurrections. Un jour ou l’autre la lutte ouverte éclatera, formidable et définitive, et la classe ouvrière, poussée à bout, finira par se débarrasser des parasites insolents qui la grugent et des gouvernements qui l’oppriment. Seule, la Révolution, amenant la disparition des classes, la solidarisation des intérêts et la réconciliation des peuples, dans le Bien-Être et la Liberté, mettra un terme aux antagonismes dont nous dénonçons les déplorables conséquences et qui sont inhérents au milieu social actuel. — S. F.