Encyclopédie anarchiste/Pôles - Polythéisme

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Libraire internationale (p. 2080-2086).


PÔLES n. pl. (du grec polein : tourner). La sphère céleste semble tourner tout entière, il est en ouest, autour d’un point du ciel voisin de l’étoile Alpha de la Petite Ourse (étoile polaire). Si nous faisons partir dans la direction du fil à plomb, une ligne imaginaire qui traverse le centre de la terre et qui va aboutir de l’autre côté de la sphère, nous obtiendrons l’axe de la terre, c’est-à-dire la ligne autour de laquelle elle semble tourner. Chacun des points où l’extrémité de l’axe terrestre perce le globe est un pôle. Celui tourné du côté de l’étoile polaire est le pôle nord, boréal ou arctique. Le pôle opposé est le pôle sud, austral ou antarctique. S’appellent zones glaciales ou régions polaires, les pays ou océans compris autour des pôles dans l’intérieur des cercles polaires, lesquels sont respectivement situé à 66° 33’de l’équateur. Elles occupent les 8/10e de la surface totale du sphéroïde terrestre.

Les rayons solaires ne font que glisser à la surface de ces régions désolées et froides. La sphéricité du globe amène les rayons du soleil, de verticaux qu’ils sont à l’équateur à devenir de plus en plus obliques vers les pôles. Et comme la température d’un lieu dépend de l’échauffement de ce lieu par le soleil, elle décroît donc de l’équateur aux pôles ; d’autre part comme le soleil échauffe la terre, non pas par la distance à laquelle les divers points du globe se trouvent par rapport à l’astre du jour, mais proportionnellement à la perpendicularité des rayons, on conçoit que la vie végétale et animale, à plus forte raison la vie humaine, n’existe pour ainsi dire pas dans les régions polaires. Au nord, seules les côtes les plus méridionales et surtout celles de l’ouest dans la direction du détroit de Davis et de la mer de Baffin, sont habitées par une population de nomades atteignant à peine 10.000 habitants. Au cours des longs hivers, la température s’abaisse parfois jusqu’à 50 à 60 degrés sous zéro et elle ne s’élève guère pendant les courts étés à plus de 6 à 7 degrés au dessus de zéro. De plus, l’inclinaison de la terre sur son axe, produit une différence dans la durée du jour et de la nuit, suivant la latitude du pays que l’on considère. Aux cercles polaires le soleil ne se couche pas pendant le jour du solstice d’été et ne se montre pas le jour du solstice d’hiver. Depuis ce cercle jusqu’au pôle, le soleil ne se lève pas ou ne se couche pas pendant un nombre de jours qui va toujours en augmentant jusqu’au pôle même où l’on trouve six mois de jours et six mois de nuit.

On conçoit aisément que, dans ces régions qui connaissent un été très court (3 mois) et où le sol est presque toujours gelé, où l’océan est recouvert d’une banquise épaisse, la faune et la flore soient très restreintes. La faune terrestre est à peu près nulle dans les régions polaires australes, elle est plus riche dans les régions boréales. Nous y trouvons des carnassiers de petite taille : blaireaux, renards, martes ; des rongeurs : lièvres blancs, lemmings et des carnassiers de grande taille : ours blancs ; des ruminants : bœufs musqués, rennes, élans, etc… La faune aérienne et marine est assez abondante dans les deux hémisphères : palmipèdes migrateurs, échassiers, passereaux, pingouins, guillemots, goélands, plongeons, mallettes, cormorans, fous, eidus pour l’hémisphère nord ; au sud, notons : manchots, pétrels, albatros, puffins, etc. Dans les eaux vivent les cétacés et les pinnipèdes, les phoques et les morses dans les régions arctiques et, dans les régions australes, les otaries. La flore comprend dans les deux hémisphères des mousses et des lichens et dans celui du nord existent quelques espèces naines de saules et de bouleaux qui profitent des trois mois d’été pour achever en une ou deux saisons, leur complet développement. Au-delà du 70° parallèle, la faune et la flore disparaissent pour ainsi dire. Les morses, les phoques et les pingouins sont les derniers animaux qui persistent dans les solitudes, la terre s’achève au Nord et au Sud dans le froid et la nuit…

Les régions polaires n’ont pas toujours présenté le caractère qu’elles nous montrent aujourd’hui ; elles n’ont pas connu de tout temps le climat rigoureux qui les caractérise actuellement. A l’âge tertiaire, à la période néogène, le climat des pôles était voisin de celui des régions méditerranéennes actuelles. La faune et. la flore y étaient alors considérables. Notons aussi qu’aux époques géologiques antérieures, la chaleur reçue aux pôles était égale à celle que recevait l’équateur et que les formes de vie animales et végétales étaient, à peu de choses près, semblables sur toute l’étendue du globe.

On s’imagine aisément que les régions polaires n’ont que peu tenté les explorateurs. Et, de fait, les explorations entreprises dans ces pays n’ont été inspirées que par une pensée scientifique et économique : la recherche des pôles, l’espoir de trouver une route maritime plus directe pour passer de l’Europe en Asie et en Amérique. Nous devons diviser les explorations polaires en quatre groupes : 1° celles tentées pour rechercher le passage du N O ; 2° celles tentées pour découvrir le passage du N E ; 3° les expéditions tentées pour atteindre le pôle nord, et 4° les expéditions antarctiques.

1° Passage du Nord-Ouest, qui a pour but de reconnaître la route maritime la plus directe pour passer du Nord de l’Amérique septentrionale au détroit de Behring. En 1497, Sébastien Cabot aperçoit le détroit de Davis. Un peu plus tard, les frères Cortéréal aperçoivent le détroit d’Hudson. Notons les ouvrages de Martin Irobisher qui découvre la côte méridionale de la terre de Baffin. Ensuite, John Davis entreprit de 1585 à 1587, trois voyages au cours desquels il explore le détroit qui porte son nom et la terre de Baffin jusqu’au 72° latitude nord. En 1610, Hudson étudie la baie qui porte son nom. Citons les expéditions de Button et Ingram (1612), de Luke Fox et de Th. James (1631). Aucune de ces expéditions, sauf celle de Baffin et Byllot qui atteignirent le 78° de latitude nord et découvrirent, sans en reconnaître le véritable caractère, le détroit de Lancastre ne furent fructueuses. Il était réservé aux explorateurs du XIXe siècle de coordonner les découvertes de leurs devanciers et de trouver le passage tant cherché. En 1819, Edward Pany s’avança jusqu’à la terre de Melville et parvint à la terre de Banks. En 1847, après un double hivernage, Franklin mourut à la terre du roi Guillaume. Pendant ce temps, James Clark Ross et Parry reconnurent le groupe d’archipels existant à l’ouest du bassin de Melville. En 1858, Mac Clure découvrit le passage en entier, passage constitué par un ensemble de canaux conduisant d’un océan à l’autre, mais dont la navigabilité est rendue impossible par les obstacles climatériques.

2° Passage du Nord-Est, qui, à travers l’ensemble de détroits existants entre le seuil de Behring et la Nouvelle Zemble, fait communiquer, le long du littoral sibérien, le Pacifique septentrional et l’Atlantique nord. Notons d’abord, en 1554, la tentative de Willougby qui atteignit la Nouvelle Zemble et vint mourir, au retour, à l’île Nokonief, sur la côte de Laponie. Citons le voyage de Bourrough qui atteignit l’extrémité méridionale de la Nouvelle Zemble et celui de A. Pet et Ch. Jackmin en 1580, jusqu’à la mer de Kara. En 1596, Willem Barentz découvrit le Spitzberg et atteignit la côte occidentale de la Nouvelle Zemble où il mourut après un dur hivernage. Hudson, en 1607, parvint jusqu’au 80° de latitude nord. A retenir ensuite un certain nombre de petites expéditions faites au cours des 66 années suivantes, par des Danois, des Hollandais, des Anglais. Mais ce ne fut qu’au xixe siècle que se firent les expéditions décisives. L’expédition autrichienne de Weyprecht et Payer découvrit, en 1871, la terre François-Joseph. L’archipel de la Nouvelle Sibérie, l’île Wrangel, à l’est du cap Tchéliouskine, furent reconnus par divers explorateurs russes. En 1878-79, le Suédois Nordenskjôld coordonna les découvertes antérieures en réussissant la traversée du passage du N.-E. Comme celui du N.-O., ce passage est inutilisable à cause des glaces qui l’encombrent ou l’interceptent continuellement.

3° Découverte du pôle nord. — Pendant que certains cherchaient la solution aux problèmes des passages du N.-O. et du N.-E., de hardis explorateurs s’avancèrent de plus en plus loin dans les régions polaires et tentèrent d’approcher le pôle nord. En 1861, Hayes atteignit, dans la direction du détroit de Smith, le 81 ° 35’de latitude ; Hall le 82° 16’; en 1876, Markham parvint jusqu’au 83° 20’, tandis que des membres de l’expédition Greely s’avançaient au nord du Groenland jusqu’au 83°. En 1898, Peary dépassa ce dernier point de 26’. Notons l’expédition de Nansen vers le Groenland en 1888. En 1895, le même atteignit au nord de la terre François-Joseph, la latitude de 86° 4’et, en 1900, l’Italien Cogni, membre de l’expédition du duc des Abruzzes, s’avança dans les mêmes parages jusqu’à la latitude de 86° 34’. Signalons l’expédition d’Andrée en ballon, en 1897, de Siscedrupt (1901), de Peary qui découvrit le pôle nord le 6 avril 1909. Plus près de nous, se situe l’expédition du général italien Nobile en zeppelin, et la tentative faite actuellement pour atteindre le pôle en sous-marin.

4° Régions antarctiques. — Les régions polaires antarctiques n’ont que peu sollicité les explorateurs. Seules des considérations d’ordre scientifique et l’ambition de savoir si cette immense calotte de glace recouvre un continent autonome ou un archipel, conduisirent les audacieux vers les régions australes qui s’avèrent d’une pénétration difficile et qui sont plus éloignées que les régions arctiques de tout pays civilisé.

Théodore de Gheritk et Kerguelin découvrirent l’îlot de Kerguelin. Cook découvrit les Sandwich du Sud. En 1819, Smith reconnaît le groupe important des Shetland. En 1823, le baleinier Wedel s’approche du 80° parallèle. En 1839, Dumont d’Urville découvre la terre LouisPhilippe et Bellingshausen l’archipel Pierre Ier (1821). De Wilkes et James Clark Ross découvrent, en 1844, les volcans Erebus et Tenon, sous le 78° latitude sud, et la terre de Victoria. En 1892, Scott parvint jusqu’au 82° 17’de latitude sud. De Gerlache pousse, en 1897, jusqu’au 71° latitude et découvre de nombreuses terres australes.

Shackleton atteignit le 88°23 de latitude sud en 1909 et le 16 décembre 1911, Amundsen toucha le pôle sud. Récemment, l’expédition américaine Byrd séjourna — voyage d’études — et étudia les régions australes. — Ch. Alexandre.

Bibliographie. — La surface terrestre (Ch. Weule) (L’Univers et l’Humanité, tome IV).


POLICE s. f. (du latin : Politia, administration d’une ville). Organisme qui a pour but de faire exécuter les lois, décrets, ordonnances édictés par le pouvoir législatif et tendant à sauvegarder la sûreté : des biens, des personnes ou de l’État.

Toute loi, toute règle, suppose, évidemment, une sanction. Toute sanction nécessite un mécanisme de contrainte. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’évolution des sociétés, on constate cette préoccupation du législateur : assurer, par un ensemble de mesures, de défenses et de prescriptions, la tranquillité de l’État et la sécurité des citoyens : l’ordre. Tant que l’Ordre peut être basé sur la Foi, sur la croyance à un magistrat suprême, chaque croyant, c’est-à-dire chaque citoyen, participe à la police de l’État, et le législateur, qui est en même temps le Prince, peut facilement veiller à l’exécution de la loi, sans cet organisme spécial, distinct, qu’est la police du xxe siècle.

Encore au temps de la Grèce, « la police se confondait avec l’ensemble des institutions qui constituaient la cité, et les écrivains anciens entendaient, par un État bien policé, celui dans lequel les lois en général assuraient la prospérité intérieure. » Sous les Romains, ce ne fut que du temps d’Auguste que la police devint une institution spéciale ; encore fut-elle nécessitée par l’étendue du vaste État qui l’enfermait dans son sein des peuples à la foi désharmonique en un ou plusieurs « Dieux ». Elle devint d’ailleurs, tout aussitôt, une véritable police politique, épouvantablement tyrannique. Le « prœfectus urbis », ayant sous ses ordres les « curatores urbis », parsema Rome et les Provinces d’agents inférieurs, chargés de « rapporter » sur tout ce qui était susceptible de porter quelque ombrage au pouvoir d’Auguste. Cette police disparut avec les invasions des « barbares », pour ne renaître que plusieurs siècles plus tard, avec le grand mouvement de libération des Communes. En achetant le droit d’administrer les villes qu’ils habitaient, les bourgeois prirent en même temps toutes les mesures de sécurité et pour eux et pour leurs biens. Ils firent construire les « beffrois », d’où la cloche sonnait le tocsin à l’approche des indésirables, bandits de grands chemins ou hommes d’armes.

Toute la nuit, un corps de police, « le guet », armé, parcourait les rues pour prévenir les vols, les assassinats et, nous disent les chanteurs du temps, « faire peur aux amoureux ». Un service de garde veillait aux portes de la ville, fermées dès le soleil couché. Chaque ville avait sa police, ses règlements et son organisation. Souvent cette police s’opposait à celle que, peu confiants, s’étaient constituée certains corps de métier. Tantôt, donc, faisaient la police : corps de métier, maires, capitouls, consuls, jurats ; tantôt, en d’autres villes, des officiers royaux, et dans les fiefs seigneuriaux, des juges délégués par le seigneur.

A Paris, un prévôt nommé par le roi, fut chargé, vers la fin du xiie siècle, de la police intérieure de la ville, faite d’abord, depuis des temps fort reculés par le chef de la corporation des marchands d’eau. Le Prévôt de Parts, armé et du pouvoir judiciaire et d’une grande autorité, disposa pour faire la police, d’une Compagnie de sergents, d’une Compagnie d’ordonnance et de guet. Mais l’ordre ne put jamais régner totalement, la survivance des autres polices provoquant fréquemment des heurts entre le pouvoir et les corporations des marchands. En outre, il y avait quelque danger pour le Pouvoir à laisser dans la même main l’exercice de la police et celle de la justice.

Un Edit de 1669, institua à Paris un magistrat spécial qui, sous le nom de lieutenant de prévôt pour la police, puis de lieutenant général de police, eût dans ses attributions toutes les branches de la sûreté générale et sous ses ordres : 48 commissaires de police et 20 inspecteurs. Pour la première fois, la justice et la police furent deux organismes distincts. On trouve (Larousse) dans le préambule de cet édit, une définition fort aimable des attributions de la police : « La police consiste à assurer le repos du public et des particuliers, à purger la ville de ce qui peut causer des désordres, à procurer l’abondance et à faire vivre chacun selon sa condition. » Dans ce but furent créés des lieutenants de police dans les principales villes du royaume et plus tard partout où existait un siège royal.

Et voici, d’après le Larousse, comme les lieutenances de police répondirent aux espérances fondées sur elles. « Si la création de lieutenants de police dont le premier fut M. de la Reynie, eut de bons côtés, elle ne fut pas sans inconvénients graves. La police changea de caractère. Le lieutenant de police ne se borna pas à surveiller les halles et marchés, les rues et les places publiques, les réunions illicites ou tumultueuses, la librairie, l’imprimerie, le colportage des livres et des gravures, le vagabondage, la mendicité, etc., il devint surtout et avant tout un agent politique du Pouvoir dont il émanait. On le vit se prêter à tous ses intérêts, à tous ses caprices et prendre, conformément à ses ordres, les mesures les plus tyranniques. Dès lors, la liberté des citoyens put être foulée aux pieds sans rencontrer d’obstacles dans le pouvoir judiciaire. L’espionnage fut organisé sur une vaste échelle ; on accrut considérablement le nombre des agents, on en créa qui eurent pour mission de dérober les secrets des familles et de prendre tout ce qui portait ombrage à l’autorité. Aussi, malgré quelques règlements utiles, relatifs à l’éclairage de la ville, etc., la police devint extrêmement impopulaire. Dès le début de la Révolution de 1789, le lieutenant de police Thiroux de Crosne donna sa démission et l’institution disparut avec lui. »

Totalement réorganisée par la Révolution, qui nous la laissa à peu près dans l’état où elle est aujourd’hui, la police fut saluée ainsi, par les articles 16 et 17 du Code des Délits et des Peines du 3 brumaire, an IV : « La Police est instituée pour maintenir l’ordre public, la Liberté, la propriété, la sûreté individuelle. Son caractère principal est la vigilance. La société considérée en masse est l’objet de sa sollicitude. » Mais les révolutionnaires de 1789 ont eu d’autres illusions. En réalité, la police continua la bonne tradition des lieutenances de l’ancien régime. Faite pour exercer directement l’autorité au nom du Pouvoir établi, elle se spécialisa dans l’exercice de l’oppression, si bien que, seule, l’oppression fut sa raison d’être. Chargée de surveiller l’exécution des lois, de poursuivre toutes les insoumissions, elle est devenue l’expression même de la tyrannie. Échappant nécessairement à tout contrôle réel, elle est, au-dessus des lois, un organisme de mouchardage, de provocation, de sanie.

Les agents de la police sont recrutés dans les milieux les moins éduqués, les moins conscients, les moins susceptibles de compréhension. La misère, l’ignorance et la fainéantise sont les agents de recrutement de la police. Aussi, lorsque ces individus sont nantis d’un peu d’autorité — celle que confère le collier à pointes au chien de propriétaire — ils oublient leur classe d’origine, l’ignominie sociale et deviennent les plus fermes soutiens du régime du jour. Asexués, déclassés, décérébrés, ils sont, aux jours calmes : « Les braves gens qui s’baladent tout le temps. » Vêtus du costume spécial à la valetaille : majordomes, cochers, suisses, évêques, juges, soldats, ils chassent dans les rues les camelots et les petits marchands qui trichent avec la loi qui garantit le commerce patenté, renté, doré sur glaces et devantures ; ils poursuivent les chiens errants et mal peignés ; battent la semelle devant les préfectures ; assomment les poivrots dans leurs postes sales et punais. Aux « premiers mai », aux jours noirs de la grève où la plèbe hurle sa faim aux accents d’une « Internationale » indisciplinée, armés de matraques et de coupe-coupes, ils cognent sur les femmes et les enfants, bossèlent le crâne aux vieillards. Quand la nuit étend son manteau sur les ruelles, deux par deux, ils sont l’Ordre saint et majestueux. Et lorsque des méchants attaquent le passant attardé, pour n’être pas troublé l’Ordre-Flic « se tire des pattes » et vient sur le champ de bataille, quand il n’y a plus que les morts et les blessés, dresser contravention. Ils sont parfois bêtes, souvent méchants, mais tout le monde les connaît.

Il est une catégorie de policiers qui prétendent épouser la forme bourgeoise de vêture. Le naïf seul les croit « de la secrète ». Il y a dans leur démarche, leur regard, un indéfinissable ton de vilenie qui les classifie immédiatement « animal dangereux » ou « piège à loups ». Ceux-là tendent les lacets, sinon avec science, du moins avec assez d’impudeur, pour que s’y prennent les pauvres lièvres du vol et du crime ou les buses étourdies. Les rongeurs et les grands rapaces, non plus que les fauves, ne craignent leurs rets. Vivant du voleur, de l » assassin, de la putain et du souteneur, pour nécessiter leur état, s’ils n’existaient pas, ils inventeraient le vol, le crime, la prostitution et le maquereautage.

C’est dans la catégorie des agents « en bourgeois » que se recrutent les agents politiques, de beaucoup les plus bas, les plus vils, ceux dont les moyens sont le mouchardage et la provocation. Leur but, leur unique but, c’est de garantir le Pouvoir de la critique parlée ou écrite et de l’action individuelle ou sociale ; sûrs d’être couverts en toutes circonstances par les maîtres du jour, il n’est pas d’ignominies qu’ils se refusent. Se glisser auprès de l’ennemi possible, gagner sa confiance, s’en faire un ami, afin de surprendre ses pensées et ses actes, puis le dénoncer, le vendre salement. Afficher dans un groupement où l’on a pénétré, les idées des « copains », les pousser à agir, leur en procurer les moyens, puis, quand ils sont irrémédiablement compromis, les vendre, pour gagner quelque argent ou mériter quelque galon. Qu’importent les douleurs, les désespoirs, la mort même, de ceux qui l’avaient reçu comme un frère ! Le policier fait son métier. Triste métier !

Mais a-t-il du moins quelque utilité ? Le mal qu’il fait, la laideur qu’il répand, sont-ils compensés par du bien, de la joie, de la beauté ? Sous l’œil tutélaire de la police, les beaux sentiments, les joies fécondes, peuvent-ils s’épanouir ?

Indépendamment des déformations professionnelles nécessaires, la police prétend : a) Préserver les biens ; b) Préserver les personnes ; c) Assurer l’ordre. Voyons ce qu’il en est.

Préserver les biens : Dans nos société policées, toutes les richesses : sol, sous-sol, instruments de travail, produits du travail, tout est la chose, le bien, la Propriété (voir ce mot) de quelques-uns ; les autres, de beaucoup la plus grande quantité, ne possèdent rien. Or, ceux qui possèdent toute la richesse sociale, ce sont ceux qui précisément n’ont jamais participé à sa production et ceux qui ne possèdent rien, ce sont ceux qui ont produit toute cette richesse. La police n’a donc pas défendu les producteurs contre les accapareurs, les profiteurs — Non pas. La loi sanctionne le fait, de cette dépossession du grand nombre des producteurs par le petit nombre des profiteurs. Et la Police veille à l’exécution de la loi. C’est-à-dire que le rôle de la Police, sous prétexte de défendre les biens, est de défendre les voleurs contre les protestations et les révoltes des volés.

Utile la Police ? Socialement utile ? Qui l’oserait soutenir ?

Préserver les personnes : et d’abord, qui préserve les personnes du bon plaisir de la Police ?

Pour conserver les biens qu’ils ont dérobés aux producteurs, quelques exploiteurs tuent à petit feu, par manque d’hygiène, de repos, de saine nourriture, de logements spacieux, d’air pur, les neuf dixièmes de l’humanité. Pour leurs profits, ces exploiteurs déclenchent des guerres où l’on fait souffrir, puis périr des millions de producteurs. La Police empêche-t-elle que l’on tue par privations ou par la guerre ? Défend-elle ces millions de producteurs, de personnes, contre les exploiteurs qui les tuent ? Que non pas ! Lorsque les victimes veulent se révolter contre leurs bourreaux, la police frappe les victimes, les emprisonne, les tue. La police défend la personne des quelques exploiteurs de la juste révolte des millions de producteurs spoliés.

Peut-on dire que la Police est socialement utile à la préservation des personnes ? Non pas !

Garantir l’ordre ! Quel ordre ? Est-ce l’harmonie sociale que nous rêvons, où tous les humains, fraternellement unis, s’aideraient à se faire une vie toujours plus belle et joyeuse ? Non, non. L’ordre (voir ce mot) que garantit la police, est l’état social actuel. Cette richesse de quelques-uns, faite de la misère de tous les autres, cette constance dans l’insécurité et dans la douleur, tel est l’ordre que la police garantit. Toute amélioration, toute modification apportée à cet ordre épouvantable, lui paraît désordre et elle sévit durement contre les « fauteurs de désordre ».

Inséparable de l’Ordre actuel, la Police est une institution qui doit disparaître avec cet ordre. Le vol disparaît avec la Propriété individuelle ; le crime avec l’intérêt ; le désordre avec l’Etat. — A. Lapeyre.


POLITESSE (de l’italien : politezza). Manière d’agir et de s’exprimer conforme aux usages reçus dans une société. Ces usages varient suivant les régions et selon les époques. Ils sont ainsi parfois contradictoires. Cependant ils sont inspirés toujours par deux sentiments très estimables : le souci de la dignité personnelle et le désir de plaire à autrui. Il ne s’agit donc nullement d’un préjugé, encore moins de coutumes condamnables, bien qu’elles puissent être, en certains cas, avantageusement modifiées et remises en discussion. La politesse est une forme de la sociabilité. Certains démagogues en ont pris ombrage, sous prétexte qu’elle est en honneur dans les milieux aristocratiques. Comme si l’esprit révolutionnaire devait consister, non à se conduire selon la raison, mais à faire, en chaque circonstance, exactement le contraire de ce que font les bourgeois !

La véritable courtoisie est faite de simplicité cordiale à l’égard de tout le monde, surtout envers les plus humbles ; et elle vise à la bonne tenue, à la grâce dans le geste, par respect pour soi-même et pour les autres. Elle n’a pas lieu d’être confondue avec l’attitude guindée, et le ton impertinent, les courbettes excessives, les propos ennuyeux à force d’être mesurés, qui furent de bon ton naguère, et qu’affectionnent encore de ridicules parvenus. Il serait injuste de la taxer d’hypocrisie. Les règles élémentaires de la solidarité, et de la déférence réciproque, dans les relations de chaque jour, n’ont rien à voir avec la duplicité. La flatterie excessive, l’obséquiosité intéressée pourraient seules mériter une telle accusation. Mais on peut être poli sans jamais recourir à d’aussi vils procédés. D’ailleurs, la franchise n’est pas plus à confondre avec la brutalité, que la modestie avec le sans-gêne ou la grossièreté.

Lorsqu’une personne est disgraciée par la nature, faut-il pousser l’amour de la vérité jusqu’à lui rappeler qu’elle est laide, ce que son miroir ne lui révèle que trop ? N’est-il pas plus charitable de prêter attention à quelque détail avantageux de son physique, tout en paraissant ne s’apercevoir point du peu d’harmonie de l’ensemble ? La sincérité ne consiste pas à dire tout ce que l’on pense, mais à penser tout ce que l’on dit. Et lorsque l’on pense des choses qui pourraient être attristantes pour autrui, sans aucune nécessité, le mieux est de se taire, de réserver son courage civique pour des occasions plus profitables.

Il n’est pas de règle de politesse puérile et honnête qui ne puisse se justifier par des raisons valables, ce qui ne signifie point qu’il faille, à l’instar des snobs, se plier aveuglément à tous les caprices de la mode. S’il est convenable qu’un homme, qui n’est ni infirme ni accablé de fatigue, cède sa place, s’il est assis, à une femme demeurée debout, ce n’est point en vertu d’une sorte de religiosité à l’égard du sexe féminin, mais parce que la femme étant, en moyenne, plus faible que l’homme et, par surcroît, sujette à des troubles physiologiques, que le sexe mâle ne connaît point, il est juste qu’elle soit l’objet d’attentions particulières. Éventuellement, d’ailleurs, il serait bien qu’une femme jeune et robuste se privât de son siège en faveur d’un mutilé ou d’un vieillard.

Se laver les mains avant de se mettre à table, manger en évitant de toucher les aliments avec ses doigts, n’est pas une question d’afféterie, mais d’hygiène et de propreté. Ne discuter qu’avec tact lorsque nous avons affaire à des personnes ayant des idées opposées aux nôtres, éviter de les froisser, tâcher plutôt d’éveiller leur curiosité, n’est ni une faiblesse ni de la dissimulation. Les invectives, l’ironie blessante, ne sont pas des arguments, et ils éloignent de nous plutôt qu’ils ne plaident en faveur de nos doctrines.

Il n’est pas indispensable de compulser de gros ouvrages spéciaux pour être de bonne éducation. Il suffit, à tout moment, d’avoir envers les personnes qui nous entourent, la conduite correcte et les prévenances dont nous serions heureux de bénéficier si nous étions à leur place. — Jean Marestan.


POLYTHÉISME n. m. (du grec : polus, nombreux ; theos, dieu). Le polythéisme, ou culte de plusieurs dieux, est antérieur au monothéisme, ou culte d’un dieu unique, mais lui-même n’est pas apparu dès les tout premiers temps de l’humanité, ainsi qu’on le prétend d’ordinaire. Armand de Quatrefages professait que la religiosité constitue, avec la moralité, la caractéristique essentielle de la race humaine, du règne humain, comme il disait, voulant marquer par là que « l’homme est distinct des animaux au même titre que ceux-ci sont distincts des végétaux. » Pourtant notre espèce n’a pas échappé à la loi d’évolution ; et de longs siècles furent nécessaires avant qu’elle puisse se poser les problèmes qui donnèrent naissance aux religions. A l’époque moustérienne, on inhumait les cadavres ; de plus, leur attitude repliée indiquerait, dit-on, l’existence d’un rite, la croyance à la vie future. Admettons-le ; mais bien des milliers d’années s’écoulèrent avant d’en arriver là. Aux époques chelléenne et acheuléenne, on ne trouve rien de pareil. Certains animaux enterrent leurs compagnons défunts ou les couvrent de branchages ; beaucoup tremblent devant la mort ; aucun indice ne permet d’affirmer que l’idée de survie hante leur cerveau. La religion apparut lorsque l’homme s’interrogea sur son origine et sa destinée, lorsqu’il chercha une explication aux phénomènes de la nature. Ce qui exigeait une évolution cérébrale déjà très avancée. Ne pouvant rien comprendre aux forces cosmiques et à l’inflexible déterminisme de leurs lois, il peupla l’univers d’esprits semblables au sien, mais plus puissants. Alors naquit le polythéisme qui, malgré les prodigieux succès du monothéisme (voir ce mot), continue de régner aujourd’hui sur une notable partie du globe. Le fétichisme des sauvages actuels témoigne d’un état d’esprit voisin de celui des hommes primitifs. Dans l’ancienne Égypte, corps célestes, plantes, animaux, etc., prenaient forme de dieux, tant l’animisme demeurait un penchant essentiel de l’âme populaire. Chats, ibis, chacals, éperviers, crocodiles, scarabées étaient sacrés ; le culte du taureau Apis, à Memphis, et celui du bouc de Mendès sont restés fameux. Le taureau Apis devait être noir, avec un triangle blanc sur le front, une marque ressemblant à un vautour les ailes étendues sur le dos et, sur la langue, un signe en forme de scarabée. Des prêtres le nourrissaient soigneusement et l’honoraient comme un dieu. Sa mort était un deuil national. Parmi les divinités à forme humaine, plusieurs avaient une tête d’animal, souvenir certain de leur nature primitive. Même des arbres, même d’humbles végétaux furent considérés comme sacrés. L’anthropomorphisme triomphera plus tard ; mais les Égyptiens juxtaposeront les divers cultes adoptés successivement par eux, sans chercher à les fondre ensemble ou à les relier par un lien logique. D’où l’inextricable chaos de leurs croyances théologiques. Une hiérarchie finit par s’établir entre les dieux ; Horus, Râ, Osiris passèrent au premier plan ; Ammon-Râ jouit d’une grande vogue sous le règne d’Aménophis IV ; Sérapis devint le dieu principal à l’époque des Ptolémées. Nos pudeurs actuelles étaient inconnues de ces religions anciennes ; et le phallus, symbole de l’éternelle fécondité de la nature, faisait l’objet d’un culte qui s’étalait au grand jour. Des figures, dont l’organe viril n’était guère moins important que le reste du corps, étaient portées triomphalement dans certaines cérémonies. On faisait saillir les femmes stériles par le bouc sacré de Mendès. « Cet animal étant fort enclin aux actes de Vénus, écrit Diodore de Sicile, on jugea que son organe, qui était l’instrument de la génération, méritait d’être adoré, parce que c’est par lui que la nature donne naissance à tous les êtres. » Assemblage de cultes locaux disparates, la religion du peuple égyptien manifesta des tendances vers le monothéisme, mais n’y aboutit jamais.

Les Assyriens ont connu des dieux animaux, mais c’est dans les astres qu’ils plaçaient leurs divinités essentielles. Samas régnait dans le soleil, Sin dans la lune, Adar dans Saturne ; dans Jupiter habitait Marduk, dans Mars Nergal, dans Vénus la déesse Istar, dans Mercure Nébo ; Bin commandait aux tempêtes et aux orages. Aux environs de 860 avant notre ère, un roi assyrien comptait plus de 7.000 dieux petits ou grands. Ils étaient groupés par trois, chaque dieu ayant pour épouse une déesse qu’il fécondait. Le premier souverain de la Babylonie unifiée, Hammurabi, plaça Marduk à la tête des autres dieux. Il prétendait en avoir reçu un code de lois, que l’on a retrouvé à Suse et qui ressemble beaucoup au code mosaïque. Mais comme Hammurabi a vécu six siècles avant Moïse, c’est ce dernier qui l’a plagié. Sur bien des points, la Bible s’est d’ailleurs inspirée des traditions assyriennes ; ainsi, concernant le déluge. Furieux contre les hommes, les dieux décident qu’ils périront par l’eau, sauf Unnapishtin et les siens qui construisent une arche et s’y enferment. L’eau tombe d’une façon effrayante ; et l’arche s’arrête sur une montagne au bout de sept jours. Une colombe, puis une hirondelle lâchées par Unnapishtin, ne trouvant de terre ferme nulle part, reviennent ; un peu plus tard, un corbeau part et ne reparaît point. Le Noé assyrien quitte l’arche et offre un sacrifice aux dieux. Antérieure au récit biblique, cette fable fut admise par les juifs, qui se bornèrent à la modifier en l’adaptant au monothéisme. Au dire des prêtres babyloniens, les astres exerçaient une profonde influence sur la destinée des hommes ; leur inspection permettait en conséquence de prévoir l’avenir. D’où l’astrologie qui, de nos jours encore, compte des partisans.

Le culte phénicien, qui s’adressait à une multitude de dieux locaux, fut particulièrement cruel, On immolait des enfants les jours de fête ou pendant les épidémies, les disettes et les autres calamités publiques. Engraissés au préalable, ils étaient suppliciés sous les yeux de leur mère qui devait s’abstenir de pleurer. Afin d’accroître les douleurs des victimes, on les traînait entre deux feux à l’aide de cordes mouillées ; plus tard on les brûla dans des statues métalliques. Pour s’assurer la bienveillance divine, des parents n’hésitaient pas à faire mourir leur unique enfant ou leur premier-né dans des souffrances atroces ; les époux sans postérité achetaient les enfants de parents pauvres pour les offrir au moloch odieux. A Carthage, qui fut fondée par des phéniciens comme on le sait, un chef de révoltés fit crucifier son fils afin de se rendre la divinité favorable. Deux cents enfants, désignés par le sort et appartenant aux principales familles, furent brûlés, quand Agatocle assiégea la ville ; de plus, trois cents personnes s’offrirent en holocauste. Le Moloch carthaginois était une statue d’airain ; grâce à un mécanisme spécial, ses bras se relevaient, précipitant la victime dans une fournaise intérieure. En d’autres régions, on enfermait l’adulte ou l’enfant dans une statue d’airain chauffée au rouge. Des danses et des chants avaient lieu, avec accompagnement d’instruments de musique, pour couvrir les cris du malheureux qui agonisait. A côté des baals et des molochs, il y avait d’autres dieux moins féroces : citons Astarté, l’Aphrodite des Grecs, et Adonis, jeune et beau chasseur, que les femmes pleuraient, chaque année, le jour anniversaire de sa mort. Parmi les modernes, plusieurs refusent d’ajouter foi aux récits de Diodore et pensent que le sacrifice des enfants ne consista, de bonne heure, qu’en un simulacre, en une comédie rituelle. Espérons qu’ils disent vrai ; mais les religions ont provoqué tant de crimes que le contraire, hélas ! est loin d’être impossible.

Le panthéon brahmanique, à l’époque des Védas, était composé de dieux personnifiant les forces naturelles. Au nombre de 33, et ignorant toute hiérarchie, ils régnaient les uns au ciel, d’autres sur la terre, d’autres dans la région intermédiaire. Les grands dieux de l’Inde actuelle ne jouaient pas un rôle important. Aujourd’hui, dieux et déesses pullulent au pays de Gandhi. Vishnou et Siva sont honorés sous mille formes ; mais Brahma, la première personne de la trinité hindoue, n’est pas populaire, c’est un dieu trop métaphysique. D’incroyables superstitions, un culte désordonné, des extravagances de toutes sortes rendent l’hindouisme aussi ridicule et aussi odieux que n’importe quelle autre religion. Il faut, chez les théosophes, une forte dose d’ignorance ou d’aveuglement pour prendre au sérieux ces folies orientales. Et l’on peut douter de la bonne foi de ceux qui, ayant étudié sérieusement l’Inde brahmanique, osent nous l’offrir en modèle. De Dieu, le Bouddha Sakyamouni ne se préoccupa jamais ; peut-être n’y croyait-il point. Mais ses fidèles ont donné, de bonne heure, dans les pires extravagances du polythéisme. Relativement raisonnable en Chine, le bouddhisme a multiplié au Tibet les incarnations divines. Avec son pape, ses moines, son clergé, ses nombreuses pratiques de dévotion, le lamaïsme ressemble fort au catholicisme romain. Ces analogies ont fait croire à plusieurs que le christianisme devait beaucoup à la religion de Bouddha ; on a même parlé d’un séjour de Jésus dans l’Inde et exhumé de prétendus documents relatifs à son voyage et à son retour en Judée. Un manuscrit en langue pali aurait été découvert qui porte cette phrase sur le premier feuillet : « Ici ont été confiés à l’écriture les rapports faits par des marchands venus d’Israël et les résultats d’une vaste enquête faite par nous, disciples de Bouddha Gauthama, sur le Saint Issa crucifié en Judée il y a quatre ans par le Gouverneur Pilate du pays des Romèles. » La crédulité des théosophes étant inépuisable, les mystificateurs se permettent les plus bizarres fantaisies. Ces pieux mensonges rappellent ceux des premiers chrétiens ; mais nul homme réfléchi ne s’y laisse prendre. Les ressemblances constatées entre la vie de Bouddha et celle de Jésus portent seulement sur des légendes tardives ; l’on n’a pu, jusqu’à présent, en tirer des conclusions sûres.

En Gaule, le mystère qui entourait la religion et la défense faite aux druides de rien écrire sur leur doctrine et leurs cérémonies cultuelles, empêchèrent longtemps d’approfondir les croyances sacerdotales. A l’origine, les Gaulois adoraient les grandes forces naturelles : Belon, le soleil, Belisana, la lune, les montagnes, les grands arbres, les fleuves, etc. Ensuite ils peuplèrent le globe d’esprits ou de génies et imaginèrent tout un monde de nains, de fées, de korrigans. Alors apparurent les principaux dieux gaulois : Teutatès qui conduit les âmes des morts, Esus qui remplit d’horreur la profondeur des forêts, Eporia, la protectrice des chevaux, Borvo, Sirona qui président aux eaux thermales, etc. Au-dessus des divinités locales, les druides plaçaient un être suprême, dont la connaissance était réservée à un petit nombre d’initiés. On ne trouvait ni temples, ni statues ; mais l’on offrait à ces dieux irascibles les dépouilles des vaincus ou des victimes humaines. Recrutés parmi l’élite de la jeunesse, les druides faisaient, au préalable, un apprentissage d’une vingtaine d’années. Isolés du monde, ils apprenaient des milliers de vers qu’ils devaient retenir de mémoire. Le chef des druides, nommé à vie, était choisi par voie d’élection. Parmi les fêtes, celle de la cueillette du gui, qui avait lieu le sixième jour de la lune d’hiver, était particulièrement solennelle. Au-dessous des druides proprement dits venaient les eubages, sorciers qui fabriquaient des amulettes et guérissaient les maladies, puis les bardes, assez peu considérés, qui chantaient des poèmes sacrés. Les druidesses disaient la bonne aventure et entretenaient les superstitions populaires.

Comme César parlant des Gaulois, Tacite, parlant des Germains, identifie leurs dieux avec ceux de Rome. Il en cite trois : Mercure, Hercule et Mars. Mercure n’était autre que Vodan ou Odin, le plus fameux des dieux de Germanie. Les légendes lui prêtaient des mœurs guerrières et de nombreuses aventures ; chasseur féroce, c’est lui qui entraînait au Walhalla ou paradis les âmes des guerriers tués sur le champ de bataille. Là encore ils continuaient à se battre et à boire la cervoise ou l’hydromel dans le crâne de leurs victimes. Hercule se confondait avec Thor, le dieu du tonnerre, qui faisait entendre sa voix puissante au milieu des orages. Pour ce motif, Thor sera parfois confondu avec Jupiter. Le Mars germain était Tyr, fils d’Odin, qui avait pour symbole une épée plantée en terre. Parmi les déesses, citons Fraya, la Vénus du Nord, Hertha, la terre nourricière, Holda, la vigoureuse chasseresse. Le panthéon des germains était abondamment peuplé ; en outre ils supposaient la nature pleine d’esprits, elfes et trolls. Dans les montagnes habitaient des géants et des nains, dans les eaux des nixes, dans la mer un démon femelle Ran. Tout arbre avait son génie ; le culte des rivières et des fontaines était très populaire. On ne trouvait ni temples, ni caste sacerdotale ; les sacrifices étaient offerts par le chef de la famille et par le chef de la cité. Sorciers, devins, prophétesses ne manquaient pas : les femmes surtout passaient pour jouir de dons magiques. En 70, la prophétesse Velléda parvint à soulever les Bataves contre les Romains.

Les mythologies grecques et romaines sont trop connues pour que nous insistions. Très nombreuses, les divinités grecques avaient un visage et un corps humains ; elles étaient douées des vertus et des passions habituelles aux hommes. Grâce aux poètes et aux artistes, la religion primitive s’était modifiée de bonne heure, pour faire place à l’anthropomorphisme. Pourtant le totémisme laissa de nombreux vestiges, et les dieux ou déesses habitaient l’Olympe, une haute montagne du nord de la Grèce. C’étaient Zeus, le roi des hommes et des dieux, Héra, son épouse et sa sœur, Apollon, le maître du soleil, Poséidon qui commandait aux eaux et à la mer, Arès, le dieu des combats, Héphaïstos, le forgeron, Hermès, le messager céleste, Athéna, la déesse de la sagesse, Aphrodite, la reine de l’amour, Vesta, la gardienne du foyer, Déméter, la protectrice des moissons, Artémis, la déesse de la lune. Les Grecs honoraient beaucoup d’autres dieux, Hadès, le roi des enfers, Dionysos, le protecteur de la vigne, etc., ainsi que des divinités de moindre importance : muses, nymphes, faunes, néréides et tritons. Des héros ou demi-dieux, fils d’une mortelle et d’un dieu, étaient en outre admis dans l’Olympe : par exemple Hercule, Persée, Bellérophon, les deux frères jumeaux Castor et Pollux. Les Grecs possédaient des sanctuaires ; et quelques-uns, en particulier ceux de Delphes, d’Olympie, de Délos, jouissaient d’un renom prodigieux. Fort tolérants en matière théologique, dans l’ensemble, les hellènes persécuteront, néanmoins, Anaxagore parce qu’il doutait des dieux ; ils tueront Socrate qui les raillait. Nous avons parlé ailleurs de la religion romaine (voir Paganisme) et nous avons montré comment elle se transforma sous l’influence de la mythologie grecque.

Trois religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme, le Mahométisme, triompheront plus tard des cultes polythéistes, dans maintes régions du globe. Elles n’ont pu les faire disparaître complètement ; c’est par centaines de millions que se comptent encore les partisans du Bouddhisme, du Brahmanisme, du Fétichisme. Et, si l’on examine attentivement les dogmes chrétiens, ceux du catholicisme en particulier, on y découvre de nombreux vestiges du polythéisme. Dieu est unique, mais on le suppose composé de trois personnes ; l’adoration du pain eucharistique rappelle le culte des anciennes idoles ; la communion, qui consisterait, d’après les fidèles, à manger la chair de Jésus, fut comparée, avec raison, par Saint Cyrille, à un banquet de cannibales. De son côté, Saint Augustin déclare « que dévorer cette chair paraît plus affreux que de tuer un homme ». Comme la pâque juive, qu’elle a continuée en la transformant, la pâque chrétienne découle en droite ligne des vieilles croyances totémiques. Pour leur avoir dit ce que je pensais de l’eucharistie, un jour de première communion, les prêtres espagnols, saisis de colère, ordonnèrent des prières expiatoires et me dénoncèrent aux tribunaux. Ils ne purent m’accuser d’avoir falsifié les textes des Pères de l’Église qui démontraient l’exactitude de ma conception. — L. Barbedette.