Encyclopédie anarchiste/Fraude - Fumiste

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Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 849-854).


FRAUDE n. f. (du latin fraus, au génitif : frausdis). Action de frauder, de tromper, de frustrer, d’induire en erreur.

Bien que réprimée par la loi — bien faiblement du reste, lorsqu’elle s’exerce sur une grande échelle — la fraude n’en est pas moins un des caractères essentiels du commerce. Tromper sur la valeur d’une marchandise, falsifier les produits livrés à la consommation est de pratique courante dans toute transaction commerciale, le commerce n’étant en réalité que le vol organisé et protégé par la loi. Afin de se procurer ou d’augmenter la somme de ses bénéfices, le commerçant — et en général à quelque catégorie qu’il appartienne — fraude sur tous les articles qu’il livre à la consommation et même les denrées alimentaires n’échappent pas à cette pratique criminelle. On fraude sur le lait, sur le vin, sur la viande, sur tout ce qui ne permet pas d’être contrôlé directement par l’acheteur, et c’est ainsi que le marché est envahi par du lait coupé d’eau, par de la viande avariée, par des objets falsifiés, dont l’espèce, l’origine, la qualité ou la quantité sont mensongères.

Nous disons que la répression ne peut rien contre un tel état de chose, car la qualité primordiale du commerçant est de savoir mentir ; de savoir voler, de savoir frauder. L’expérience, du reste, démontre suffisamment l’inopérance de la loi en la matière et, d’autre part, on peut ajouter que si, apparemment, le législateur a fait montre d’une certaine inquiétude en ce qui concerne la fraude et qu’auprès de certains ministères — tel celui de l’Agriculture — fonctionne un « Service de Répression des fraudes », en réalité la magistrature et les tribunaux se rendent ordinairement complices de la fraude. L’indulgence des juges, envers les fraudeurs de haute envergure, permet aux infractions à la loi de se multiplier, et il est par exemple de notoriété publique que pas un fournisseur aux armées n’hésite à livrer des produits de qualité douteuse avec la certitude de l’impunité.

La fraude n’est véritablement réprimée que lorsque c’est un petit qui s’en rend coupable ; et, même lorsqu’elle s’exerce directement au détriment de l’État par un individu ayant quelque influence politique, économique ou sociale, elle reste à l’abri de toute poursuite.

Qui donc ignore aujourd’hui que des hommes appartenant à la haute banque ou à la grande industrie fraudent régulièrement le fisc en ne déclarant pas les énormes bénéfices qu’ils réalisent, et que le fisc garde le silence sur les infractions dont il est victime ? Certes, nous ne sommes nullement étonnés d’une telle attitude, car elle souligne, comme tant d’autres choses, qu’en notre siècle de ploutocratie, où l’unique souci de certains individus est de faire de l’argent par n’importe quel moyen, les représentants des institutions bourgeoises sont à plat ventre devant la fortune, et que les puissants peuvent, sans inquiétude, se permettre toutes les fraudes.


FREIN n. m. (du latin frenum). En mécanique on donne le nom de frein à tout appareil destiné à ralentir ou à arrêter le mouvement d’une machine, d’une voiture, etc., etc… Il y a plusieurs types de freins, depuis le frein ordinaire à sabot, fixé sur les roues des rustiques charrettes, jusqu’au frein électrique ou à air comprimé. Pour la traction automobile on utilise le plus couramment des freins à ruban, dans lesquels le serrage est obtenu par le frottement d’une blinde sur un tambour fixé sur les roues de la voiture. Ces freins se manœuvrent à la main par un levier placé sur le siège du véhicule à proximité du conducteur. Dans les chemins de fer on utilise les freins à air comprimé et les freins électriques qui permettent de bloquer automatiquement en quelques secondes toutes les roues des voitures composant le train. En France, le type de frein le plus employé est le frein à air comprimé, système Westinghouse.

Au figuré, le mot frein est également employé assez fréquemment et il signifie également : arrêter, retenir, enrayer. Mettre un frein à ses passions. Mettre un frein à sa langue, c’est-à-dire se retenir de parler. Ronger son frein, pour réprimer le dépit que l’on éprouve.

Quand donc le capitalisme mettra-t-il un frein à sa cupidité, et le travailleur un frein à sa crédulité et à son ignorance ?


FRICTION n. f. (du latin frictio). Action de frictionner. Médicalement : frottement que l’on fait sur une partie quelconque du corps pour exciter et activer les fonctions de certains organes. Nettoyage du corps ou d’une partie du corps à l’aide d’une lotion aromatique. Une friction à la quinine ; une friction à l’eau de Cologne ; une friction à l’alcool.

Par extension, on emploie le mot friction comme synonyme de : heurt, désaccord, dispute. Les causes de friction sont multiples au sein de la classe ouvrière, et cela tient à ce que les routes empruntées par certains groupes de prolétaires sont diamétralement opposées à celles suivies par les autres. La politique qui s’est immiscée dans les associations ouvrières et qui a détourné le prolétariat de son but n’est pas un des moindres facteurs de friction qui divisa et divise encore les exploités. Pourtant, le but à atteindre, c’est-à-dire la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, ne peut être atteint que par le concours de toute la classe ouvrière et par l’union des forces de tous ceux qui sont victimes de l’oppression politique, économique et sociale de la bourgeoisie et du capital.

Certes l’unité est loin de régner dans les rangs du capital, mais dans les heures de lutte sociale, lorsque le capital se dresse devant le travail, il n’y a aucune friction parmi les capitalistes : tous sont d’accord pour écraser la classe ouvrière. Cette dernière ne trouvera-t-elle jamais un terrain d’entente pour écraser son adversaire ?


FRIPOUILLE n. f. Mot populaire qui signifie : canaille, voleur, escroc. Une fameuse fripouille, une grande fripouille. Le mot est entré dans la langue et est maintenant utilisé assez couramment. Il serait erroné de penser que la fripouille ne se recrute que dans les basses classes de la société, dans ce que l’on peut considérer comme les déchets d’humanité. La fripouille se rencontre partout et l’on peut dire que la bourgeoisie a un contingent de fripouilles bien supérieur à celui que l’on rencontre dans les bas-fonds des grandes agglomérations.

Naturellement la haute fripouille ne présente pas les mêmes caractères que la basse pègre, mais elle est plus dangereuse, car elle se couvre du masque de l’honnêteté et de la probité. La fripouille capitaliste n’attend pas sa victime au coin d’une rue pour lui soutirer sa bourse ; elle opère beaucoup plus adroitement et aussi avec plus de chance de succès et moins de danger. C’est dans les combinaisons financières qu’elle exerce son génie malfaisant et les malheureux qu’elle dépouille de leurs faibles économies sont nombreux. De temps à autre, mais rarement, à la suite d’une maladresse, un de ces grands escrocs tombe sous le coup de la loi ; il se tire généralement d’affaire à bon compte et reprend ses occupations, honoré de tous, car aujourd’hui chacun se courbe devant la richesse, et l’homme qui sait se procurer de l’argent, fût-il une fripouille, mérite la considération de ses semblables. Cela marque la fin d’un régime qui se perd dans la corruption.


FROMAGE n. m. (pour formage, de forme). On donne le nom de fromage à tous les sous-produits du lait, obtenus de différente façon, mais le plus généralement par la coagulation du lait qui produit le caillé.

Au sens figuré le mot fromage est employé comme synonyme de sinécure. Ce terme est usité dans ce sens depuis assez longtemps déjà, puisque La Fontaine, dans ses Fables, s’en servait assez fréquemment. « Se retirer dans un fromage » est devenu maintenant une locution proverbiale.

Dans les milieux populaires et plus particulièrement dans ceux d’avant-garde, on appelle « fromagiste » celui qui abuse de la crédulité de ses semblables et qui, ayant obtenu une place, une fonction, un « fromage », cherche à s’y maintenir par n’importe quel moyen. Les fromagistes ne manquent malheureusement pas dans les organisations ouvrières, et si les fonctionnaires sont utiles dans les associations prolétariennes, il est regrettable de constater que, trop souvent, la fonction se transforme en fromage, et que celui qui la détient ne vise uniquement qu’à la conserver, même si son organisation doit en souffrir.

Pour mettre un terme à un état de chose si nuisible au prolétariat, certaines organisations ont pris des mesures statutaires pour se libérer des fromagistes, mais il ne semble pas que jusqu’à ce jour elles aient été efficaces, car les fromagistes sont encore nombreux dans toutes les organisations de travailleurs.


FRONT (unique) n. m. Le front unique ou « unité de front » est la tentative proposée par certains organismes d’avant-garde d’opposer à la force organisée du capitalisme de bataille, la force organisée du travail. Cette expression « front unique » est relativement récente, puisqu’elle ne date que de l’époque où les forces du travail se divisèrent non seulement dans leurs organisations, mais surtout en raison des moyens de lutte préconisés et employés par les différentes écoles sociales et révolutionnaires.

Nous avons à maintes reprises déclaré qu’à notre avis le triomphe du prolétariat sur la bourgeoisie ne pouvait être consécutif qu’à l’union de tous les travailleurs sur le terrain économique, de manière à pouvoir opposer à la puissance capitaliste un bloc compact susceptible de résister à ses attaques. C’est dire assez qu’en principe, l’unité de front, ou le front unique, nous apparaît comme une condition sine qua non, indispensable à la victoire prolétarienne.

Il faut cependant étudier dans quelle mesure ce front unique est réalisable. Les facteurs qui, au lendemain de la guerre, déterminèrent la division des forces prolétariennes, subsistent encore en 1927, et quelle que soit sa nécessité, le front unique ne semble pas pouvoir se réaliser avant longtemps. D’autre part il convient de remarquer que, dans l’esprit de quantité d’individus qui le réclament avec intensité, le front unique n’est qu’un pis-aller qu’il ne faut pas confondre avec l’ « Unité » tout court. Les différentes organisations qui président aux destinées de la classe ouvrière considérant qu’en raison même des principes qui leur servent de base, l’unité organique est matériellement impossible, certaine de ces organisations préconise le « front unique », c’est-à-dire l’union momentanée, circonstancielle, occasionnelle, pour un but déterminé, de tous les travailleurs, quelle que soit l’organisation à laquelle ils appartiennent.

Présenté sous un tel jour, le front unique paraît évidemment souhaitable, et bien fol serait celui qui, sincèrement révolutionnaire, refuserait de s’associer à une telle tentative. Mais avant de s’engager idéologiquement et pratiquement dans une aventure, il est prudent de rechercher si telle proposition qui à première analyse paraît généreuse, n’est pas une façade destinée à cacher des buts inavoués ; si seul l’intérêt de la classe ouvrière anime les parties susceptibles de s’associer et enfin si, en certaines circonstances, le « front unique » loin d’être un facteur d’unité, ou plutôt de réconciliation prolétarienne, n’est pas un facteur de désagrégation ouvrière.

On trouve, autre part, dans cette même encyclopédie, l’étude sur le mouvement prolétarien en France, son évolution, et plus particulièrement l’historique de la « Confédération Générale du Travail » et de la « Confédération Générale du Travail Unitaire » (Voir ces mots).

En 1926 se forma, en France, un troisième organisme prenant le nom de Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire, qui, se réclamant des vieux principes du syndicalisme révolutionnaire, se traça comme tâche de regrouper les travailleurs qui, lassés de la collusion existant entre le mouvement syndical et le mouvement politique, ne trouvaient pas place dans les deux premières Confédérations.

Bien que déplorant la naissance continuelle de nouveaux organismes, ce qui caractérise l’affaiblissement des classes laborieuses, les anarchistes communistes qui vécurent les heures troubles de 1920 à 1926 — tout au moins ceux des anarchistes qui considèrent le syndicalisme comme un facteur révolutionnaire — crurent devoir applaudir à la création de la C. G. T. S. R. C’est qu’en réalité il est encore préférable de voir les travailleurs groupés en plusieurs organisations que de les voir absolument désorganisés. Il faut avouer pourtant que la création de nouvelles organisations prolétariennes rend plus difficile à résoudre le problème de l’unité et du front unique. Ce problème semble insoluble en vertu même des nombreuses contradictions qui éloignent les travailleurs les uns des autres. Or une question se pose : les contradictions qui divisent la classe ouvrière sont-elles réelles ou superficielles ? Ne sont-elles pas savamment entretenues pour éviter la reconstitution d’un bloc prolétarien ? Une chose est certaine : c’est que tous les travailleurs, organisés ou non — et c’est ce qui devrait être leur force — quelles que soient leurs opinions politiques ou philosophiques, ont un intérêt commun indéniable, incontestable : c’est l’affaiblissement progressif des classes dirigeantes qui doit déterminer finalement la chute définitive du capitalisme et la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Même pour ceux qui ne veulent pas s’embarrasser des problèmes d’avenir et qui envisagent l’action et le mouvement social simplement dans le présent et pour les bénéfices immédiats que l’on peut en tirer, les chances de succès des travailleurs, dans la lutte quotidienne qu’ils mènent contre le capitalisme, sont relatives à la puissance de ce dernier.

Or nous sommes convaincus que l’affaiblissement du capitalisme de bataille ne peut être obtenu que par la lutte sur le terrain économique, et l’expérience, et toute l’histoire du passé est à ce sujet significative et ne permet aucun doute.

Comment se fait-il, alors, qu’animés par les mêmes désirs, luttant pour un but identique, la réalisation d’un front unique et par la suite d’une unité organique de tous les travailleurs, paraisse impossible ?

Nous disons que jamais une amélioration, une transformation, une réforme — favorables naturellement à la classe productrice — ne furent le résultat d’une intervention spécifiquement politique. La politique et les politiciens peuvent trouver un bénéfice dans la lutte économique des travailleurs, jamais les travailleurs n’ont acquis et n’acquerront des avantages par leurs luttes politiques. Mais chaque fois qu’une action prolétarienne fut couronnée par un succès, des politiciens, par d’habiles subterfuges, une fois le travail accompli, se présentèrent comme les provocateurs de la victoire, pour en récolter les bénéfices moraux. De cette tradition, il résulte que, malgré les nombreux exemples qui illustrent l’histoire politique et sociale des classes laborieuses, le prolétariat est encore, par préjugé et par ignorance, et aussi par paresse, étroitement attaché à tout ce qui touche à la politique. Il est fermement convaincu que les faibles améliorations qu’il obtient sont dues à l’intervention de ses politiciens et l’on peut dire qu’il accorde une plus grande confiance à la suite politique qu’à la lutte économique.

C’est cet état d’esprit qui fut une cause de division et qui est encore aujourd’hui une entrave à l’unité et au front unique.

S’il était possible d’effacer toute trace de politique dans les organisations syndicales, l’unité serait un fait accompli. Nous, n’en sommes malheureusement pas là et nous savons que les ravages exercés par la politique au sein des associations ouvrières s’étendent de plus en plus. Et pourtant, plus que jamais, l’union de tous les travailleurs est nécessaire. L’impérialisme se développe avec une rapidité déconcertante et menace chaque jour d’entraîner l’humanité vers de nouvelles catastrophes. Des foyers d’incendies couvent aux quatre coins du monde ; à peine terminée l’aventure marocaine, à laquelle participèrent la France et l’Espagne, l’Angleterre et les États-Unis développent leur action dans la Chine, en pleine période d’évolution. Mussolini a les regards fixés sur la Yougoslavie, et le besoin d’expansion italienne est une épée de Damoclès suspendue sur l’Europe. Plus qu’en 1914 la guerre est là qui nous guette et ce ne serait pas trop de toute l’énergie et de toute la volonté de tout le prolétariat pour résister au terrible fléau que nous prépare le capitalisme.

Mais comment réaliser ce front unique, comment réunir les forces éparses des travailleurs, et qui donc entrave l’accomplissement d’une telle œuvre ? La politique encore et toujours. Nous avons dit plus haut qu’un anarchiste ne pouvait pas, s’il était révolutionnaire, ne pas être partisan de l’unité de front contre les forces déchaînées du capital ; mais faut-il encore que ce front unique ne soit pas un tremplin destiné à servir les appétits d’une minorité de parasites qui spéculent sur le mouvement ouvrier. Souventes fois, les anarchistes, malgré les désaccords profonds qui les séparaient de certains partis politiques, consentirent à faire cause commune, pour un but déterminé, avec certains de leurs adversaires, dans l’espoir de voir la classe ouvrière sortir triomphante de la bataille. Hélas ! L’expérience ne fut pas heureuse, et chaque fois la classe ouvrière fut détournée de son chemin, malgré tous les efforts des révolutionnaires sincères. L’on est donc obligé de constater que, parfois, ceux qui réclament l’organisation du front unique, ne le font que pour empêcher certains éléments d’entreprendre une action qui pourrait gêner une autre tentative préconçue et inavouée, et que dans de telles conditions le front unique, loin d’être profitable à la classe ouvrière, lui est néfaste. Le front unique ne peut se réaliser que si une profonde sincérité, sans aucune arrière pensée, anime ceux qui sont chargés de l’organiser. Or une telle garantie ne nous est nullement fournie par les hommes qui sont actuellement à la tête des deux grandes organisations ouvrières, liées l’une et l’autre à des associations politiques.

Faut-il donc désespérer de voir la classe ouvrière unifiée et capable de se dresser menaçante devant la folie meurtrière du capitalisme ? Devons-nous espérer que le front unique s’organisera automatiquement à l’heure du danger et que, devant la terrifiante réalité, les travailleurs, dans un éclair de raison, briseront les barricades qui les séparent ? Il est difficile de répondre, et pour celui qui a assisté à la désorientation des éléments révolutionnaires de 1914, il est douteux qu’en l’état de chose actuel il en soit différemment. Les travailleurs ne semblent pas avoir appris grand-chose de la guerre, ils se laissent encore guider comme par le passé par des formules sentimentales qui ne sont plus d’actualité. Cependant que le capital profite de toutes les expériences et s’organise pour parer à toutes les difficultés, le prolétariat reste stationnaire et s’imaginé qu’en changeant les noms et les mots il change les choses. Il n’est pas suffisant de dire que les chefs qui le dirigent sont corrompus, car en vérité lui seul est responsable de cette corruption. C’est à lui de savoir choisir ses hommes et de s’organiser de façon à pouvoir être prêt à répondre à toutes les attaques du capital. L’organisation instantanée du front unique est une utopie qui ne se réalisera jamais, et même en supposant qu’un tel phénomène se produise, le prolétariat serait encore victime des malins et des audacieux qui chercheraient et réussiraient à le détourner de son action.

Le problème à nos yeux est entier. Ce n’est pas le front unique qu’il faut provoquer, c’est l’unité de la classe ouvrière, et cela est un travail de longue haleine. C’est tout le problème du syndicalisme qui se pose à nouveau ; c’est le syndicalisme qu’il faut organiser sur de nouvelles bases, car dans le syndicalisme seul résident toutes les aspirations prolétariennes. Seul le syndicalisme, détaché de toute emprise philosophique et politique, est susceptible d’accomplir le tour de force qui consiste à renfermer dans une organisation unique tous les exploités à quelque catégorie qu’ils appartiennent. C’est dans le syndicalisme que nous devons placer toutes nos espérances, mais nous ne concevons pas le syndicalisme ainsi que nombreux de nos camarades anarchistes qui lui prêtent une idéologie révolutionnaire. Ce qui, selon nous, a justement nui au développement du syndicalisme dans les pays latins, c’est son esprit. Le syndicalisme est un mouvement de masse ; or la masse n’est pas révolutionnaire dans son esprit mais elle, le devient dans son action. Le syndicalisme est donc révolutionnaire, ou plutôt le devient selon les circonstances, même s’il se réclame du plus pâle réformisme. Et cela est tellement vrai, que même des organisations syndicales chrétiennes, voire fascistes, furent entraînées parfois dans l’action révolutionnaire en raison des circonstances et des événements. La première nécessité du syndicalisme et sa première force est le nombre. Si les organisations syndicales anglaises ou américaines obtiennent des succès, c’est grâce à leur force numérique. Or, jamais cette force numérique ne pourra être atteinte dans nos pays latins si nous n’abandonnons pas cette prétention de vouloir donner au syndicalisme une idéologie révolutionnaire. Et nous le remarquons dans toutes les campagnes de recrutement syndical. Bon nombre de travailleurs refusent d’adhérer à la C.G.T.U. parce que cette dernière est animée par un esprit politico-communiste, comme ils refuseraient d’adhérer à une organisation d’inspiration anarchiste ou socialiste. Le travailleur qui entre dans une organisation n’a aucun programme d’avenir, il a des besoins immédiats. C’est pour les soutenir, les défendre, qu’il s’associe à ses frères de misère. Il n’a pas d’autre but. Quant à nous, anarchistes, il me semble que ce but nous doit paraître suffisant et que nous ne pouvons pas concevoir un syndicalisme suffisant à tout, sans quoi nous ne serions pas anarchistes. C’est justement, ainsi que l’a déjà lumineusement développé il y a longtemps notre vieux camarade Malatesta, parce que nous considérons que le syndicalisme ne suffit pas à tout, que nous voyons la nécessité de nous organiser entre anarchistes et que nous menons une action particulière, une action anarchiste en dehors des cadres syndicaux.

Sur le terrain syndical, uniquement syndical, débarrassé de tous les parasites qui le rongent, les travailleurs peuvent reconstituer leurs forces. Et que l’on ne pense pas que ce serait amoindrir le rôle du syndicalisme, ce serait l’étendre au contraire. Il est possible de faire quelque chose avec des forces compactes, il est impossible de faire quoique ce soit avec des forces éparses.

Que les travailleurs y songent. Leur avenir est entre leurs mains et c’est d’eux que dépendent leur vie et leur mort. Toute lutte du travail contre le capital est révolutionnaire. Chaque amélioration, aussi faible soit-elle, que le travailleur arrache à son exploiteur, est une partie de la victoire, une partie de la révolution. La révolution est de chaque jour, de chaque heure, de chaque minute. Que les travailleurs s’organisent sur le travail et pour le travail et le front qu’il opposera à ses maîtres sera unique et puissant. — J. Chazoff.


FRONTIÈRE n. f. Limite de deux pays. Lignes fictives tracées sur les cartes du monde et qui enclosent un certain territoire appelé pays ou patrie. Bien des phénomènes président au tracé des frontières : droit du premier occupant ; droit du plus fort : conquête par la guerre, le vol, l’assassinat ; traités imposés ou subis ; unions de princes ; dots ; héritages, etc…

C’est l’affirmation du droit de propriété par une collectivité sur le sol, les instruments de travail.

Les frontières sont gardées par des postes de douane. La douane est un des moyens despotiques de comprimer l’examen des bases d’ordre d’un pays. Il est en effet absolument indispensable aux gouvernants d’une nation d’empêcher l’examen de la révélation (Droit divin) sur laquelle se base l’autorité du Prince ; ou du sophisme (Droit des majorités) sur lequel se base l’autorité de l’État. Il faut pour cela, empêcher les confrontations des bases d’ordre d’un pays avec celles de l’autre pays. Les douanes ont longtemps rempli cette fonction et la remplissent encore en surveillant le passage des habitants d’un pays à l’autre, en le gênant (passeports), en supprimant les imprimés jugés séditieux, etc…

Les douanes ont en outre une autre fonction. Elles permettent, par la perception d’un droit d’entrée sur les marchandises étrangères, l’exploitation la plus absolue des prolétaires du pays « protégé », par leurs propres capitalistes. En effet, elles suppriment ainsi la concurrence pour la vente des produits que le consommateur devra payer le prix que voudront bien les capitalistes.

Les frontières jouent un grand rôle dans l’exaltation du « patriotisme », autre moyen despotique d’empêcher l’examen (V. au mot Patrie). — A. Lapeyre.


FRUGIVORE adj. (du latin fruges, fruit, et vorare, manger), qui mange des fruits, qui se nourrit de fruits ; par extension : qui consomme uniquement des fruits à l’exclusion de tout autre aliment. Frugivorisme : théorie ou système basé sur la croyance que l’alimentation exclusivement fruitarienne convient à l’humanité.

La découverte des vitamines (ou plutôt la découverte du rôle important joué par les vitamines dans la nutrition de l’organisme humain) est venue rappeler à beaucoup de personnes, qui l’avaient oublié, le bienfait de l’alimentation fruitarienne.

Il semble bien, cependant, que cette alimentation ait été particulièrement goûtée de nos ancêtres, si nous en croyons les traditions et les légendes de l’antiquité. Chacun sait que la pomme joua un grand rôle dans la vie de nos premiers parents, si l’on s’en rapporte à ce burlesque récit qui s’appelle la Genèse. Tous les Anciens semblent avoir tenu les fruits en haute estime. Les jardins des Hespérides étaient aussi renommés, avec leurs pommes d’or jalousement gardées par un dragon féroce, que le comique Paradis d’Adam et Eve. La pomme et le raisin ont inspiré bien des poètes (ainsi que le vin et les fumées de l’alcool, hélas…).

Les enfants qui vivent sous nos yeux n’ont-ils pas conservé un goût très vif pour les fruits de toutes sortes, alors qu’ils éprouvent souvent de la répugnance pour les viandes ? Il y a là une indication précieuse, car c’est l’instinct naturel (trop souvent faussé de nos jours) qui nous la fournit.

Pour nous, libertaires, a priori, nos sympathies vont au frugivorisme. Il évoque la vie au grand air, en liberté, au soleil. Il nous fait rêver d’harmonie fraternelle et de cadres verdoyants. Sa réalisation s’accompagne de joie, de paix, d’amour, tandis que le carnivorisme rend nécessaire de répugnantes tueries, des « abattoirs » nauséabonds et entretient au cœur de l’homme l’instinct de la destruction sanguinaire.

Il s’agit de savoir si nous sommes constitués pour nous alimenter uniquement de fruits. À côté du sentiment humanitaire qui doit nous inspirer, interrogeons aussi la science médicale et l’hygiène alimentaire.

Je ne rappellerai que pour mémoire les célèbres querelles qui ont divisé les physiologistes, surtout en ce qui concerne l’interprétation de notre dentition.

Les omnivores prétendent que l’homme est constitué pour manger de tout, sous prétexte que nous avons des dents incisives (comme les rongeurs), des dents canines (comme les carnassiers), des dents molaires (comme les frugivores). L’homme serait donc, à la fois, rongeur, carnivore et frugivore. Les végétariens et les frugivores objectent à cette argumentation que les canines humaines sont courtes, comme celles des singes anthropoïdes et n’ont pas la longueur de celles des véritables carnassiers (les grands singes sont, on le sait, frugivores). Aux yeux des frugivores, les canines humaines seraient simplement un instrument de défense dans la lutte pour la vie, — il en serait de même pour les canines des grands singes, qui constituent la variété animale la plus rapprochée de l’espèce humaine.

Cette explication paraît vraisemblable, surtout lorsqu’on la rapproche de l’étude de notre intestin, dont la longueur (trop grande) rend si pernicieuse pour nous l’ingestion de la chair animale.

Une autre controverse a fait couler beaucoup d’encre : celle de la valeur des aliments en albumine et en azote. On croit de moins en moins, pourtant, à la nécessité d’absorber de grandes quantités d’aliments très « nourrissants », car on s’est aperçu que l’homme n’avait besoin, pour vivre, que de très faibles rations. Certains jeûneurs ont pu résister pendant plusieurs semaines, sans absorber aucun aliment. On peut vivre et se bien porter en mangeant très peu. Les gros mangeurs deviennent invariablement malades et ils meurent jeunes. Les personnes qui arrivent à un âge avancé, les centenaires, sont presque toujours très sobres et s’abstiennent de viande, de tabac et d’alcool.

On groupe ordinairement les fruits en trois catégories : 1° les fruits à pulpe, qui contiennent une grosse quantité d’eau et de faibles quantités de sucre. Ce sont les cerises, les raisins, les poires, les pommes, etc., etc… Cette variété est extrêmement riche et fournit à nos palais, pendant toute la belle saison, une gamme inépuisable de saveurs agréables et de parfums délicats. Ces fruits, riches en eau, sont très diurétiques et très laxatifs. Ils sont donc recommandables pour tout le monde et à plus forte raison pour les malades, les fiévreux, les convalescents, auxquels ils seront particulièrement bienfaisants en raison de leur digestibilité ; 2° les fruits farineux, dont le type est la châtaigne. La valeur nutritive de la châtaigne (et du marron) est bien connue. Tous les intestins ne la tolèrent pas d’une façon parfaite ; en ce cas, il est tout indiqué de la consommer sous forme de purées ou de farines. Des populations entières (celles du Limousin, de l’Auvergne, de la Corse, par exemple) ont longtemps trouvé dans la châtaigne leur principale alimentation. Malheureusement notre capitalisme imbécile et inconscient détruit chaque jour les superbes châtaigneraies, car… on extrait du bois de châtaignier un produit utilisé dans l’industrie de la chaussure. Nous regrettons ces hécatombes, car les châtaigniers assuraient au paysan — sans travail à fournir — une farine de premier choix, plus nutritive que les meilleures viandes ; 3° les fruits oléagineux, ainsi nommés parce qu’ils sont riches en corps gras. Ce sont les plus nourrissants de tous les fruits : noix, noisettes, amandes, olives. Il est prudent de les mastiquer suffisamment, afin de faciliter le travail stomacal. (Inutile d’ajouter que tous les fruits doivent être soigneusement lavés, et si possible essuyés, afin de les purifier des innombrables poussières et impuretés dont ils sont recouverts, surtout… lorsqu’ils ont passé entre les mains de nos ineffables commerçants).

De ce qui précède, on pourrait conclure qu’il est possible de se nourrir uniquement avec des fruits, en ayant soin d’associer les fruits farineux et oléagineux, qui sont nutritifs, aux fruits aqueux, qui ne le sont presque pas.

En théorie, la chose est certainement possible. Mais j’aperçois deux écueils dans la pratique :

1° D’abord, une telle alimentation serait insuffisamment variée. On ne peut pas se nourrir d’un bout de l’année à l’autre avec des noix et des marrons, La satiété viendrait vite. Nous sommes plus gourmands que les animaux, qui mangent la même herbe pendant leur vie entière (ou qui, du moins, varient très peu leurs sensations gustatives). On peut le regretter, mais il est possible que cette recherche du plaisir dans la variété des mets soit un stimulant digestif et un facteur de santé — lorsqu’il reste, bien entendu, dans les limites rationnellement fixées par la physiologie ;

2° Ensuite… il faut bien avouer que les fruits sont très chers, horriblement chers. Pour se sustenter avec des bananes, des pommes, des oranges, du raisin, il faudrait être riche, très riche, surtout en hiver.

Je crois donc, personnellement, que la sagesse nous conseille de ne pas rejeter les légumes (qui sont excellents, soit crus, soit cuits), ni même certains produits d’origine animale, tels que le beurre, le lait, les fromages, le miel. Associés aux fruits et consommés en quantités raisonnables, ils ne peuvent que nous être très utiles. On se passera alors de viande sans la moindre difficulté, au contraire, puisqu’on évitera de s’empoisonner et de s’intoxiquer avec le plus malsain des aliments.

J’estime, contrairement à certains fruitariens, que la consommation du pain est toute indiquée avec les fruits. Le pain (rassis, ou, mieux encore, grillé) complète très heureusement la valeur alimentaire des fruits. Pour obtenir au maximum les résultats bienfaisants que peut nous procurer l’ingestion de ceux-ci, il ne faut pas oublier qu’il est préférable de les consommer au début du repas. On les digère alors beaucoup mieux et l’on profite intégralement de leurs propriétés dépuratives.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la question. Je renvoie aux livres de Rancoule, de Maurice Phusis, du Dr Carton, du Dr Durville, qui se sont occupés de la question sérieusement, ainsi qu’aux publications de nos amis du Foyer Végétalien (40, rue Mathis, Paris). Il y a là les éléments d’une philosophie rationnelle de l’alimentation. Assurément, ni le frugivorisme, ni le crudivorisme (alimentation constituée, intégralement ou en grande partie, de fruits ou de légumes crus) ne suffiront à modifier le monde actuel. Ce ne sont pas des panacées (il n’y en a pas, au surplus). Mais ces mouvements ont leur place, et leur grande raison d’être, dans le grand courant d’idées et d’efforts libérateurs qui vise à créer une société moins brutale et moins servile, au sein de laquelle l’homme saura vivre sainement, sobrement et consciemment. — André Lorulot.

FRUGIVORE. Celui qui ne se nourrit que de fruits, de végétaux. Quantité d’animaux sont frugivores, bien que certains ne se nourrissent pas essentiellement de fruits, mais de différentes substances végétales. Il y a même des carnassiers qui ne dédaignent pas les fruits et les végétaux.

« L’homme, nous dit Cuvier, est par ses dents frugivore aux trois cinquièmes et carnivore pour le reste. L’écureuil est un frugivore. »

On donne à l’individu qui se nourrit de fruits le nom de végétalien ; il est du reste excessivement rare de rencontrer des hommes qui ne mangent que des fruits ; à part quelques sectaires, presque tous les végétaliens acceptent d’absorber différentes substances végétales. Nous n’avons pas à discuter des goûts de chacun, et quiconque est libre, en vérité, de se nourrir à sa guise de viande, de légumes ou de fruits ; mais certains végétaliens veulent faire du végétalisme une doctrine sociale, ce qui nous paraît ridicule.

Scientifiquement, d’autre part, il n’a jamais été démontré que le végétalisme produisait physiquement, moralement ou intellectuellement, des individus supérieurs, et que les carnivores eussent à souffrir de leur système d’alimentation. Au point de vue sentimental, le végétalisme ne se soutient pas plus qu’au point de vue scientifique, car si l’on se place sur le terrain du « droit à la vie » pour les animaux, il n’y a pas plus de raison de ne pas respecter l’existence du lion, du tigre, du serpent, du rat ou de tout autre animal nuisible, que celle de la poule ou du mouton. Nous pensons donc que le végétalisme est une question individuelle et non pas une question sociale. Nous croyons cependant qu’à l’origine l’individu fut plutôt carnivore que végétarien et cela se manifeste encore de nos jours par la pratique de certaines peuplades arriérées qui se livrent à l’anthropophagie, lorsqu’elles ne trouvent pas pour se nourrir d’autre chair que celle de l’homme.

Nous devons encore ajouter, pour ceux qui se placent sur le terrain sentimental pour soutenir les principes « humanitaires » du végétalisme, qu’en certaines contrées la destruction de certains animaux — tel le lapin, par exemple — est d’une absolue nécessité, et que sans les battues et les chasses qui s’organisent périodiquement, la reproduction intensive de ces animaux deviendrait pour l’homme un véritable fléau.

Laissons donc le frugivore à ses fruits, le végétarien à ses légumes, et le carnivore à sa viande, en ayant soin cependant de ne contraindre personne et de n’empiéter sur la liberté de qui que ce soit. On trouvera aux mots : végétarien, végétalien, végétarisme et végétalisme, une étude plus profonde sur ce sujet qui intéresse certainement un grand nombre de camarades anarchistes, car le problème du végétarisme fut très discuté dans les milieux d’avant-garde. Il y a des sujets autrement troublants cependant qui doivent inquiéter tout révolutionnaire sincère et, végétarien ou carnivore, nous croyons que l’homme, le travailleur, a, dans la situation précaire que lui fait le capitalisme, des difficultés à vivre et que les uns et les autres doivent s’unir pour acquérir leur bien-être et leur liberté.


FUMISTE n. m. et adj. Qui s’occupe de fumisterie. Ouvrier fabriquant des appareils de chauffage ou chargé d’entretenir les cheminées en bon état.

Au sens figuré, le mot fumiste sert à désigner un mauvais plaisant, un mystificateur, un individu en qui l’on ne peut avoir confiance. « C’est un fumiste ; c’est une fumisterie », pour : « C’est une plaisanterie ridicule, grotesque ». Les fumistes ne manquent pas et on en rencontre dans tous les milieux. « L’art » d’abuser de la crédulité humaine est très répandu et il ne s’exerce pas simplement pour s’amuser aux dépens d’autrui. Les fumistes vivent souvent de leurs mystifications et leurs victimes sont nombreuses. L’ignorance, la bêtise, la peur, la lâcheté sont des terrains propices à être exploités par les fumistes, et le pauvre monde souffre terriblement de tous ces parasites qui, siégeant dans les parlements, dans les cours de justice, dans les grandes administrations, poursuivent leur action néfaste et entretiennent un état de chose arbitraire entre tous. La société moderne est une vaste fumisterie, mais elle n’est pas simplement grotesque, elle est tragique, et c’est une plaisanterie grossière que de vouloir faire croire à l’individu que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu’il ne peut en être autrement.

Combien de temps cela durera-t-il encore ? Combien de temps les fumistes pourront-ils encore tromper et berner les classes opprimées ? Que ceux qui peinent et qui souffrent regardent autour d’eux, qu’ils écoutent, qu’ils comprennent et, en chassant tous les fumistes, ils mettront fin à la grande fumisterie sociale.