Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Contour, contourner

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Panckoucke (1p. 142-145).
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CONTOUR, CONTOURNER.

Les objets qui tombent sous le sens de la vue ne sont distincts à notre égard que par la couleur que nous fait parvenir la lumière ; mais nous ne distinguerions vaguement que des masses colorées, si chaque objet, doué d’une couleur différente ou différemment nuancée, ne nous offroit une apparence distincte des autres, par les bornes dans lesquelles cette couleur qui lui est propre se trouve renfermée. Ce sont les bornes de ces diverses apparences colorées qui forment le contour ou les contours de chaque objet.

Ainsi, une surface apparente, telle que celle du soleil ou de la lune, dont la matière colorée est comme renfermée dans un cercle, nous donne l’idée d’un objet rond ; & les points ou la ligne supposée qui le circonscrivent, sont pour nous les contours d’un objet rond. Je crois cette première & simple notion d’autant plus suffisante, que dans ce sujet, comme dans une infinité d’autres, les termes reçus, connus & convenus équivalent à une définition.

Il n’y aura personne, à ce que je pense, de ceux qui liront ce Dictionnaire, qui n’ait une idée plus claire encore que mon explication, de ce qu’est un contour : il me sera donc permis de ne pas m’appesantir sur une définition, d’autant qu’il est souvent impossible d’en faire, qui soit complettement juste, & je regarderai mes Lecteurs même les moins instruits en Peinture, comme sachant ce que je veux dire, lorsque j’employerai le terme qui fait le sujet dont je m’occupe. Mais il n’est peut-être pas inutile d’expliquer comment les contours d’une figure ou ceux d’une statue se manifestent à l’œil, relativement au dessin & à la Peinture, de manière à être imités par un trait ; car on peut dire avec raison, qu’il n’y a point, à proprement parler, de trait dans une figure dont toutes les parties sont des suites de superficies plus ou moins rondes & dont les points qui forment la surface se joignent sans interruption. Il sembleroit alors que le trait ou contour que dessine ou que peint l’Artiste fût une sorte de convention de l’Art ; & effectivement lorsque le contour est tracé presqu’également & fortement marqué par un trait de sanguine ou de crayon noir, par exemple, certainement le contour est alors mêlé de vérité & de convention. Aussi le contour le plus parfait est-il celui qui, tracé avec légéreté & avec une intelligence fondée sur la vérité, comme je vais le dire, fait en quelque façon oublier la trace du moyen, pour ne donner à penser que l’image précise du corps qu’on regarde attentivement du point de vue où l’on est placé.

Ce qui donne l’idée du contour dans l’objet narel, sont des nuances plus ou moins obscures qui successivement servent de fond à l’objet qu’on destine, & qui le circonscrivent entièrement. En effet, posez une figure humaine ou


une statue dans un endroit quelconque, placez-vous dans un point d’où vous l’observerez avec l’intention de concevoir ce que je desire vous faire comprendre (je m’adresse, comme on le sent, à ceux qui n’ont aucune idée de ces détails des arts), vous verrez en conduisant votre regard tout autour de l’objet de votre observation, la couleur générale qui le distingue à vos yeux paroître tantôt plus claire, & tantôt plus obscure, parce que si le fond, c’est-à-dire, les couleurs des objets sur lesquelles elles se dessinent à votre œil, se trouvent plus claires ou plus obscures que la sienne ; la dernière ligne de sa surface vous paroîtra tantôt plus claire, tantôt plus obscure elle même par l’effet de l’opposition. Les extrêmités des surfaces de cette figure paroîtront donc terminées ou dessinées par un trait ou contour diversement marqué que vous vous figurerez lui appartenir, quoiqu’il n’appartienne pas plus réellement à cet objet qu’à ceux qui se trouvent derrière ou à côté. C’est-là cependant ce que veut imiter le trait que vous formez avec le crayon ou le pinceau. Si le fond se trouve moins clair que la partie de la figure que vous dessinez, alors le contour que vous attribuez à votre figure semble disparoître ou appartenir au fond. Voilà pourquoi, dans les dessins, il y a telle partie du contour qui n’est décidée que par l’ombre du fond, sans qu’il y ait aucun trait ; ou bien, si l’on n’indique point de fond, l’on rend au moins le trait du contour si léger, si fin, si peu sensible, qu’on désigne à l’imagination ce qu’on n’a pas dû représenter plus sensiblement. Voilà pourquoi, comme je le dirai encore au mot Trait, le contour a d’autant plus de ressemblance avec ce qu’offre la nature, qu’il est moins apparent dans les endroits où la figure s’oppose en clair sur un fond plus obscur ; & le trait qui représente le contour est d’autant plus conventionnel que, sur une surface également blanche, par exemple, il est plus fortement ou plus également marqué & prononcé. Si l’on veut rapprocher plusieurs des notions qu’on trouvera aux mots Académie, Dessin, Trait, Touche, elles s’éclairciront les unes par les autres ; & cela est nécessaire pour avoir une idée juste de ce que c’est réellement que le contour & le trait employés par les Artistes.

Les observations qu’on peut faire avec un Artiste-Destinateur intelligent, en les rapportant à l’explication que je donne, acheveront de la faire comprendre entièrement, s’il reste quelqu’obscurité.

Pour revenir aux deux termes que j’ai rassemblés à la tête de cet Article, je ferai remarquer que le substantif & le verbe offrent entr’eux une différence dans leur signification, ce qui n’est pas sans exemple dans notre langue. Contour signifie, comme je viens de le dire, la ligne tracée qui désigne les formes d’une figure, & c mot n’entraîne que l’idée simple du trait qu’on employe à cet usage & tel qu’il doit être employé. Contourner a un sens qui annonce un défaut : car lorsqu’on dit, une figure contournée, on peut entendre que le contour de cette figure a de l’affectation, qu’il est tourmenté, qu’il s’éloigne enfin de la simplicité de la nature. On ne diroit pas que Raphaël contourne ses figures, mais l’on dit avec raison que nul dessinateur n’a donné à ses figures des contours plus purs & plus élégans que lui. Je ne conçois pas assez clairement la cause de cette différence d’acception, pour hazarder de la faire connoître ; mais il est nécessaire de l’établir pour être utile à ceux qui veulent parler avec justesse le langage de l’Art, & comprendre ce que disent les bons Auteurs ou les Artistes qui s’expriment avec précision.

Pour revenir au mot contour, il signifie donc, dans la figure vivante ou de ronde-bosse, l’extrêmité des surfaces apperçues dans un point de vue fixe où l’on est placé pour les observer & les étudier. Le contour d’une figure, d’un membre, d’une partie de quelqu’objet naturel ou d’une imitation en ronde-bosse, varie au moindre déplacement de l’objet fixé par le regard, ou da l’œil qui le fixe. Il n’en est pas de même du contour de la figure tracée, dessinée & peinte. Le contour alors est fixe, invariable ; & c’est d’après l’observation qu’on en fait qu’il est plus facile de l’apprécier, d’en appercevoir les défauts ou d’en sentir les beautés.

La justesse, la correction, la noblesse, l’élégance, la grace, la force, l’énergie, sont des caractères différens par lesquels on désigne le contour ou les contours des figures, soit dans les dessins, soit dans les tableaux. Il n’est pas inutile de faire sentir ici, avant d’entrer dans quelques détails sur les caractères que j’ai désignés, combien, à l’égard des contours, la Sculpture a plus de difficultés que la Peinture, non que je veuille ici établir de prééminence entre les deux Arts. Ce projet, tenté plus d’une fois, soit de bonne soi, soit par jeu d’esprit, n’a aucune utilité, est impossible à exécuter & ne sert de rien au progrès des Arts & des connoissances. Il y a dans la Peinture des difficultés à surmonter qui n’existent point dans la Sculpture, puisque la couleur, l’harmonie du clair-obscur, les ordonnances ou compositions dans lesquelles il entre un grand nombre d’objets, ne sont pas de son ressort. Mais pour me borner au sujet de cet Article, les contours de chaque objet que représente la Sculpture doivent avoir à l’œil qui se promène autour d’une figure représentée, toutes les perfections auxquelles le Dessinateur & le Peintre ne sont astreints que pour le seul point de vue sous lequel ils présentent l’objet qu’ils dessinent ou qu’il peignent. Si le Peintre a réussi à rendre ce


contour exact, correct, & s’il n’a rien omis des beautés qui lui appartiennent, ce succès suffit. Le spectateur, en changeant de place & de point-de-vue, n’exige pas davantage. Ainsi le Peintre n’est pas obligé, comme le Statuaire, de promener, pour ainsi dire, la correction, la beauté, la grace, dans tous les points-de-vue de son ouvrage, où l’observateur peut s’arrêter en tournant autour de sa figure.

C’est donc en quelque sorte principalemunt pour le Sculpteur statuaire que les contours sont un objet d’attention, d’études & de difficultés toujours renaissantes. Cette observation n’ôte rien au mérite que le Dessinateur & le Peintre peuvent acquérir par la science approfondie des contourscar si, d’un côté, ces Artistes ne sont tenus de présenter chaque figure qu’ils créent que sous un seul point de vue, ce qui réduit à un seul élément, pour parler ainsi, le problême qu’ils avoient à résoudre, d’un autre côté, qu’elle multitude de figures différentes ne sont-ils pas obligés de produire souvent dans un même ouvrage, en comparaison du Sculpteur, dont les compositions sont bornées à deux, trois ou quatre figures tout-au-plus ? Le Peintre d’Histoire est obligé, en quelque sorte, de représenter souvent dans un seul tableau la figure humaine sous une infinité de points de vue, dans chacun desquels on exige autant de perfection que dans la figure de ronde-bosse.

Je vais tracer actuellement avec le plus de clarté & le moins d’étendue qu’il me sera possible quelques notions des différens caractères que j’ai énoncés relativement aux contours. On dit d’un contour qu’on veut louer, qu’il est juste, exact, correct, pur, décidé, ferme, sévère, simple, grand, prononcé, articulé, liant, ondoyant, & c..

On exprime les défauts contraires à ces beautés par des épithétes contraires à celles que je viens d’offrir, telles que faux, inexact, incorrect, sans pureté, indécis, mol, libre ou libertin, manièré, petit, mesquin, hésité, sans caractère, heurté, sec.

Il est nécessaire, pour l’intelligence plus parfaite & pour la brièveté des notions que je vais donner, d’observer que toutes les sortes de contours dont j’ai parlé & sur lesquels je vais m’étendre un peu plus, sont ceux que le Dessinateur ou le Peintre exécutent, lorsqu’ils imitent la figure humaine, ou la bosse, ou des dessins donnés peur modèle.

Un contour juste est donc (dans les Arts du Dessin) celui qui imite avec précision l’extrêmité des formes d’un objet observé d’un certain point fixe. La justesse exprime la fidélité de l’imitation, indépendamment des autres perfections théoriques ou pratiques de l’Art ; ainsi l’on peut tracer uncontour très-juste d’une figure imparfaite ; & quoique cette justesse ne produise pas alors une imitation agréable, elle est à certains égards estimable, parcequ’elle suppose dans l’Artiste qui l’a exécutée une perfection d’organe & une habitude acquise par un grand nombre d’essais & d’études sans lesquelles il ne seroit pas parvenu à faire agir la main dans un parfait accord avec les sensations de la vue. Il y a des hommes qui éprouvent plus ou moins de difficulté pour acquérir la justesse dont je parle, soit parceque l’œil a peine à se fixer avec préoision sur le contour que la main doit imiter, soit parceque la main n’est pas assez souple, assez adroite pour représenter exactement ce que l’œil voit & ce que la volonté exige. Nos divers organes ont entr’eux une relation physique, & ils en ont une qu’on peut appeller morale avec nos facultés intellectuelles ; mais les différentes qualités, les perfections ou les imperfections de nos organes & de nos facultés intellectuelles favorisent ou contrarient les opérations dans lesquelles elles doivent concourir & s’accorder.

Le contour exact emporte à-peu-près le même sens que le contour juste, mais il me sembleroit cependant qu’on dit plus ordinairement à un Elève qui copie bien un bon dessin : votre contour est exact, parceque le jugement que porte le Maître a toute la clarté qu’il peut avoir, lorsqu’il est énoncé en ces termes.

Le contour correct annonce plus d’idées théoriques de l’Art, car c’est ainsi qu’on désigne le contour, qui est non-seulement exact, mais encore conforme à la nature choisie. La correction donne une idée de justesse & d’exactitude ; & de plus, comme je viens de le dire, une idée relative aux proportions reconnues comme bases de la perfection. On ne doit donc pas dire d’un Artiste qui a dessiné exactement un modèle imparfait, que son contour est correct, parceque l’ensemble qu’il a imité est lui-même incorrect. Le contour correct annonce une connoissance des proportions & une exactitude à s’y conformer. On entend plus précisément encore cette correction répandue sur tout le contour en l’appellant un contour pur. Certaines têtes antiques ont un contour pur ; certains traits des plus célèbres Dessinateurs présentent des contours purs.

Un contour correct, pur & décidé rappelle l’idée de Raphaël, dessinant sans hésiter la tête d’un de ces Anges qu’il a placés dans le tableau d’Héliodore : ceux qui ont eu l’avantage de voir dans ce siècle le célèbre Boucharodon dessiner d’après le bel Antique, ont pu concevoir clairement ce que c’est qu’un contour décidé, & nombre de ces dessins attestent cette savante aptitude qu’il avoit acquise, & à l’aide de laquelle il dessinoit quelquefois le contour d’une Académie presque d’un seul trait, sans hésiter & sans se reprendre, ou se corriger. Un contour sévère n’exige pas cette décision ; mais quand plus de lenteur y seroit employée, il suppose toujours l’exactitude,


la correction & la pureté ; il suppose surtout que l’Artiste n’a point altéré, quand ce seroit avec l’intention d’adoucir quelques légers défauts, l’exactitude du trait : un Dessinateur sévère porte cette exactitude au même point qu’un homme qu’on nomme sévère, la porte dans ses mœurs ou qu’un Moraliste sévère à porte dans ses principes.

Le contour simple est celui qui rend naïvement la nature. L’exactitude s’y montre plus dans le caractère général de l’ensemble, que dans la correction de chaque partie.

La naïveté se trouve comprise dans cette dénomination, & ces caractères sont convenables à certains objets plutôt qu’à d’autres. Le contour de l’Antinoüs a plus de simplicité ou de naïveté que celui de l’Apollon, plus que celui du Gladiateur, & surtout plus que celui du Laocoon.

La grandeur convient, au contour du Dieu qui vient de débarrasser la terre d’un monstre malfaisant, & la qualification de prononcé convient au contour d’un Athlète & sur-tout du malheureux Vieillard, qui, enlacé par les serpens, expire dans un supplice dont la mort de ses enfans accroît les horreurs.

Le contour liant est celui dans lequel l’intelligent Dessinateur fait sentir la mollesse agréable, dont la nature a doué la jeunesse de l’un & l’autre sexe dans ses mouvemens & dans ses formes.

Le contour ondoyant prend sa source dans les mêmes idées, rapprochées de celles d’un élément flexible. Aussi ne convient-il qu’à certains mouvemens, certaines positions, d’une nature souple, telle que l’est la jeunesse & le sexe le plus foible. Lorsque ce caractère de contour est employé trop souvent par l’Artiste, il se tourne aisément en habitude, il peut dégénérer en manière, & par consèquent devenir un défaut.

Je ne m’étendrai pas sur les qualités blâmables des contours qui peuvent être mises en opposition avec celle que je viens d’énoncer, mais je rapprocherai ces oppositions.

Contour faux, contraste avec contour juste ; l’inexact est opposé à l’exact, & l’incorrect au correct. On ne-dit pas un contour impur, pour exprimer l’opposition au contour pur ; mais on dit que le contour manque de pureté ; qualité aussi rare dans le dessin & dans la Peinture que dans les mœurs.

Le contour indécis s’oppose à celui qui a la décision dont j’ai parlé, le contour mol au contour ferme, & même au sévère ;le bas ou le mesquin à celui qui a de la grandeur & de la noblesse. Le fier, le prononcé, excluent le trait ou contour insignifiant, indéterminé. Le contour liant est’l’opposé du contour sec, & l’ondoyant enfin ; de celui qu’on appelle heurté.

Voilà les principaux caractères par lesquels on distingue le contour. S’il s’agissoit à présent d’ indiquer aux jeunes disciples celui qu’ils doivent préférer, on sent aisément qu’on leur donneroit pour précepte de les connoître, de les distinguer, de s’habituer à les pratiquer tous & sur-tout de les mettre en usage à propos & convenablement ; mais ils pourroient exiger, indépendamment de ce précepte trop général, quelques notions au moins sur l’ordre dans lequel ils doivent procéder à cette étude si intéressante de l’art auquel ils se dévouent.

L’ordre dans lequel j’ai énoncé moi-même les différens caractères des contours leur indique à-peu-près la marche qu’ils doivent tenir ; car on exige d’abord d’un dessinateur l’exactitude dans la présentation de l’objet qu’il se propose de nous transmettre, sans laquelle il manque de la première qualité essentielle.

En regardant ensuite le dessinateur comme artiste, on veut de la correction & de la pureté. Comme artiste annonçant du talent & du génie, on est satisfait si on le voit dessiner ses contours avec une certaine décision qui prouve qu’il apperçoit vivement ; avec une fermeté, preuve de l’énergie de son ame ; avec une sévérité qui annonce le bon goût. On exige du dessinateur, suivant le différent caractère des objets, que tantôt il employe cette simplicité, cette naïveté, appanage de la grace ; cette noblesse appartenant à la beauté ; ce prononcé, cet articulé par lesquels l’ame du dessinateur fait connoître fortement les impressions vives dont il est susceptible ; tantôt ce liant & cet ondoyant qui le montre susceptible, lorsqu’il est nécessaire, d’un sentiment de volupté, qu’on n’exige que trop souvent des arts, dans les temps & parmi les nations où leur emploi est plus recherché pour l’intérêt des plaisirs que pour celui des vertus & des mœurs. (Article de M. Watelet).