Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Léger lourd

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Panckoucke (1p. 473-474).
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LÉGER & LOURD, (adj.). Ces deux mots opposés doivent s’expliquer l’un par l’autre, & peuvent, par cette raison, être réunis dans le même article.

La légéreté, au sens propre, se joint vaguement à l’idée de spiritualité. Je ne chercherai pas à démêler la raison de ce rapprochement ; mais je ferai observer qu’en se servent des mots léger, aërien, qu’on emploie quelquefois comme synonymes dans le langage de l’art, on est bien près d’y joindre aussi les mots spirituel & même céleste.

Nous regardons généralement l’air comme ce qui existe de plus léger, quoique nous le mettions au rang de la matière. Un objet aërien nous représente donc une substance légère, presqu’invisible & céleste.

Dans la peinture, où l’on crée des êtres qu’on anime à son gré, l’artiste qui donne à ses figures des formes légères, à sa couleur la légèreté avec laquelle la nature nous la présente quelquefois, & aux ombres sur-tout ces tons qui font sentir qu’elles ne sont que des privations, cet artiste, dis-je, est un créateur intelligent & spirituel.

Le léger, dans la peinture, lorsqu’il est appliqué à la touche & au trait, est donc à-peu-près le synonyme de spirituel, & lorsqu’il a rapport à la couleur, à la lumière, il se rapproche des mots aërien & céleste.

Les objets qui demandent particulièrement de la légèreté dans le trait, dans la touche, dans la couleur, sont les ciels, les eaux, les fleurs, les formes de la jeunesse, les draperies de gaze, les cheveux, &c.

Lourd est relativement à l’art, le contraire de léger, comme il l’est au physique & au moral.

Mais en imitant par la peinture des objets physiquement lourds, il n’est pas permis à i’artiste d’employer un pinceau lourd & une touche privée de legèreté.

L’artiste dont l’intelligence est lente & la main peu légère, donne aux objets qu’il représente un caractère lourd qui peut être un peu moins sensible dans la représentation des objets matériels & pesans, mais qui est absolument repréhensible dans tout ce qui rappelle l’idée de la mobilité.

Dans les autres arts, les mots léger & lourd ont à-peu-près les mêmes significations. On dit la légèreté & la pesanteur du style, des vers légers, une expression lourde, un tour plein de légèreté, une composition qui assomme ; enfin dans la conversation même, la meilleure doit se distinguer par la légèreté, & le contour, ou le raisonneur qui s’appesantit semble surcharger d’un fardeau qui devient de plus en plus lourd à ceux qui l’écoutent.

On pourroit cependant ajouter à ces observations, que je crois justes en elles-mêmes, en disant que souvent parmi nous on exige trop à cet égard, parce que le léger dl bien près du superficiel, du frivole dans la conversation ou dans le récit ; par exemple, il conduit à de qu’on appelle le décousu, c’est-à-dire, à ce passage trop prompt d’une idée ou d’un objet à un autre.

Heureusement ce qu’on ne tolère pas encore


c’est que le léger s’étende au caractère, & s’il s’agit de l’ame & du cœur, on exige de la solidité, parce que le léger alors est absolument synonyme de frivole.

Que la jeunesse ait pour appanage la légèreté, c’est le droit de cet âge. Aussi, jeunes artistes, si vous aviez la main pesante & l’esprit lourd, vous tromperiez l’intention de l’art & la loi de la nature. Cependant que cette légèreté ne vous empêche ni d’être correct en dessinant, ni de vous asservir aux convenances morales, à quelque âge & dans quelque circonstance que vous soyez : la légèreté en ce genre seroit un défaut. (Article de M. Watelet.)