Encyclopédie méthodique/Architecture/Perrault

La bibliothèque libre.

PERRAULT (Claude), né en 1613, et mort en 1688.

Il naquît à Paris ; son père, avocat au Parlement, l’avoit destiné à la médecine : il l’étudia, et reçut le titre de docteur de la Faculté de Paris, Faut-il attribuer ou à son peu dé goût, ou au manque de science et de succès, l’abandon qu’il fit de cette profession ? Il semble que ce fut une cause de ce genre qui donna lieu à l’épigramme de Boileau : on sait que ce poëte l’eut en vue, dans la peinture de celui qui d’ignorant médecin devint bon architecte. N’ayant ici à considérer Claude Perrault que sous le rapport de l’architecture, nous n’entrerons dans aucun des détails de sa vie et des controverse qui le mirent en rapport avec Boilean.

Il est certain qu’il eut des connoissances fort variées dans plus d’un genre, et ce fut comme littérateur qu’il s’initia aux études de l’art de bâtir.

La France ne faisoit que commencer à recevoir l’impulsion des grands ouvrages et des écoles de l’Italie. Déjà, sans doute, Pierre Lescot, Philibert Delorme, Ducerceau et plusieurs autres avoient fait revivre dans quelques édifices les méthodes et le goût de l’art des Anciens. Mais le goût ne pouvoit pas changer aussi promptement et aussi généralement en architecture, que dans les autres arts, et surtout ceux de la littérature. D’innombrables châteaux empreints à différens degrés de ce style du moyen âge, qu’on appelle gothique, et formés par et pour les mœurs du temps, opposoient une puissante résistance à l’introduction d’une manière inconciliable avec leurs plans, leurs dispositions et leurs élévations. Tous ces châteaux étoient une réunion de tours, de massifs, de tourelles, de parties sans liaison, découpées par des murs couronnées par des combles d’une hauteur démesurée ; toutes choses qui ne pouvoient s’allier avec le système des ordres et des ordonnances régulières des colonnes.

Tel avoit été le château des Tuileries, déjà fort modifié par Ducerceau et Delorme ; tel étoit le château du Louvre, auquel Pierre Lescot avoit aussi fait subir un changement de plan et d’élévation, du moins dans la quatrième partie du carré actuel de sa cour. Pour le dire en un mot, la connoissance de l’architecture antique étoit celle de quelques architectes, qui en avoient fait pour eux, en Italie, des études particulières, mais elle n’avoit pu agir encore sur les usages et sur l’opinion générale.

Colbert, occupé du soin d’éveiller sur tous les genres de connoissances et de recherches, la curiosité des Français, chargeoit les Académies qui venoient d’etre créées, de l’exploration des sources antiques, d’où devoient se répandre de toutes parts de nouvelles lumières. Perrault fut chargé de traduire en français Vitruve, dont il n’existoit encore que des commentaires incomplets. L’entreprise étoit alors des plus ardues, surtout pour un homme qui n’étoit pas sorti de France, et qui n’avoit pu confronter aux monumens même de l’antique architecture, les notions souvent obscures de l’architecte romain. Sans aucun doute la traduction de Perrault a été surpassée en bien des points, et ce n’est plus aujourd’hui chez lui, qu’on ira chercher les interprétations des passages les plus difficiles, et surtout les notions les plus précises sur l’esprit et les détails d’une multitude d’objets relatifs soit aux usages, soit aux matériaux, soit a la construction, soit au style et à la composition de beaucoup de monumens. Pour bien traduire Vitruve, il faut être en même temps capable de le bien commenter. Il faudroit donc réunir les tasen pratiques de l’artiste aux connoissances du philologue et aux recherches posititives de l’antiquaire. Depuis lui, et en profitant même de ses erreurs, plusieurs traducteurs de différens paya ont de beaucoup surpassé son travail, sans qu’on puisse dire qu’il ne reste pas encore a faire mieux et à faire plus.

Ce seroit à la France, qui a ouvert en quelque sorte la route, que sembleroit devoir être réservé l’honneur de poser le but. Mais il y faudra jours une condition assez difficile à obtenir ; celle d’une alliance bien rare de deux sciences, de deux talens chez le même homme, ou la réunion plus rare encore de deux hommes, l’un savant, érudit et versé dans les connoissances archéologiques ; l’autre artiste et dessinateur habile : car c’est autant par des dessins une par des notes, qu’il faut interpréter et Vitruve.

C’est là ce que Perrault avoit fait, et quoi-qu’on doive dire des planches et des dessins exécutés à grands frais, dont il accompagna sa traduction, qu’ils laissent beaucoup à desirer, il faut toutefois beaucoup plus admirer ce qu’ils offrent de vrai, de judicieux et d’applicable au texte, que s’étonner de ce qui leur manque, surtout quant au caractère, à la physionomie, au style précis des monomens décrits, et que Perrault n’avoit pu counoitre par lui-même.

Il falloit, sans doute, être déjà architecte, pour faire, sur Vitruve, le travail auquel il se livra : un peut croire cependant que ce grand ouvrage, qui dut être le fruit de beaucoup d’années, aura été ce qui fit de Perrault un architecte.

Naturellement de telles études dûrent le porter à voir l’architecture en grand, à concevoir des idées élevées, à s’occuper de cet art, sous les rapports qu’il doit avoir avec les monumens, avec la magnificence de la décoration, avec les qualités qui constituent le caractère de chaque édifice. Perrault n’étoit pas, dans le fait, architecte de profession ; il devoit passer plutôt pour théoricien que pour artiste.

A cette époque Louis XIV, voulant éveiller dans sa nation le génie de tous les arts, songeoit à s’illustrer par les plus hautes entreprises dans l’art qui amène tous les autres à sa suite, l’architecture ; il forma le projet, dirons-nous, de continuer, de terminer, et ne dirons-nous pas plutôt de refaire le Louvre, projeté trop en petit sous Henri III, qui n’avoit conçu, par le plan de Pierre Lescot, que le quart du projet actuel. C’étoit, comme on l’a fait entendre, un amas de masses discordantes dans leur proportion, leur forme, leur disposition, résultat d’entreprises partielles, et qui ne pouvoient être subordonnées a un raccordement régulier.

Il falloit prendre un grand parti, il falloit refondre dans un plan nouveau et soumettre à un dessin général, tout ce qui pouvoit se conserver ; et il ne s’agissoit pas seulement d’établir cette uniformité dans l’intérieur de la cour, il convenoit encore qu’une même ordonnance régnât à l’extérieur. Rien n’a mieux prouvé que ce monument, combien les grandes entreprises d’architecture ont de peine à parvenir à se compléter. Après trois siècles de travaux successifs, de projets, de reprises, etc. , le palais du Louvre, qu’il faut regarder aujourd’hui comme terminé, a encore un des côtés intérieurs de sa cour différent des trois autres, et de ses quatre faces extérieures, il n’en est pas deux qui se ressemblent.

Il n’y avoit point alors d’architecte en crédit à Paris, et il y avoit à Home un artiste d’un talent universel, dont la renommée avoit porté le nom dans toute l’Europe, le célèbre Bernin (voyez à l’article Bernin) le Roi le demanda, le reçut avec beaucoup de distinction : ou connoît le succès qu’ent cette démarche.

Il, n’est pas vrai, comme on l’a prouvé à l’article Bernin, que le péristyle du Louvre par Perrault eût existé en réalité, quand Bernin vint à Paris. A peine peut-on supposer que le projet eût été connu de l’artiste italien ; mais ce qui paroît constant, n’est que toutes les circonstances contribuèrent à exciter l’ambition et le génie de Perrault. Sollicité par son frère, il ne put résister au desir d’essayer ses forces sur un sujet dans lequel, libre des sujétions d’un programme donné, il put n’écouter que les inspirations de son goût.

Si Perrault eût été plus architecte de profession qu’il ne l’étoit, s’il eût rapporté ses conceptions aux besoins de son temps, aux sujétions de son pays, aux calculs pécuniaires, aux convenances locales, et aux usages d’un palais d’habitation, il est probable qu’il n’eût jamais projeté son péristyle ; mais il vit son sujet en homme habitué à saisir ce qu’on peut appeler le côté poétique d’un édifice. Le palais du grand Roi d’un grand empire lui parut demander, comme un temple, ce luxe extérieur de colonnes, de frontispices, qui saisir l’admiration du spectateur, et le porte à se former une grande idée du maître qui l’occupe.

Le péristyle du Louvre, tel surtout qu’il sortit des mains de Perrault (et avant qu’on y eût ouvert les fenêtres qui aujourd’hui sout percées sous la colonnade), n’est réellement qu’un modèle idéal de portail, de devanture sans emploi usuel, propre uniquement à annoncer la majesté du prince et de sa cour.

Après le départ de Bernin, l’attention se reporta sur le projet de Perrault. Pour mettre plus de maturité dans cet examen, ou forma un conseil des bâtimens, composé du premier architecte, de Lebrun et de Perrault ; Charles Perrault son frère en fut nommé secrétaire ; Colbert présidoit les séances, qui avoient lieu deux fois la semaine. C’étoit une nouveauté que des colonnes unies par des plates-bandes composées de claveaux, et l’on craignoit la poussée des plafonds sur les colonnes. Pour se rendre compte des moyens d’exécution, il fut résolu de construire en petit un modèle du péristyle, avec autant de petites pierres qu’il devoit en entrer de grandes dans l’édifice et de les retenir avec des barres de fer proportionnées à la mesure qu’elles auroient en grand. L’exécution de ce modèle rassura sur les difficultés qui avoient été le sujet de l’objection principale. On se convainquit que le fer employé à retenir la poussée des architraves, n’avoit pas, dans cet emploi, les inconvéniens qu’il a lorsqu’on lui donne celui de soutenir.

L’ouvrage enfin fut entrepris, et malgré ce qu’on peut y reprocher, c’est toujours, il faut le dire, une grande et magnifique conception.

Ajoutons qu’en le considérant sous le simple rapport d’architecture, on doit à Perrault la justice d’y avoir fait revivre avec une grande habileté, la justesse et la beauté des proportions antiques, d’y avoir porté la pureté des profils, l’élégance des formes et des ornemens, la correction des détails, le sini de l’exécution, à ce point auquel on ne sauroit dire qu’aucun grand édifice soit arrivé depuis.

Nous avons traité ailleurs (voyez Accouplement) des autres considérations, sous lesquelles on peut ou louer, ou blâmer, ou excuser plus d’un objet de cette composition, et nous renvoyons le lecteur à cet article. Du reste, il seroit à souhaiter que tout l’extérieur du Louvre ait été achevé dans la disposition et selon l’ordonnance de la façade de ce grand palais du côté de la rivière. Il y régneroit entre toutes les parties un accord qu’il faut aujourd’hui désespérer d’obtenir jamais.

Perrault, auquel ses connoissances variées avoient ouvert, l’Académie des sciences, devoit naturellement devenir l’architecte d’un monument que le Roi vouloit consacrer aux études astronomiques. Il dut en faire les plans, et en régler les dispositions sous la dictée de l’Académie. Nous voulons parler de l’Observatoire, dont on a déjà donné la description. Voyez Observatoire.

Il ne nous reste ici à en parler que sous le rapport du talent de l’architecte, et du style ou du caractère de l’architecture. Quant à ce qui regarde la construction, on en a déjà vanté la solidité, le bel appareil, et le soin apporté dans toute les parties qui peuvent en assurer la durée. Mais nous trouvons (à l’article Perrault de la Biographie universelle) une censure de ce monument qui nous paroît injuste. On l’accuse d’avoir un style lourd, et on parle de défauts qui frappent tous les yeux. Cette critique étant une critique de goût, nous croyons pouvoir en juger autrement.

Si Perrault, comme on l’a dit, eut en architecture un mérite, ce fut certainement de saisir dans la conception de ses ouvrages, cette qualité qui repose sur l’idée poétique ou morale, que l’imagination donne à chaque édifice, et qui en doit manifester la destination. C’est ce qu’on appelle donner le caractère. C’est ce qui fait qu’un genre d’édifice ne doit pas ressembler à un autre genre d’édifice ; de telle sorte que ce qui sera propre à l’un, deviendra impropre dans un autre, et que ce qui seroit ici lourdeur, là doit passer seulement pour simplicité et sévérité. Qu’est-ce que Perrault se proposa dans le caractère donné à son Observatoire ? de bien prononcer son emploi, en faisant d’abord qu’on ne puisse pas le prendre pour un bâtiment d’habitation, en faisant ensuite que l’on comprît, qu’il avoit pour objet d’offrir aux observateurs une grande plateforme dans son sommet. Toute apparence de comble ou de toit eût donné le démenti à cet objet. Or, sans aucun doute, tout manque de couronnement qui fait pyramider un édifice, doit lui donner une apparence qui est l’opposé de celle de la légèreté. Si, comme on n’en peut douter, cela contribue à donner à la masse de l’Observatoire, une apparence de lourdeur, ce prétendu défaut nous paroît y être un mérite.

Nous avons déjà remarqué que les très-grandes ouvertures dont l’édifice est percé, conviennent au moins pour l’apparence, seule chose dont il s’agit ici, à la destination positive d’un observatoire. Nous ne pouvons qu’y louer encore la simplicité de son extérieur, et il nous semble que tout luxe de colonnes ou d’ordonnances y eût été déplacé.

La gloire de Perrault, comme architecte, se fonde encore sur un autre monument, où certainement il eût fait preuve de beaucoup d’imagination, s’il lui eût été donné d’en suivre et d’en régulariser l’exécution. On veut parler du grand arc de triomphe élevé à Louis XIV, dont il nous a conservé le dessin, et dont il ne fit que jeter les fondemens. Ce monument qui devoit orner l’entrée de la grande rue du faubourg Saint-Antoine, fut comme par manière d’essai, et apparemment pour en faire mieux juger, ébauché en plâtre. Il arriva en cette occasion, ce qu’on a vu arriver plus d’une fois. La curiosité satisfaite éteignit le zèle des ordonnateurs. D’autres projets attirèrent ailleurs les ressources de l’Etat ; ou travailla avec moins d’ardeur, et bientôt on finit par abandonner cette entreprise, par détruire même ce qui avoit été déjà exécuté.

Ce fut sur les dessins de Perrault qu’on exécuta la grotte de Versailles, l’allée d’eau, et plusieurs ornemens des jardins. Il fit même un projet pour substituer un nouveau bâtiment, au petit château bâti par Louis XIII, que Louis XIV voulut absolument conserver.

Perrault composa plusieurs ouvrages qui attestent la variété de ses connoissances. Il publia quatre volumes d’essais de physique, qui ont aujourd’hui peu d’intérêt, et plusieurs mémoires pour servir à l’histoire naturelle. Outre sa traduction de Vitruve, on a de lui un abrégé du même auteur, pour l’instruction des jeunes architectes, ainsi qu’un traité de l’ordonnance des colonnes. Enfin on trouva après sa mort, parmi ses manuscrits, un recueil de machines imprimé depuis, et qu’on peut consulter avec fruit.

On prétend que Perrault mourut des effets de la putridité occasionnée par un chameau, à la dissection duquel il assistoit.

Indépendamment des hommages que l’Académie des sciences rendit à sa mémoire, la Faculté de médecine fit placer son portrait dans le lieu de ses séances, à la suite de ceux des médecins célèbres de tous les temps, qui avoient le mieux mérité de la science et de l’humanité. Non moins juste que les contemporains, la postérité a conservé à l’auteur de la colonnade du Louvre, au savant traducteur de Vitruve, un rang distingué parmi les hommes qui ont illustré le siècle de Louis XIV.