Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Enthousiasme

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Panckoucke (1p. 254-255).
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ENTHOUSIASME, (subst. masc.) l’enthousiasme relatif aux arts & particulièrement à la peinture & à ceux qui l’exercent, est utile & nécessaire, mais il faut qu’il soit vrai & exempt de toute affectation. Il est ordinairement de cette nature, il a cette pureté drus la jeunesse. Il perd de sa vivacité & souvent de sa franchise dans l’âge où les talens formés se trouvent arrêtés dans leur progrès.

Les vives impressions qui excitent l’enthousiamsme & que produit la beauté, doivent donc être regardées comme un présage infiniment favorable dans les jeunes artistes qui en sont susceptibles ; elles soutiennent leur zèle, nourrissent l’émulation, échauffent leur ame. L’enthousiasme dans les arts allume le desir de voir & de revoir sans cesse les belles productions ; il excite à s’en remplir, à contempler avec délices la belle nature, à rivaliser avec elle, à surpasser ceux qui l’ont égalée. L’enthousiasme enfin, je parle toujours de celui qui part de l’ame, est la marque distinctive & peut-être infaillible du génie.

Lorsque les artistes ne sont pas soutenus par des succès proportionnés à leurs desirs de gloire, & qu’ils atteignent l’âge qui, les éclairant sur les difficultés de l’art, leur fait entrevoir le terme de leurs progrès ou l’inutilité de leurs efforts, ils sentent alors, comme je l’ai dit, réfroidir l’enthousiasme ; s’ils ont honte de ce refroidissement, ils affectent, le plus souvent, ce qu’ils ne sentent plus, comme les femmes dont le sentiment est épuisé & qui ne veulent point renoncer aux avantages qu’il procure, cherchent à en montrer d’autant plus qu’elles en ont perdu davantage. Pour ceux qui ne praquent pas les arts & qui ne s’en occupent pas assez ou d’une manière assez suivie pour s’identifier avec eux & s’associer aux artistes, l’enthousiasme qu’ils montrent est presque toujours emprunté, & celui même qu’ils s’efforçent de ressentir, est toujours chancelant & variable, par défaut de justesse dans ses applications.

Au reste, cet enthousiasme a quelquefois pour cause (& c’est la plus excusable) une sorte de sensibilité ou naturelle ou excitée par l’exemple, par l’habitude de chercher des émotions, par le desir d’être ému ; mais lorsque cette sensibilité est plus l’ouvrage de la tête ou de l’esprit seul que de ce qu’on appelle le cœur & l’ame, elle est sujette à tant de modifications & se trouve soumise à tant de circonstances, qu’elle procure peu de véritables plaisirs à ceux qui s’y livrent, & ne vaut pas, à parler franchement, la peine qu’elle leur donne.

A ces désavantages & à ces inconvéniens, se joint un ridicule certain aux yeux des hommes qui pratiquent les arts ou qui en sont instruits. En effet, si l’on suit les idées & les discours des enthousiastes dont j’ai parlé, & sur-tout de ceux qui sont absolument comédiens à cet égard, on apperçoit qu’elles n’ont aucune suite, aucune gradation, & que les mots, les tours, les expressions, manquent d’exactitude ou sont embarrassés & toujours obscurs.

La multiplicité des épithètes les rend diffus, comme les exclamations qu’ils prodiguent les rendent monotones. Au contraire, ce que l’on sent & ce que l’on conçoit bien s’énonce toujours clairement, & toujours d’une manière nouvelle. Cette règle s’étend à la louange comme au raisonnement. Ecoutez un homme véritablement épris & inspiré par les perfections de l’objet qu’il aime, quelque enthousiasmé qu’il soit, il exprime clairement les différens transports ; les expressions, les tours, les accens de son discours se varient comme ses sentimens ; mais ils disent toujours quelque chose qu’on entend ; il intéresse enfin & communique ses impressions. Mais si vous appercevez que l’enthousiaste se répéte, si vous le trouvez obscur, alors, refroidi à son égard, vous concluez qu’il joue la passion, & vous ne vous trompez pas.

Si l’on observe plus particulierement encore les enthousiasmes joués qui deviennent si communs & si épidémiques parmi nous, que les hommes les plus sages ont peine à ne s’en pas trouver quelquefois coupables, on y démêle plusieurs nuances & plusieurs motifs. Les uns n’ont dessein que de faire dire qu’ils ont une sensibilité extraordinaire ; ils s’efforcent de s’échauffer, ils s’échauffent enfin ; mais la prétention de sentir vivement & de s’exprimer d’une manière distinguée est trop facile à appercevoir pour qu’on s’y méprenne. Il en est enfin qui ont pour but plus secret une prédilection déterminée, & ils demasquent, malgré eux, ce motif par les occasions qu’ils amenent de louer sans mesure les genres qu’ils affectionnent, ou de déprimer les artistes qui ne leur plaisent pas.

Tous ces enthousiasmes faux sont plus contraires aux arts que la froideur & l’indifférence. Ils sont regarder injustement comme peu sensibles ceux qui ne sont émus qu’autant que les objets le méritent, & qui ne parlent qu’avec franchise d’après leurs impressions, qu’ils donnent pour ce qu’elles sont, sans tyranniser ceux qui n’en ont pas de semblables.

Le véritable enthousiasme, que les beaux ouvrages, les louanges consacrées à leurs auteurs, la belle nature, lorsqu’elle se rencontre, excitent dans l’ame de ceux qui pratiquent les arts ou qui les aiment, est un heureux don, agréable à-la fois & utile à ceux qui l’exercent & à ceux qui le causent.

Mais dans les arts, il a malheureusement produit, comme dans la religion, l’hypocrisie, & l’hypocrisie s’y est montrée plus d’une fois, pour les objets les moins importans, sous les traits du fanatisme & de l’intolérance. (Article de M. Watelet.)