Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Chairs

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Panckoucke (1p. 100-101).

CHAIRS. On se sert de cette expression dans le langage de la Peinture, lorsqu’on dit, par exemple, dans ce tableau les chairs sont admirablement peintes. Rubens peignoit les chairs d’une manière brillante. Il employoit dans les chairs des passages fins & agréables. Ce mot & les manières de l’employer, ont, comme on le voit, des relations sensibles, avec ce qu’on appelle carnation, coloris & couleurs, qui se trouvent heureusement rapprochés dans la collection des articles qu’exige la lettre C.

Peindre la chair ou les chairs, est dans la Peinture un objet d’autant plus important qu’il a lieu dans tous les tableaux où l’on copie la nature humaine, & sur-tout l’homme vivant & animé, comme dans l’histoire & dans le portrait sur-tout. C’est aussi un des objets les plus difficiles à bien rendre, parce que les chairs en effet sont susceptibles d’une infinité de dégradations, de finesses de tons & de passages qui exigent & une grande étude de la nature, & une grande legereté de pinceau. En parlant ici de la nature particulière des chairs, j’entends principalement la manière dont la lumière se réfléchit sur cette substance. L’Artiste observateur & jaloux de plaire, examine l’effet que produisent les différentes incidences de la lumière sur le visage d’une femme, sur ses bras, sur ses mains, sur son col & sa gorge, sur-tout si elle est blanche ; si sa peau est fine, transparente & légèrement colorée par le sang que couvre le tissu délicat de l’épiderme.

La consistance ferme, souple & poreuse, dont la nature, le printems de l’âge, & la santé douent une jeune beauté, modifie la lumière qui n’est pas renvoyée par le tissu de la peau, de la même manière que par les substances dures ou raboteuses, dont la surface résiste beaucoup davantage à l’incidence de ses rayons, ou en absorbe une trop grande partie.

La chair douce & élastique laisse pénétrer ses pores imperceptibles par une partie de la lumière, jusque dans la première couche de la peau ; delà refletée & renvoyée avec mollesse, elle porte à l’ame par les regards qui la fixent, l’idée de la vie & les sensations de la volupté ; observez encore que les courbures insensibles de la chair & sa transparence qui laisse appercevoir des veines, répandent sur les demi-teintes ou demi-lumières, des nuances légèrement bleuâtres, & qui conduisent par une douce gradation jusqu’aux tons les plus éclatans de la peau. Les tons variés des chairs sont innombrables. Il faut les yeux les plus fins & les plus attentifs pour les demêler ; il faut pour les rendre, un talent en quelque sorte particulier, dans lequel entre plus souvent peut-être qu’on ne le penseroit un penchant délicat à admirer ces sortes de perfections de la nature, qui ne semble donné ni à tous les hommes, ni même à tous les Artistes. Le Corrège, le Guide, Wandyck, Rubens, le Titien, l’Albane, ont peint les chairs avec le sentiment dont j’ai parlé. Les enfans, les jeunes filles, les femmes, doués de santé, offrent les beautés dont j’ai parlé aussi. C’est à l’occasion de ces observations qu’il n’est pas hors de propos de rappeller que l’étude de la bosse, si utile pour le dessin, seroit defavorable au talent de peindre les chairs, si on en faisoit trop d’usage, parce que la bosse offre des réflexions de lumières, qui diffèrent beaucoup de celles que produit la peau.

Jeunes Eleves, vous ne pouvez acquérir cette partie nécessaire à votre talent, qu’en peignant beaucoup d’après la nature, & en réfléchissant encore plus sur les effets que vous offrent les chairs, & sur les moyens que peut vous fournir votre Art pour les imiter. Mais les occasions de faire ces études si utiles & si intéressantes, font à la vérité rares, sur-tout dans les climats où la carnation n’a pas généralement cet éclat, cette fraîcheur & cette finesse qui pour le Peintre en constituent les perfections dans nos contrées. La Flandre, la Hollande, offrent plus fréquemment des modèles de ces beautés de coloris. Notre climat, moins favorable, présente dans les chairs moins de finesse, moins d’éclat, & un coloris d’un blanc plus mat. L’imagination, la mémoire, l’observation des Maîtres qui ont excellé dans cette partie, sont les ressources des Artistes ; mais ces ressources sont toujours infiniment au-dessous de l’étude de la Nature.