Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Costume

La bibliothèque libre.
Panckoucke (1p. 154-157).

COSTUME Ce qu’on appelle costume dans l’art de la peinture, est ce qu’une juste convenance exige des peintres d’histoire, relativement aux usages des temps, aux mœurs des nations, & à la nature des lieux. L’éxactitude sévère à se soumettre à cette loi, est difficilement praticable pour les artistes ; mais les infractions trop sensibles & les négligences marquées dénotent une ignorance qu’on pardonne difficilement, ou une bizarrerie que l’on condamne toujours.

Quelquefois l’intérêt de la composition, ou plutôt celui des dispositions pittoresques, entraîne le peintre à certaines licences, dans lesquelles, au fond, l’artiste & ceux qui jouissent de ses ouvrages, gagnent plus qu’ils ne perdent. Si les juges des ouvrages de peinture, étoient tous savans, instruits, habituellement occupés des détails de l’histoire ancienne & moderne, & profondément versés dans la connoissance de l’antiquité, l’exactitude du costume seroit sans doute regardée comme une des loix les plus importantes de la peinture ; si d’une autre part la plus nombreuse partie de ceux qui s’occupent & qui jouissent des ouvrages de la peinture, étoient d’une telle ignorance ou si indifférens sur la plupart des convenances de ce genre, qu’ils ne pussent s’appercevoir des fautes de costume, ou qu’ils regardassent comme fort peu intéressant qu’un persan eût l’habillement d’un Grec, & qu’un Consul n’eût pas sa toge, le costume pencheroit à être absolument arbitraire.

Ces deux extrêmes existent successivement, lorsque les ouvrages de peinture sont exposés librement aux regards du public. Les hommes instruits (trop peu nombreux à la vérité pour avoir la plus grande autorité) s’attachent rigoureusement à la conformité que doit avoir la représentation avec le costume, dont ils connoissent les détails : la foule plus nombreuse des hommes du commun, ou de ceux qui sont profondément ignorans, ne fait attention aux habillemens, aux armes, aux accessoires relatifs au costume, qu’autant que ces objets plaisent ou déplaisent à leurs yeux ; & ce qu’il est bon d’observer, c’est que les savans, égarés par l’amour-propre de leur érudition, se permettent quelquefois une assez grande indulgence sur l’incorrection, sur les défauts du clair obscur, & même sur les fautes d’expression, pourvu que l’artiste ait observé d’ailleurs avec une scrupuleuse exactitude les formes des vêtemens, des armures & des autres objets qui désignent précisément le temps, l’époque, la circonstance qui fixent toute leur attention. I1 peut en exister même qui résistant à l’attrait du sentiment, se refuseroient à cette partie si séduisante, qui parle au cœur, & qui fait pardonner tant d’autres fautes, je veux dire la grace & la sensibilité, si malheureusement ils découvroient une violation de cette convenance scientifique, à travaux, les attachent exclusivement les travaux, les peines & les veilles qu’ils ont employés pour s’en instruire.

On sent aisément (ce qu’il est raisonnable d’inférer) que lorsqu’il s’agit de se décider envers ces deux excès contraires, on doit tenir, le plus qu’il est possible, un milieu entre la sévérité trop minutieuse, & la trop grande indulgence. Si la balance panche vers un côté, ce doit être du côté qui, donnant plus d’intérêt à l’ouvrage, méritera plus d’indulgence, en cas qu’il soit critiqué ; car il faut observer que la sévérité des différentes loix de la peinture, doit être d’autant plus ou moins rigoureuse que leur objet est plus ou moins positif.

Les règles des proportions, celles de la perspective & de la pondération, sont absolues, parce qu’elles sont positives. Le clair-obscur a droit à plus d’indulgence ; parce que sans cesse variable dans la nature, & difficile à démontrer rigoureusement, il laisse quelques suppositions, à la volonté de l’artiste La justesse imposée à l’expression, a quelques nuances arbitraires, parce que la connoissance qu’en ont les hommes, n’est pas généralement la même, & qu’elle ne comporte pas de règles fixes ; aussi certaines finesses dont elle est susceptible échappent-elles à ceux qui sont peu sensibles, peu attentifs,


ou peu exercés à les démêler dans la nature, & les approximations suffisent au plus grand nombre.

Le costume est, à ce que je crois, moins connu, moins démontré, & par conséquent encore plus susceptible de licences. Mais il est pourtant des bornes dans lesquelles ces licences doivent se contenir ; car si la sévérité ne doit pas être trop rigoureuse, les libertés excessives qui offensent trop la vérité, approchent de l’ignorance & de la barbarie, dont les idées humilient les hommes qui font partie des sociétés éclairées.

Pour parvenir à un sentiment modéré, il faut considérer qu’en peinture le genre de l’histoire embrasse ce qui est fabuleux & ce qui est historique.

Le fabuleux le plus en usage dans la peinture, est celui qu’offre aux artistes la mythologie égyptienne & grecque.

Ce que les auteurs & les monumens nous ont transmis sur les divinités payennes, offre un costume qui originairement a dû participer des changemens plus ou moins grands que les mœurs & les usages ont occasionnés. Sur ces détails, dans les pays où ces divinités étoient honorées, les artistes anciens ont eu le droit eux-mêmes de prendre quelques libertés, ce qui autorise déjà celles que nos artistes peuvent se permettre ; cependant comme le costume ancien renferme certains accessoires absolument caractéristiques, tels que sont des attributs indispensables qui sont connoître ses Dieux, les Déesses, certains héros & les différens climats, nos artistes doivent distinguer dans le costume ce qui demande d’être respecté. Le costume de la mythologie est donc en général celui qui se prête davantage en quelques parties, & qui rend aussi plus blamables les transgressions importantes ; d’ailleurs ce costume, à-peu-près renfermé dans ce que nous ont transmis les Poëtes célèbres, & dans ce que nous offrent un certain nombre de statues, de bas-reliefs & de médailles, est facile à connoître, au moins superficiellement, par les artistes à qui ces sources doivent être plus familieres.

En effet l’étude de ce qu’on appelle l’antique, qui fait l’objet des occupations les plus assidues des artistes, les instruit de costume, en même-tems qu’elle les instruit de ce qui est le plus essentiel à leur art, de sorte que, par cette heureuse réunion, ils gagnent sur l’emploi du temps, trop court & trop rapide pour la multiplicité des connoissances qu’ils doivent acquérir Ils apprennent donc à la fois comme ils doivent dessiner pour parvenir à représenter les formes humaines les plus parfaites, & comme ils doivent revêtir & parer ces formes conformément aux temps, dont les grands artistes & les grands poëtes leur ont conserve le souvenir. Ll en résulte que manquer grossièrement au costume mythologique des anciens, seroit avouer qu’on n’a point dessiné, ou qu’on a étudié trop superficiellement les monumens qui sont devenus les bases de l’art.

De même, ne pas représenter Achille, Diomède, Ajax, AEnée avec les armes & les habillemens qui leur conviennent, ce seroit avouer qu’on n’a lu ni Homère, ni Virgile ; & cette négligence seroit aujourd’hui moins pardonnable que jamais, quoique la connoissance approfondie de l’antiquité soit peut-être plus rare parmi nous qu’elle n’a été. Mais s’agit-il de représenter quelques traits ou quelqu’action tirés des histoires & des monumens moins connus, des temps plus reculés, ou des temps plus modernes dont on s’occupe moins ; d’un côté les peintres sont refroidis sur l’exactitude du costurme par les recherches qu’ils seroient obligés de faire, recherches plus étrangères à leur art que celles dont j’ai parlé, & qui prendroient sur le temps dont ils croyent avoir un emploi plus indispensable à faire pour les autres parties de leur art ; de l’autre, ils considèrent le petit nombre de juges qui sont en état de leur savoir gré d’une si pénible exactitude.

Une autre raison s’oppose souvent encore à la bonne volonté qu’ils pourroient avoir ; c’est que le costume de plusieurs pays & de plusieurs temps n’ayant pas été adapté aux arts, qui ne florissoient point assez alors, ou y ayant été employé d’une manière mal-adroite & barbare, les artistes se trouvent rebutés par une disconvenance pittoresque qui leur semble une suffisante excuse.

Mais, je le répete, ils ne sont pas autorisés par ces difficultés & ces ; raisons à des transgressions qui blessent trop la vérité.

Les secours que peuvent employer les artistes pour se tirer de ces embarras, sont les ouvrages que des savans, amis des arts, ont déjà composés pour leur épargner la porte d’un temps, que l’étude de leur art ne peut leur permettre de sacrifier.

Peut-être la méthode la plus raisonnée n’a-t-elle pas encore été mise en usage à cet égard ; & je pense qu’un des points de vue qu’il faudroit avoir dans ces ouvrages, seroit premièrement de diviser les temps historiques, quant au costume, par intervalles, qui ne devroient pas être égaux.

En effet les histoires des temps très-anciens permettent que les artistes, sans trop blesser les vérités historiques, choisissent dans un espace de temps assez considérable, les costumes qui s’accordent le mieux à l’intérêt pittoresque, d’autant plus que les différences partielles & successives qui pourroient avoir existé sont à peine connues.

Cette latitude ne doit pas être aussi grande dans les siècles plus florissans, parce que trop


de livres ou de monumens, & une tradition trop répandue autorisent à exiger plus d’exactitude & à juger avec plus de rigueur.

Voilà une idée générale des bases que peuvent prendre, à l’égard du costume, les artistes & les auteurs. Je dois dire encore un mot des incertitudes où se trouvent les peintres relativement au costume de nos temps modernes.

Le costume en usage de nos jours, les contrarie souvent, sur-tout lorsqu’ils le comparent à des usages plus favorables à leurs travaux : en effet la coëffure & les habillemens Grecs & Romains sont sans contredit préférables pour l’intérêt de l’Art à nos vêtemens ordinaires, parce que nos habits, & la plus part de nos coëffures altèrent ou déguisent le nud & les formes de la nature.

Je ne repéterai pas ici d’une par tout ce qu’on a dit sur l’extravagance & la mobilité continuelle de nos modes, qui la plupart, en effet, changent les proportions naturelles, & qui par-là sont aussi contraires à l’intérêt des personnes qui les adoptent, qu’aux arts. Je ne répéterai pas non plus ce qu’on peut dire en faveur de ce qu’on appelle vérité à cet égard ; cette vérité qui change chaque année ne perd-t-elle pas de ses droits en raison de sa mobilité ? Mais les licences trop grandes, qui ne sont pas rachetées par de très-grandes beautés, sont aussi contraires à la raison & à l’art, que la trop grande exactitude à suivre l’usage, si l’ouvrage, où on peut la louer, n’a que ce seul mérite. Il est certain qu’un Monarque François, représenté nud, & le front & les épaules seulement couverts d’une large & ample perruque, est un objet ridicule & un abus excessif de la liberté que se sont donné de tout temps les peintres, comme les poëtes. Il est certain encore qu’il faut qu’un Roi, un grand, un héros modernes, habillés de l’habit & de la coëffure les plus en usage parmi nous, ayent un caractère bien noble & bien imposant, pour réparer ce que cet ajustement en diminue. Le milieu raisonnable est de choisir au moins dans tous nos ajustemens de guerre, par exemple, & même da chasse, en se permettant encore d’y faire quelques légères corrections, ceux qui contrarient moins les formes naturelles, qui dérobent moins les proportions, qui cachent moins les jointures, & c’est au génie à faire d’autant plus d’effort que la mode semble lui opposer de plus grands obstacles.

Mais si l’artiste brave la critique en empruntant un costume absolument étranger, il faut, comme je l’ai dit, qu’ilen tire un tel avantage, qu’on soit forcé de lui pardonner cette licence.

D’ailleurs, dans le costume héroïque, par exemple, en se rapprochant autant qu’il est possible de celui de l’antiquité, on doit éviter certaines dissemblances trop grandes, telles que les armes inusitées parmi nous, & la nudité de plusieurs parties du corps, qui convenoit à des climats plus chauds que le nôtre, & que notre température, principe d’une partie de nos usages, rend trop invraisemblable. (Article de. M. Watelet).

Costume. Après l’article ingénieux de M. Watelet, nous croyons devoir placer celui de M. le Chevalier de Jaucourt, parce qu’il renferme des principes plus positifs.

Le costume est l’art de traiter un sujet dans toute la vérité historique : c’est donc, comme l’a défini fort bien l’auteur du dictionnaire des beaux arts, l’observation exacte de ce qui, suivant le temps, fait reconnoître le génie, les mœurs, les loix, le goût, les richesses, le caractère & les habitudes du pays où l’on place la scène d’un tableau. Le costume renferme encore tout ce qui constitue la chronologie, & la vérité de certains faits connus de tout le monde ; enfin tout ce qui concerne la qualité, la nature & la propriété essentielle des objets qu’on représente.

Suivant ces règles, dit M. l’Abbé Dubos (& les gens de l’art conviennent de la justesse de ces réflexions), il ne suffit pas que, dans la représentation d’un sujet, il n’y ait rien de contraire au costume, il faut encore qu’il y ait quelques signes particuliers pour faire reconnoître le lieu où l’action se passe, & quels sont les personnages du tableau.

Il faut de plus réprésenter les lieux où l’action s’est passée, tels qu’ils ont été, si nous en avons connoissance ; &, quand il n’en est pas demeuré de notion précise, il faut, en imaginant leur disposition, prendre garde de ne se point trouver en contradiction avec ce qu’on en peut savoir.

Les mêmes règles veulent aussi qu’on donne aux différentes nations qui paroissent ordinairement sur la scène des tableaux, la couleur du visage, & l’habitude de corps que l’histoire a remarqué leur être propres. Il est même beau de pousser la vraisemblance jusqu’à suivre ce que nous savons de particulier des animaux de chaque pays, quand nous représentons un évènement arrivé dans ce pays-là.

Le Poussin, qui a traité plusieurs actions dont la scène est en Egypte, met presque toujours dans ses tableaux des bâtimens, des arbres ou des animaux qui, par différentes raisons, sont regardés comme étant particuliers à ce pays.

Le Brun a suivi ces règles avec la même ponctualité dans ses tableaux de l’histoire d’Alexandre ; les Perses & les Indiens s’y distinguent des Grecs à leur phisionomie autant qu’à leurs armes : leurs chevaux n’ont pas le même corsage que ceux des Macédoniens ; conformément à la vérité les chevaux des Perses y sont


représentés plus minces. On dit que ce grand maître avoit été jusqu’à faire dessiner à Alep des chevaux des Perses, afin d’observer même le costume sur ce point.

Enfin, suivant ces mêmes règles, il faut se conformer à ce que l’histoire nous apprend des mœurs, des habits, des usages & autres particularités de la vie des peuples qu’on veut représenter. Tous les anciens tableaux de l’écriture sainte sont fautifs en ce genre. Albert Durer habille les Juifs comme les Allemands de son pays. Il est bien vrai que l’erreur d’introduire dans une action des personnages qui ne purent jamais en être les témoins, pour avoir vécu dans des siècles éloignés de celui de l’action, est une erreur grossière où nos peintres ne tombent plus. On ne voit plus un Saint François écouter la prédication de Saint Paul, ni un confesseur, le crucifix en main, exhorter le bon larron ; mais, ne peut-on pas reprocher quelquefois aux célèbres peintres de l’école Romaine, de s’être plus attachés au dessin, & à ceux de l’école Lombarde, à ce qui regarde la couleur, qu’à l’observation fidèle des règles du costume ? C’est cependant l’assujettissement à cette vraisemblance poétique de la peinture, qui, plus d’une fois, a fait nommer le Poussin le peintre des gens d’esprits, gloire que le Brun mérite de partager avec lui. On peut ajouter à leur éloge d’être les peintres des savans.

On comprend encore dans le costume tout ce qui concerne les bienséances, le caractère & les convenances propres à chaque âge, à chaque condition, &c. (Article de l’ancienne Encyclopédie.

Nous ne renverrons pas les artistes, pour la science du costume, a des livres qu’il soit difficile de se procurer, ou écrits dans une langue peu familière à la plupart d’entr’eux. Ils trouveront d’utiles instructions dans les costumes des anciens peuples, par M. Dandré Bardon. Il semble inutile de leur recommander l’étude des bas-reliefs antiques : ils y sont appellés par l’étude de leur art. Les livres de voyages leur procureront une récréation nécessaire après leurs travaux, & des connoissances dont ils pourront avoir besoin (L.)