Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Académie

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Panckoucke (1p. 1-4).

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ACADÉMIE, (subst. fém.) Ce qu'on appelle en langage d'Artiste, une académie, est l'imitation d'un modèle vivant dessiné, peint, ou modelé. Cette imitation a pour objet d'étudier particulièrement les formes & l'ensemble du corps humain, de s'exercer à ces études, ou de se préparer à quelque ouvrage projetté.

On dit dessiner, peindre, modeler une académie. Les Eleves qui se destinent à la Peinture ou à la Sculpture, & les Artistes même qui professent ces Arts dessinent ou modèlent ces imitations de la figure humaine dans les atteliers & dans les écoles Académiques.

On y dispose la lumière du jour, ou celle des lampes, convenablement pour cet objet.

Les Maîtres de l'Art placent un homme nud, dans une attitude qu'il garde pendant un espace de temps proportionné à la gêne plus ou moins grande qu'on lui occasionne.

Dans les Écoles publiques, les Dessinateurs, assis sur des gradins, comme dans un amphithéâtre, s'exercent à saisir le trait, l'ensemble & l'effet que présentent les Modèles. Les Professeurs qui président à cet exercice, dirigent les Elèves par des conseils & corrigent les études qu'ils soumettent à leur censure.

C'est, sans doute, du lieu où se font habituellement ces sortes d'études qu'elles ont emprunté le nom d' académies ; cette dénomination est un exemple des mots qui prennent dans le langage particulier d'un art, un sens absolument différent de celui qu'ils avoient & qu'ils conservent dans la Langue générale.

Une bonne académie est celle qui est exécutée avec un faire facile, sans négligence ; une correction fine, sans sécheresse & sans maigreur ; une touche ressentie avec justesse ; du goût sans manière, & un travail plus ou moins soigné, sans être peiné ni froid.

L'objet du Peintre étant de parvenir à exécuter l'imitation de la figure à l'aide de la brosse & des couleurs, s'il s'accoutume à dessiner d'une manière pénible, il sera embarrassé, lorsqu'il lui faudra employer la brosse chargée de couleurs ; car ce moyen lui semblera moins facile, moins commode & moins précis que ne l'est l'usage des crayons.

Si, lorsqu'il s'exerce au dessin, il est indécis, négligé dans son trait & dans ses formes, il sera bien plus indéterminé, bien moins correct encore, lorsqu'il se trouvera embarrassé par la couleur & par le maniement du pinceau.

S'il est pesant, affecté, manieré, ces défauts deviendront plus sensibles dans sa façon de peindre. S'il ne s'efforce pas d'acquérir, en dessinant, une propreté & un soin nécessaires à l'agrément de ses ouvrages, il sera sujet à salir ses teintes &


ne parviendra peut-être jamais à leur conserver la fraîcheur & l'éclat qu'elles doivent avoir pour approcher de la nature.

Si, par un excès contraire, le soin & la propreté dans ses dessins alloient jusqu'à la froideur, il seroit à craindre avec raison qu'il n'eût un manière léchée qui flatte assez généralement les yeux, sans satisfaire l'esprit, & sans toucher l'ame.

Enfin, l'Elève dessinateur doit faire entrevoir dans ses académies, le systême qu'il suivra lorsqu'il sera Peintre.

Il doit donc avoir présentes dans l'esprit la liaison & la relation des moyens qu'il emploie, avec ceux qu'il lui faudra employer.

Il est nécessaire, par cette raison, qu'en dessinant il cherche à indiquer, autant qu'il est possible, jusqu'à l'effet de la couleur qu'il a devant les yeux, ainsi que la touche qu'il doit employer bientôt à l'aide du pinceau.

On peut procéder de plusieurs manières pour dessiner une académie ; mais les moyens qui ont plus d'affinité avec le but où tend l'Artiste, doivent être préférés.

L'usage des papiers colorés en bleu ou en gris, est en conséquence plus généralement propre à ceux qui se destinent à peindre ; &, dans la manière d'employer les crayons, l'usage d'estomper, pour préparer les ombres, pour former des passages, des demi-teintes, pour étendre & pour adoucir les touches, a un rapport sensible avec la manière d'employer la couleur, de produire des dégradations de tons, & de fondre les teintes les unes dans les autres.

L' estompe qui rend les touches plus larges, plus mœlleuses & mieux préparées, conduit à procéder de même avec la brosse ; enfin, le blanc, que l'estompe étend aussi & nuance relativement aux plans qui se trouvent plus ou moins frappés de la lumière, accoutume à disposer, sur les objets d'une composition, & sur les parties d'une figure les couleurs lumineuses, dont les loix du clair-obscur déterminent la place. D'ailleurs, cette manière de dessiner, plus prompte que les autres, est par-là plus convenable encore pour faire des études d'après le Modèle vivant, qui ne peut rester immobile qu'un espace de temps limité.

Les académies dessinées sur le papier blanc avec la sanguine, ou avec la pierre noir en égrénant, ou bien encore par hâchures, demandent plus de préparation. Ces manières d'opérer sont les plus lentes, parce qu'il faut former les demi-teintes, que la couleur bleue ou grise d'un papier teint offre toutes préparées ; d'ailleurs l'opposition trop tranchante de la couleur des crayons rouges ou noirs avec le fonds blanc, demande à être adoucie & sauvée par un travail quelquefois fort long.

Les fonds qu’on est obligé de faire avec propreté emportent en effet une perte de temps assez considérable, le soin de parvenir à l’effet, le desir d’offrir aux yeux un dessin propre & agréable, conduisent aisément l’Artiste à être froid.

Il est vrai que quelques Maîtres du premier ordre, au nombre desquels on doit nommer Bouchardon, ont eu l’art & l’adresse exécuter dans cette manière patiente & propre, des études & des académies qui méritent d’être admirées ; mais ces Artistes ou ne se destinoient pas à peindre, ou sacrifioient à cette manière d’opérer qu’ils avoient adoptée & qui leur plaisoit, un temps qu’ils auroient pu employer à des occupations plus importantes. Enfin, l’imitation servile, toujours dangereuse lorsqu’on n’a pas le talent de ceux qu’on imite, ne produit le plus souvent que des Copistes froids, ou des Artistes manierés.

Pour en revenir à cette relation d’idées qui doit s’établir entre la manière de dessiner & l’intention de peindre, j’ajouterai, à ce que j’en ai dit, que plus celui qui dessine une académie aura l’attention de supposer dans l’ame de son Modèle une affection convenable à l’attitude que présente ce Modèle, plus il contractera l’habitude si nécessaire de ne jamais représenter une figure, sans être occupé de l’idée qu’elle en animée. Il n’est pas de position ou d’attitude qui ne soit relative à quelque affection, ou à quelque nuance d’affection. L’usage, lorsqu’on pose le Modéle pour une académie, est de le disposer le plus souvent d’une manière pittoresque, sans autre intention que de développer ou de groupper ses membres, pour former un aspect agréable ou piquant. On dessine ce Modèle dans une intention semblable, & il en résulte une sorte de travail, qui, tenant trop du méchanisme, produit souvent des imitations sans esprit, sans ame, dans lesquelles on copie les défauts même du Modèle, tels que sa lassitude presqu’inévitable, le caractère d’ennui ou d’indifférence qu’il est difficile qu’il n’ait pas & sa ressemblance fort inutile.

Lorsque le jeune Dessinateur prend cette route, il risque de transformer l’Art en métier.

Au contraire, il devient d’autant plus Artiste, qu’il s’occupe davantage à ajouter aux formes & aux traits, cette vie pittoresque qui rend les passions & les affections sensibles aux regards.

L’homme libre & qui n’est pas trop manieré par l’effet de la civilisation, ne prend presque jamais une position, ou une attitude qu’elle ne soit relative à une impression de son ame ; & que par conséquent les dispositions de ses membres & de ses traits même n’offrent quelque empreinte ou quelque signe de son affection morale.

L’Artiste qui médite & qui sent l’étendue de son Art, ne perd jamais de vue ce principe ; & c’est en s’accoutumant de bonne-heure à ces


observations & à cette pratique, que le Dessinateur s’imposera l’obligation de ne jamais oublier, lorsqu’il imite le corps humain, que ce corps est doué de la vie & du sentiment.

Mais, puisque cet article est principalement destiné aux jeunes Dessinateurs, on peut se croire autorisé à leur adresser plus directement quelques préceptes.

Lorsque vous dessinez une académie, si vous regardez cette étude sans intérêt & comme une tâche qui vous est imposée ; si vous vous efforcez de remplir votre feuille le plus promptement qu’il vous est possible, vous n’êtes qu’un mauvais Écolier, ou bien vous vous regardez comme un Artisan & non pas comme un Artiste.

Dessiner promptement est néanmoins un talent utile dans une infinité d’occasions, où il faut que le Peintre surprenne, pour ainsi dire, la Nature, qui ne pose pas souvent le Modéle au gré de l’Artiste ; mais on ne parvient à acquérir cette facilité qui doit être accompagnée de justesse, qu’en ayant commencé par dessiner lentement & après s’être rendu long-temps difficile.

Je ne craindrai pas de répéter que le Modèle qui vous est offert, n’est ni une statue, ni un cadavre, quoiqu’il soit immobile à vos yeux.

Si vous dies assez avancés en raison pour comprendre ces conseils & pour vous rendre un compte exact de ce que vous entreprenez ; vous vous redirez souvent qu’en représentant l’extérieur du corps humain, il ne faut perdre de vue ni la charpente de ce bâtiment, ni l’être sensible & spirituel qui l’habite.

Dessinez proprement, si vous aimez à terminer ; mais ne mettez pas une prétention & une affectation trop grande à cette propreté : qu’elle soit semblable à celle qu’on exige d’un homme dans son extérieur ; c’est-à-dire convenable, sans trop de recherche & par conséquent sans excès.

L’Artiste qui se néglige & qui est mal-propre dans son ajustement, a souvent le même défaut dans sa maniere d’exercer son Art. Tout se tient dans nos habitudes. Observez l’habillement, l’ameublement & l’arrangement intérieur d’un homme, vous jugerez (& ne vous tromperez guère) de son habitude & même du caractère de son esprit.

Êtes-vous portés à faire avec activité ce que vous faites & à employer vivement votre temps, n’oubliez pas que la lenteur réfléchie qu’on met à bien faire, n’est pas un temps perdu ; car on le regagne avec avantage, lorsque l’habitude de bien faire est acquise.

La routine & les mauvaises habitudes qu’on ne domine presque jamais, naissent le plus souvent de la promptitude à laquelle on s’accoutume en dessinant trop fréquemment & trop vîte le même modèle. Vous finissez par dessiner, pour ainsi dire, de mémoire, quoiqu’en présence de l’objet, & les études que vous croyez faire ainsi, loin de vous rien apprendre, vous conduisent à cette routine qui rend métier ce que vous nommez Art. Que de tableaux où l'on reconnoît à ses défauts, celui d'entre les Modèles dont l'Artiste a coutume de se servir !

Un moyen de vous mettre à l'abri de cet écueil et (lorsque vous êtes en état de raisonner votre Art) de comparer souvent l'Antique avec votre Modèle. Posez pour cela des Modèles particuliers dans les attitudes des belles statues, ou des belles figures peintes & dessinées par les grands Maîtres ; faites des académies d'après les unes & d'après les autres : comparez ensuite, &, quand vous n'auriez pas réussi, vous aurez toujours fait un pas vers la perfection ; car, dans l'étude des Arts libéraux, trouver ses premiers travaux imparfaits, c'est acquérir la connoissance de ce qu'ils devroient être, & discerner d'une manière plus précise la beauté de ses Modèles.

Comparez donc beaucoup les beaux ouvrages avec la Nature, & les uns & les autres avec ce qui est consacré depuis tant de sièles comme des chefs-d'œuvre. La comparaison, ainsi que l'analyse sont les véritables clefs de toutes les connoissances humaines.

Je finirai par vous conseiller, non-seulement de dessiner, mais de peindre souvent des académies. J'oserai le dire, même aux Artistes consommés, & pour leur profit & pour leur gloire.

Une académie, sçavamment peinte, a autant de droits à devenir un tableau de Cabinet précieux, qu'un ouvrage de tout autre genre. Les uns & les autres doivent être de belles & fidelles images de la Nature, qui doivent servir de modèle, de préceptes sensibles de l'Art, & attester à quel point de perfection il a été porté.

Je ne dois pas omettre que dans la langue générale le mot Académie signifie parmi nous une Société autorisée à s'assembler.

Les Académies de Peinture ont pour principal objet d'enseigner ; ce qui les distingue de la plûpart des autres. Telle est l' Académie Royale de Peinture établie dans notre Capitale. Ses Statuts ont servi à en établir plusieurs dans nos Provinces & dans d'autres États ; ces Statuts, en effet, peuvent, à beaucoup d'égards, être pris pour modèles. On les trouvera dans la seconde partie de ce Dictionnaire.

La constitution des Académies, qui s'occupent des Arts libéraux, sera d'autant meilleure, qu'elle se dirigera mieux à instruire méthodiquement ceux qui se destinent à ces Arts, à les admettre ensuite, avec discernement, comme Membres de ces Sociétés, & à choisir entr'eux, avec la plus grande impartialité, ceux qui doivent enseigner.

L'École et donc absolument la base de cette institution, & le choix de ceux qui enseignent est le seul moyen de la conserver.

Ce choix doit tomber principalement & exclusivement sur las Artistes qui, devoués aux productions les plus distinguées de l'Art, en connoissent plus profondément les parties constitutionnelles. Telles sont pour la Peinture & la Sculpture, l'Anatomie & par elle, les proportions, les mouvemens & la pondération. Telles sont encore, particulièrement pour la Peinture, les Perspectives linéale & aérienne, qui embrassent l'effet apparent des formes & le clair-obscur. Ces parties des deux Arts sont positives, se peuvent démontrer, & l'on sait que tout enseignement qui procède par démonstration, est celui qui grave mieux dans la mémoire les préceptes qu'il donne.

L'admission dans une Académie de Peinture, qui se fait librement, au moyen du scrutin, par les Membres, demanderoit une égalité de connoissances que je crois impossible & que je n'ai vu exister encore dans aucune Société. La constitution Académique ne tient pas absolument à cette rigueur, elle demande cependant qu'on soit juste & sévère, sur-tout dans le choix de ceux qui doivent enseigner & par conséquent dans l'admission à la classe de laquelle on les tire : car si le nombre des Artistes foibles y devient à la fin trop nombreux, il s'en introduira de plus en plus parmi les Professeurs, & l'enseignement vicié produira bien plus rarement de quoi fournir au Professorat. C'est de cet inconvénient que naîtroit un cercle vicieux, contre lequel il n'y auroit enfin plus de remède. Les moyens d'émulation, tels que les prix, les concours, les encouragemens, sont des objets puissans pour avancer l'Art ; mais si le relâchement, l'indulgence excessive, la protection, l'autorité & la brigue en décidoient, ces moyens, au lieu de soutenir l'Art, contribueroient à le détruire, au lieu d'encourager les vrais talens, ils anéantiroient leur émulation. Il vaudroit mieux que ces moyens n'eussent pas lieu ; car la plupart des hommes, abandonnés à la Nature, acquièrent plus de force, que lorsque pour les fortifier, on emploie des secours mal administrés.

Je ne puis entrer ici dans des détails qui demanderoient un ouvrage entier, ouvrage d'autant plus nécessaire & plus intéressant, que jamais les Sociétés Académiques & les moyens d'émulation, bien ou mal administrés, n'ont été plus multipliés.

J'ai indiqué les points fondamentaux sur lesquels je pense que doivent s'appuyer les Institutions Académiques destinées aux Arts de la Peinture. Une seule observation générale que je me permettrai encore, c'est que les Arts, nommés libéraux, étant destinés par leur nature à être effectivement libres, la constitution des Sociétés Artielles doit être fondamentalement Républicaine.

Cependant, comme il est inévitable que les Sociétés particulières ne participent pas de l'esprit de la Société générale où elles existent, leur plus parfaite organisation dans les États gouvernés par un seul pouvoir, est un mêlange bien combiné de liberté & de subordination. Ce mélange, difficile à dozer parfaitement, doit être tel qu'il ne dénature pas l'esprit de liberté & de noblesse, nécessaire aux opérations du génie. Les Arts, dont il est l'ame, ne souffrent point la contrainte, & ne peuvent y être Physiquement assujettis ; mais on peut observer aussi que parmi nous, le Génie & les Arts ne se prêtent que trop d'eux-mêmes à ce qu'on exige d'eux. Je dis trop, parce que le goût & la raison sont souvent les victimes de la condescendance des Artistes, & c'est sur ces points qu'ils devroient au moins conserver le droit de le refuser même à l'ascendant de l'autorité, souvent mal instruite sur l'objet des Arts, & contrariant par le défaut de lumières, les vues utiles qu'ils pourroient avoir.