Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Lettre G

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Panckoucke (1p. 324-405).
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GAIN (subst. masc.) L’amour du gain n’a été que trop souvent funeste aux artistes ; trop souvent il les a détournés de la route glorieuse que leurs dispositions naturelles & leurs premières études leur avoient tracée, & dans laquelle même ils s’étoient avancés par leurs premiers ouvrages. C’est par l’amour du gain qu’on veut multiplier ses productions, pour multiplier aussi les momens où l’on en reçoit le prix ; c’est par l’amour du gain qu’on se refuse à des études longues & dispendieuses qui n’augmenteront pas la somme du payement convenu ; c’est par l’amour du gain qu’on se fait une dangereuse habitude de travailler de pratique, & que l’on tombe dans la maniere, pour expédier plus promptement ; c’est par amour du gain, qu’on préfere la mode au beau, parce que le beau n’est pas toujours recherché ni même connu des amateurs, & que leurs richesses sont toujours prêtes à récompenser la mode.

Mais d’un autre côté, l’espoir & l’amour du gain ont leurs avantages. Il faut des motifs pour se consacrer à la vie laborieuse. On consentiroit difficilement à travailler, si le travail n’avoit pas un prix : mais le gain est proposé aux hommes, & leur fait surmonter la paresse naturelle. La nature leur donna l’amour de l’inaction ; mais elle leur donna le besoin qui les force à l’activité. Souvent même l’artiste ne pourroit cultiver son art ; s’il n’étoit soutenu par le gain qu’il en retire. Pour peindre, il faut vivre, & pour vivre il faut gagner. Horace n’auroit pas fait ses vers s’il n’eût pas été pauvre ; Paupertas impulit audax ut versus facerém. Peu d’hommes se seroient consacrés à faire des tableaux, des statues, s’ils étoient nés dans l’opulence ; moins d’hommes encore auroient suivi constamment l’inclination naturelle qui les portoit à la culture des arts, s’ils avoient éprouvé toutes les distractions que donnent les richesses, s’ils avoient connu toutes les variétés de jouissances qu’elles procurent.

L’artiste a besoin de vivre, mais non d’être riche. Qu’il se propose l’exemple du Poussin, qu’il ait pour but un gain modéré & beaucoup de gloire ; qu’il se persuade même que tôt ou tard ce sont les bons ouvrages, & la gloire qu’ils procurent, qui amenent le gain.

Mais comment se le persuaderont-ils, si cela n’est pas vrai ; s’ils ont le malheur de vivre dans un siècle où l’amour du beau est éteint ; si les amateurs, négligeant les bons ovvrages,


ne payent que des productions aussi méprisables que leurs caprices ; si tous les amateurs se piquent d’être connoisseurs, & si leurs connoissances ne sont que les erreurs d’un goût dépravé ? Faux amateurs, (& combien en est-il de véritables ?) Vous détruisez ce que vous feignez de chérir ; vous mettez les artistes dans la nécessité de périr de misère ou de concourir eux-mêmes à la perte du goût, en adoptant le vôtre ; vous consacrez vos richesses à dégrader les talens ; & par vous, le gain est la récompense de ceux qui contribueront avec le plus de succès à la dégénération des arts. (Article de M. Levesque.)

GALERIE (subst. fem.) Ce terme appartient à l’Architecture ; mais les sœurs doivent avoir des droits entr’elles & c’est par cette raison que la peinture emprunte le mot galerie, non pour signifier une partie de palais ou d’appartement dont la proportion est un parallélogramme très-allongé, mais pour désigner les ornemens dont on la décore.

Ces ornemens sont, pour l’ordinaire, la dorure, la sculpture & surtout la peinture. Quelquefois une galerie, est destinée à renfermer une collection de tableaux rassemblés de tous les pays & de toutes les écoles : quelquefois elle est peinte par un même artiste, qui, à l’aide de distributions symmétriques, y représente une suite de faits tirés de l’histoire ou de la fable, mais qui ont pour objet un seul héros ; telle est la galerie où Rubens, au Luxembourg, a représenté l’histoire de Marie de Médicis.

Pour rendre sensibles les ressemblances établies entre la poësie & la peinture, il seroit nécessaire de rapprocher les différens genres de leurs productions, qui ont quelques rapports entr’eux. Aussi me suis-je promis d’en offrir l’idée au mot genre ; mais je ne puis me refuser, à l’occasion de celui qui m’occupe, d’anticiper sur cette espèce de parallèle.

Les compositions dont la poësie a droit de s’enorgueillir davantage, sont les poëmes composés de plusieurs parties qui, susceptibles de beautés particulières, exigent cependant que ces beautés ayent une juste convenance avec l’ouvrage entier & une liaison combinée avec les parties qui précèdent ou qui suivent.

Dans la peinture, un seul tableau, quelque grand, quelque riche que soit le sujet, ne semble pas répondre completement à cette idée ; mais un assemblage, une suite de tableaux, qui, indépendamment des convenances particulières auxquelles ils seroient astreints, auroient encore entr’eux des rapports suivis d’action & d’intérêt, offriroit sans doute une ressemblance assez sensible, avec les Poëmes dont je viens de parler.

On peut donc avancer que les galeries, décorées par de célèbres artistes, capables non-seulement d’embrasser avec genié une seule composition ; mais l’ensemble d’un nombre de compositions relatives les unes aux autres & divisées, non en plusieurs livres, mais en un certain nombre de réprésentations, peuvent être regardées comme les poëmes de la peinture.

Despréaux, ce législateur, non-seulement des Poëtes, mais de la raison & du goût de tous les tems & de tous les arts, dit qu’une composition de ce genre.

N’est pas de ces travaux qu’un caprice produit ;
Il veut du temps, des soins…

Il veut, oserois-je ajouter plus que tout cela, un génie supérieur. Aussi ne possedons-nous qu’un bien petit nombre de beaux Poëmes & ne connoissons-nous qu’un moindre nombre encore de Poëmes pittoresques ; & qui fait, si on examinoit ceux qui sont célèbres avec la même sévérité qu’on a employée pour apprécier les Iliade, les Æneïde ; qui sait, si l’on faisoit un peu moins d’attention aux beautés purement pittoresques des galeries connues, (je n’en excepte pas celle de Rubens,) si l’on n’en viendroit pas à desirer ce que nous croyons posséder ?

Quelle machine en effet à concevoir, à disposer graduellement, à exécuter, à animer, qu’un poëme pittoresque, tel qu’on peut au moins s’en faire l’idée ! Ce seroit à des ouvrages de ce genre qu’on reconnoîtroit véritablement ce caractère divin, attribué aux chefs-d’œuvre des grands genres, dans tous les tems & parmi tous les hommes éclairés.

Mais pour revenir à l’art seul de la peinture, je crois que le plus puissant moyen de le soutenir, est de proposer des ouvrages des plus grands genres, & de n’en laisser jamais manquer les artistes, qui, avec des talens déjà distingués, sont dans cet âge où le desir de la gloire éleve l’ame & le courage aux plus hautes entreprises.

Relativement à l’art que je traite, je compterois sur son existence soutenue & sur des progrès, s’il y avoit toujours un certain nombre de ces grands ouvrages projettés. Qu’on n’objecte pas les frais ; ils seroient compensés par la gloire nationale. Les moyens ? On en trouveroit en engageant les grands établissemens, les ordres riches, lorsqu’on leur accorde


des graces, les municipalités, à porter plutôt à des ouvrages de cette espèce qu’à des magnificences passagères, ces sommes dont l’emploi précaire ne laisse aucun souvenir. Que ces atteliers s’établissent, soit dans la capitale, soit dans les provinces ; les jeunes artistes s’empresseront de solliciter pour en être les chefs. Ils s’en occuperont en arrivant de Rome, dix ans, s’il le faut, & seront, pendant ce tems au moins, à l’abri de l’influence des mœurs pernicieuses, & du goût, souvent égaré, de la capitale. Ils formeront & avanceront des élèves, en raison des secours dont ils auront besoin, & si, sur dix de ces grands ouvrages, entrepris dans des galeries, dans des réfectoires, dans des salles d’hôtels-de-ville & de tribunaux, dans des bibliothèques & des églises dont les plafonds & les dômes nuds reclament contre la négligence qui les abandonne, un seul est un ouvrage fait pour rester célèbre, les frais employés aux autres ne seront pas perdus : car, si les artistes, chefs de ces travaux, y perdent de leur gloire, il se trouvera entre leurs élèves quelque génie ignoré qui réparera un jour les torts de son maître.

Ces idées, que je crois infiniment importantes pour la peinture, exigeroient encore des détails que je dois me refuser ici ; mais pour me reduire à quelques observations moins vastes, si les descendans des maisons illustres, auxquels leurs chefs ont transmis des honneurs héréditaires, se sont quelquefois permis le faste glorieux & utile de faire représenter dans des galeries les faits historiques de leurs ancêtres, pourquoi les particuliers même, lorsqu’ils croyent pouvoir se permettre des somptuosités qui blessent, ne feroient-ils pas reprèsenter dans leurs galeries des actions vertueuses & des poëmes qui pour être moins héroïques, n’en seroient peut-être que plus attachans ? Serions-nous moins sensibles à voir les tableaux d’une suite d’actions particulières de justice, de bonté, de générosité, que celles que font entreprendre la gloire, la valeur & l’ambition, quelque nobles que puissent être ces motifs ? « Mais, dira-t-on, le sens de ces actions vertueuses & ignorées seroit difficile à faire entendre » Eh bien ! des inscriptions simples feroient l’exposition & on liroit ici : les ressentimens étouffés ; là, l’amitié éprouvée, le courage dans l’adversité, l’innocence & la vertu récompensée &c.

N’est-il pas possible de lier à un sujet les représentations d’un nombre encore plus restreint de tableaux qui orneroient un appartement, un cabinet même ? Mais notre goût régnant & les décorations employées dans les nouveaux édifices qui se constrnisent & se multiplient avec une sorte de délire, s’opposent physiquement à tout ce que la raison & l’interêt des arts pourroient inspirer à ce sujet & l’on est réduit aux désirs & aux regrets.

L’usage des galeries est aussi destiné, comme je l’ai indiqué au commencement de cet article, à rassembler des tableaux de différentes écoles anciennes & modernes, de toutes sortes de genres & de formes, & à y joindre des objets précieux, tels que des sculptures, des vases, des meubles recherchés. Le but de la plupart de ceux qui font ces collections, est de se distinguer par le goût, par l’opulence & par l’avantage de posséder ce que d’autres ne possédent pas. C’est trop souvent une sorte de vanite, réellement puérile, qui préside à leur choix & à leur arrangement ; mais, par une sorte de punition, ces galeries, souvent mal assorties & surchargées, affichent l’ignorance de leurs maîtres, & travestissent ce qu’ils appellent fastueusement leurs galeries, en magazins de marchands. Il est vrai que ceux-ci, chargés par nécessité, du soin de former ces collections, doivent être portés à en conformer les dispositions à celles qui leur sont plus familières.

Je ne dirai plus qu’un mot sur ces galeries ; mais je le crois important pour les amateurs qui s’en occupent, par quelque intérêt que ce soit. C’est qu’il est indispensablement nécessaire, s’ils en veulent tirer le plus grand avantage, de les éclairer en tirant les jours d’enhaut & d’assortir les tableaux, de manière qu’ils ne le nuisent par les uns aux autres par des oppositions de genre, de manière & surtout de couleurs.

Quant au premier objet, l’importance m’en paroît incontestable & prouvée par la différence sensible que produit & sur les tableaux & sur les yeux de ceux qui les regardent, le point d’où l’on tire la lumière qui les éclaire. Je ne chercherai pas à prouver ce qui peut se démontrer si facilement, & je renvoye au même juge, c’est à dire à l’expérience, la seconde observation, d’autant qu’il n’est que trop évident que les objets, quel qu’ils soient, peuvent perdre par la comparaison, & que, pour les faire briller autant qu’il est possible, & mettre dans tout son jour le mérite qui leur est propre, il ne faut pas les exposer à des comparaisons trop désavantageuses. (Article de M. Watelet.)

GE

GÊNE (subst. fem.) La gêne est l’opposé de la liberté.

Rien, dans le faire ne doit sentir la gêne. Le spectateur sent redoubler ses plaisirs, quand il voit que ce qui est difficile est fait avec facilité. Il a même souvent l’injustice de refuser son approbation à ce qui est bien fait, s’il n’est pas fait avec aisance. Mais c’est par la science & la pratique, & non par l’audace,


que l’artiste doit se mettre au-dessus de la gêne.

On peut excuser les amateurs s’ils refusent leurs suffrages à ce qui ne sent pas la facilité, car la gêne qu’éprouve l’artiste indique qu’il ne sait pas assez ce qu’il est obligé de bien savoir. S’il a une profonde connoissance des formes, il mettra de l’aisance dans son dessin ; s’il a une grande habitude de peindre, il aura un pinceau facile ; s’il possède bien la théorie des effets, il ne sera pas gêné pour les rendre.

L’air de facilité peut accompagner l’ignorance, parce qu’elle marche témérairement sans connoître même les dangers. Elle n’en sait pas assez, pour savoir que quelque chose peut être difficile à faire. La gêne peut accompagner la demi-science, parceque l’artiste sent à-peu-près ce qu’il faudroit faire, & qu’il n’a pas assez de théorie ou de pratique pour l’exécuter.

La gêne que l’on remarque dans les ouvrages de quelques uns des plus grands maîtres ne pourroit servir aujourd’hui d’excuse à ceux qui manqueroient de facilité. Ces grands maîtres avoient au moins la plus grande facilité de dessin. Mais la manœuvre étoit encore naissante : on la cherchoit plutôt qu’on ne la possédoit. On n’avoit encore des exemples de rien, il falloit tout découvrir, & il étoit impossible que le même homme trouvât toutes les différentes sortes de faire, propres à rendre tous les objets différens qu’offre la nature. Mais aujourd’hui, tout est inventé, on a des exemples multipliés de tout ; une foule de maîtres s’est distinguée par les seules parties qui constituent la manœuvre de l’art, & l’on ne doit plus éprouver, dans des opérations tant de fois pratiquées, la gêne où se trouvoient les inventeurs.

Mais permettons, s’il le faut, à quelques artistes d’avoir dans la manœuvre de l’art, la même gêne que les contemporains de Raphaël ; nous aurons le droit alors d’exiger d’eux qu’ils aient aussi la même science dans les parties qui distinguent ces grands maîtres.

On peut, sans trop de rigueur, exiger au moins la médiocrité de toutes les parties, dans ceux qui n’en possèdent supérieurement aucune. (Article de M. Levesque.)

GÉNIE (subst. masc.) Que de définitions du génie qui ne sont le plus souvent qu’ingénieuses ! Mais comment en présenter une digne des idées que ce mot offre à l’esprit ?

La définition est un chef-d’œuvre d’intelligence, de justesse d’esprit & de connoissances méditées.

L’intelligence pour parvenir à la justesse & y employer les connoissances acquises & méditées, doit procéder méthodiquement, & le genie au contraire semble être le mouvement d’une âme chaude, rapide, élevée, quelque fois même exaltée, qui ne marche point en comptant les pas, mais qui s’élance & qui vole.

Si le génie montre de l’ordre dans les productions, cet ordre est l’effet de sa nature particulière, ou d’études, dont il ne se rend pas compte au moment où il les applique le plus heureusement. Il brille comme la lumière qui ne donne aucun indice de ce qui la produit.

C’est sans doute à cause de l’indécision du sens de ce mot, qu’il est si souvent employé dans la langue ; car on peut observer que ce sont les expressions qu’on auroit plus de peine à bien définir, dont on se sert davantage. C’est qu’on croit d’après l’idée vague qu’on en a, pouvoir les appliquer à un nombre infini de conceptions également indéterminées qui se présentent à nous sans cesse, principalement dans la conversation.

Mais c’est sur-tour lorsequ’on parle des arts & des talens qu’on prodigue plus libéralement le mot génie.

Un jeune Auteur compose-t-il des vers avec facilité ? L’esprit se fait-il appercevoir dans ses productions précoces ? Y remarque-t-on de la finesse ? S’éloigne-t-elle même da naturel & de la simplicité ? On assigne à ce jeune auteur le don du génie de la Poësie. Quelquefois pour être place parmi les hommes de génie, il suffit, au poëte de savoir lire d’une manière séduisante ses vers barbares : mais ce grand homme éphémère, meurt à l’instant même où ses ouvrages paroissent au grand jour, & le silence de ceux qui lui ont décerné la couronne du génie se confond avec le silence public.

De même un artiste montre-t-il quelques heureuses dispositions ? Fait-il même avant de savoir dessiner des croquis où le feu de la première jeunesse se montre ? (Et s’il étoit froid à cet âge ; que seroit -il ?) On s’écrie qu’il a un talent marqué, & qu’il est né peintre. Un sculpteur, un musicien compositeur, un architecte, sont ainsi proclamés sur des essais, comme grands hommes futurs. On a un plaisir, trop souvent malin, de prédire des succès qu’on oppose d’avance á des talens dont la célébrité importune. On laisse à l’envie qui ne meurt pas, le soin de disputer lorsqu’il en sera tems à ces nouveaux athletes, les lauriers dont on les couronne.

Ce manège de la foiblesse humaine est peut-être plus fréquent & plus sensible chez une nation vive, même légère, que parmi celles qui sont moins changeantes dans leurs affection ; mais il ne met que plus d’obstacles aux progrès, & n’offre que plus de danger à ceux qui se consacrent aux arts.

En effet, si l’on enivre les jeunes talens, ils s’endorment ou s’énervent avant l’âge de leur véritable force.


D’une autre part, lorsque l’on s’arme contre le petit nombre des hommes qui annoncent du génie, on cause à leurs ames des peines dont l’amertume en altère souvent le germe.

C’est la foule des talens avortés qui s’élève surtout contre ceux qui atteignent les grandes proportions ; & le public qui desire si ardemment les beaux ouvrages des arts, ne semble cependant accorder qu’à regret un prix à des chefs-d’œuvre dont, par cette injuste sévérité, il paroîtroit vouloir se priver contre son propre intérêt.

Quant à cette injustice, il reste au moins à ceux qui l’éprouvent un appel à la postérité, & pour consolation, un sentiment intérieur de leur mérite, qu’il ne faut pas confondre avec la sotte présomption. Qu’on le nomme, si l’on veut, noble orgueil ; mais il n’est pas plus blâmable dans les hommes de génie, que la conscience de la vertu dans ceux qui en sont doués.

Au reste le plus grand danger des louanges anticipées est pour les jeunes talens ; car s’ils sont profondément attaqués par le poison des louanges prématurées dont l’effet pernicieux est presque inévitable, ils succombent tôt ou tard, comme je l’ai dit, ou tant qu’ils existent, ils conservent des marques sensibles du mal dont ils ont été frappés.

Faut-il donc retenir un sentiment dont on peut-être affecté de bonne foi, & refuser de donner des encouragemens par lesquels on pense sincèrement aider aux succès des jeunes talens ? Oui sans doute l’on devroit s’y refuser souvent, ou de moins s’imposer une circonspection utile, surtout lorsqu’on ne s’est pas rendu compte de ce qui peut donner du fondement aux espérances d’un véritable talent & distinguer de l’éclat d’un feu passager les étincelles du véritable génie.

Liberté, hardiesse, nouveauté ; voilà assez ordinairement les caractères qui nous trompent ; car ces signes n’annoncent pas toujours le génie, quoiqu’on ne puisse disconvenir, qu’il est plus frequemment désigné par ces signes caractéristiques de l’esprit, que par ceux qui montrent l’asservissement aux opinions, la timidité dans la marche & le penchant à l’imitation.

Le génie dans la peinture (car il faut se fixer principalement à l’objet de cet ouvrage) trouve plusieurs moyens de se produire ; & le phœnix des artistes seroit celui qui les mettroit tous en usage avec un égal succès.

Mais si cette universalité de perfections n’est pas absolument nécessaire pour obtenir le titre d’homme de génie, il est cependant des parties qui appartenant de plus près aux facultés spirituelles de l’âme, donnent plus de droits à l’obtenir.

Les parties qui inspirent une égale considération dans tous les arts libéraux, doivent naturellement être celles qui tiennent de plus près à la qualité la plus spirituelle de l’âme ; elles peuvent, par conséquent être regardées comme appartenant aussi de plus près au génie : plus indépendantes du méchanisme particulier de chacun des arts, elles tiennent en effet plus intimement à l’esprit.

D’après cette idée, l’invention est la partie dans laquelle le peintre se montrera plus véritablement homme de génie ; car l’invention est une partie également principale & essentielle dans tous les arts.

En suivant cette ligne tracée, l’ordonnance, qui appartient encore à tous les arts libéraux, se trouvera voisine de l’invention ; cependant, lorsqu’un la considère dans la peinture, elle commence à se soumettre forcément à plusieurs parties du méchanisme de l’art & des conventions auquel il est astreint.

Il existe par exemple, pour l’ordonnance des objets & des figures qui entrent dans un tableau, des loix qui sont absolument propres à la peinture & qui ne sont pas les mêmes dans l’art de la sculpture, quoique ces deux arts se tiennent de si près. A bien plus forte raison ces loix qui asservissent l’ordonnance sont-elles différentes encore dans l’art du poëme épique & dans celui de la tragédie. Il y a des différences essentielles appartenant au méchanisme entre l’ordonnance d’une production musicale & celle d’un ouvrage d’architecture. On sent donc que le génie est d’une part plus gêné dans son vol lorsqu’il s’agit de l’ordonnance dans quelque art que ce soit, que lorsqu’il s’agit de l’invention, & qu’il faut aussi, pour apprécier le génie de l’ordonnance, avoir quelques notions du méchanisme ou dit matériel de l’art auquel cette ordonnance est appliquée.

Ce seroit donc l’expression que je placerois près de l’invention, parce qu’il me semble que ce sont les deux parties les plus spirituelles des arts & qu’elles appartiennent au génie dans son caractère le plus indépendant de la pratique de chacun d’eux.

Aussi, en se servant des termes de peinture, on dira plus naturellement, le génie de l’invention, le génie de l’expression, que l’on ne dira le génie du dessin, & le génie de la couleur.

Cependant si l’on s’instruit avec application de tout ce qui appartient à l’art & si l’on en approfondit la connoissance, on s’appercevra que le génie étend aussi ses droits sur le trait & le coloris : sur le trait, parceque bien que les dimensions soient fixées d’après les observations anatomiques ; bien que les beaux modèles antiques nous montrent à cet égard la perfection réalisée, l’art de mettre en œuvre cette correction dans les circonstances différentes, l’art d’y joindre le sentiment, la vie & la grace,


demande l’influence immédiate du génie ; mais cette influence ne peut absolument suppléer ni à l’exactitude des mesures données, ni à l’imitation savante des plus belles statues.

Il en est de même du coloris, avec une différence qui donne ici de l’extension à l’influence du génie ; c’est que le coloris étant en une infinité de circonstances à la volonté de l’artiste, son intelligence est plus libre, & le génie qui est une des perfections de l’intelligence, est plus indépendant du méchanisme, & peut décider l’artiste pour ce qui assurera ; le succès de ses ouvrages.

Comme je n’ai pas prétendu, à beaucoup près, exclure l’ordonnance des domaines du génie, je consens qu’elle dispute de rang avec la fécondité, la richesse, la noblesse ; mais lorsqu’on approfondira bien toutes ces parties pour connoître en quoi elles tiennent au génie, on verra que c’est par les points où elles se rapprochent de l’invention.

Il resteroit à désigner les marques réelles, ou du moins celles qu’on doit regarder comme les plus caractéristiques, du génie dans l’art de la peinture.

Le caractère d’originalité peut, à ce que je pense, obtenir un des premiers rangs, & ce caractère est infiniment rare, ainsi que le vrai génie.

En effet il est non-seulement difficile, mais encore presque impossible que les artistes, en concevant les idées des ouvrages qu’ils entreprennent, ne donnent pas accès à tout ce qu’ils ont vu ou étudié qui ait quelque rapport à l’objet dont ils s’occupent. On doit donc regarder non-seulement comme rare, mais comme surnaturel en quelque sorte, la faculté de trouver en soi & tout seul (pour m’exprimer ainsi) des manières nouvelles d’imaginer un sujet ; des conceptions enfin qui n’ayont aucun rapport sensible à rien de ce qui s’est produit, & qui ne paroissent pas être une simple extension, ou une combinaison de ce qui existoit déjà.

Cette marque de génie est extrêmement rare ; elle n’est pas facile à reconnoître à cause des imitations plus ou moins détournées & plus ou moins cachées. Dans tous les objets ; dans tous les genres, elle distingue réellement bien peu d’artistes, bien peu d’auteurs, & l’on peut encore aspirer au nom d’homme de génie sans posséder ce don si rare.

Le premier peintre de nos siècles modernes, Raphaël, a peut-être moins de signes de cette originalité de génie que Rubens, & le Tintoret.

Il en résulte que quoique le génie soit la partie la plus brillante dans les arts, quoiqu’elle se fasse sentir expressément dans l’originalité, elle ne peut élever un artiste au premier rang sans le concours de plusieurs autres parties & que le concours de ces parties essentielles, lorsque le génie les employe heureusement, donne les moyens les plus usités d’apprécier les rangs & le vrai mérite dans les arts.

C’est pour parvenir à cette appréciation que de Piles avoit ingénieusement proposé une sorte de balance dans laquelle, évaluant pour ainsi dire le poids de chaque partie de l’art, il pensoit que l’on pouvoit pour chaque peintre former un résultat de son mérite.

Mais on sent combien ces résultats deviennent vagues, & combien cette balance, dans les différentes mains qui en feroient usage, seroit fautive.

En effet, que dans un sujet parfaitement ordonné, dessiné avec pureté, colorié avec force, les réminiscences soient ou cachées ou difficiles à découvrir, l’évaluation du mérite de l’originalité ne sera pas juste. Que les sujets soient simples, faciles à composer & à ordonner, ou qu’ils soient tels qu’on les voit dans les grandes machines, l’évaluation du talent de composer peut-elle être la même ?

Il n’est donc, à vrai dire, que l’homme de génie qui puisse véritablement apprécier le génie. C’est au seul tribunal de ses pairs qu’il peut être jugé ; mais son influence se fait sentir à tout le monde, comme tout le monde est frappé de celle de la chaleur athmosphérique, dont les savans physiciens apprécient l’intensité.

Pour vous, jeunes artistes, soyez avertis qu’á votre âge il est une effervescence de l’âme & un épanouissement (si l’on peut parler ainsi) des facultés intèllectuelles que trop aisément & trop ordinairement on prend pour les étincelles du génie.

Vous sentez-vous échauffés par les ardeurs de votre imagination, par l’accélération de vos esprits prompts à se mouvoir, par l’exemple, par l’émulation, par quelque desir souvent étranger à ce qui vous occupe ; vous croyez voler aux succès, & la gloire semble venir au-devant de vous ; mais trop souvent cette effervescence passée, le génie a disparu.

Dès que le méchanisme de l’art vous oppose des difficultés, vous redevenez froids, ou le dépit chagrin amortit votre ardeur. Ce n’est pas de génie que vous êtes doués, mais seulement du desir d’en avoir, & malheureusement ce desir ne le donne pas.

Mais si, par une application soutenue, par le desir des succès, vous acquérez les pratiques & les connoissances indispensables ; si vous ne vous rebutez pas des études difficiles ; j’augurerai mieux de votre talent & j’espererai qu’il sera vivifié par le génie. Je penserai qu’il vous soutient en secret, qu’il vous ordonne de lui applanir la route, qu’il vous dit tout bas : rompez mes chaînes & je volerai.


En effet, comment espérez-vous que le génie puisse même seulement marcher dans la carrière que vous lui voulez faire parcourir d’un vol, si lorsqu’il vous inspirera l’expression, votre main ignore quels refforts la rendent visible ? Comment espérez-vous qu’il fasse agir, parler vos figures, si vous avez tant de peine à les construire, que le génie ennuie s’échappe & disparoisse pour seconder ceux qui lui fournissent des moyens aussi prompts que ses volontés ?

Le génie est pour les artistes difficiles, lents & peu sûrs du méchanisme & de la pratique de leur art, comme ces démons qui, paroissant pour obéir aux évocations d’un enchanteur mal habile, le méprisent & le fuient, lorsqu’ils le voyent hésiter & balbutier les ordres qu’il veut leur donner.

Cependant il faut convenir que parmi les jeunes disciples de l’art dont je traite, s’il est des génies précoces (& ce sont les plus incertain,) il en est de lents & de tardifs, dont les fruits plus durables & moins corruptibles ne se sont pas annoncés pas des fleurs prématurées.

Ne vous enorgueillissez donc pas de quelques croquis, de quelques esquisses dans lesquelles vous montrez du sens & de l’esprit. Si l’on vous loue, meffiez-vous d’un encens léger, mais qui entête ; si vos maîtres plus sévères vous blâment ou paroissent peu touchés de ces bluettes de génie, ne pensez pas que ce soit par une affectation pédantesque. Ils vous trahiroient si, dans vos premières études, ils ne donnoient pas la préférence absolue au méchanisme sur les parties spirituelles de l’art. Celles-ci sont les premières sans doute dans l’ordre du mérite, & cependant elles ne doivent s’offrir que les dernières dans l’ordre des études. Si la nature vous les a données, elles ne vous les otera pas ; mais si vous n’acquérez pas les autres qui ne sont pas un don, vous ne les aurez jamais.

Il est donc indispensable que vous sachiez parfaitement dessiner pour bien exprimer. Le dessin est une langue ; plus vous la saurez, plus vous parlerez avec grace, avec force, avec génie. Il est vrai que quelques hommes rares ont été doués dans les arts d’une telle abondance de génie qu’ils ont été distingués sans avoir les qualités que je fais regarder comme indispensables. Ces exceptions ne détruisent pas le principe, & si ces hommes avoient pu acquérir ce qui leur a manqué, ils l’auroient emporté sur tous les autres.

Au reste cet objet d’étude dépend quelquefois des maîtres : il y a un génie de l’instruction comme un génie particulier pour chaque chose, & celui dont je parle est infiniment rare.

Il consiste à conformer les conseils & la marche des études, au caractère, à l’âge, au 3?o G EN tempérament moral & physique de ceux que l’on instruit.

C’est-là le seul systême raisonnable d’éducation : on n’en peut pas plus faire d’universels, qu’on ne peut faire un médicament qui guérisse toutes les maladies. Les seuls charlatans se vantent d’avoir surmonté cette impossibilité ; les hommes instruits & sincères avouent que ce génie de l’instruction est presque impossible à trouver ; mais il faut observer que malheureusement les hommes de génie qui seroient les plus propres à démêler & à guider celui des jeunes élèves, dédaignent trop souvent cette occupation qu’ils regardent comme pénible ou peu glorieuse, & qui est cependant, relativement à l’humanité, la plus noble des fonctions. (Article de M. Watelet.)

GÉNIE . Ce mot est emprunté des latins ; mais ils ne paroissent pas l’avoir limité au sens que nous lui donnons aujourd’hui. Tantôt ils entendoient par ce mot les qualités naturelles des personnes ou des choses dont ils parloient ; ingenium soli, la qualité du sol ; ingenio suo vivere, suivre son caractère, vivre à sa fantaisie. Tantôt ils le prenoient pour ce que nous entendons en général par le mot esprit ; & comme nous disons un esprit vif, subtil, louche, épais, foible, indocile, les latins disoient ingenium acre, acutum ambiguum, contusum, imbecillum indocile.

Notre langue, dans t’acception commune, ne s’écarte point de la latine ; on dit, suivre son génie ; on prend même, comme les latins, le génie en mauvaise part, & l’on dit un génie pesant.

Mais il s’agit ici du mot génie, tel qu’il s’emploie dans, la langue technique des lettres & des arts, & l’acception en est si peu déterminée, que le plus souvent ceux qui l’employent sont loin de s’entendre eux-mêmes.

Cependant, quelle quesoit cette acception, le génie ne sera toujours qu’une ou plusieurs qualités de l’esprit ; mais comme, dans l’usage ordinaire, on a trop souvent réduit le mot esprit à signifier ce qu’on entend par bel-esprit, esprit vif, fin, brillant, on a imaginé d’exprimer par le mot génie, les qualités supérieures de l’esprit, celles qui témoignent plus sa grandeur, que son éclat & sa subtilité.

Ainsi quand l’esprit se manifeste dans les ouvrages de littérature par de grandes idées, dans la politique par de grands dessins, dans l’art militaire par de grandes opérations ; il sembleroit pouvoir mériter le nom de génie.

Cette définition sera peu contestée pour ce qui concerne l’art de la guerre & la politique ; mais il n’en est pas de même quand il est question de littérature. Les lettres, nation jalouse & pointille, se employent toutes les ressources de leur esprit pour refuser la palme du génie à ceux d’entre eux qui pourroient y prétendre ; souvent ils ne l’accordent pas même à ceux qui

ont eu les plus grands succès dans les genres les plus élevés, ou du moins ils la réservent pour la déposer sur leurs tombeaux.

Il disent bien que tel auteur a ou n’a pas de génie ; mais ils ne définissent jamais en quoi le génie consiste.

Cependant, en rassemblantles jugemens qu’on entend porter chaque jour, quoiqu’ils ne soient presque jamais motivés, on peut inférer qu’on accorde assez généralement le nom de génie à trois qualités de l’esprit, qui peuvent en effet être regardées comme les plus éminentes.

La première est cette qualité par laquelle l’esprit se représente si fortement toutes les images qui l’occupent, qu’elles lui sont réellement présentes, & que les peignant par la parole, il les rend présentes aux lacteurs ou aux auditeurs.

La seconde est cette sensibilité exquise par laquelle un écrivain est aglté de tous les sentimens que peut inspirer son sujet, trouve sans la chercher, leur véritable expression, & par elle, les fait passer dans toutes les ames capables de sentir.

La troisième est une vue à la fois étendue & profonde, par laquelle un écrivain, apperçoit d’un coup d’œil les rapports de causes & d’effets qui lient entr’eux des objets que des esprits moins penétrans & moins vastes n’appercevroient que séparés, généralise ce que le commun des hommes ne voit qu’en détail, & trouve une chaîne commune à ce qui semble le plus divisé.

L’imagination, la sensibilité, la profondeur, telles que nous venons de les définir, constituent donc le génie. Même séparées, mais portées à un haut dégré, elles peuvent mériter ce nom ; réunies, elles forment le génie le plus heureux. Le travail ne peut les acquérir, le talent ne peut les imiter, l’esprit même, s’il ne possède pas ces qualités, n’a pas de ressource pour y suppléer.

Elles s’accordent parfaitement avec l’étymologie du mot génie (ingenium) ; elles sont nées en l’homme, elles sont nées avec lui, (ingénitæ, ingenium), & c’est ce que le mot de génie Signifie dans son origine.

Si cette idée est juste, elle nous fera découvrir en quoi consiste le génie dans les arts de peinture & de sculpture.

Si l’artiste se représente aussi vivement à l’imagination la scène qu’il veut traiter que si elle se passoit sous ses yeux, sa composition sera vivante, comme sont censés l’être les personnages qui contribuent au sujet. Si, doué d’une exquise sensibilité, il partage tous les sentimens dont ces mêmes personnages doivent être animés, il leur en communiquera la véritable expression. S’il a cette vue profonde qui d’un coup d’œil embrasse un grand nombre d’objets G EN & les enchaîne entre eux par les liens de leurs rapports, il unira par cette chaîne toutes les parties de sa composition & les fera contribuer à l’expression générale.

C’est donc l’expression qui constitue le génie dans les arts, & c’est ce que Mengs semble avoir senti, lorsqu’il a fait consister dans l’expression la partie qu’on nomme invention.

En effet, si l’invention est la première partie de l’art, si c’est elle qui procure à l’artiste la palme du génie & celle de l’immortalité, doit-on donner ce nom au talent de multiplier des figures, de les agencer d’une manière agréable à l’œil, de les distribuer en grouppes qui présentent une belle scène d’apparat ; talent qui n’est pas méprisable sans doute, mais qui ne suppose pas, dans ceux qui le possèdent, des qualités de l’esprit assez rares pour mériter les noms d’invention & de génie ?

Il y aura du génie dans le dessin, quand le dessin sera très-expressif. Si cela n’étoit pas, comment pourroit-on, dans une seule statue, reconnoître le génie de l’artiste ? Mais un dessin, ou si l’on veut une statue qui, peu expressive, sera d’ailleurs correcte & pure, témoignera un grand talent & non du génie.

Il y a du génie dans le clair-obscur, quand il est tellement adapté à l’expression générale, qu’il contribue à la fortifier & qu’il en forme le complément. Le déluge du Poussin est un tableau de génie, & le clair-obscur de ce tableau fait une partie capitale du génie qu’on y admire.

Mais des effets piquans de clair-obscur peuvent-être le produit de l’observation, & ne suffisent pas pour supposer le génie. Accorderons-nous le génie à un peintre hollandois, pour avoir représenté des effets qu’il aura cent fois observés dans un laboratoire obscur, éclairé par le feu d’une forge ?

L’art de draper sera une opération du génie, quand les draperies contribueront elles-mêmes à l’expression, comme nous l’avons observé de celles de Raphaël à l’article DRAPER. Enfin le génie aura son influence jusques sur les moindres accessoires. Mais la composition, le dessin, le clair-obscur, la couleur n’appartiennent au génie, qu’autant qu’il s’en empare pour les faire concourir à l’expression.

M. Reynolds semble avoir confondu le génie avec le talent. « Le génie, dit-il, quelque définition qu’on en donne, est dans l’art un produit de l’imitation. Ce n’est qu’à force d’imiter qu’on peut produire des inventions variées & originales. »

« C’est à tort qu’on regarde le génie comme une faculté qui va au-de là de l’art, qu’aucune méthode ne peut enseigner, qu’aucune industrie ne peut faire acquérir. « « L’idée du génie n’est pas une idée fixe, invariable, déterminée. Elle change avec les lumières des nations. Ce qui a mérité le nom de génie dans un tems, ne l’obtient plus dans un autre. Dans l’enfance de l’art, un objet représenté par an seule couleur étoit une production du génie. Quand on se fut apperçu que l’art de, représenter des objets par la voie du dessin se peut enseigner, & est soumis à des préceptes, on fit une autre application du mot génie, & on l’attribua aux ouvrages de ceux qui furent joindre un caractère particulier à l’ouvrage représenté, qui eurent de l’expression, de la grace, de la grandeur, enfin de ces qualités, de ces beautés, dont on ne pouvoit donner encore des règles claires & précises. « « Mais nous savons à présent que le talent de rendre la beauté des formes, d’exprimer la passion, de bien composer, de donner un air de grandeur à un ouvrage, dépend en grande partie des règles. Qu’on applique, si l’on veut, le nom de génie à ce talent ; c’est ce qu’on ne refusera pas, pourvu qu’on veuille convenir que ce talent n’est pas l’effet d’une inspiration, mais d’une étude attentive & bien digérée & d’une longue expérience. « « Voudra-t-on réserver le titre de génie au premier qui a su de lui-même trouver & réunir toutes ces qualités ? Mais quel est-il ce premier ? il n’exista jamais. Un artiste a beaucoup travaillé pour acquérir une de ces qualités, ses leçons & son exemple en ont rendu la pratique facile à un autre qui l’a surpassé, & qui lui-même, à force de travaux, est parvenu aux élémens d’une qualité encore inconnue que d’autres ensuite ont perfectionnée. C’est ainsi que s’est perfectionné l’art par les efforts successifs d’une longue suite d’artistes. « « Mais qui osera dire que l’art soit aujour-d’hui parvenu à son terme ? Il ne l’est pas sans doute ; ce qu’on appelle génie trouvera encore à s’étendre, & l’homme vraiment né pour l’art, ne manquera pas de chemins pour s’écarter de la foule. Cependant les découvertes qu’il pourra faire, les nouvelles perfection qu’il pourra donner à l’art, seront, il est vrai, au-dessus des règles actuelles, au-dessus des règles vulgaires ; mais elles donneront lieu à des règles nouvelles. Ainsi toutes les perfections qui maintenant nous sont inconnues, & qui pourront naître un jour, ne sont pas plus au-dessus des règles possibles, qu’elles ne sont au-dessus de l’art. Elles tiennent donc à des principes & ne sont pas l’effet d’une inspiration. »

Ce passage est ingénieux & rempli même de vérité ; mais il prouve seulement que l’acception du mot génie a été souvent mal déterminée

T t ij déterminée & que l’on peut enseigner des parties qui ont été mal-à-propos décorées du nom de génie, mais non qu’on puisse enseigner à avoir du génie. On peut donner des leçons de toutes les parties de l’art ; si l’on acquiert des parties nouvelles, on pourra les soumettre encore à, des principes ; mais on n’enseignera jamais à les pratiquer avec génie, parce qu’on ne peut apprendre à un jeune artiste à avoir de l’imagination, de la sensibilité, un esprit d’une vaste étendue & d’une grande profondeur. Par quels moyens M. Reynolds apprendroit-il à ses élèves l’art de mettre dans leurs ouvrages l’expression qui fait admirer son tableau du Comte Ugolino, expression que toutes les parties de l’ouvrage concourent à rendre plus profonde & plus terrible ?

Comme celui qui parle, qui écrit avec génie ne pourront manifester ses conceptions si les hommes ne s’étoient pas fait un langage, l’artiste de génie ne pouvoir faire connoitre les siennes avant que le langage de l’art fût formé. Plus ce langage a été borné, plus l’artiste de génie a éprouvé de gêne. Ainsi, tant que la peinture a été bornce au simple trait, le génie pittoresque a eu peu de moyen de se montrer.

Si Giotto avoit autant de génie que Raphaël, comme les moyens qui forment le langage de l’art étoient moins perfectionnés de son tems, il n’a pu le manifester de même. Comment avec les lignes roides, inflexibles & monotones de son dessin, auroit-il rendu la vie, le mouvement, l’expression de l’homme passionné ? Si le langage de l’art acquiert à l’avenir des perfections nouvelles, c’est-à-dire, si les moyens de l’art acquierent une plus grande étendue, les artistes de génie tireront de nouveaux avantages de ces nouvelles perfections, comme l’écrivain de génietrouve dans une langue plus riche des ressources que lui refusoit une langue pauvre : des maîtres pourront leur enseigner à en faire usage ; mais ils auront le génie en eux-mêmes, & on ne leur enseignera pas à en avoir. C’est ce qu’on peut répondre au raisonnement de M. Reynolds, ou plutôt c’est ainsi qu’on doit l’interpréter.

Il met le talent d’exprimer les passions au nombre des choses qui se peuvent enseigner. Il est vrai qu’on peut démontrer l’expression sur la nature vivante & sur les ouvrages des grands maîtres ; qu’on peut’ en appuyer les principes sur la science de l’anatomie & sur celle de la physiologie : mais comme il faut sentir soi-même pour bien exprimer les passions, on ne peut apprendre à personne à les bien exprimer, puisqu’on ne peut apprendre à personne à être sensible.

Il en est de même de l’imagination & de la profondeur : on peut faire l’analyse de ces deux opérations de l’esprit, on peut en donner de


beaux exemples ; mais on n’enseignera pas à imaginer fortement, à voir profondément.

Nous rapporterons, pour terminer cet article, ce que dit Mengs du génie de Raphaël. « il etoit, dit l’artiste Saxon, doué sans doute, d’un génie supérieur ; non de celui qu’on croit, en général, propre à la peinture, & qui n’est qu’une imagination brillante ; mais d’un génie, réfléchi, vaste & profond. Car, pour devenir un grand peintre, il n’est pas tant nécessaire d’avoir une grande vivacité d’esprit, qu’un discernement Juste, capable de distinguer le bon du mauvais, avec une ame tendre & sensible sur laquelle tous les sentimens font une prompte impression, comme sur une cire molle, mais qui cependant ne change de forme qu’au gré de l’artiste. »

« Tel doit être le génie du peintre ; tel a été celui de Raphaël. Car pour donner cette variété que nous remarquons dans ses compositions, il falloit nécessairement qu’il pût modifier à l’infini ses propres sensations, puisque, sans avoir bien conçu le mouvement que doit faire on homme dans la situation déterminée où nous le supposons, on ne sauroit le rendre sur la toile. L’esprit préside à toutes nos actions ; par conséquent celui qui ne fait pas se représenter vivement one chose, saura bien moins encore la peindre ; & si l’on y parvenoit par quelque moyen artificiel, on ne feroit aucune impression sur l’esprit du spectateur. »

Ce que Mengs établit ici s’accorde parfaitement avec la définition que nous avons donnée du génie. (Article de M. Levesque.)

GENRE (subst. masc.) On nomme peintres de genre les artistes qui se sont consacrés particulièrement à représenter certains objets. Des goûts particuliers & la difficulté d’embrasser toute l’étendue de l’art, ont occasionné cette division dans la pratique de la peinture. Les mêmes causes ont formé dans d’autres arts des divisions à-peu-près semblables.

Un poëte qui auroit à lui seul les talens nécessaires pour exceller dans tous les genres de Poësie, seroit à-peu-près dans cet art, ce qu’est ou ce que devroit être le peintre d’histoire.

Mais les uns s’adonnent plus particulièrement aux Pastorales : ils sont postes paysagistes ; aux compositions anacréontiques, ils s’approchent du genre des peintres agréables ; de même quelques artistes qui peignent les animaux, ont des rapports avec les fabulistes. Wateau, Lancret & quelques artistes modernes qui ont pris pour objet des actions ou des scènes particulières de la vie commune, peuvent se comparer aux auteurs de comédies, & les poëtes descriptifs aux peintres de vues.

La peinture enfin appelle genres ce que la GE N poësie appelle du même nom, excepté qu’on ne dit pas des poëtes de genre, mais des poëtes qui s’occupent d’un genre.

Il en est de même dans l’éloquence, dans la musique & dans tous les arts ; mais pour donner à ceux qui ont peu de connoissance de l’objet de cet article, une idée plus précise de ce qui caractérise & autorise cette division des genres, je me servirai d’une image. Cette manière de s’expliquer a quelque droit d’être admise en parlant de la peinture.

Il est peu de lecteurs, pour peu qu’ils soient instruits, qui, sur les pas du Tasse, n’ayent suivi les Chevaliers Danois dans le merveilleux séjour d’Armide, où tous les objets de la nature avoient été placés avec choix & au gré d’un art que dirigeoit l’amour le plus ingénieux.

Transportons-nous y quelques momens & représentons nous les diverses impressions qui ont occupé sans doute successivement les deux sages, attentifs à tout ce qui s’offrit à leurs regards. Ils appreçoivent, en approchant, un magnifique & vaste édifice ; ils ont dû s’arrêter dans l’endroit où ils pouvoient mieux l’observer. Alors le site où se trouve ce palais, sa forme générale, ensuite ses parties, leurs détails, les effets qui en résultent concentrent leur attention & fixent leurs regards.

Transformez ces observateurs en artistes ; qu’ils prennent leurs pinceaux pour imiter le genre de beautés qui les occupe & pour en faire passer le sentiment tel qu’ils l’éprouvent, à veux qui verront leur ouvrage ; voilà des peintres qui se consacrent au genre de l’architecture, tel que l’ont exécuté avec succès Panini, Servandoni & veux qui marchent sur leurs traces.

Leur sentiment & leur affection les portent à regarder comme objet principal de leurs tableaux, la magnificence des fabriques & les effets que leurs ornemens donnent lieu de produire par le choix des lumières & du clair-obscur ; ou bien ils se plaisent à représenter le pittoresque des monumens alterés par le tems, leurs accidens & leurs majestueuses ruines. Ils joignent à ces objets principaux de leurs compositions, ce que les plantes & les eaux peuvent y ajoûter de beautés : ils ne se refusent pas d’y associer quelques arbres qui, nés dans les décombres & parvenus à leur terme, font penser aux effets dur tems & portent l’esprit du spectateur à l’époque reculée de ses destructions.

Mais en se permettant des accessoires heureux & choisis, le peinture d’architecture fait toujours en sorte qu’ils soient subordonnés, & qu’ils ne détournent point trop de l’objet principal, auquel il consacre principalement ses soins.


Passons dans l’intérieur du séjour magique ; atures motifs de surprise & d’admiration ; nouvel objet principal pour nos guerriers, comme observateurs, & pour nos peintres de genre comme artistes. Des intérieurs décorés de tout ce que l’art peut imaginer pour surpasser la nature, frappent les yeux & entrainent le peintre à y consacrer ses talens ; mais ce genre, qui tient de près au precédent, a besoin d’une imitation plus exacte du clair-obscur & des perspectives linéales & aëriennes, pour produire son illusion. D’ailleurs, la régularité, la symmétrie, la difficulté d’y trouver des variétés & des oppositions, rendent ce genre plus froid & moins partiqué. La plupart de ceux qui l’ont exercé avec succès, ont choisi pour objet de leurs représentations exactes, des Eglises le plus souvent gothiques, dont les élevations, les jours mystérieux & les points de vue pittoresques leur ont aidé à lutter contre la difficulté d’intéresser les spectateurs. En effet, les regards ne sont arrêtés quelques momens sur les tableaux de Steenwick & de Pieters-Neefs que par l’illusion de la perspective, par une grande vérité de couleur ou de lumières dégradées & enfin à l’aide de quelques détails de cérémonies que comporte l’usage de ces édifices. Par ces raisons, ce qui pourroit rendre l’intérieur d’un palais intéressant, seroit ou quelque cerémonie, ou quelque divertissement & ces accessoires nécessaires font sentir le défaut de ce genre qui ne peut se suffire à lui-même. Il est tel en effet que les Chevaliers, après avoir admiré quelques tableaux dont étoit orné le beau palais solitaire, s’empressèrent d’en sortir ; mais dans le moment où ils penétrèrent dans les jardins, où, l’art chaché disputoit de beauté, de variété, d’accidens agréables avec la plus belle nature & l’emportoit sur elle, nos guerriers se sentirent attachés, intéressés plus vivement, & c’est le sort des peintres qu’un penchant secret porte à embrasser le genre du paysage & qui cherchent, pour se satisfaire, des sites heureux.

Ils employent toutes les ressources de l’art à représenter ces arbres choisis dans tous les climats & dont les formes majestueuses, ainsi que las verdure admirable, excitent leur admiration. Ils sont arrêtés part la limpidité des eaux, & par les beaux reflets qui semblent youloir les convaincre à quel dégré de perfection l’on peut parvenir à représenter le relief & les distances des objets réels sur une surface platte : ils partagent leurs soins entre les gazons & les fleurs.

Mais comme celles-ci sont aussi parfaites dans les jardins d’Armide que dans ceux de Flore même, l’observateur de ces beautés diverses s’en approache. Il fixe, particulièrement ses regards sur chacune d’elles ; transporté d’admiration, admiration, il prend ses pinceaux, broye ses plus précieuses couleurs, se voue à imiter le charme & l’éclat des ouvrages précieux de la nature. Le voilà devenu peintre de fleurs ; &, par la richesse inépuisable que cette nature si riche & si variée sait répandre sur toutes les espèces qu’elle a produites, l’artiste qui se consacre à ce genre particulier voit s’ouvrir devant ses pas une carrière qu’il désespère de pouvoir parcourir dans toute son étendue. Cependant il associe souvent aux fleurs les animaux : il donne la préférence aux oiseaux & aux papillons, semblables à des fleurs mouvantes, qui le disputent d’éclat, de brillant & qui l’emportent quelquefois sur celles auxquelles ces êtres semblent venir se comparer mais pour revenir à nos chevaliers que j’ai transformés en artistes, ils ont enfin jetté leurs regards curieux à travers quelque feuillages my sterieusement disposés. Ils ont apperçu deux amans ; &, nouveaux Albanes, ils deviennent les peintres d’histoire les plus heureux en modèles. Ils ne voyent plus ses arbres qu’en masses peu détaillées : les eaux, les fleurs ne fixent plus leur attention ; le palais n’affecte plus leur regard que dans le lointain ; mais les passions, mais les impressions que sentent., qu’ex. priment deux amans brûlés de tous les feux de l’amour, voilà ce que nos artistes s’efforcent de représenter, & ce que le poëte, dont j’ai tiré cette image sensible, a si admirablement deviné & colorié, que le peintre d’histoire peut croire avoir travaillé d’après la nature en le copiant.

Mais si quelqu’artiste, à la vue de cette scène, ne fait pas son objet presqu’unique de la beauté portée au degré le plus parfait dans les deux sexes & ornée des graces qu’anime l’amour & que nuance la volupté, il ne sera qu’un peintre foible du premier des genres. Il paroîtra inférieur encore à l’ambition qu’il a montrée, si, suivant les différentes circonstances que le poëte a fait succéder l’une à l’autre, il ne parvient pas à exprimer les inquiétudes d’Armide, quittant son amant, sa douleur en apprenant qu’il la fuit, ses efforts pour courir après lui, pour l’arrêter, l’attendrir, le ramenr, & les nuances graduées du trouble, du désespoir & des fureurs qui l’agitent au plus haut dégré.

Si, porté à ne pas perdre de vue les accessoires d’un séjour enchanté, il entreprend d’en entretenir toujours l’idée dans l’esprit du spectateur, qu’il mette alors un art infini à faire que ces accessoires ne détournent pas de l’objet plus intéressant qu’il doit offrir ; mais si toutes ces difficultés l’effrayent, qu’il retourne sur ses ; pas & qu’il s’attache aux objets particuliers dont j’ai parlé, en choisissant celui qui convient le mieux à ses dispositions. Jeune, artistes, il est important, surtout que vous n’atten-


diez pas trop tard à prendre ce parti ; car si vous ne vous fixez à un genre, qu’après avoir essuyé longtems les dégouts que causent les difficultés de l’histoire & le peu de succès que vous y aurez eu, il sera fort incertain qu’un pis-aller produise jamais un talent du premier ordre.

J’augurerai bien mieux de votre réussite, si vous vous êtes senti, dès vos premières années, entraînes par votre caractère ou un penchant marqué à quoique genre que ce soit, surtout si vous vous montrez assez modestes pour vous résigner aux volontés de la nature.

Un mérite d’originalité distinguera alors vos ouvrages, tandis que, si vous êtes décidés par pis-aller, le caractère de la médiocrité annoncera la cause de votre choix ; car il sera difficile qu’on ne remarque pas dans vos ouvrages une incertitude & une foiblesse qui vous fera toujours rejetter des premiers rangs de ce genre, auquel vous vous serez livré, ne pouvant mieux faire.

Il est bien à présumer qu’aux premiers momens où Sneyders, Desporte, Wanhuysum, Panini, le Lorrain ont commencé à peindre de préférence, les animaux, les fleura, le paysage, l’architecture, ils ont senti & ont fait remarquer que la nature les avoit destinés à leur genre, en leur donnant tous les signes d’une véritable vocation.

Soyez donc certains qu’on connoit, parmi le nombre infini de peintres de genre, ceux qui sont placés dans leurs emplois par la nature ; comme parmi les comédiens, en distingue ceux qui sont nés pour les personnages qu’ils y remplissent avec un succès inspiré,. d’avec ceux qui, après avoir essayé de faire les rois, sont réduits de degrés en degrés à faire les rôles subalternes, qu’ils ne remplissent que pour doubler les premiers talens qu’ils imitent mal.

Il en est ainsi dans les lettres, où l’on voit des auteurs s’essayer dans les genres les plus nobles, & ne pouvant composer des poëmes, le réduire à des madrigaux.

Il en seroit ainsi dans les emplois dont les hommes se trouvent chargés ou se chargent avec trop de confiance dans la société, si la vanité, l’amour propre & surtout l’intérêt n’y retenoient ceux qui souvent en sont les moins capables.

Ne rougissez donc pas de vous consacrer à un genre, si vous en avez le talent ; mais quittez les pinceaux & prenez une profession honnête qui ne demande pas les talens & les dispositions qu’exigent les arts libéraux, si vous êtes réduits à essayer tous les genres, pour en choisir un que vous pratiquerez médiocrement.

Au reste, je ne veux laisser échapper aucune occasion de vous dire, que si vous peignez GEN l’histoire, vous en serez d’autant plus digne, que vous ne dédaignerez aucun des autres genres.

« Faites de grace » vous dira quelqu’un qui a de vous l’opinion que doit inspirer un peintre du premier de tous les genres, « faites de grace le portrait de mon père, de mon ami ---Ce n’est pas mon genre, répondez-vous ; je ne dois pas perdre mon temps à un ouvrage au-dessous des occupations qui m’attachent uniquement : allez chez un peintre de portraits. »

Eh ! quoi, peindre un homme, c’est-à-dire, exprimer son caractère, rendre la toile vivante, exciter l’intérêt d’un fils, d’un époux, d’un tendre amant, d’une ame reconnoissante, sont des objets que vous regardez comme au-dessous de votre talent ! Quels miracles, en ce cas, ne devez vous pas faire ! Je vous en crois capable, mais j’aurai droit de vous juger avec sévérité, si votre réponse n’est dictée que par une suffisance dénuée de ce qui est nécessaire pour la soutenir. Sachez qu’en paroissant avoir la plus haute idée de votre art, vous le rabaissesz au contraire.

Faites donc avec plaisir, avec intérêt, avec sentiment, l’image d’un vieillard qui inspire un juste respect, comme excellent père de famille ; d’un jeune enfant qui vous offrira la veritable idée des graces de cet âge ; d’une femme que l’on reconnoisse aux vérités des formes, sans que vous ayez chargé les petits détails de ses traits ou exageré ses agrémens. Représentez des animaux, des paysages, des fleurs, & si vous avez un amour-propre secret, inspiré par vos occupations plus chéries & plus distinguées, faites en sorte que ces objets offrent, sous votre pinceau, par la touche & le faire, un caractère qui annonce qu’ils sont peints par un artiste au-detrus de ce qu’on appelle ordinairement peintre de genre.

Peintres de genre, à votre tour ayez la noble ambition de faire des excursions dans les pays qui semblent vous être interdits. Le portrait est votre patrimoine : à la bonne heure. Étudiez cependant la figure nue & l’antique, comme si vous étiez destinés à peindre des héros & des dieux. Ces portraits sont rares à faire aujourd’hui, j’en conviens ; mais vous ne pouvez prévoir le sort qui vous attend : exercez-vous à disposer plusieurs figures ensemble, vous sortirez plus facilement de la routine à laquelle vous vous habituez, en n’en composant qu’une seule.

Peintres paysagistes, peignez souvent la figure ; si non, par la difficulté qu’elle vous opposera, vous serez réduits à ne peindre que des déserts, ou des pays habités par des hommes estropiés.

Peintres d’animaux, si vous voulez que les chasses que vous représentez plaisent, faites que nous nous croyons transportés dans les forets


où elles se passent, que l’on s’y voie à la suite des chiens que vous peignez ; que l’on imagine parcourir ces beaux sites qu’embellissent tous les accidens & tous les charmes de la végétation. Si vous voulez aussi que ves troupeaux, vos moutons, vos vaches me rapellent les mœurs & les tems de Jacob & des Patriarches, que j’apperçoive que ces animaux sont heureux d’errer dans de beaux pâturages. Que leur gardien paroisse jouir du doux repos d’une vie simple, & qu’il semble exprimer ce sentiment sur le haut-bois champêtre.

Enfin vous qui peignez les fleurs & les fruits, joignez à la représentation de ces objets précieux les êtres qui en approchent le plus : si vous n’accompagnez pas souvent les objets dont les beautés sont inanimées, d’êtres vivans, vos tableaux paroîtront morts, & peu-à-peu vous vous restraindrez par routine & par nonchalance, à une vingtaine de fleurs & de fruits que vous combinerez dans quelques vases, comme un poëte sans génie combine un certain nombre d’expressions, de mots poëtiques & de rimes.

Tout artiste de genre, qui croit voir des bornes à son talent, retrécit ces bornes qu’il a imaginées, de manière qu’à la, fin elles l’emprisonnent.

Il est cependant vrai que le desir ambitieux d’étendre les genres, peut égarer quelquefois les artistes qui les pratiquent ; mais tout considéré, s’il faut tomber dans un défaut, choisissez plutôt celui-ci que l’autre.

Enfin pour terminer cet article, tous les genres, non-seulement s’avoisinent, mais se penètrent. Ce sont les nuances d’une couleur, dont participent toutes celles qui l’avoisinent. (Article de M. Watelet.)

GERSÉ (adj.) On dit d’DONT tableau non la couleur s’enlève par écailles qu’il EST gersé .

GIGANTESQUE (adj.) ne se prend pas en bonne part. Quand on dit cette figure est gigantesque, on n’entend pas qu’elle est d’une grandeur sublime, mais qu’elle est d’une grandeur outrée.

Quoique le collossal soit d’une proportion bien supérieure à la nature, sa destination n’est pas de paroître gigantesque, mais de présenter d’un point de vue éloigne les proportions de la nature.

Un collosse doit être vu de loin, dans une grande place, sur un édifice élevé, ou sur un socle qui l’éloigne de l’œil du spectateur. Posé sur le sol dans un lieu étroit, il deviendroit gigantesque, & blesseroit la vue.

Une petite figure dans un lieu vaste n’exciteroit pas l’attention. La statue de Louis XV, $3<£

G L A vue de la porte du Palais des Tuileries, pique la curiosité, on se hâte d’approcher pour jouir, à une juste distance, des beautés qu’elle promet déja ; quand on arrive sur la place où elle s’élève, on en embrasse l’ensemble ; on s’approche davantage pour en admirer les détails ; mais si l’on pouvoir monter sur le socle, elle deviendroit gigantesque. (Article de M. Levesque.)

GL

GLACIS . (subst masc.) signifie, en terme de peinture, l’effet que produit une couleur transparente qu’on applique légèrement, & en en frottant une autre qui se trouve déja placée & sèche. La couleur avec laquelle on glace doit laisser appercevoir celle qui se trouve dessous, & lui donner, par le choix qu’on en fait, un ton plus brillant, plus coloré, plus fin que celui qu’elle avoit, & qui contribue par-la à la vigueur de l’harmonie.

On ne glace qu’avec des couleurs qui ont peu de corps, qui ne sont pas propres à empâter, qui sont transparentes, telles que les laques, les stils de grain.

La manière de glacer est de frotter avec une brosse un peu ferme la couleur dont ont forme le glacis, sur celle qui doit en voir augmenter son lustre. Il reste, en conséquence de ce procédé, fort peu de la couleur avec laquelle on glace, sur la première, ce qui, joint à la qualité nécessaire aux couleurs pour qu’elles soient propres à faire des glacis, doit laisser craindre avec raison aux peintres qui se servent de ce moyen, que l’effet brillant qu’ils ambitionnent ne soit que passager, & qu’il ne s’évanouisse ou ne s’évapore avec la laque ou le stil de grain qu’ils employent.

Au reste, cette pratique a été cependant mise en usage par des maîtres célèbres. Rubens l’a souvent adoptée, pour rendre son coloris plus brillant.

Les glacis sont aussi très-propres à accorder un tableau,. & à le rendre plus harmonieux ; mais, je le répète encore, les dangers que font courir les couleurs qu’on est oblige d’employer, sont plus grands que l’avantage qu’on en retire.

Le mérite d’un tableau peint, comme on dit, à pleine couleur & dans la pâte (lorsque cotte couleur n’est pas tourmentée, & que le fond sur lequel on peint est solide) l’emporte sur le brillant passager des tableaux où l’on prodigue avec adresse l’art de glacer. La couleur employée comme je l’ai dit, & comme l’a fait la plus grande partie des peintres célèbres a l’avantage de ne point s’altérer, & s’il s’opère quelque changement par l’effet du tems, il est à l’avantage de cette manière de peindre franchement, parce que les tableaux


où elle est employée prennent en vieillissant un ton plus vigoureux & plus d’accord, tandis que les tableaux où l’on s’est servi des glacis, se désaccordent partiellement & perdent ou par l’évaporation, ou par les plus petits soins qu’on prend pour les nétoyer, le brillant peu solide & la legéreté de leur glacis.

C’est aux artistes qui doutent de ces vérités à faire des épreuves plus propres à les convaincre que les raisonnemens. Ce seroit aussi à la chymie, dirigée par les peintres (si elle daignoit se prêter à cette condescendance) à éclairer sur la nature physique des couleurs, & à en découvrir de solides ou fidèles, qu’on pût substituer à celles qui ne le sont pas.

Il y a beaucoup à desirer sur cet objet & jamais l’occasion n’a été plus favorable, puisque la chymie est plus éclairée & plus répandue que jamais, & que les lumières philosophiques doivent engager les sciences & les arts a se porter une bienveillance mutuelle, & à s’aider sans cesse, comme la charité morale, dans les siècles où l’on s’en occupe, prêche aux hommes de se secourir & de s’aimer (Article de M. Watelet.)

Le GLACIS est ainsi nommé du mot glace dont il imite, la transparence. Il s’emploie principalement dans la peinture à l’huile.

C’est une couche de couleur tellement légère qu’elle doit laisser appercevoir la teinte qui est dessous.

Il y a des peintres qui peignent en glaçant même au premier coup ; comme Rubens & son école. Alors l’impression du tableau sert à la teinte que prend le glacis, & fait partie de la manière de peindre de l’artiste qui l’emploie. Les glacis placés ainsi sur des fonds bien secs, sont durables, légers & puissans de teinte.

Mais l’usage le plus général des glacis est de donner, d’après la première couche, les teintes à volonté sur diverses parties de l’ouvrage, d’en augmenter la vigueur, la légereté, l’harmonie, & d’assurer la justesse des effets de lumière. Alors le glacis est un moyen efficace de perfection pour l’art, & un remède aux défauts échappés dans la première couche. L’ancienne Ecole Vénitienne, & beaucoup de peintres françois ont use de glacis dans cette intention.

Quelque soit le bon effet du glacis sur un tableau déjà peint pour donner de la puissance à certaines couleurs & pour mettre, comme nous disons, les accords, c’est physiquement un moyen suneste au tableau. L’auteur l’emploie peu de tems après avoir fini son ouvrage dans la pâte ; les huiles de la première couche ne sont pas encore évaporées. On répand par le glacis un espèce de vernis ou de glace ; mais l’huile de la première couche n’en tend pas moins à pousser au-dehors, elle se trouve

G L S arrêtée sous le glacis, & y forme une croute d’un jaune noir qui donne cette teinte aux parties glacées.

C’est principalement à l’usage fréquent des glacis que beaucoup d’excellens ouvrages doivent la teinte noire qui les gâte.

A ce propos, il n’est pas inutile d’observer que les gens ignorant dans la pratique de peindre & qui se mêlent de nétoyer les tableaux ne savent presque jamais distinguer les parties glacées de celles qui ne le sont pas : d’où il arrive que, voulant enlever tout ce qui leur paroît crasse & saleté dans certains endroits, ils parviennent aussi à tout ôter jusqu’à la première couche exclusivement, qui alors leur paroît être le vrai ton du tableau. Ces endroits cependant, trop crus pour les parties de pâte laissées pat l’auteur sans glacis, ôtent d’autant plus l’harmonie entre les teintes, que les glacis ont été, comme d’ordinaire, placés sur les parties ombrées.

Mais ce point essentiel sera plus amplement discuté dans l’article nétoyage. Revenons à l’art de glacer.

Puisqu’il n’y a point d’autre moyen connu de retoucher les tableaux à l’huile, nous allons nous occuper de présenter les procédés qui nous ont paru les plus raisonnables pour produire le moins de changement possible dans l’ouvrage.

1° Il faut se faire une loi de ne jamais glacer, avec le blanc de plomb ni les autres couleurs minérales, telles que le cinabre, le minium, le jaune de Naples, &c. non-seulement ces couleurs produisent des glacis lourds & dénués de cette transparence qui doit former leur caractère ; mais elles jaunissent & changent de teintes par l’effet de l’air extérieur, lorsqu’elles ne sont pas mêlées avec des terres.

2°. On ne doit pas glacer avec des teintes dans lesquels il entre du blanc ; car l’objet seroit de diminuer une teinte trop brune & ce but ne seroit pas rempli. Au bout de quelques tems, les parties de blanc mêlées avec les huiles & les autres couleurs aquierent de l’épaisseur, & perdent le peu de transparence qu’elles avoient quand on les a posées. Le brun du dessous disparoît, le tableau prend un ton blafard. & devient monotone & plat. Carle Vanloo, dans ses derniers ouvrageS, glaçoit avec toutes couleurs, content de l’effet brillant qu’elles faisoient en sortant de les mains. Cette méthode mal entendue a causé l’étrange changement qui s’est opéré en peu d’années dans le coloris de ses tableaux. On pourroit citer plusieurs autres peintres de notre école qui, par l’emploi des glacis de blanc & autres couleurs lourdes ou minérales, voyent périr leurs tableaux avant eux.

3°. Il est aussi des terres, telles que les ocres, qui glacent difficilement & sans trans-


parence, à moins qu’elles ne soient d’une légereté rare, broyées excessivement & employées avec beaucoup d’intelligence.

4°. Les meilleurs glacis se font avec des couleurs légères, faites de sucs, de résine &c. telles que les carmins, les laques, les stils-de grain, & surtout l’asphalte & mieux encore la munia, composée de résines ; elle se trouve dans le corps des momies & faisoit leur embaumement. On glace encore avec les cendres d’outremer broyées à un dégré impalpable.

5°. Les glacis de stils-de grain, laques, bleu de Prusse &c. noircissent par la nature des couleurs dont ils sont formés ; mais on affoiblit cet inconvénient par les petits soins qui vont faire le sujet de cet article : ils consistent dans le choix des huiles à employer. On employe ordinairement celles qui sont secatives & avec raison, parce que c’est le caractère des glacis de sécher très-difficilement. L’huile appellée huile grasse, est celle qui fait sécher les couleurs le plus rapidement ; mais elle est brune par la nature des drogues qui la composent & par sa cuisson. Ce défaut croît encore avec le tems. Il seroit donc bon d’employer des huiles sécatives blanches, dans lesquelles il n’entrât pas de terre d’ombre & qu’on ne fît pas cuire. Si la saison est humide & qu’on ne présume pas que les glacis sèchent aisément, on peut mêler à cette huile blanche un peu de vernis. Les Flamands en usent, dit-on, en peignant ; & quoique ce moyen paroisse contribuer à la trop grande sécheresse & à faire écailler les peintures, cet accident est moindre que la noirceur que l’huile grasse brune donne à l’ouvrage.

Ces diverses observations pratiques tiennent tellement à l’art des glacis qui est lui-même un point d’exécution, que nous avons été entraînés à les exposer, puisque d’elles dépend l’effet des glacis & parconséquent l’harmonie de tout l’ensemble d’une machine pittoresque.

Concluons par dire que l’usage des glacis ne peut guère avoir un succès solide, que lorsque le peintre l’employe dès la première couche : manière qui caractérise ceux de Rubens & de son école. Les glacis employés par eux sur une impression ou une ébauche vieille & dure, toutes disposées à les recevoir, ont peu changé ; mais aussi quel peintre jaloux d’une grande recherche de formes pourra, sans revenir sur son ouvrage, réunir du premier coup le coloris & l’effet à toutes les parties qui dépendent du dessin ?

Nous avons dit que les glacis s’employoient principalement dans les peintures à l’huile. Cependant il en existe dans la détrempe & dans la gouache, genres dans lesquels plusieurs couleurs, placées au second coup, donnent, par

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G O T leur transparence, des teintes riches, vives, & vigoureuses.

L’art de glacer sur les métaux avec l’émail produit des couleurs transparentes à travers lesquelles brillent les polis, & même quelques travaux sur l’or. Ces glacis prennent le nom d’Émaux clairs. Cette méthode, employée pour les bijoux, a été renouvellée de nos jours par M. Aubert, peintre en émail du Roi, & célèbre artiste en ce genre.

La méthode des glacis sur le papier ou le taffetas, pour faire des transparens ; celle de glacer sur le fer-blanc pour les décorations tiennent au métier du peintureur. (Article de M. ROBIN.)

GO

GOTHIQUE (adj.), ce qui est dans la manière introduite en Europe par les Goths, conquérans d’une grande partie de l’Empire Romain : écriture gothique, architecture gothique, peinture, sculpture gothiques.

La roideur, la maigreur des formes constituent le caractère de cette manière dans la sculpture ; il faut, pour la peinture, ajouter à ces vices celui des tons crud, des couleurs entières, &, pour les deux genres, l’abandon absolu de la nature. Les artistes ou plutôt les ouvriers gothiques faisoient les figures courtes, les cheveux sans légereté, les draperies sans souplesse. Comme ils ne connoissoient dans le dessin ni le mêlange des lignes arrondies & méplates, ni l’art d’exprimer les raccourcis, ils ne pouvoient donner de mouvement à leurs figures. La sauvage inflexibilité de leur art ne leur permettoit pas de connoître l’expression. Leurs figures supposées vivantes n’étoient pas plus animées, que les figures mortes dont ils chargeoient les tombeaux. Ce qui ne se peut exprimer que par de savantes indications, comme le paysage, étoit chez eux encore plus mauvais que tout le reste. Des bâtons surmontés de quelques feuilles, telles qu’on les fait pour les dessins les plus communs de broderie, étoient des. arbres &c

Ce qu’on appelle l’architecture gothique avoit ses graces ; mais elle n’appartenoit pas aux Goths : on en attribue l’invention aux Sarrasins. Elle imite les berceaux de feuillages, & cette imitation suffiroit seule à prouver qu’elle fut découverte par un peuple qui habitoit des pays chauds.

La peinture, la sculpture des Goths annonçoient leur ignorance ; elles étoient telles parce qu’ils ne pouvoient les mieux faite. On ne doit pas dire qu’elles étoient dégradées par le mauvais goût ; mais qu’elles étoient encore dans l’enfance. Pline nous apprend que chez les Grecs, ces deux arts ont passé par le même état ; &


s’il ne nous l’avoit pas appris, nous aurions pu le deviner.

On peut voir, dans beaucoup d’anciennes villes, des exemples de la sculpture gothique. On apperçoit encore quelques restes du caractère gothique en peinture dans les ouvrages de Léonard de Vinci, dans ceux du Pérugin, & même dans les premiers tableaux de Raphaël. Mais pour bien connoître ce caractère, il faut voir les miniatures dont sont ornés les vieux manuscrits.

Michel-Ange est le premier qui l’ait entièrement abandonné dans son dessin ; mais dans sa lutte contre ce défaut, il a donne dans le défaut contraire. Il a chargé les formes pour s’éloigner de la maigreur gothique, & pour vaincre l’inflexibilité gothique, l’a outré les mouvemens. Les artistesgothiques n’annonçoient aucun muscle ; Michel-Ange a fortement exprimé jusqu’aux muscles qui restent oisifs. C’est ainsi qu’en voulant combattre une opinion, on se porte ordinairement jusqu’à l’extrême de l’opinion contraire, lorsqu’il faudroit garder un juste milieu : c’est la marche de la nature, & elle excuse Michel-Ange. Cette observation n’auroit pas été inutile à ses critiques & ses imitateurs. (Article de M. Levesque.)

GOUACHE ou plutôt GOUAZZE (subst. fém) Ce mot vient de l’Italien guazzo.

La manière de peindre qu’on designe par ce nom est une des plus anciennes de celles que nous connoissons, si ce n’est pas celle qu’on peut regarder comme ayant precede toutes les autres. L’eau est sans doute le moyen le plus facile & le plus naturel de donner à des matières colorées, mises en poudre, la fluidité nécessaire pour qu’on puisse les étendre sur des surfaces & y les rendre adhérences. Les premières couleurs ont été vraisemblablement des terres & des pierres broyées, qu’on a rendues liquides par le moyen de l’eau ; mais comme l’usage a fait voir que lorsque l’humidité de ces couleurs étoit totalement dissipée, elles n’etoient plus retenues & quittoient trop aisément les corps sur lesquels on les avoit employées, on a cherché à leur donner plus de consistance par des mêlanges de matiéres visqueuses ; alors les gommes que certains arbres fournissent abondamment, qui le dissolvent aisément dans l’eau, & qui, par leur transparence, n’altèrent pas les couleurs, se sont offerres naturellement pour cet usage. La gouache n’est autre choie que cet apprêt simple de couleurs broyées & délayées dans ; de l’eau, que l’on charge plus ou moins d’une dissolution de gomme.

On employe les couleurs, ainsi préparées, sur toutes fortes de corps : principalement sur la toile, sur le vélin, sur le papier, sur l’y voire, on se sert communément de la gomme arabique arabique, que l’on fait fondre dans l’eau, comme on le fait aussi pour peindre en miniature ; après avoir proportionné le mêlange de la gomme avec les différentes couleurs, relativement à ce qu’elles en ont besoin, on couche ces couleurs, & on les empâte, c’est-à-dire, qu’on les étend avec une certaine epaisseur qui leur donne du corps, ce qui n’a pas lieu dans le lavis ni dans la miniature. Il est des couleurs qui demandent à être gommées les unes plus que les autres : l’expérience donnera des règles à cet égard, & les inconvéniens qu’il faut eviter serviront à les etablir.

Ces inconvéniens sont que les couleurs trop peu gommées tombent en poussière, lorsqu’elles sont sèches ou qu’elles sont exposées à quelque frottement. D’un autre part, elles s’écaillent, se fendent & se détachent par morceaux, lorsqu’elles sont trop gommées. Des essais faciles à faire, instruisent mieux que tout ce qu’on pourroit dire à ce sujet.

La gouache est très-propre à peindre le paysage d’après nature. Elle sert à faire des esquisses pour de grandes compositions. On l’employe pour les décorations de théâtre, pour celles des fêtes, pour des perspectives. Cette manière de peindre est prompte & expéditive ; elle a de l’éclat. On doit se mettre en garde en la pratiquant, contre une sécheresse qui, dans cette sorte de peinture, provient de ce que les couleurs séchant promptement, ne permettent pas de les peindre, autant qu’on pourroit le souhaiter.

L’artiste qui n’a pas le tems nécessaire pour dégrader les teintes, pour fondre les nuances & pour accorder finement tout l’ouvrage, laisse échapper des touches dures, des passages heurtés & des tons cruds, qui existent plus rarement lorsqu’on peint à l’huile, parcequ’elle se sèche moins promptement.

La miniature dans l’usage de laquelle on cherche à eviter cet inconvénient, en pointillant, comme je le dirai, tombe dans un autre défaut, & il est aussi ordinaire de voir des gouaches trop dures, que des miniatures dont la douceur doit être appellée mollesse.

Est modus in rebus, sunt certi denique fines,
Quos ultrà citràque na quit consistere rectum.

Ceux de mes lecteurs qui veulent connoître avec plus de détails ce qui concerne la gouache, trouveront ces détails au mot peinture, où j’ai rapporté par divisions ces différens procedés. (Article de M. Watelet.)

GOUSTOSE. (adj.) mot formé de l’italien gustoso, & adopté dans nos atteliers.

Le goustose n’est pas le goût & encore moins le grand goût Il consiste entièrement dans la


manœuvre, & indique un faire badin & facile. Il ne peut se trouver avec le rendu précis, le fini précieux, puisque ce sont des indications adroites qui le constituent. Il a beaucoup de rapport avec le mot esprit, (voyez Esprit) & avec ce que nous dirons du ragoût dans l’article Gout.

Le goustose est l’opposé du sévère. Dans le sévère, tout est exprimé d’une manière précise ; dans le goustose, tout est indiqué d’une manière, badine.

Une irrésolution sans timidité entre avantageusement dans le goustose : des contours multipliés, placés les uns auprès des autres, rentrant les uns dans les autres ; des touches d’abord indécises, mais dont l’indécision est enfin terminée par une touche ferme ; tout cela, fait en quelque sorte en se jouant, obtient le nom de goustose, & s’appelleroit gêne, fatigue, indécision si l’on y sentoit la peine.

Une esquisse gagne beaucoup à être goustose ; un grand tableau, dont le sujet a lui même de la grandeur, exige en général de la sévérité.

La maquette d’un sculpteur peut être goustose : une statue ne doit pas l’être en général, mais seulement dans certaines parties que l’art indique plutôt qu’il ne les rend, telles que les cheveux, &c.

Rembrandt étoit goustose, Metzu, Mieris étoient précieux,

Le goustose convient au paysage, il trouve moins aisément place dans l’histoire, il nuiroit à l’accord du faire dans un tableau dont certaines parties seroient soigneusement terminées. Il est plus propre que le fini à traiter les animaux à longs poils, les brossailles, les herbages, les masures, les édifices ruinés & tout ce dont l’art ne peut exprimer les détails sans tomber dans la sécheresse & le léché.

La gravure à l’eau-forte doit être goustose. Il est bon d’égayer par des travaux goustoses bien placés la froide séverité du burin. (Article de M. Levesque.)

GOUT (subst. masc.) Le goût dans les beaux arts, & par conséquent dans la peinture, est un sent ments délicat & souvent très-prompt, des convenances, ou des conventions.

Il faut distinguer le goût qui jouit, du goût qui opère ; non qu’ils soient essentiellement différens, mars parce l’un agit avec promptitude & l’autre avec réflexion. Du reste tous deux ont également pour base ce sentiment délicat dont je viens de parler, qui (je le répète) se décide d’après les convenances, ou d’après les conventions.

Le goût appuyé sur les convenances a plus de perfection & de stabilité, parce que les convenances existent plus genéralement & sont

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G OU sujettes à moins d’instabilité que las conventions.

En effet les convenances naissent de la nature même des choses & des hommes, je veux dire, de ce qu’ils sont essentiellement & de ce que par conséquent, ils doivent être les uns l’égard des autres dans l’ordre général : si l’on considère les convenances relativement aux hommes, elles consistent dans les relations & les rapports indispensables qu’ils doivent établir entre eux, ou qui s’y établissent naturellement pour leur plus grand avantage.

Le goût appuié sur les conventions est plus restraint ; parce que les conventions n’embrassent pas les choses ni les hommes en général, & ne s’établissent le plus ordinairement qu’entre un certain nombre d’hommes : aussi les conventions différent entre elles dans les différents climats, dans les tems divers, dans les diverses sociétés & jusques dans les plus petites portions des sociétés.

C’est par ces raisons que le goût qui naît des conventions peut être établi sur tant de bases & si multiplié qu’on le regarde enfin comme arbitraire. Aussi voit-on parmi nous très-fréquemment, par exemple, que le goût de la cour, n’est pas celui de la capitale, ni ce dernier, celui des provinces. Delà, résulte encore que l’homme vulgairement appellé homme de goût, se peut considérer sous tant d’aspects différens, & qu’enfin chaque quartier d’une grande ville, & jusqu’à chaque cotterie particulière a le sien qui ne sera point celui d’une autre.

C’est par une suite des mêmes raisons que si le goût qui blesse certaines convenances générales, mais qu’autorisent certaines conventions, peut usurper quelquefois les droits du bon goût, le goût qui convient au plus grand nombre des convenances, parvient tôt ou tard à reprendre ses priviléges, & à faire proscrire le goût purement conventionel.

Il soit nécessaire de présenter ces idées générales, avant d’en faire l’application aux Beaux-Arts, & en particulier a la peinture ; d’après ces bases données, on conçoit que le goût, fondé sur des conventions, peut, même en blessant certaines convenances, passer quelquefois pour être le bon goût ; mais que l’artiste ou l’écrivain qui, sans égard pour des conventions sujettes à changer, satisfait le plus grand nombre des convenances invariables, est enfin, tôt ou tard, généralement regardé comme ayant suivi le bon goût.

C’est donc par cette raison que ce qui est généralement désigné par le nom de chefs-d’œuvre, entre les productions des beaux-arts, est admiré dans plusieurs paya différents, & pendant de longues suites de siècles, quoique ces chefs-d’œuvre soient contraires à un grand nombre de conventions établies.


Mais il faut observer pareillement que comme la perfection complette des ouvrages de l’art est-au-dessus des efforts de l’humanité ; on doit trouver à reprendre même dans ces ouvrages admirés qui survivent aux changemens des conventions, parce que l’on y peu l’on y peut rencontrer quelques défauts de convenances.

Je pense que d’après ces explications, on peut se rendre à-peu-près compte de tout ce qui paroît le plus ordinairement obscur, incertain & quelque fois contradictoire dans les idées qu’on a du goût.

L’Iliade, le Laocoon, le choix des ouvrages de Raphaël & des grands artistes, satisfont tellement le plus grand nombre des convenances générales, & celles qui ont rapport aux arts libéraux, qu’ils obtiendront, tant que les hommes ne redeviendront pas barbares, les hommages qui leur ont été décernés.

Quant aux ouvrages dans lesquels on ne s’est conformé qu’à certaines conventions plus ou moins durables, ils peuvent avoir un succès quelque fois brillant & qui dure autant que ces conventions existent ; mais semblables à des météores, on les voit perdre subitement leur éclat, & ce qui avoit excité l’admiration éprouve souvent le mépris. C’est ainsi que plusieurs opinions, plusieurs préférences dans les ouvragea d’esprit & d’arts, ont fini par être livrées au ridicule sur le théâtre, après que la mode les eût fait regarder dans des cours brillantes ou des sociétés renommées, comme les résultats & les prononcés du bon goût.

Le véritablement bon goût tient donc à l’intérêt général ; car cet intérêt a pour bases les grandes & générales convenances.

Des principes généraux que je viens d’énoncer, on doit inférer, entr’autres choses, que pour acquérir & conserver la pureté du goût qui appartient aux arts, les peintres doivent s’instruire par la lecture, par l’étude des bons ouvrages, & se rendre compte par la méditation de ce qui constitue les véritables convenances. Habituez-vous, jeunes disciples, à les respecter, elles regleront vos mœurs, votre conduite & dirigeront votre talent.

Pliez-vous cependant à certaines conventions pour ne pas vous singulariser ; mais non pas dans ce qui regarde la perfection de l’art, supposé qu’elles y fussent contraires. Défendez-vous relativement à votre talent de vous laisser entraîner par les conventions passagères & souvent extravagantes des modes, par la recherche, l’affectation & les singularités. Ces erreurs sont originairement l’ouvrage d’un individu dont vous deviendriez les disciples, & vous ne devez l’être que de la belle nature. Les modes ne sont adoptées que par une société plus ou moins nombreuse, & vous devez avoir pour but de plaire à toutes.

G OU Enfin les singularités sont dans les arts, ce quelles sont dans la nature, c’est-à-dire le plus ordinairement, des monstres. La beauté, quoiqu’elle soit très-rare, n’est pas une singularité ; elle est la perfection des choses. La singularité n’est le plus souvent qu’une difformité ; &, dans les ouvrages des hommes, la beauté ne se soustrait pas aux loix de la raison, tandis que la singularité se fait gloire de s’en affranchir.

Je finirai par recommander aux artistes de se défier de prendre pour modèles les ouvrages qu’on appelle ouvrages de goût. Ils sont souvent manierés ; ils peuvent seduire ; mais presque toujours ils égarent ; car l’affectation & la manière qu’on nomme souvent mal-à-propos goût & esprit, ne sont que le mauvais goût & l’esprit dénué de raison.

Il est à l’égard de la peinture comme des autres arts, des hommes de goût, des juges du goût ; & pour l’ordinaire ils font partie des classes de la société qui peuvent influer par leurs opinions & leurs décisions sur le sort des arts & des artistes. Supposons que chez un peuple doux, qui auroit un penchant très-marqué à se modeler sur ceux qui jouissent des distinctions dûes aux rangs, aux titres & qu’on n’accorde que trop souvent même à la richesse ; supposons (dis-je) que le plus grand nombre des hommes distingués de cette nation fléxible se regardât comme doué d’un goûtjuste & délicat sans s’être jamais rendu compte du véritable sens de ces expressions ; supposons encore que, d’après ce don prétendu & leur distinction réelle dans la société, ils se crussent autorisés & comme obligés même à décider sur toutes les productions des arts, accoutumés qu’ils seroient à voir adopter leurs opinions, ne doit-on pas penser que les grandes convenances, bases des véritables beautés, courroient risque d’être souvent sacrifiées à des idées peu réfléchies, peu justes, à des affections du moment, à des conventions particulières, même à des caprices ; & que les conséquences de cet abus seroient peu-à-peu funestes aux arts, aux lettres & au bon goût ?

On pourroit leur dire en général, sans avoir intention de les blesser, mais pour leur avantage & pour celui des arts, que le bon goût, & les convenances qui en sont les principes, ont des droits plus anciennement fondés que ceux qui ne sont dûs qu’aux rangs, aux titres & à la richesse ; que ces droits commandent à tout le monde & ne peuvent réellement être asservis à personne.

Que les principes des arts, & de tout ce qui y a rapport exigent que, pour les connoître, on les médite, on les discute avec ceux qui joignent la pratique à une saine théorie ; & que ces hommes sont les vrais supérieurs à cet égard.


Croyez même, pourroit-on ajouter, que si quelques artistes, par intérêt ou pour briguer votre faveur, ont la foiblesse de vous tromper en vous flattant, ils ne vous apprécient pas moins en secret à votre désavantage. Persuadez-vous donc que les moyens de devenir vraiment hommes de goût ne sont pas de protéger avec une affabilité d’autant plus orgueilleuse qu’elle est plus familière, de répandre avec prodigalité des libéralités plus fastueuses que justes, de savoir employer assez adroitement & d’un ton imposant des mots, des phrases vagues ; mais que pour s’instruire, après avoir bien lu & médité, il faut bien voir, bien comparer ; c’est-àdire voir (en disciple) opérer les hommes instruits, & les écouter après les avoir interrogés ; que c’est ainsi qu’on acquiert le droit de juger, d’encourager, d’aprécier les talens, & qu’il faut encore que la modestie qui est au-dessus des prétentions, & la défiance de soi, plus noble que la confiance de l’orgeuil, s’établissent les conservatrices du trésor de vos connoissances (Article de M. Watelet.)

Gout. Ce mot qui ne désigne dans son origine que les sensations de la langue & du palais, a pris une signification bien plus étendue. Comme c’est le sens du goût qui juge la saveur des alimens, on a emprunté son nom pour désigner cette qualité de l’esprit qui juge du mérite des ouvrages dans les lettres & dans les arts. D’abord on avoit du goût pour juger la bonté d’un mêt ; on a eu ensuite du goût pour juger la bonté d’un livre, d’un tableau, la beauté d’une étoffe, celle d’une voiture, d’un ameublement, & pour prononcer même sur toutes les inutilités, toutes les bizarreries que peuvent créer le luxe, la mode, & quelquefois la dépravation du goût.

Le goût ayant donc été adapté à tout, & tout le monde se piquant d’en avoir, ce mot a été si souvent employé, & si souvent mal appliqué, qu’il a fini par n’avoir plus qu’une signification vague, & quelquefois même inintelligible. Nous allons tâcher de la déterminer.

Il semble que le goût ne soit autre chose que le sentiment des convenances. Ce qui choque le gout dans quelque chose que ce soit, c’est ce qui s’écarte des contenances de cette chose. Les souliers à la poulaine, que portoient nos ancêtres, étoient de mauvais goût, parce que le pied de l’homme ne se termine point par une longue pointe relevée, & qu’un vêtement doit convenir à la forme de ce qu’il revêt. Les vertugadins dont les femmes le paroient au seizieme siécle, étoient de mauvais goût, parce que la taille d’une femme ne se termine pas en forme de tonneau. Une étoffe dont le dessin est trop chargé est de mauvais goût, parce que la confusion est un défaut dans la nature. Il veut y avoir du mauvais goût dans les couleurs d’une parure, parce qu’il y a des couleurs qui ne se conviennent point entre-elles.

Le goût dans les matières littéraires, pourroit être defini le sentiment des convenances dans l’ensemble, les détails & l’expression. Si cette definition est juste, que penser de ces hommes sans goût & sans jugement, qui soutiennent que le goût est l’assassin du génie, comme si le propre du génie étoit de s’écarter des convenances ? mais on fait combien de littérateurs & d’artistes sont intéresses à décorer le bizarre du beau titre de génie.

L’ecrivain, homme de goût, juge les convenances du sujet qui l’occupe & il les observe : le lecteur, homme de goût, applaudit à l’observation de ces convenances, ou condamne l’auteur qui ne les a pas observées.

Un ouvrage est de mauvais goût, quand le sujet manque lui-même aux convenances. Tels sont ceux dont l’objet est dégoûtant, ou ignoble, ou d’une sale obscenité, & capables seulement de plaire aux gens qui ont les mœurs & l’esprit corrompus. Des détails de mauvais goût sont ceux qui manquent aux convenances générales, ou ceux qui, sans être vicieux par eux-mêmes, pèchent contre les convenances du sujet. Ainsi les grands mouvemens, les figures hardies de l’art oratoire ou de la haute pœsie. si souvent prodigues aujourd’hui dans des sujets qui n’exigent que de la simplicité, sont de mauvais goût dans ces sujets, quoiqu’ils pussent mériter d’être applaudis s’ils étoient mieux placés. Enfin l’expression est de mauvais goût, quand elle n’est pas convenable au sujet que l’on traite ; quand elle est trop élevée, trop basse, trop fleurie, trop simple, trop recherchée, toujours relativement à ce sujet.

On confond quelquefois, dans les ouvrages d’esprit, la finesse & la délicatesse avec le goût. Cependant un auteur peut avoir des idées fines, délicates, sans avoir le sentiment général ou particulier des convenances. Il pourra mettre de la finesse où il faut de la noblesse, de la force, de la grandeur ; & mettre de la délicatesse où il faut la plus grande clarté.

Le bon style sera toujours de bon goût, puisque le style ne peut être bon sans s’accorder avec les convenances de la langue, & du sujet, & des détails du sujet.

Le goût dans les arts ne doit pas être différent de ce qu’il est dans les lettres ; il change seulement d’objet, & reste le même ; il consiste toujours dans l’observation des convenances.

Le dessin sera d’accord avec les convenances générales s’il est conforme à un beau modèle choisi dans la nature : mais il peut manquer à la convenance du sujet, si par exemple une figure d’Hercule est d’un dessin svelte, ou celle


d’Apollon d’un dessin musclé. Alors le dessin bon en lui-même, sera de mauvais goût relativement au sujet.

La couleur sera de mauvais goût, si elle inspire la gaieté dans un sujet cul ne doit inspirer que de la tristesse, de la pitié, de l’horreur ; ou si elle est triste quand le sujet exige de la gaieté.

Tout ce qui, dans la composition, peut offenser les convenances générales, ou les convenances partielles du sujet, constitue une composition de mauvais goût.

Une draperie, indépendamment des convenances de costume, sera de mauvais goût, si elle ne convient pas au sujet ou aux personnages qui en seront revêtus. Des étoffes gaies & brillantes seront de mauvais goût dans un sujet lugubre ; elles le seront encore, si on les choisit pour draper un vieillard respectable, un grave philosophe, un magistrat austère.

Tous les accessoires peuvent être jugés par les mêmes principes. La prodigalité de richesses dans les détails est souvent une faute de goût, parce qu’elle pèche contre une des premières convenances de l’art, qui est d’attirer l’attention sur l’objet principal.

On dit de certaines personnes qu’elle n’ont pas de goût. Cela peut être vrai, & l’est même toujours sous un grand nombre de rapports ; mais ne peut l’être généralement, à moins qu’il ne s’agisse de personnes dont l’organisation soit absolument viciée. Il n’y a pas d’ailleurs d’homme qui ne soit capable de sentir quelques convenances, & d’en juger, & qui, par rapport à ces convenances ne soit homme de goût.

Mais comme le cercle des convenances semble renfermer tout ce qui existe, il n’est personne dont l’esprit puisse parcourir ce cercle entier, & qui par conséquent puisse avoir le goût universel.

On regarde le goût comme inné ; on prétend que le goût ne se peut acquérir. se principe est faux, s’il est pris généralement ; il est vrai, si l’on veut le particulariser.

L’homme, par exemple, qui est né avec un caractère froid & peu sensible, pourra montrer beaucoup de goût dans les objets qui ne tiennent qu’à la raison sévère, & sentira très-bien les convenances réciproques de ces objets ; mais il ne sentira pas celles des genres qui ne doivent leur mérite qu’à l’impétuosité des passions, à la chaleur brûlante de l’enthousiasme. Il est donc vrai que certains hommes n’acquerront jamais le goût qui fait produire ou juger certains ouvrages, parce qu’il n’a pas même apporté en naissant ce que nous appellerons les organes de ce goût. Il ne sentira pas mieux les convenances des objets auxquels son organisation GOU est étrangère, qu’un aveugle ne sentira les convenances des couleurs.

Mais il ne faut pas croire que le goût même dont on a apporté en naissant l’organisation ou, si l’on veut, les dispositions, soit inné. Raphaël, né dans un village, & condamné à des travaux rustiques, n’auroit pas eu la moindre idée des convenances pittoresques, qu’il a si bien observées, & qui lui conservent le premier rang entre les peintres.

Il n’y a d’inné que les dispositions au goût ; mais le goût lui même dépend de l’étude, de la pratique, de l’expérience, de l’habitude de comparer, & de la réflexion.

S’il y a des hommes qui ne peuvent acquérir le sentiment & la pratique des convenances qui constituent les genres inférieurs de l’art, c’est qu’il y a des hommes à qui leur organisation refuse même de réussir dans les opérations les plus méchan ques. Ils suivent des écoles, ils écoutent des maîtres ; mais les grands principes de l’art ne sont jamais reçus dans leur intelligence.

Le grand principe, le principe universel des arts, n’est autre chose que celui des convenances observées, par rapport aux objets de la nature qui tombent sous le sens de la vue. Ce principe des convenances conduit les artistes à la beauté, puisque la nature s’écarte des convenances quand elle cesse d’être belle. La beauté consiste daus la juste correspondance, dans l’exacte proportion des parties, & n’est par consequent autre chose que la parfaite convenance de ces parties entre elles. Un nez trop grand ou trop petit, des yeux trop saillans ou trop enfoncés, un menton trop long ou trop court, des joues trop creuses, une bouche trop fendue, des lèvres trop plattes ou trop épaisses, sont autant de défauts de convenance qui constituent la laideur.

Ainsi la connoissance de la nature est celle de la beauté, & l’imitation de la nature qui est l’objet de l’art, est l’imitation du beau. Les difformités ne sont pas la nature, elles en sont les écarts. Raphaël a peint la nature, Rembrandt n’en a souvent peint que la dégradation, au moins dans les formes ; il a cependant une grande réputation, & justement méritée, parce qu’il a imité de grandes beautés de la nature dans la couleur, & dans les effets. Jamais la nature ne s’écarte de la beauté, qu’elle ne fasse les premiers pas vers la monstruosité. La laideur n’est formée que de l’excès ou du défaut de ce qu’exige la nature pour être elle même.

Le bon goût dans les arts peut se trouver dans les genres inferieurs, lorsque les convenances y sont bien observées. La representation d’une fêe hamêre, d’un bouquet de fleurs, d’une corbeille de fruits, de la nature morte, peut être de bon goût.


Des imitations de scènes ignobles, sont de mauvais goût par rapport au choix du sujet qui blesse les convenances générales. Mais elles peuvent être de bon gout par d’autres convenances, comme nous venons de le dire en parlant de Rembrandt. Il faut considérer alors si, le sujet une fois admis, le reste s’accorde avec les convenances.

Le grand goût suppose un grand genre. Il consiste, comme Mengs l’a défini, à choisir les grandes & principales parties de l’homme & de toute la nature, & à rejetter ou cacher celles qui sont foibles & subordonnées, lorsqu’elles ne sont pas absolument nécessaires.

Le goût mesquin s’occupe de toutes les petites parties & préfère les pauvretés qui annoncent la foiblesse & la misère de la nature aux grandes formes qui en constituent la force & la beauté.

On confond souvent, dans le langage des arts, le goût avec la manière : c’est dans ce sens que, pour désigner la manière d’une école ou d’un artiste, on dit le goût de telle école, de telle nation, de tel maître. Dans cette acception, le goût du maître est ordinairement composé plus ou moins du goût de sa nation & de son goût particulier.

Il est une partie de la manœuvre de l’art que les artistes appellent ragoût & qu’on désigne aussi par le nom de goût. Cette partie est une sorte de coquetterie ; une recherche de moyens de plaire par un maniement badin de pinceau, par des laissés, par des touches piquantes, par des agencemens d’accessoires qui, grouppés ensemble, plaisent à l’œil, & qu’on appelle quelquefois, en langage d’atteliers, un fouillis ragoûtant. Tout cela tient de fort près à ce qu’on appelle. esprit dans les arts. Voyez l’article ESPRIT.

Comme ces moyens sont petits, on sent qu’ils ne conviennent pas aux grandes choses. Ils seroient très-déplacés dans une grande fresque, puisqu’ils ne seroient pas même apperçus ; ils ils le seroient encore dans de grands tableaux ; ils donnent du prix à de petits ouvrages : mais loin d’être le goût, ils sont le témoignage d’un mauvais goût, quand ils se trouvent employés dans des sujets où ils ne conviennent pas. Un peintre qui n’est plus, & dont l’exemple & les succès auroient pu détruire le goût dans l’Ecole Françoise, a obtenu long-tems la réputation d’artiste plein degoût, pour avoir prodigué ces moyens dans tous ses ouvrages, & dans ceux mêmes où les convenances exigeoient les beautés les plus austères. Peu sensible à la beauté, trop léger pour se soumettre aux convenances même les plus nécessaires, il réduisoit son art en une sorte de libertinage. & faisoit entrer ce qu’on peut appeller le bad nage pittoresque dans les sujets où Raphael eût cherché ce que la beauté idéale a de plus sublime. Son

M

G OU exemple doit effrayer ceux qui voudroient fonder leur gloire sur un caprice passager : après avoir séduit la France, il a presque survécu à sa réputation.

« Le goût (ce mot peut s’entendre encore ici comme exprimant le sentimênt des convenances.) Le goût, dit Mengs, est ce qui détermine l’artiste à faire choix d’un objet principal, & à prendre ou à rejetter ce qui peut y avoir un rapport bon ou mauvais. Voilà pourquoi lorsque tout, dans un tableau, est exécuté d’une même manière, on dit que l’artiste a tout à fait manqué de goût, parce qu’il n’offre rien de pittoresque ni de distinct, & que par conséquent l’ouvrage est sans effet & sans expression. Le choix du peintre décide du style de l’ouvrage ; c’est ce qu’il faut appliquer au coloris, au clair-obscur, au jet des draperies & aux autres parties de la peinture ; de sorte que lorsqu’il sait choisir le plus beau & le plus grand dans chacune de ces parties, il produit immanquablement des ouvrages du plus grand goût. Le beau est ce qui rend toutes les qualités agréables d’une chose ; & le mauvais ce qui n’en montre que les parties désagréables. »

« Il faut donc étudier chaque chose pour voir ce qu’on voudroit y trouver, & pour choisir ensuite les parties qui répondent le mieux aux objets qu’on veut représenter : c’est de cette manière qu’on produit des choses véritablement belles. Qu’on examine, d’un autre côté, ce qui est de mauvais dans un objet & qu’on voudroit qui n’y fût point ; c’est ce qui seroit désagréable, & ce qu’il faut rejetter. »

« C’est en examinant ainsi les qualités des choses qu’on trouvera l’expression. Rien ne peut être expressif, s’il n’est rendu avec les qualités qui le caractérisent naturellement. Le bon, en général, est ce qui est utile & ce qui flatte agréablement nos sens ; & le mauvais, dans chaque chose, est la partie qui blesse nos yeux, & qui révolte notre jugement, en nous causant une sensation désagréable. »

« Notre esprit est choqué de tout ce qui n’est pas d’accord avec sa cause, & avec sa destination : il l’est donc quand notre vue est frappée d’un objet qui ne semble pas convenir avec la cause de son existence, ou avec sa destination, & que nous ne pouvons concevoir pourquoi il a telle ou telle forme. »

« Tout ce qui affecte trop fortement les nerfs optiques, offense la vue ; ce qui fait que certaines couleurs, ainsi que les lumières & les ombres trop tranchantes, fatiguent l’ame. Les hachures trop fortes, ainsi que les couleurs ou trop vives ou trop contrastées nous sont désagréables, par la raison qu’elles font


passer trop subitement nos yeux d’une sensation à une autre, & causent ainsi une tension violente de nerfs qui blesse nos yeux. Voilà pourquoi aussi l’harmonie nous est si agréable, parce qu’elle consiste à établir toujours des milieux entre les extrêmes. »

« Comme l’art de la peinture est très-difficile, il n’y a point encore eu d’artiste dont le goût ait été également parfait dans toutes les parties. Celui qui aura bien choisi dans l’une aura souvent fort mal réussi dans l’autre, & dans quelques-unes même il n’aura mis aucun choix. » (Article de M. Levesque.)

GR

GRACE (subst. fém.) Si la grace naît du juste accord des sentimens de l’âme avec l’action du corps, le peintre, pour la représenter, doit apprendre à bien connoître, par l’observation & par la méditation, la marche corrélative des affections & des mouvemens ; marche quelquefois parfaitement correspondante, mais trop souvent inégale, soit que l’expression éprouve quelque gêne, soit que le sentiment soit contraint ou peu sincère.

Le mot dont il s’agit ici est un de ceux qui sont adoptés avec la même acception dans tous les arts & dans l’usage ordinaire. C’est un terme de théorie générale, & ce sont les termes de cette espèce qui forment les liens par lesquels tous les beaux arts se trouvent unis les uns aux autres.

La grace d’une figure peinte ou sculptée, celle d’une figure décrite en vers, ou en prose, celle d’un air de musique, toutes ces graces ont le même principe.

Je prie les lecteurs de pardonner si je remets ici sous leurs yeux le chapitre de la grace tel qu’il se trouve à la suite du poëme de l’art de peindre ; ce que j’ai pensé & dit à ce sujet, ma paru confirmé par les observations que j’ai continué de faire ; il a été adopté par plusieurs auteurs qui ont écrit sur cette matiere, & je ne pourrois dire qu’à peu-près les mêmes choses en d’autres termes.

La grace, ainsi que la beauté, concourt à la perfection. Ces deux qualités se rapprochen dans l’ordre de nos idées : leur effet commun est de plaire : quelquefois on les confond, plus souvent on les distingue : elles se disputent la préférence qu’elles obtiennent suivant les circonstances.

La beauté supporte un examen réitéré & réfléchi ; ainsi l’on peut disputer le prix de la beauté, comme firent les trois déesses, tandis que le seul projet prémédité de montrer des graces, les fait disparoître.

Je crois que la beauté (comme je l’ai dit) consiste dans une conformation parfaitement

G R A relative aux mouvemens qui nous sont propres.

La grace consiste dans l’accord de ces mouvemens avec ceux de l’âme.

Dans l’enfance & dans la jeunesse, l’âme agit d’une manière libre & immédiate sur les ressorts de l’expression.

Le mouvemens de l’âme des enfans sont simples, leurs membres dociles & souples. Il résulte de ces qualités une unité & une franchise qui plaît.

Conséquemment, l’enfance & la jeunesse sont les âges des graces. La souplesse & la docilité des membres sont tellement nécessaires aux graces, que l’âge mûr s’y refuse & que la vieillesse en est privée.

La simplicité & la franchise des mouvemens de l’âme contribuent tellement à produire les graces, que les passions indécises, ou trop compliquées les font rarement naître.

La naïveté, la curiosité ingénue, le désir de plaire, la joie spontanée, le regret, les plaintes & les larmes même qu’occasionne la perte d’un objet chéri, sont susceptibles de graces, parce que tous ces mouvemens sont simples.

L’incertitude, la réserve, la contrainte, les agitations compliquées & les passions violentes, dont les mouvemens sont en quelque façon convulsifs, n’en sont pas susceptibles.

Le sexe le plus souple dans ses ressorts, le plus sensible dans ses affections, dans lequel le desir de plaire est un sentiment en quelque façon indépendant de lui, parce qu’il est nécessaire au systême de la nature ; ce sexe qui rend la beauté plus intéressante, offre aussi, lorsqu’il échappe à l’artifice & à l’affectation, les graces sous l’aspect le plus séduisant.

La jeunesse très-cultivée s’éloigne souvent des graces qu’elle recherche, tandis que celle qui est moins contrainte, les possède sans avoir eu le projet de les acquérir. C’est que l’esprit éclairé & les conventions établies retardent, ou affoiblissent les mouvemens subits tant de l’âme que du corps. La réflexion les rend compliqués. Plus la raison s’affermit & s’éclaire, plus l’expérience s’acquiert, & moins on laisse aux mouvemens intérieurs cet empire qu’ils auroient naturellement sur les traits, sur les gestes & sur les actions.

L’âge mur, qui voit ordinairement se perfectionner & la raison & l’expérience, voit aussi les ressorts extérieurs devenir moins dociles & moins souples.

Dans la vieillesse enfin, l’ame réfroidie ne donne plus ses ordres qu’avec lenteur, & ne se fait plus obéir qu’avec peine.

L’expression & les graces s’évanouissent alors ; les graces telles que je viens de les définir, empruntent une valeur infinie de la plus parfaite conformation.

Cependant les mouvemens simples de l’ame


n’ont peut-être pas, avec la perfection d’un corps bien conformé, le rapport absolu qui existe entre cette parfaite conformation & les actions qui lui sont propres.

Voilà pourquoi l’enfance, qu’on peut regarder comme un âge où le corps est imparfait, se trouve susceptible des graces, tandis que ce n’est que par convention qu’on peut lui attribuer la beauté.

Ce que j’ai dit suppose encore l’équilibre des principes de la vie qui produit sur nous la santé. Cet état commun à tous les âges, dans les rapports qui leur conviennent, est favorable aux graces, & sert de lustre à la beauté.

Au reste, cet accord des mouvemens simples de l’ame avec ceux du corps, éprouve une infinité de modifications, & produit des effets très-variés.

C’est delà que vient sans doute l’obscurité avec laquelle on en parle communément, & ce je ne sai quoi, expression vuide de sens qu’on a si souvent répétée, comme signifiant quelque chose.

Les graces sont plus ou moins apperçues & senties, selon que ceux aux yeux desquel elles se montrent sont eux-mêmes plus ou moins disposés à en remarquer l’effet.

Qui peut douter qu’il ne se fasse, quand nous sommes très-sensibles aux graces, un concours de nos sentimens intérieurs, avec ce qui les produit ? fixons quelques idées à ce sujet.

Un homme indifférent voit venir à lui une jeune fille, dont la taille proportionnée se prête à sa démarche avec cette facilité & cette souplesse qui sont les caractères de son âge. Cette jeune fille, que je suppose affectée d’un mouvement de curiosité, reçoit de cette impression simple de son ame, des charmes qui frappent les yeux de celui qui la regarde.

Voilà des graces naturelles indépendantes d’aucune modification étrangère.

Supposons actuellement que cet homme, loin d’être indifférent, prenne l’inérêt d’un père à cette jeune beauté qui l’apperçoit, & qui se rend près de lui. Supposons encore que la curiosité qui guidoit les pas de la jeune fille, soit changée en un sentiment moins vague, qui donne un mouvemeut plus décidé à son action & à sa démarche ; quel accroissement de graces va naître de cet objet plus intéressant, de cette action plus vive, & de la relation de sentiment qui d’un côté produit un empressement tendre, & qui de l’autre rend le père plus clairvoyant cent fois, & plus sensible aux graces de sa fille, que ne l’étoit cet homme désintéressé !

Ajoutons à ces nuances.

Que ce ne soit plus un homme indifférent, ni même un père, mais un jeune homme amoureux qui attend & qui voit arriver l’objet

X x

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G R A qu’il desire & qu’il chérit ; que cette jeune fille à son tour, soit une tendre & naïve amante, qui n’a pas plutôt apperçu celui qu’elle aime, qu’elle précipite sa course ; supposez que le lieu dans lequel ces deux amans se réunissent, soit ce que la nature peut offrir de plus agréable ; que la saison favorable ait décoré de verdure & de fleurs le lieu du rendez-vous. Représentez-vous à la fois les charmes de la jeunesse, la perfection de la beauté, l’éclat d’une santé parfaite, l’agitation vive & naturelle de deux ames qui éprouvent les mouvemens les plus simples, les plus relatifs, les moins contraints ; & voyez se succéder alors une variété infinie de nuances dans les graces, qui, toutes inspirées, toutes involontaires, sont parconséquent empreintes sur les traits & exprimées dans les moindres actions & dans les moindres gestes.

Ainsi parmi les impressions de l’ame qui se peignent dans nos mouvemens, & dont j’ai parlé, en réfléchissant sur les passions, celle qui paroît la plus favorisée de la nature, l’amour produit une expression plus agréable, plus universelle, plus sensible que toute autre, & dans laquelle la relation de l’ame & du corps qui fait naître les graces, est plus intime & plus exactement d’accord.

Aussi les anciens joignoient, & ne séparoient jamais Vénus, l’Amour & les Graces : & la ceinture mvstérieuse décrite par Homère n’est peut-être que l’emblême de ce sentiment d’amour si fertile en graces, dont Vénus toujours occupée empruntoit le charme que la beauté seule n’auroit pu lui donner (Article de M. Watelet.)

La GRACE est une des branches du goût par laquelle l’art parvient à plaire à l’ame de la manière la plus douce & la plus agréable.

Le talent de donner de la grace ne s’acquiert ni par le savoir, ni par la plus grande pratique, ni par les meilleures leçons. Ce n’est pas non plus par le savoir ni par l’étude qu’on est enchanté d’un ouvrage plein de grace.

La grace est tout sentiment dans l’habile artiste qui l’exprime : elle inspire, disons mieux, elle commande le plaisir à tous ceux qui jettent les yeux sur son ouvrage.

La grace ne connoît ni les principes, ni les conventions. Chaque nation peut bien avoir son genre de beauté ; mais la grace est une pour tout pays.

Elle ne peut se décrire, ni se mesurer, ni se déterminer ; en tout cela, plus fine, plus fugitive, plus universelle que la beauté. Aussi leur essence, comme leurs effets, sont-ils différens : ces deux qualités exquises ne se ressemblent que par leurs attraits, toujours cependant plus victorieux dans la grace.

Celle-ci plaît & ravit sans la précision de


formes adoptée par les artistes pour exprimer la beauté. La beauté, toute admirable qu’elle est, n’attire & ne charme que par la grace qui l’accompagne quelquefois, & qui seule la rend accomplie.

La grace plus belle encore que la beauté, dit la Fontaine en faisant la peinture de la Déesse des Amours. Et convenons-en ; ce poëte a été peut-être dans l’art de peindre à l’esprit, le seul des nôtres qui fût en possession de définir la grace ; parce qu’elle naissoit sous sa plume comme sous les pinceaux de l’Albane.

On vient de dire que les graces ne s’acquièrent pas, c’est aussi l’avis de Montesquieu : « Pour en avoir, ajoute-t’il, il faut être naïf ; mais comment travailler à être naïf ? »

La naïveté qui donne la grace dans la nature, peut seule la produire dans l’art qui l’imite. Dès le moindre mouvement pour courir après elle, on s’en éloigne.

Si tel est le vrai caractère de la grace, que l’écrivain célèbre que nous venons de citer la fait entrer dans un chapitre (1) qu’il intitule : Le je ne sai quoi, on sent qu’on ne peut raisonnablement s’appésantir sur son essence, encore moins prétendre donner des méthodes pour l’obtenir.

Dire, comme M. Watelet (2) d’après Félibien (3) : « Que la grace consiste dans l’accord des mouvemens produits par la beauté, avec les mouvemens de l’ame ; » c’est-à-dire que la beauté est nécessaire à la grace, c’est une assertion qui n’est pas toujours vraie. En second lieu, l’accord des mouvemens du corps avec ceux de l’ame convient autant à l’expression exacte de toutes les passions, qu’aux graces.

Félibien prétend encore que la grace est un mouvement de l’ame dont on ne juge que par l’action du corps. Ce principe n’est exact ni général. La Diane endormie de Piètre de Cortone, la seule figure de ce peintre où l’on voye de la grace sans maniére ; la Sainte-Cécile expirante du Dominiquin, & quelques autres encore prouvent que l’art, comme la nature, met de la grace même dans l’inaction (4) . G R A La seule & la sûre manière d’expliquer la grace dans l’art, c’est d’indiquer où elle se trouve.

Le Corrége est présenté comme le maître des graces. On ne peut lui refuser cette distinction, il on considere ses ouvrages principalement du côté de l’exécution ; car dans la grace des attitudes, il est par fois un peu recherché.

L’Albane nous semble avoir atteint cette partie de la grace dans le plus haut dégré. Il n’y prétend jamais, & tout la respire dans les mouvemens simples, naïfs de ses figures.

La Vénus de Médicis, la Vénus accroupie, l’Apollino, l’Hermaphrodite, sont comme l’indique fort bien Mengs ([1]), de vrais modèles de grace que nous avons dans l’antique.

François Duquesnoy, dit le Flamand, le Puget dans quelqu’unes de ses statues, sont les sculpteurs modernes qui ayent le mieux senti les graces. Parmi nos peintres françois, Sébastien Bourdon les a connues.

Plaire est un des grands buts de l’art. Rien n’est plus propre à le remplir que d’y mettre de la grace. Carle Maratte en sentoit le prix : il en avoit beaucoup recherché les moyens. Il voulut peindre les trois graces, & il leur fait dire ces mots dans son tableau : niente senza di noi, rien sans nous. Mais lui-même connut-il la grace ? non sans doute, car il y travailla.

Bien peu d’artistes ont excellé dans l’art de donner la vraie grace à leurs figures, & de la réunir à ce mérite d’exécution qui contribue à la caractériser. Raphaël lui-même a mieux connu la beauté que la grace ; &, comme l’observe Mengs, son pinceau sec s’opposoit à ce qu’il pût l’exprimer ; j’ajouterai que la sévérité de ses formes y mettoit encore un obstacle. Parmesan a fait grimacer ses figures à force de vouloir faire de la grace ; Andrea Sacchi, malgré la beauté de son dessin, la grace de son pinceau, & quoiqu’il fût élève de l’Albane, rend la beauté trop froide pour avoir de la grace ; parmi nous, les Coypels ont affecté de donner des graces à leurs figures, & par-là elles sont minaudières ; Watteau, notre aimable Watteau n’a pas rendu la grace, il est gracieux. Car ce qu’on entend par gracieux en françois, signifie le genre agréable, doux, galant ; mais n’exprime pas l’équivalant de la grace. Ainsi on dit dans ce sens que Mignard, C. Maratte, Pierre de Cortone, sont des peintres gracieux, parce que leurs tableaux représentent souvent des femmes, des enfans & des sujets agréables, & que joseph Ribera, le Caravage, Jouvenet, n’ont jamais fait le gracieux, par la raison contraire.

Pour exprimer que la grace se trouve quelquefois dans diverses parties de l’art, on dit


ce tableau est peint avec grace, ce peintre met beaucoup de graces dans ses formes, telle composition est pleine de grace, telle statue est exécutée avec grace ; enfin toute les parties de l’art sont susceptibles de grace ; mais la grace, proprement dite, ne réside que dans le choix des attitudes & du caractère des formes. (Article de M. ROBIN.)

GRACIEUX (adj.) Cet adjectif a une signification plus vague que le substantif dont il dérive.

En effet, lorsqu’on dit qu’un objet a de la grace, cette manière de s’exprimer donne une idée plus précise, & inspire un sentiment plus déterminé, que si l’on disoit que cet objet est gracieux. Ce dernier terme même est souvent susceptible d’une nuance d’ironie que le mot grace ne reçoit pas.

La grace inspire un intérêt qu’on se sent comme forcé de respecter, quand on n’auroit pas l’ame disposée aux sentimens plus doux & plus tendres qu’elle inspire, & ce seroit un signe funeste pour le sentiment & les arts si elle perdoit cet avantage.

On a désigné dans la peinture une sorte de grace par le mot gracieux. On comprend dans ce genre tous les ouvrages de l’art qui sont plus susceptibles d’agrémens que de force. On a eu l’indulgence d’y admettre jusqu’à l’afféterie, & au manièré de nos mœurs. On dit d’une pastorale, où rien n’est simple & vrai, c’est un ouvrage dans le genre gracieux : on dit par opposition, d’une composition où tout est exagéré, qu’elle est du genre terrible. Ces distinctions tiennent à nos recherches modernes, & je les crois bien plus nuisibles qu’avantageuses aux arts. Elles conduisent à des idées fausses qui ne sont pas dans la nature, où tout ce qui a rapport à l’art, semble lié par des nuances qu’on ne peut classer, comme les couleurs qui sont tellement fondues, qu’on ne peut en faire des divisions précises. Les jeunes artistes, & le public qui est toujours jeune lorsqu’il manque de véritables instructions, prennent comme à l’envi, des idées de classes & de genres qui les trompent. Les talens médiocres s’y attachent, parce qu’ils croyent s’y faire un appanage. Les Juges ignorans en font la base de leurs décisions, & tout cela nuit aux progrès des arts, à ceux de la peinture & des véritables artistes. La juste convenance & la vérité comprennent tout ce qui mérite justement d’être distingué. Il n’y a enfin bien réellement que deux genres principaux dans les Beaux-Arts, le bon & le mauvais.

Pour vous, jeunes artistes, si vous cherchez expressément dans vos ouvrages à être gracieux, il est bien à craindre que vous ne tombiez dans l’affectation, ou plutôt dans l’afféterie. Ayez

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G R A en vue la grace dans les figures & dans les objets qui comportent cette perfection ; vous vous dirigerez à un but qui n’est pas arbitraire ; mais foyez bien persuadés que plus vous faites d’efforts pour donner, par exemple, un air gracieux aux têtes que vous peignez, plus vous vous éloignez de la véritable grace.

Dans le portrait, l’air qu’on appelle gracieux est presque toujours une grimace. Tel est dans la société, si on l’examine bien, le maintien habituel de quelques femmes qui se commandent le sourire, qu’elles ont composé devant leur glace, qui s’exercent à un doux langage, comme elles apprennent des chansons, & qui sans que leur ame s’intéresse, se sont une sensibilité de circonstance & de moment.

Le mauvais peintre de portrait croit rendre ses têtes gracieuses en relevant les coins de la bouche. Il pense leur donner du sentiment, en allongeant & rapprochant un peu les paupières, & en soulevant la prunelle. Ces moyens ridicules expliquent la manière dont il conçoit le sens du motgracieux.

Que les artistes plus habiles se rappellent souvent ces ridicules. Ce préservatif est d’autant plus nécessaire qu’ils rencontrent trop souvent dans la société de ces physionomies de commande.

On prescrit l’air gracieux, la mine gracieuse aux enfans. On appelle tristes & peu sociables ceux qui abandonnent leurs traits à la disposition de leur ame. C’est un mal peut-être nécessaire dans la société. Il n’est pas aussi nécessaire dans la peinture, & les peintres devroient bien au moins conserver dans le monde qu’ils créent, les types de la franchise, du sentiment & des vérités de la nature. (Article de M. Watelet.)

GRADATION (subst. fém.) Si la gradation en rhétorique est une différence graduée des expressions par lesquelles on parvient à la plus forte expression ; la gradation dans l’art exprime les différens dégrés qu’il est nécessaire de parcourir afin d’atteindre au plus haut dégré dans chacun des parties qui le composent.

Ainsi, par rapport à la peinture, il faut de la gradation dans la disposition, dans les formes, dans les caractères, dans les expressions, dans les mouvemens, dans les plis des draperies, dans les teintes, dans les tons, &c.

Si nous nous étions occupés d’un ouvrage complet sur cet art, nous aurions voulu, par le systême de notre plan, traiter de la gradation en parlant des diverses parties que nous venons de nommer ; mais n’ayant pas été à portée de suivre cet ordre, nous parlerons dans cet article de lagradation, dans toutes les parties dont les mots ont déjà été publiés, & nous renverrons nos opinions sur la gradation dans


les plis des draperies, dans les teintes, dans les tons, dans les mouvemens aux articles de ces divers mots.

Tout homme un peu réfléchi sont qu’il doit y avoir de la gradation dans les ouvrages de l’art, puisque la nature en montre par-tout.

La disposition des grouppes & des figures est le premier point dans lequel la gradation doit être observée : tellement que d’elle dépend la clarté du sujet. Veut-on conduire l’œil du spectateur sur le principal personnage de la scène ? il faut que tous les grouppes, toutes les figures mènent à lui par les dégrés de leurs plans, de leurs formes générales, & de leurs actions. Porus défait & blessé est amené aux pieds d’Alexandre. Dans ce moment la chaleur de l’action est appaisée ; cela se voit au calme du héros de Macédoine ; cette tranquillité de situation passe à ses favoris, & diminue à proportion que les figures s’éloignent du personnage capital. La gradation d’action relative à la disposition entraîne aussi celle des formes des grouppes.

Le roi des Indes & ceux qui le portent produisent un ensemble dont la forme est transversale par sa disposition ; Alexandre à cheval devenant plus élevé est dispose en pyramide, & les divers grouppes de soldats qui combattent & amènent des esclaves, offrent des angles de diverses ouvertures. Les plans se succédant avec clarté & sans interruption jusqu’au roi, l’œil les a parcourus, & s’arrête où ils sont interrompus, je veux dire à la figure du vainqueur de l’Inde. C’est ainsi que l’attention est fixée par la graduelle disposition des grouppes vers le but où réside la motale & l’héroïsme de cette scène pompeuse. Telle est la leçon que le tableau de le Brun nous donne sur la gradation dans la disposition. Le Poussin dans un sujet moins héroïque l’avoit donnée par son tableau de la manne ; mais Testelin dans ses tables sur la peinture n’eût-il pas préférablement cité celle de le Brun, si celui-ci n’avoit été son contemporain ?

Il est une gradation dans les formes de la composition pittoresque & dan celles de chaque figure. Pour la premiere espèce, citons Rubens : soit qu’il présente Henri IV & Marie de Médicis dans l’Olympe sous l’emblême poëtique de Jupiter & de Junon, soit qu’il veuille nous fixer sur Paul terrassé par la voix qui lui reproche sa persécution impie : les formes de détails conduisent par dégrés aux formes générales de ces compositions, & y répandent une grace qui s’obtient par leur gradation.

Les formes du corps humain présentent une sensible gradation. C’est dans les ouvrages des Carraches, plus encore dans ceux de Raphaël & de Michel-Ange, mais souverainement dans les sculptures antiques qu’il en faut voir les combinaisons exquises. Elles les portent au sublime. Le G R A corps du Laocoon, les têtes de l’Antinoüs, de la Vénus, du Jupiter &c. montrent dans quelle proportion de dégrés une forme doit conduire à une autre. La gradation d’une forme refsentie à une forme délicate, & alternativement des formes douces aux formes majeures, produit la justesse des contours qui indique l’âge, le sexe, le caractère & l’action des figures. Par la gradation, on jouit sans choc des differences infinies qui se trouvent entre toutes les formes du corps qui cependant conserve son caractère général ;…mais c’est ici que les mots manquent ; c’est ici que les yeux même manqueront à tout homme qui n’aura pas étudié bien des années le crayon à la main, avec de la sagacité & de bons principes, les ouvrages célèbres que je viens de citer. Passons à la gradation dans les caractères.

Cette gradation sera sentie par tout homme d’esprit & c’est ce qui a fait juger le Poussin d’une manière si intéressante par tous les gens éclairés. Mais Raphaël le surpassoit encore. Pour montrer jusqu’où il portoit l’art des caractères dans tous les dégrés, choisissons dans les ouvrages de ce grand homme un des moins piquans par l’expression. Par exemple les noces de Psyché, qu’il a peintes à la Farnesine. Les Dieux y assistent avec dignité & par conséquent, on lit peu les affections de l’âme sur leurs visages ; mais comme on reconnoît toutes les différences des caractères ! par quelle sublime gradation, de Ganyméde tête simple & naïve, on arrive à la majesté terrible de Jupiter ! les femmes de même depuis Flore jusqu’à Junon, font parcourir par des dégrés qui multiplient l’intérêt, tous les différens genres de beautés, toutes les diverses sortes de graces.

Raphaël est, à mon jugement, le peintre qui a porté au plus haut dégré l’art des caractères, & il seroit difficile d’en nommer un autre qui ait su faire sentir, comme lui, leur gradation. On peut encore le citer pour celle des expressions, dans une scène immense où il a su l’appliquer, sans foiblesse, sans distraction. Je veux parler du tableau appellé la Dispute du Saint-Sacrement ; d’un côté, le dépit, l’inquiétude, l’agitation, la colère, l’envie se lisent dans les figures des Hérésiarques qui s’occupent à combattre la croyance de l’Eglise ; de l’autre, courage, force inspiration, pitié, voilà ce qui est très-bien exprimé dans celles des Pères réunis pour repousser leurs efforts. Toute cette partie terrestre du tableau, ne fait voir que des expressions qui tiennent à l’homme soit en bien soit en mal. La candeur, la profondeur de l’intelligence, la plénitude de la confiance, les transports de la béatitude : tels sont les mouvemens qui résident sur les nuages, & telle est la gradation par laquelle on parvient à la figure majestueuse qui représente la Divinité.


Nous pouvons parler d’un ouvrage aussi à fresque sur un sujet moins sublime, où les expressions sont graduées par des nuances bien subtiles, & cependant bien sensibles. Il est du Dominiquin à Grotta Ferrata. L’action en est simple. Un Saint Abbé guérit un jeune homme par l’attouchement d’une goutte d’huile. Ce personnage est tranquille mais pénétré d’une confiance toute divine ; & on parvient graduellement à cette expression pénétrante par celle du malade, dont la satisfaction intérieure est bien sentie, par les transports d’admiration du père, par la reconnoissance & la vive émotion de la mère, enfin par l’espèce de stupeur des assistans.

Disons qu’en général la gradation dans les diverses parties de l’art, sert à faire valoir un point par un autre point : non pas par un effet qui réponde à celui des oppositions ; mais en conduisant par degré au but d’intérêt que veut produire l’auteur de l’ouvrage : en cela bien différente de la variété qui admet tout pourvu que rien ne se ressemble, la gradation n’a d’effet que par l’accord qui se trouve entre des objets différens. Elle est mesurée, & ce n’est que par des intervalles proportionnés qu’elle s’avance à la perfection dans les grandes parties de l’art qui, comme nous l’avons dit, en sont toutes susceptibles. (Article de M. ROBIN.)

GRAIN (subst. masc.) Terme de gravure. Sur l’employe coulée concepteur L’effet Que produisent les Tailles Différemment croisées entr’elles. These Tailles Forment Un bon, non mauvais grain .

GRAND (adj.) On doit désigner le mot grand dans la peinture comme figuré, parce que le petit nombre d’acceptions dans lesquelles il est pris au propre, appartiennent plutôt à la langue générale, qu’au langage de l’art.

En effet on dit un grand tableau, comme on dit un grand meubie ou un homme plus grand que les autres ; mais lorsqu’on dit un grand caractère de composition ou de figure, une grande manière, on s’exprime figurement, & dans ce langage de l’art, on est même autorisé, par une manière de parler qui lui est propre, à dire Il y a dans ce que peint ou dessine le Corrège, par exemple, un grand, un certain grand qui frappe & qui plaît.

On dit de même une grande machine, pour désigner une composition imposante ; cette figure est grande, pour exprimer qu’elle est majestueuse. C’est donc relativement à l’impression que certains objets représentés font sur l’esprit & sur l’ame, plutôt que sur les regards, que l’on se sert du mot grand.

Le grand, dans ce sens figuré, appartient de bien près au sublime. Un grand caractere de dessin & d’expression est à-peu-près ce qu’on SSo

GR A peut concevoir de plus propre à frapper, à élever l’ame de ceux qui s’en occupent.

Le grand est simple & tend principalement à une unité d’effet comme le sublime.

La multiplicité de parties, d’actions, d’ornemens, d’accessoires, est contraire au grand dans tous les arts, comme dans la peinture.

Ainsi une figure dont les principales parties sont principalement désignées, mais dans laquelle les détails peu importans de ces parties ne sont pas assez prononcés pour fixer & attacher partiellement les regards & l’attention (si d’ailleurs elle est régulière dans les proportion, & juste dans son mouvement) a un caractère grand, qui ne peut manquer de se faire appercevoir.

De même un site qui offre peu de détails particuliers d’objets, mais qui est composé de vastes plans, & éclairé par de belles masses de lumière & d’ombre, offre quelque chose qui inspire l’idée de grand.

Un sujet composé de peu de figures, accompagné de peu d’accessoires, devient grand, parce qu’il est simple, & qu’il tend d’une manière sensible à l’unité de composition.

Si cependant les sujets que traite l’artiste exigent beaucoup de personnages, comme sont, par exemple, les cérémonies, les tumultes, les batailles, il faut alors, pour qu’ils paroissent grands, pour que leur composition ait de la grandeur, qu’ils soient si bien ordonnés, que les objets, disposés par grouppes, ou éclairés par masses, rappellent une simplicité & une unité de composition, qui ne peut pas s’y trouver d’après le nombre des objets qui doivent y entrer indispensablement.

Le repos que ces sortes de compositions, ordonnées avec art, & dans l’intention que je viens d’exposer, occasionnent aux regards, ainsi que la facilité qu’elles procurent au spectateur de fixer son attention, & de comprendre aisément le but de l’action générale, équivalent à la simplicité fondée sur le petit nombre.

On sent, par ces explications, que les actions simples, & qui ont par elles-mêmes un caractère d’unité, ainsi que les mouvemens nobles, tendent d’eux-mêmes à ce qu’on entend par grand dans le langage de l’art. On conçoit par opposition que tout ce qui est compliqué, surchargé dans les choses, dans les actions, dans les expressions, s’éloigne du grand, & qu’il est plus difficile à l’artiste de l’y ramener.

Voilà ce qui regarde le choix du sujet & l’ordonnance. Par rapport au choix, c’est la simplicité noble & l’unité qui y impriment le sceau de la majesté & de la grandeur ; & quant à l’ordonnance, ce sont les dispositions des masses, des grouppes, soit d’objets, soit de lumières & d’ombres qui lui donnent le caractère grand.


Le choix des couleurs influe sur ces moyens, parce qu’il contribue à l’unité de l’harmonie & même du clair-obscur.

Si l’on parcourt les autres arts, on trouvera que le mot grand a les mêmes principes, & relativement à chaque art, les mêmes caractères de moyens.

Homère est grand dans l’Iliade, par la simplicité de son sujet, de son action, de ses détails même qui ne sont point compliqués, point trop décomposés, par son raisonnement qui est juste, ses expressions qui sont nobles sans recherche, & par la propriété des mots.

Un ouvrage d’architecture vaste, ou d’une dimension bornée, offre un grand caractère, lorsque ses masses sont simples, & que ses détails bien proportionnés, placés à propos & point surchargés d’ornemens, ne nuisent point à ce premier effet d’unité qui a été l’intention de l’Auteur, en disposant ses masses d’une manière grande. Un très-grand édifice peut avoir un petit caractère ; cependant il faut remarquer que, dans la seule architecture peut-être, une masse considérable de bâtiment, quoique défectueuse à bien des égards, comme les galeries du Louvre, & tels qu’étoient plusieurs édifices anciens dont il nous reste des vestiges, peut avoir un caractère grand. Une des raisons, c’est que le spectateur étant obligé, pour l’embrasser entièrement d’un regard, de s’éloigner beaucoup, les petits détails qui en forment les défauts, disparoissent, & qu’on n’apperçoit plus que des masses, qui, dans cet art, sont toujours régulières, parce qu’elles sont circonscrites par des lignes droites & forment des parallelogrammes réguliers pour la plupart.

Enfin dans le discours même, un mot qui enferme un sens bien juste, un sentiment bien décidé a quelque chose de grand par sa simplicité. C’est ce que l’on éprouve, lorsque le vieil Horace de Corneille répond : Qu’il mourut, & l’on voit sensiblement que le second vers, par un détail inutile en ce moment, affoiblit le grand qui résulte de deux mots simples qui expriment un sentiment très-noble.

Sur quoi je me permettrai d’observer que quelquefois, relativement aux bornes de l’intelligence des hommes, & aux desir fréquent qu’ils ont de les franchir, le vague & lé vaste dans les idées & dans les choses, produit assez souvent l’effet du grand, qui effectivement y semble compris. Levague n’offrant pas de détermination précise à l’esprit, & le vaste n’offrant aux regards que des limites indécises & très-étendues ; il en résulte une sorte de grand, à la vérité indéterminé, mais qui est imposant.

Ainsi, cette expression frappante : Un homme s’est rencontré, en impose, parce qu’elle représente vaguement un homme qui, peut-être unique sur la terre, s’offre dans une circonstance intéressante ; de même une plaine très-étendue, la surface de la mer, qui ne semble bornée que par l’horison, le tems, l’espace, l’univers, la nature, tous ces mots & tous ces objets enfin qui n’offrent que des idées vagues ont quelque chose de grand.

Je reviens, de ces idées vastes qui pourroient m’égarer trop loin de mon sujet, aux disciples de la peinture, pour ajouter à ce que j’ai dit en général sur le mot grand, quelques conseils plus relatifs à l’art qu’ils veulent pratiquer.

L’exagéré, l’outré, le gigantesque, sont les écueils que vous avez à craindre, lorsque vous desirez de vous montrer grands dans vos ouvrages, & ces écueils sont d’autant plus dangereux qu’ils se présenteront à vous, & vous attireront, si votre génie n’a pas, pour ainsi dire, en lui-même, la véritable mesure de la grandeur qui convient aux moyens de votre art. Une figure plus petite que nature peut avoir le plus grand caractère, & un figure gigantesque court risque, lorsque l’on manque de lui donner le caractère dont j’ai parlé, d’être d’autant plus imparfaite & d’autant plus ridicule, que ses défauts frappent alors en raison de ses dimensions.

La figure outrée dans son attitude ou dans son expression, ou dans ses mouvemens, est bien loin de la grandeur dont nous avons parlé.

La colère du maître du monde s’exprime avec grandeur dans Homère par un seul mouvement des sourcils.

Observez un petit homme : voyez-le démontrer son courroux ; l’activité le rend souvent ridicule, comme la pesanteur & la mal-adresse rabaissent, pour ainsi dire, le géant qui perd alors le caractère grand que sembleroit devoir offrir sa dimension

Ayez donc l’ame grande, si vous pouvez vous donner cette qualité ou cette dimension morale, & vos figures, vos compositions seront grandes. Il seroit aisé de reconnoître que cette perfection de l’art est une de celles qui dépendent le plus du caractère de l’artiste.

Il est vrai que j’ai eu tort peut-être de dire : ayez une ame grande ; car on ne se donne pas ce dont la nature seule s’est réservé la distribution, qu’elle exerce avec une inégalité, dont on a trop souvent droit de se plaindre ; mais enfin ce qui est certain, c’est qu’un peintre qui est obligé de chercher hors de lui des modèles du grand, s’y trompe souvent, ou les imite mal.

Il trouvera plutôt la beauté dont il ne sera pas doué, parce que la beauté a pour la laideur un attrait que la grandeur n’a jamais pour la petitesse à qui elle est plus ordinairement antipathique.


Soyez bien convaincus, pourroit-on dire à tous les hommes, que l’orgueil & la vanité sur-tout ne sont point la véritable grandeur.

Mais enfin, si, comme artiste, vous n’êtes pas né grand, consolez-vous ; sur-tout ne croyez pas en imposer par la vanité & par les dimensions gigantesques de vos figures. On peut être vertueux, estimable, & même très-bon peintre, sans avoir ce caractère grand dont traite cet article & sans entreprendre les ouvrages de peinture qui exigent principalement qu’on soit grand.

L’objet le plus essentiel dans les arts est de ne pas s’obstiner à la prétention de paroître ce que l’on n’est pas. Les efforts qu’on perd pour acquérir une perfection à laquelle on ne peut atteindre, privent même de celles qu’on a reçues de la nature. (Article de M. Watelet.)

GRANDIOSE (adj.) du mot grandioso, employé par les artistes d’Italie. Ce terme qui appartient plus particulièrement à la peinture que le précédent dont il dérive, en emprunte aussi en grande partie sa signification. Cependant le mot grandiose a un sens qui semble moins détermine. Il se dit d’une composition, d’une figure, même d’une seule tête, & désigne, pour ainsi dire, l’apparence du grand, ensorte qu’on diroit, cette esquisse, ou l’ébauche de ce tableau a quelque chose de grandiose ; cette tête à peine indiquée paroît grandiose : on dit dans le paysage, un site grandiose. Le grand suppose l’ouvrage terminé, & exprime un jugement précis & absolument terminé. (Article de M. Watelet.)

GRANDIOSITÉ (subst. fém.) La grandiosité ou le grand style, est comme l’observe M. Mengs, celui où le peintre a fait choix de grandes parties, en omettant les médiocres & les petites. Le visage de l’homme, par exemple, est composé d’un front, de sourcils, d’yeux, d’un nez, de joues, d’un menton, d’une barbe. C’est ce qui forme ses grandes parties, & chacune en renferme beaucoup d’autres plus petites. Si le peintre ne cherche qu’à bien représenter les parties principales dont nous venons de parler, il aura un grand style ; s’il s’arrête de même aux secondes, son style ne sera que moyen ou médiocre ; & lorsqu’enfin il descend dans les plus petits détails, son style devient petit, mesquin, & même ridicule. On peut donc tomber dans le style mesquin en peignant une figure collossale ; de même qu’on peut avoir un grand style, en représentant de petits objets.

Or, comme la peinture ne sert, qu’à rendre l’apparence visible des choses, & même leur apparence visible à une certaine distance du spectateur, elle aura atteint son but toutes les fois qu’elle nous donnera une idée claire, évidente, & qui ne fatigue point l’esprit : voilà ce qui fait due le grand style est en même-temps le beau style.

Quelques peintres célèbres se sont fait une fausse idée de la grandiosité & ont cherché à y parvenir par des routes tortueuses qui n’ont servi qu’à les en écarter. Michel-Ange, par exemple, auroit corrompu, par son ascendant, le goût de son siècle, si Raphaël ne s’y fût pas opposé par son goût plus judicieux. Michel-Ange, pendant la longue durée de sa vie, n’a jamais fait aucun ouvrage de peinture, de sculpture, ni peut-être même d’architecture, avec l’intention de plaire, ou de produire la beauté, qu’il ne connoissoit pas, sans doute ; mais seulement pour faire briller son savoir. On voit que, dans toutes ses figures, il a cherché les attitudes les plus violentes, les plus forcées, ou celles qui étoient les plus propres à faire paroître ses connoissances dans l’anatomie ; aussi a-t-il fortement prononcé les muscles & l’emplacement des os, comme s’il avoit craint que le spectateur n’eût pas reconnu son talent sans ces formes lourdes & chargées. Cet artiste croyoit cependant avoir un grand style, quoiqu’à la lettre il n’eût qu’un petit style, puisqu’il le chargeoit de tant de détails qu’il auroit dû négliger. Il suffit de voir son fameux jugement dernier, pour se convaincre de ce que je dis, & jusqu’où l’extravagance peut égarer un artiste dans la composition de ses ouvrages. M. Falconet a eu raison de dire que le célèbre Moyse de Michel-Ange ressemble plutôt à un forçat qu’à un législateur inspiré.

Ses ouvrages méritent pourtant d’être étudiés, pour se former dans la correction du dessin & dans la connoissance de l’anatomie ; mais en se rappellent toujours que ce ne sont là que des moyens qui peuvent conduire au véritable but de l’art. (Extrait des observations de M. le CHEVALIER AZARA, sur le traité de Mengs, intitulé : Réflexions sur la beauté & sur le goût dans la peinture).

GRAPPE DE RAISIN . C’est au célèbre Titien, dit-on, que l’art de la peinture doit les principes cachés qu’on donne à entendre aux artistes, par l’exemple de la grappe de raisin. Le savant peintre que je cite, qui peut être regardé comme un des plus grands coloristes qui aient existé, en refléchissant sans doute sur l’accord de la couleur & du clair-obscur, avoit observé que la dégradation des nuances & celle des effets de la lumière & de l’ombre, produisent dans un petit espace, à l’égard des grains qui composent une grappe de raisin, ce qu’ils produisent d’une manière moins démontrée & plus difficile à appercevoir sur les corps


divers, qui, dans un plus grand champ, s’offrent sans cesse à nos regards.

Titien se servit donc de cet objet de comparaison, pour développer ses idées & pour rendre plus frappantes les instructions qu’il donnoit à ses élèves. Dans ces instructions, il leur faisoit remarquer que chaque grain en particulier est l’objet d’une dégradation de lumière comme insensible & d’une dégradation de nuances extrêmement fines, à cause de la forme régulièrement ronde de chacun de ces grains, & qu’en même-tems, cas dégradations partielles sont toujours subordonnées elles-mêmes á une dégradation plus étendue, qui a lieu sur la grappe entière, regardée comme un seul corps : effet semblable dans ses principes & ses conséquences à celui qui s’opère dans chaque grain en particulier.

De ces observations, tirées de la grappe de raisin, il entroit sans doute dans tous les détails qui sont du ressort de l’accord des grouppes & de l’harmonie du coloris & du clair-obscur.

Nous trouvons l’application de ces loix qu’il connoissoit si bien, dans ses ouvrages ; mais il faut avoir déjà fait un chemin assez considérable dans l’art de la peinture par le raisonnement & l’observation, pour être en état d’entendre ces leçons pratiques, de lire dans les tableaux des grands maîtres & d’en profiter. Rien n’est aussi juste que le conseil qu’on donne aux artistes qui commencent leur carrière, lorsqu’on leur dit : Voyez, étudiez les ouvrages de Titien, de Raphaël, de Vandick. Ils cherchent à obéir sans doute ; mais s’il en est beaucoup qui regardent, il en est peu qui voyent. (Article de M. Watelet.)

GRAVER (v. act.) Graver en bois, en pierres fines, graver des médailles, graver à l’eau-forte, au burin, en manière noire, à la manière du crayon, en gravure pointillée.

L’art de graver en médailles tient à la partie de la sculpture qu’on nomme bas-reliefs, & n’en diffère pas pour l’art. Celui de graver en pierres fines tient à la sculpture en bas-relief & en ronde-bosse. Le métier de ces deux genres de gravure ou se sculpture en petit, appartient entièrement à la pratique.

La théorie de la gravure en bois est la même que celle de la gravure à l’eau-forte & au burin ; en observant cependant que les procédés de la gravure en bois & la matière sur laquelle elle opère, ne lui permettent pas toutes les finesses & toutes les ressources qu’offrent la pointe & le burin opérant sur le cuivre.

La théorie de la gravure, en manière noire, de la gravure colorée, de la gravure pointillée n’est pas différente de celle du dessin. On se contentera d’en indiquer en peu de mots la manœuvre à l’article GRAVURE, & on se réservera

servent réservera d’en parler avec l’étendue convenable dans le Dictionnaire de la pratique.

La théorie de la gravure dans la manière du crayon est bien simple, puisqu’elle consiste à copier servilement les hachures & le grené du dessin qu’on veut rendre. C’est donc dans le Dictionnaire de la pratique qu’on doit chercher les détails de ce métier.

Mais quoique la gravure à la pointe & au burin ne soit qu’une manière de dessiner ou de peindre avec l’un de ces deux instrumens, ou avec ces deux instrumens combinés, cependant comme ils produisent des travaux bien différens de ceux du crayon ou du pinceau, & que l’expérience & l’observation des artistes ont fait connoître quels étoient ceux de ces travaux qui convenoient le mieux aux différens objets, la théorie de cette gravure est devenue sort étendue. Nous allons en donner quelques détails, non pour éclairer les artistes, mais pour satisfaire ceux des amateurs qui ne sont pas entrés dans une connoissance intime d’un art qui fait leurs plaisirs.

Pour rendre ces détails intelligibles, il est nécessaire de dire ici quelque chose de la pratique.

La planche destinée à graver à l’eau-forte est entièrement couverte d’une couche très-mince de vernis noirci à la fumée. On se sert pour graver sur ce vernis de pointes d’acier ajustées à un manche de bois, gros à-peu-près comme une très-forte plume. Chaque trait de pointe doit enlever le vernis & laisser le cuivre a découvert sur son passage. Ainsi ce qui sera blanc dans l’estampe, conserve sur la planche le noir du vernis, & ce qui sera noir a la couleur du cuivre que l’opposition du vernis rend très-brillante. Quand le travail est fini, on le fait creuser plus ou moins par l’eau-forte. Ce n’est pas ici le lieu de parler de cette opération.

La gravure au burin opère sur le cuivre nud. On commence seulement par tracer à la pointe sur le vernis le contour, & les places des principales formes, des ombres & des lumières ; mais on ne fait pas mordre ces traits à l’eau-forte, & on découvre le cuivre quand ils sont entièrement placés. Ils n’y laissent qu’une trace légère, qui se perdra d’elle-même dans la suite du travail.

Le burin est une sorte de lame épaisse d’acier, quarrée ou lozange, terminée en pointe, & coupant d’un seul côté. Elle est montée d’un manche de bois en forme de pomme, ou de champignon, qu’on coupe d’un côté pour que l’instrument avec son manche puisse se coucher à plat sur le cuivre. Ce manche, quand on grave, est appuyé contre le creux de la main, ou plutôt contre la partie intérieure de la main que touche le bout du petit doigt quand on le ferme sans effort. Le pouce & le doigt du milieu pressent


& contiennent la lame du burin dont le doigt index couvre le dos. Cet instrument est poussé par l’os du bras.

Que cela suffise maintenant pour les moyens purement méchaniques de la gravure, & passons aux moyens de l’art.

La taille principale doit être tracée dans le sens du muscle si ce sont des chairs que l’on grave, suivre la marche des plis si ce sont des draperies, être horisontale, inclinée, perpendiculaire suivant les différentes inégalités du terrein, si l’on a des terrasses à graver. Comme on peut considérer des fabriques sous deux dimensions différentes ; leur largeur & leur hauteur, on peut en établir la première taille horizontale ou perpendiculaire. Le sens perpendiculaire doit être préféré dans les colonnes, parce qu’une colonne ayant bien plus de hauteur que de diamettre, doit être considérée plutôt comme un corps qui a de la longueur, que comme un corps qui a de la largeur, mais sur-tout parce que si l’on préféroit de la graver suivant sa dimension en largeur, on seroit obligé de tenir la taille concave vers la base, horizontale au milieu, & convexe vers le chapiteau, ce qui feroit un effet désagréable à l’œil. C’est bien assez de recourir à ce moyen, quand le ton oblige de soutenir la première taille par une seconde. Mais comme, dans une composition historique, il oit rare que l’on voye une colonne entière, le graveur peut souvent établir sa taille suivant le diamètre de la colonne.

Il faut encore considérer qu’une fabrique peur être vue de face ou fuyante. C’est uniquement quand elle est vue de face que les tailles peuvent être horizontales ; si elle est vue en fuyant, les tailles doivent suivre la ligne que leur prescrit la perspective & tendre au point de vue.

On peut observer dans la gravure des draperies que lorsqu’un pli est long & étroit, la taille principale doit suivre la longueur du pli en se resserrant à son origine ; qu’elle doit tendre à la ligne perpendiculaire dans les plis tombans, & suivre la largeur des plis lorsqu’ils sont amples. Une pratique contraire, & l’affectation de ne pas abandonner l’ordre des travaux une fois établis dans les occasions même où il y auroit eu de l’art à les quitter brusquement, a répandu de la mollesse sur les estampes de Blœmart de ses imitateurs. Ce sont les graveurs qui ont employé le mêlange de la pointe & du burin, & sur-tout Gérard Audran, qui, par leur exemple, ont détourné de ce procédé vicieux, même les graveurs au burin pur.

Quelques estampes d’Augustin Carrache, entr’autres son Saint-Jérôme, peuvent donner de savantes leçons pour l’art d’établir les premiers travaux des chairs.

Quelquefois, dans les chairs d’hommes, la

Tome I. Beaux-Arts. Yy taille principale peut suivre, sur-tout vers le contour, la longueur du muscle. Ce travail un peu roide, & dont il ne faut pas abuser, exprime bien la force de l’action.

Dans les racourcis la taille doit suivre le sens que lui impose la perspective ; quand un membre fuit par le trait, il seroit ridicule qu’il avançât par le travail.

Les principes que nous venons d’établir ne sont pas toujours bien évidemment suivis dans les eaux-fortes de peintres ; mais les licences agréables que se sont permis quelques artistes ne sont pas des règles. De ce que Benedette, Rembrandt, & même la Belle se sont permis de jouer avec la pointe, parce qu’ils prévoyoient tous les agrémens qui résulteroient de ce jeu on ne conclura pas que l’art doive toujours être traité comme un ingénieux badinage. D’ailleurs en observant bien leur travail, on verra que les règles y sont moins enfreintes que dissimulées.

On sentira, sans qu’il soit besoin d’en avertir, que les travaux des premiers plans devant être plus nourris que ceux des plans reculés, les ombres plus fortes que les demi-teintes, les terrasses plus brutes que les chairs & les draperies, il ne faut pas tracer l’ouvrage entier d’une même pointe, que certains travaux demandent à être tracés d’une pointe plus forte, d’autres d’une pointe plus déliée.

Sans nous arrêter à l’exemple de Mellan, & à celui de plusieurs graveurs en petit, on peut dire généralement qu’un seul rang de tailles ne suffit pas à rendre tous les tons qui doivent entrer dans une estampe. La première doit souvent être croisée d’une seconde, & quelquefois même d’une troisième & d’une quatrième. Delà résultent différens grains dont les objets reçoivent la variété qui les caractérise.

Quoiqu’on ne risque guère d’établir des troisièmes, & encore moins des quatrièmes à l’eau-forte, parce que l’acide de cette liqueur causeroit des accidens au vernis dans les endroits où il seroit surchargé de travaux, nous dirons cependant ici en passant que la seconde doit être plus écartée & plus fine que la première, la troisième plus que la seconde, & la quatrième encore plus. Quand il ne s’agit que de sacrifier entièrement une partie, en sorte que les travaux n’en pourront être distingues, il devient inutile de suivre scrupuleusement cette règle.

Dans les travaux des chairs, la première & la seconde doivent former par leurs sections plutôt des lozanges que des quarrés. Le quarré sera réservé pour les matières inflexibles, comme la pierre. Le demi-lozange, ou même le lozange parfait, conviennent mieux à la mollesse de la chair. Les chairs de femmes étant plus délicates doivent donc tendre plutôt au lozange


parfait, & celles d’hommes approcher davantage du quarré. Il est à-propos d’éviter le lozange parfait, & à plus forte raison le lozange outré, dans les parties qui doivent être poussées à un ton vigoureux, parce qu’il faudroit trop de petits travaux pour éteindre le blanc que ce grain laisseroit.

Après avoir ébauché à la pointe les ombres des chairs par des travaux nourris & profonds, & les demi-teintes par des travaux plus légers, & souvent par une seule taille, on a besoin d’un travail plus léger encore pour parvenir doucement à la lumière. Ce travail consiste en points. On peut le prendre d’un peu loin, le commencer par des points longuets en forme de tailles interrompues, & le terminer par des points ronds. On peut, suivant que le goût l’inspire, & que la chair qu’on veut traiter est plus ou moins délicate, tracer les points longs en lignes droites, ou leur faire décrire de foibles courbes.

Un graveur très-justement célèbre, M. Cochin, a conseillé de ranger les points ronds avec beaucoup d’ordre, parce que l’épaisseur du vernis, occasionnera toujours dans cet ordre de foibles dérangemens qui les éloigneront assez de la froide regularité. On les rangera donc, suivant son conseil, comme les tailles dont ils sont la continuation, & on aura soin qu’ils ne soient pas les uns au-dessus des autres, mais que chaque point d’une taille ponctuée réponde à un blanc de la taille ponctuée supérieure & inférieure.

Cependant si l’on veut, comme Gérard Audran en a laissé des exemples, traiter quelques parties en points empâtés, on pourra, dès l’eau-forte, établir des points sans ordre, qui n’auront d’autre fonction que celle de peindre. Des points plus nourris seront empâtés par d’autres plus légers & moins profonds. Ce premier travail pourra n’être pas agréable par lui-même ; mais il sera facile, en terminant, de le nétoyer & d’achever de le peindre par un mêlange d’autres points au burin & à la pointe sèche. Ce procédé peut avoir ses agrémens & ses avantages. Il est du nombre de ceux qu’on ne doit conseiller aux artistes de suivre ni d’éviter, parce que, dans ces choses indifférentes par elles-mêmes, & qui doivent tout leur mérite à l’art de ceux qui les employent, chacun a sa manière d’opérer qui lui est propre, & réussiroit moins s’il vouloit en changer.

Comme les draperies sont des substances qui ont de la mullesse, le grain lozange semble sur-tout leur convenir. On peut donc en tenir les tailles encore plus lozanges que sur les chairs, sur-tout dans les parties qui ne sont pas plongées dans une ombre obscure. C’est la méthode qu’a suivie dans plusieurs de ses ouvrages Jacques Frey, imité par Wagner, & de nos jours par MM. Strange & Bartolozzi. L’agrément de ce travail a été presque généralement senti, & la plupart des graveurs modernes l’ont adopté. On voit que les Drevets avoient reconnu tout l’avantage de ce grain, & on peut le remarquer souvent dans leurs ouvrages. Edélinck & Nanteuil ont été plus prodigues du quarté ; mais ce n’est point à cet égard qu’ils méritent d’être préférés à leurs successeur. On ne risque rien d’approcher du quarré dans les masses très-sourdes, parce qu’il a plus de repos ; mais quelque genre de travail qu’on employe pour les draperies, au moins doit-on toujours les graver par tailles souples & ondoyantes. Des tailles roides représenteroient plutôt du bois ou de la pierre que des étoffes.

Le linge veut être préparé d’une seule taille, plus fine & plus serrée que celles des étoffes qui ont plus d’épaisseur. Il ne faut pas se hâter de le couvrir d’une seconde, encore moins d’une troisième ; on doit chercher au contraire à l’approcher du ton autant qu’il est possible avec une seule taille. Par cette méthode les tailles dont on le croisera ne seront que le glacer, & conserveront á ses ombres de la transparence.

Il semble qu’en général le grain lozange, ou approchant du lozange, convient à toutes les parties transparentes ou reflétées : & le grain approchant du quarré à toutes celles qu’on veut tenir d’une obscurité sourde & profonde.

Nous avons établi pour règle générale de la disposition réciproque des tailles, que la première soit plus nourrie & plus serrée que la seconde, &c. : mais dans les parties fort sourdes, & très-obscures, une règle supérieure fait oublier celle que nous venons de rapporter ; c’est d’employer tous les moyens d’éteindre ce qui pourroit tenir de la lumière, & la manière la plus sûre d’observer cette loi, est de serrer & de nourrir presque également tous les travaux, & d’employer, s’il est possible, le quarré parfait, parce qu’il laisse moins de blanc que le lozange & le quarré long.

La pierre neuve & bien conservée exige des tailles d’un quarré parfait, & la seconde doit être égale à la première en force & en distance. Mais la vieille pierre, rongée en partie par le tems, contracte à sa surface une apparence de mollesse qui s’exprime par des travaux moins austères. Là se peuvent employer des tailles tremblantes, interrompues, des travaux grignotés, & quelquefois un badinage de pointe qui exprime la mousse dont cette pierre est couverte.

Le bois se prépare par une taille longue qui en suit les fibres, moins parfaitement droite, moins ferme, moins régulière que pour la pierre. Les brisures & les fibres du bois s’expriment par des tailles plus ferrées, les nœuds par des tailles tournantes ; la seconde peut être


lozange ou quarrée sur la première, mais elle doit toujours être moins serrée.

Des tailles courtes, fort tremblées, souvent interrompues, sa changeant souvent en points irréguliers, inégaux entr’eux, qui suivent quelquefois les tailles, & quelquefois les contrarient, tels sont le travaux qui conviennent aux chaumières, aux masures, aux cabannes rustiques. Ils doivent dominer dans les parties de demi-teinte & de reflet, & s’il faut qu’ils soient couverts de secondes tailles, elles participeront au même genre, couperont quarrément les premières, & seront assez écartées pour ne servir que de glacis. On se rapprochera du quarré parfait dans les fortes ombres.

Comme la terre est encore plus molle que la substance des chaumières, elle sera gravée d’un travail encore moins ferme, plus brut, plus inégal. On ne risquera rien d’outrer ici le lozange ; tous les petits travaux qu’on employera pour en éteindre les blancs n’imiteront que mieux la molesse de la terre. Ce seront aussi des travaux très-lozanges qui formeront les masses d’ombre dans la feuillé des arbres ; on y rappellera quelques-uns dés travaux qui, sur les lumières, caractérisent ce feuillé. Dire ce que doivent être ces travaux suivant les différentes espèces d’arbres, & les différentes formes de leurs feuilles, ce seroit vouloir donner par écrit une leçon qui ne peut être prise avec fruit que par l’étude de la nature & l’observation des tableaux des plus habiles paysagistes. On peut avertir du moins qu’on ne s’en acquittera jamais bien qu’avec une grande liberté. C’est-là sur-tout qu’on ne peut rendre que par d’adroites indications l’ouvrage de la nature ou celui de ses copistes, & qu’on s’en écartera d’autant plus qu’on voudra les suivre plus servilement.

Les cheveux se gravent par masses ; quelques poils voltigeans, de petites masses détachées des grandes, en marquent la légèreté. L’affectation de multiplier les poils voltigeans, comme l’a fait Masson, nuiroit à cette légèreté, parce que la gravure, quelle que soit la finesse de ses travaux, donneroit toujours trop de grosseur à ces poils.

Les crins des chevaux, lorsque ces animaux sont en bonne santé & proprement entretenus, offrent une surface si lice qu’on doit en négliger les détails, excepté à la queue, à la crinière &c. On grave donc le cheval sans avoir égard aux crins lisses dont la peau est couverte. Mais il n’en est pas de même des animaux à long poil, ou à laine frisée. On ne les gravera jamais mieux qu’à l’eau-forte, parce que le travail de ces poils demande une liberté, une sorte de badinage, une indication spirituelle, à laquelle semble se refuser la marche grave du burin.

Les plumes exigent des travaux légers, propres

Yy’ij & brillans. Si la proportion est un peu grande, le burin s’en acquittera mieux que l’eau-forte sur-tout vers les lumières. Il y a cependant des plumes flexibles, frisées, jouantes, telles que celles de l’autruche, & même celles de la queue des cocqs, qu’on ébaucheroit à l’eau-forte avec plus de succès. Quelque procédé que l’on suive, il ne faut jamais le hâter de les couvrir de secondes.

Les métaux demandent un travail ferme & brillant comme eux-mêmes. C’est encore une des parties que réclame le burin.

La légèreté des nuages, leurs formes capricieuse, leur mollesse, seront mieux exprimées par l’eau-forte. Sur-tout il ne faut pas pour cette partie consulter les estampes d’Annibal Carrache, de Villamene, de Golzius, de Muller. Les nuages y ressemblent à des outres pleines de liqueur. Il faut éviter, ainsi que dans les draperies, les formes qui ressembleroient à des figures grottesques d’homme, ou d’animaux, à des têtes grimaçantes, &c.

Les eaux tranquilles ont l’éclat d’un miroir & se gravent de même ; on petit donc les réserver pour le burin. Sa fermeté rendra bien aussi l’apparence des longues vagues de la mer ; un léger travail de pointe en exprimeroit mieux l’écume.

C’est à l’eau-forte à rendre les tiges noueuses des arbres, les brisures de leurs écorces, les mousses dont elles sont couvertes, la légèreté des feuilles. Cependant Sadeler & d’autres graveurs au burin ont exprimé ces détails avec succès.

En général, dans quelqu’objet que ce soit, les lumières & les demi-teintes qui les avoisinent doivent être peu chargées de travail, & exécutées d’une pointe fine & coupante. On peut l’y faite badiner quelquefois, pour tempérer le sérieux des autres travaux. C’est un conseil que donnoit un très-habile graveur, Nicolas Dupuis, & il le tenoit de Duchange, qui s’étoit formé lui-même à l’école de Gérard Audran.

Dans les corps arrondis, les tailles, en s’approchant du conteur, doivent elles-mêmes s’arrondir. Il faut, ainsi que la forme qu’elles expriment, qu’elles semblent se continuer dans la partie que le spectateur ne voit pas, mais qu’il pourroit voir s’il lui étoit permis de tourner autour de la figure qui est supposée de relief. On trouve des exemples contraires dans de bonnes estampes ; mais les bons ouvrages ont leurs défauts.

Les troisièmes tailles sont destinées à achever de peindre, à colorer, à éteindre, à sacrifier. Nous avons dit qu’on les réservoit ordinairement pour le burin Il y a cependant des parties qui demandent un travail fort brut & une teinte très-vigoureuse ; c’est là qu’on peut brayer les


accidens de l’eau-forte : ils contraindront l’artiste même timide à pousser son ouvrage entier à un haut ton de couleur, & deviendront heureux quand la planche sera terminée. Les bonnes eaux-fortes des peintres peuvent inspirer aux graveurs une audace louable.

L’air interposé entre l’œil du spectateur & les objets éloignés, efface les contours de ces objets, en détruit les détails, & ne laisse plus appercevoir que les masses enveloppées de vapeurs. C’est ce que le graveur doit observer, & ces masses indécises seront heureusement avancées par le travail de la pointe. Les tailles ne suivront pas les tournans des objets, mais elles seront établies par couches plattes. Une tour à plusieurs côtés, une tour ronde, font le même effet à une grande distance : cet exemple seul prouve assez que les travaux qui arrondissent seroient déplacés sur les plans reculés. On ne peut prendre, à cet égard, de meilleurs modèles que les estampes de Gérard Audran.

Il donne aussi l’exemple de resserrer d’autant plus les travaux que les plans s’éloignent davantage. Chez lui les premiers plans sont gravés en tailles fort nourries ; elles s’affoiblissent & se resserrent à mesure que les plans gagnent le fond de la scène. Ce procédé est le plus gênéralement suivi ; mais d’habiles graveurs n’ont pas craint de s’en écarter. De bonnes raisons peuvent empêcher de les prendre en cela pour modèles ; d’autres raisons, bonnes elles-mêmes, doivent empêcher de les condamner.

Il est bien vrai que des travaux larges & nourris conviennent bien au pinceau fier & coloré qui peint les premiers plans, & que la perspective linéale semble ordonner que les tailles, en fuyant, se ferrent davantage, comme la perspective aërienne ordonne qu’elles se dégradent de force & deviennent toujours plus légères.

Mais on peut faire une autre observation ; c’est que sur les premiers plans les formes sont plus détaillées, parce qu’un moindre volume d’air interposé entr’elles & l’œil du spectateur, permet de les voir plus nettement ; or, tel détail qui mériteroit d’être conservé ne pourra l’être, si l’on ne serre pas les travaux de ces premiers plâns.

Supposons par exemple qu’on se propose de graver une main d’après un tableau où cette partie soit bien étudiée ; supposons encore qu’elle ait sept pouces de long dans le tableau, & qu’elle soit réduite à un pouce dans la gravure. Il sera déjà bien difficile dans cette réduction à un septième de conserver les détails même les plus précieux : mais si l’on ne fait entrer que trois tailles dans une ligne, on sent que la difficulté augmente, & va même jusqu’à l’impossibilité. Aussi voit-on que les graveurs qui traitent le plus largement les chairs, resserrent leurs travaux sur les extrémités, peut-être moins par réflexion, que parce qu’ils y sont conduits par la multiplicité des détails.

Il faut encore observer que le plus grand vice de la gravure considérée comme une manière de peindre, c’est d’être obligée de laisser des blancs entre ses travaux : ces blancs ont, par opposition, d’autant plus de force, que les tailles sont plus profondes & plus nourries ; c’est donc sur les premiers plans qu’ils pétillent davantage : mais plus les travaux seront serrés & moins ils laisseront de ces blancs entr’eux.

C’est ce qui a engagé d’anciens graveurs, tels que Hollar, Sompelen, & parmi les modernes, J. J Flipart à serrer à-peu-près également tous, leurs travaux ; se contentant de nourrir seulement davantage ceux des premiers plans. Ils ont à cet égard considéré les tailles comme une couleur, telle par exemple que l’encre de la Chine, & ils ont cru qu’il suffisoit de tenir cette couleur plus ou moins vigoureuse suivant l’indication des plans.

Avant que J. Ph. Lebas, artiste qui a bien mérité de la gravure, eût fait contracter à ses élèves l’habitude de graver à la pointe sèche les parties claires des ciels, méthode que son exemple a rendu générale, on écartoit ordinairement davantage les tailles pour rendre d’une teinte plus légère les parties d’un ciel clair les plus éloignées du spectateur, & les plus voisines de l’horison : c’étoit encore la pratique de Vivarés, célèbre graveur de paysage. Il est donc prouvé, par cet exemple, que des travaux larges, mais tendres peuvent fuir, & par la même raison, que des travaux serrés, mais vigoureux peuvent avancer, & que, par conséquent, c’est par le ton qu’en gravure des objets s’avancent ou reculent, & non parce que les travaux sont plus ou moins serrés.

Ce même Lebas, à qui l’on ne reprochera pas le défaut d’intelligence, avoit pour maxime de serrer les premières tailles, même sur les plans avancés, pour donner à la gravure le repos du lavis.

Les principes que nous venons d’établir d’après la pratique des maîtres les plus estimés, doivent s’appliquer aux ouvrages à la pointe, qui seront terminés au burin. Les peintres qui se sont un amusement de la gravure à l’eau-forte ne s’attachent guère qu’à l’effet, & soumettent leur travail à peu de règles. Il résulte souvent de leur licence, limitée par le savoir & par le goût, des travaux que les graveurs de profession peuvent envier, & qu’ils doivent même tâcher d’imiter à propos.

Des inégalités pittoresques de travaux, des jeux de pointe inspirés par le goût, ont une grace particulière dans les parties voisines des lumières. Il ne faut donc pas admettre sans in-


terprétation ce qu’on lit dans l’ancienne Encyclopédie, article Gravure, que les ombres admettent un travail ferme & plus rempli d’accidens & d’inégalités. D’abord la fermeté du travail semble en exclure les inégalités. Ensuite comme les ombres exigent un grand repos, des accidens y seroient contraires puisqu’ils détruiroient la tranquillité de la masse. Sans doute l’auteur de cet article a voulu dire que les inégalités, les accidens de l’eau-forte étoient sans conséquence dans les fortes ombres, parce que l’artiste seroit toujours maître, en terminant, de rétablir le repos dans ces masses vigoureuses, en les reprenant au burin, & y ajoutant de nouveaux travaux.

Quoique tous les genres de peinture aient été rendus avec succès par les différentes manières de graver, soit à la pointe, soit au burin, soit en combinant ces instrumens, il faut cependant avouer que certains tableaux semblent demander le concours du burin & de l’eau-forte, que pour les uns l’eau-forte doit dominer, que pour d’autres le burin doit faire la plus grande partie de l’ouvrage, & que d’autres enfin paroissent exiger le burin pur. Sans doute, à l’aide du burin seul, on auroit pu graver, & bien graver, les batailles d’ Alexandre ; mais qui ne regretteroit pas que la gravure n’en eût point éte préparée par la pointe d’Audran ?

Tous les tableaux où dominent des objets que l’art exprime plutôt par une indication spirituelle que par une imitation précise de la nature, conviennent mieux au travail spirituel de l’eau-forte. Tel est le paysage, puisque tout le monde avouera qu’il est impossible à l’art de copier scrupuleusement le feuillé des arbres, les accidens de leurs écorces, les brins d’herbe, les mousses, le sable & toutes substances dont la terre est couverte ou composée.

Les animaux à longs poils, à laine frisée appartiendront à l’eau-forte par la même raison, aussi bien que les vieilles fabriques, les ruines, &c. Le travail de la pointe doit dominer dans tous ces objets.

Comme la peinture d’histoire doit être traitée d’un pinceau large & facile, que les petits détails des formes & des tons y sont négligés, qu’elle rend tous les objets de la nature, & tous avec liberté, qu’elle est ennemie de ce fini extrême qui est le fruit d’un travail lent & pénible ; il semble, malgré les beaux exemples contraires, que la gravure n’étant qu’une traduction de la peinture, c’est le mélange de la pointe & du burin qui doit être consacré à la grande histoire. Cette manière a plus de moyens que le burin pur d’imiter la fière liberté de la brosse ; comme elle est plus facile, elle convient à la facilité qui brille dans la peinture de l’histoire ; plus, prompte dans ses opérations, elle permet à l’artiste de conserver quelques étincelles du feu de son auteur ; enfin deux moyens combinés doivent mieux réussir qu’un seul à rendre dans un même ouvrage tout ce qui peut être l’objet de l’art de peindre. Je sais combien est imposant l’exemple des Bolswert, des Pontius, des Worstermann, qui ont traduit en gravure, à l’aide du burin seul, les chefs-d’œuvre de Rubens, & celui d’Augustin Carrache, des Edelinck, des Roullet, qui ont multiplié avec tant de succès ceux des grands maîtres de la France & de l’Italie : mais si plusieurs de ces artistes ont imité avec le burin les travaux de la pointe, pourquoi n’employeroit-on pas la pointe elle-même ? Et sur-tout à présent qu’on se feroit un scrupule d’animer le burin, & de lui donner une chaleur, un ragoût qu’on craindroit qui nuisît à son éclat le plus brillant, à sa plus grande propreté, il est devenu moins convenable que jamais à la gravure de l’histoire.

Je ne dois pas omettre ici ce qu’on lit à ce sujet dans l’ancienne Encyclopédie, à l’article Gravure, parce qu’on pourroit encore le répéter ; car on peut remarquer que la vérité se communique avec peine, & que l’erreur est contagieuse. « L’histoire est l’objet principal de la peinture, dit l’auteur de cet article. On peut exiger, pour qu’elle soit traitée parfaitement par un peintre, que toutes les parties de son art y concourent ; que le beau-fini soit uni à la grandeur du faire, à la perfection de l’effet, & à la justesse de l’expression. Un tableau de cette espèce, s’il y en a, pour être gravé parfaitement, doit être rendu dans l’estampe par toutes les parties de la gravure. Le burin le plus fin, le plus propre, le plus varié, le plus savant sera à peine suffisant pour imiter parfaitement le tableau dont je parle. Le travail de l’eau-forte donneroit trop au hasard, & je crois qu’il nuiroit à l’exécution. »

L’amateur qui a fait cet article avoit de grandes connoissances, mais il ne semble pas les avoir eu présentes à l’esprit au moment où il écrivoit ce paragraphe, & il faut avouer qu’il s’est trompé. Qu’entend-il, quand il dit que, dans un tableau d’histoire, le beau fini doit être uni à la grandeur du faire ? Comment n’a-t-il pas senti que cette grandeur de faire seroit détruite par un fini extrême, (car on ne peut ici entendre autrement ce qu’il exprime par un beau fini,) & qu’un tableau d’histoire perdroit en effet du mérite qui lui est propre, au lieu d’acquérir une beauté nouvelle, si le peintre s’amusoit à caresser son ouvrage au lieu de le couvrir de feu ? Vouloit-il donc qu’un tableau d’histoire, pour être parfait, fût exécuté avec la chaleur & la grandeur du faire de Rubens, & avec le beau fini de Vander-Werf ? C’est exiger deux qualités contradictoires, dont la


dernière a son mérite quand elle est bien placée, mais qui ne convient absolument pas au genre dont nous parlons.

En écartant, comme on le doit, de la peinture d’histoire ce rendu précieux, voyons si elle a d’autres parties qui excluent la gravure à l’eau-forte. Le dessin sera-t-il du plus grand style, & de la plus grande pureté ? Gérard Audran a prouvé que la pointe pouvoit, aussi bien que le burin, suivre les contours les plus purs. L’expression sera-t-elle de la plus grande force, de la plus grande vérité ? L’eau-forte en ébauchera très-bien le caractère, le burin ajoutera les derniers traits. Aura-t-elle l’harmonie du Corrège ? Duchange, en gravant le Corrège, a rendu cette harmonie par le mêlange de l’eau-forte & du burin. Aura-t-elle l’effet piquant des tableaux de Rembrandt ? Lui-même a démontré que cet effet pouvoit se rendre à l’aide de l’eau-forte & de pointe sèche ; il peut donc se rendre, à plus forte raison, en y joignant le burin. Mais si dans le tableau si parfait que suppose notre auteur, il se trouve des fabriques rustiques, des palais ruinés, dont les débris soient couverts d’herbes & de mousse, de vieux arbres dont les troncs soient rongés par le temps, des moutons à laine frisée, des chèvres à long poil, des nuages tourmentés, des eaux écumeuses, des terrasses inégales, l’eau-forte qui, jointe au burin, a déjà purendre les autres objets, sera nécessaire pour ébaucher ceux-ci avec tout l’esprit, tout le sentiment qu’y a imprimés le pinceau.

L’auteur veut que le tableau dont il parle soit rendu par toutes les parties de la gravure. Mais comme l’eau-forte en est une partie considérable, comme cette partie, dans les objets auxquels elle est propre, ne sauroit être complettement suppléée, elle ne doit donc pas être exclue : & c’est l’auteur lui-même qui a préparé cette conséquence.

Il veut que son tableau soit gravé du burin le plus fin, le plus propre, le plus varié. Mais s’il est gravé du burin le plus fin & le plus propre, il ne sera donc pas gravé du burin le plus large, le plus moëlleux, le plus libre, le plus ragoûtant ; il ne le sera donc pas du burin le plus varié.

« Le travail de l’eau-forte, ajoute-t-il, donneroit trop au hasard. »

Il auroit dû supposer qu’un graveur habile dans son art & dans le dessin, n’ignore pas qu’elles sont les parties où il peut abandonner en quelque sorte sa pointe à elle-même, & la laisser se jouer sur le vernis ; celles où il doit la contenir & ne lui permettre de tracer que des travaux purs, fermes & caractéristiques, & celles qu’il doit réserver au burin. On ne voit pas dans les belles estampes de Gérard Audran, dans celles de Duchange, de Cars, des Dupuis. de Desplaces que l’eau-forte n’ait pas été conduite par l’intelligence des artistes, & qu’elle ait produit des hasards malheureux ; on voit au contraire que cette intelligence a réglé même les travaux qu’ils semblent avoir abandonnés au hasard.

Nous ne craindrons donc pas d’avancer que le mêlange de l’eau-forte & du burin convient en général à la gravure de la grande histoire. Nous avons déjà vu comment devoit se disposer le travail de l’eau-forte : voyons maintenant comment le burin doit le terminer.

Comme le burin se pousse avec la paume de la main, au lieu de se conduire avec les doits, on sent que sa marche la plus naturelle est la ligne droite. La première difficulté qui se rencontre dans le maniement de cet outil, est donc de vaincre sa roideur. Quand on a surmonté cette difficulté & qu’on est parvenu à lui donner de la soupsse, le plus grand danger est de se livrer au desir de montrer son adresse en lui faisant tracer des lignes circulaires.

C’est une suite de l’amour-propre de vouloir, dans quelque genre que ce soit, montrer qu’on est capable de faire ce que les autres trouvent le plus difficile. Au mérite de suivre la raison, on préfère le plaisir d’étonner, & l’on abandonne le vrai beau pour se livrer au difficile. Dans les écrits, on recherche les expressions les moins naturelles, les tours les moins familiers, les idées les moins simples ; dans la musique on remplace par des traits le chant & l’expression ; dans la peinture, on affecte des poses outrées, tandis que l’homme prend naturellement la position la plus commode ; dans la gravure au burin, on se plaît à montrer qu’on peut faire suivre à cet instrument les chemins les plus bizarres, tandis qu’il faudroit régler sa marche sur celle qu’indiquent les plans des différens objets.

L’artiste sage évitera ces affectations. Quoiqu’il n’ait pas négligé de se rendre le burin assez familier pour lui faire tracer les tailles les plus difficiles, il n’abusera pas de cette aisance, & quittera sa taille commencée dès qu’elle cessera de convenir au plan qu’il doit suivre. Au lieu de s’obstiner à prolonger la même traille, il changera de tailles suivant le sens des muscles, la marche des plis, &c. Il évitera cependant qu’une suite de travaux brusquement abandonnés & voisins d’une autre suite de travaux qui les contrarient, offre l’apparence d’une piece. Souvent il trouvera moyen de lier un plan à un autre plan, en reprenant & continuant la première taille de l’un, pour la faire servir de seconde à l’autre ; quelquefois il se contentera de lui ménager l’office de troisième.

Soit donc que l’on prépare une première taille à l’eau-forte, ou qu’on l’établisse au burin, c’est à la forme qu’elle doit exprimer à lui pres-


crire le sens qu’elle doit suivre, & la longueur qu’elle doit avoir en qualité de première. On trouvera presque toujours moyen de la lier, de quelque façon que ce soit, aux suites voisines de tailles. Dans les draperies, il est quelquefois de l’art de faire contrarier les travaux entr’eux, quand les plis se contrarient eux-mêmes au lieu de se suivre. La principale règle, en tout cela, est d’obéir à l’indication de la nature ou du tableau.

Les tailles courtes plaisent dans les eaux-fortes, lorsqu’elles sont établies par des artistes habiles, parce qu’elles dessinent bien les plans. Cet avantage doit se retrouver dans la gravure au burin, & il a, dans l’art, trop d’importance pour qu’on doive en faire le sacrifice à la vanité du métier. Le graveur, qui manie bien le burin ne manquera jamais d’occasions de montrer ce talent, & trouvera toujours moyen de placer raisonnablement dans son ouvrage des suites de belles tailles.

Nous avons averti que le lozange outré se doit éviter dans l’eau-forte, parce que les sections des tailles mordroient trop. On doit aussi l’éviter au burin, parce que ces mêmes sections forment toujours des taches noires, & que cette sorte de combinaison de tailles laisse des blanc prolongés dans la forme d’un fer de lance ; on ne peut effacer ces taches & éteindre ces blancs qu’en multipliant les travaux. Les travaux trop multipliés marquent l’embarras de l’artiste ; il y a de l’art à bien faire avec le moins grand nombre de travaux qu’il est possible.

Les chairs ébauchées à l’eau-forte, rentrées au burin, & accompagnées, suivant le besoin, de secondes & de troisièmes, ont besoin d’être empâtées & conduites par cet instrument jusqu’à la lumière. Les demi-teintes les plus voisines des lumières & les jours secondaires se traitent ordinairement, dans la manière moderne, avec des point longs, & s’empâtent & mis en entre-tailles. On rentre ces points du côté opposé à celui par lequel on les a établis, pour les empêcher d’être aigus. Souvent il faut achever de peindre avec des points faits à la pointe sèche ou à la pointe du burin. Il n’est pas toujours nécessaire de mettre un grand ordre dans ces derniers travaux d’empâtement, mais ils doivent toujours avoir de la propreté.

On introduit quelquefois aussi des points à la pointe sèche & au burin & de formes différentes, pour éteindre les blancs qui se trouvent dans les ombres & dans les plus fortes demi-teintes. Ce travail est accompagné d’une certaine mollesse qui ne convient pas mal à la chair, & qui ne manque pas de ragoût. Mais il doit être inspiré par le tableau. On fera souvent mieux de donner à l’ombre plus de fermeté 3$o GRA

meté en rentrant & nourriffant les tailles jufqu’à ce qu’elles foient parvenues au ton néceffaire. La première manière femble la plus propre à rendre^ un grand nombre de maîtres modernes de l’école Françoife qui ont cherché le ragoût -, la féconde à rendre les tableaux des anciens maîtres de l’Italie qui ont plus recherché la fermeté. Puïfque la gravure eft une manière de traduire , elle doit rendre lafermeré ou la molleffe , l’auftérité ou le ragoût des originaux.

Les étoffes groffières feront bien rendues fur les lumières & les demi-teintes par de petits travaux combinés de burin & d’eau-forte qui expriment la furface velue de ces étoffes ; quelques-uns de ces travaux feront rappelles dans les ombres. C’eft en cette occafion qu’on pourra placer, jufques dans les parties obfcures des points de toute efpèce , & des tailles courtes qui tiendront lieu de troifième ou de quatrième, ou qui feront même capricieufement placés. C’eft là que les tailles des ombres , établies avec peu d’égalité , acquerront le repos néceffaire à l’obfcurité par ce mélange de travaux en dé&rdre.

Mais les étoffes de foie peuvent être réfervées au burin ; ou fi l’on prend le parti de les établir à l’eau-forte , les tailles doivent être fermes, propres, égales , n’offrir aucun tremblement, & n’être pas trop mordues , afin que le burin puiffe les reprendre comme s’il les créoit lui-même. On leur donne l’éclat de la foie en partie par le piquant des lumières , & en partie par le moyen des entre-tailles. Quelques graveurs , fans recourir aux entre-tailles , ont fu donner à leur travail tout l’éclat des matières brillantes.

On peut aufli employer les entre-tailles pour Jes métaux polis ; mais on rendra peut-être encore mieux leur fermeté par une feule taille ferme , nourrie & ferrée : les lumières étroites & piquantes achèveront d’en exprimer le caractère.

Le verre eft brillant comme les métaux ; niais on exprime fa tranfparence en le gravant d’un travail plus fubtil , en laiffant voiries fubftances qu’il contient , & en confervant dans le travail quelques- unes des formes des objets qui font derrière lui , & qui s’affoibliffent en proportion de l’épaiffeur du verre.

Les eaux tranquilles fe gravent par des tailles droites & horizontales. Les objets qui s’y peignent fe repréfentent par des entie-tailles, par le renflement des tailles principales , & quelquefois par des fécondes beaucoup moins ferrées que les premières.

Les grandes lames d’une nier agités s’expriment par des tailles qui fuivent le fens de ces lames. On y peut glifTer des entre tailles parce que la mer offre alors l’apparence d’un métal en fufion. GRA

L’eftampe de Balechou reprëfentant une tem* pête eft une bonne leçon pour cette partie , & elle a été fuivie avec fuccès par ’Woollet & d’autres habiles graveurs.

Quand on fe propoferoit même de graver une eftampe an burin pur , il y a des objets qu’il ferait bon d’ébaucher à l’eau-forte , tels font les brocards d’or , les contours des grandes fleurs des étoffes, les franges, les tapis, & à plus forte raifon le feuijlé des arbres &£ d’autres parties du payfage.

Les roches dures feront bien rendues par le burin ; les roches de pierres molles feront mieux cara&érifees-par l’eau-forte , que le burin lui-même doit imiter en les terminant. C’eft le tableau qui indique le procédé par lequel il fera plus convenable de le graver. La manière libre d’un grand tableau d’hiftoire indique au graveur l’emploi de la pointe , & femble lui preferire même d’avancer l’on ébauche à l’eau-forte. La manière fine , détaillée & très-terminée de certains tableaux de chevalet peut faire donner la préférence au burin pur, quoique ces tableaux repréfentent desfujets hiftoriques ; fur-tout II l’auteur y a fait dominer les étoffes de foie, les métaux , tous les objets enfin qui femblent réfervés de préférence au burin , Se principalement s’il a plus affecîé le précieux que le ragoût du pinceau. Le portrait eft un genre particulier qui exige une manière de graver qui lui foit propre. Le peintre d’hiftoire eft cenfé être lui - même le fpe&ateur d’une fcène qu’il porte fur la toile. Il eft à une jufte diftance de cette fcèrre pour en embraffer toutes les parties. II n’eft pas fuppofé affez près des figures pour faifir tous les détails des traits qui forment la reflemblance individuelle ; il ne voit bien que la phyfionomie , les traits caraclériftiques & l’expreffion des affections de l’ame. Comme la diftance efface les petits détails à fes yeux , comme il les apperçoit moins que les maffes , il peint largement & il doit être gravé de même. Ces détails qu’il néglige font recueillis par le peintre de portraits ; ils liii deviennent précieux lorfqu’ils contribuent à la reffemblance de fon modèle ; il s’en tient affez près pour ne les pas laiffer échapper , & voit ce que le peintre d’hiftoire n’a pas au appercevoir. Sa manière eft donc moins large , parce qu’il voit moins largement les objets ; il diftingue nettement des formes, des tons que le peintre d’hiftoire eft cenfé ’ n’avoir par même apperçus ; il les porte fur la toile , & il doit être gravé comme il a peint. Malgré les exemples de beaux portraits gravés avec fuccès à l’eau-forte , on peut convenir que pour rendre cette manière moins libre le burin doit être préféré , parce que cet inftrument eft moins libre luitmême , & parce que fa marche plu»

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plus lente lui permet mieux de s’occuper des dérails.

D ailleurs , comme le peintre de portraits détaille & termine plus fes têtes que le peintre û hiftoire , il ne i’eroit pas d’accord avec lui-même s’il ce rermincit pas auffi. davantage (es draperies. Ajoutons , comme nous l’avons dit ailleurs, que le peintre d’hiftoire , s’il eît fidèle au coftume , a rarement l’occafion de vêtir les figures d’étoffes de foie ; mais le peintre de portraits a chaque jour occafion de revêtir les tiennes â ?i plus belles étoffes , de repréfenter des métaux précieux, des broderies , des perles , des p ;erres fines , de riches amenblemens, & : nous avons déjà dit que ces objets briilans font m :eux traités dans leur caractère par le burin, dont la coupe eft brillante elle-même , que par l’eau- forte.

Le graveur de portraits ébauche par plans , avec autant de foupleffe que de précifion , les parties ombrées de la tête , paffe aux détails des demi- teintes , choifit un travail allez fin pour ne laiffer échapper qu’un très-petit nombre de ces détails ; & comme il en trouve encore d’effentiels à la parfaite reffemblance fur les parties éclairées , il ne laiffe de blanc que le point le plus vivement frappé de la lumière. Pour s’approcher par des nuances inlenflbles & harmonieufes de ce point lumineux , il grave les demi-teintes les plus légères avec des points longs, & , s’il a befoin de les reprendre pour ajouter à leur couleur , il les rentre du même côté qu’il les a établis, enforte que leur côté aigu fe rencontre avec le travail qui eft fait en tailles, 8c en eft la continuation. Quelques-uns de ces points fervent même d’entre-railles a^x travaux qui en font les plus voifins , afin de ne pointpafTér brufquement d’un travail à un travail tout différent. Ces points peuvent être regardés comme des tailles interrompues ; ceux qui compofent une même taille laiffent donc un peu de blanc entre eux -, & fi le blanc laine par une taille en points , fe rencontrait avec le blanc delà taille qui eft au-deflus, & de la taille qui eft au-deîïbus , il en réfulteroit une ligne blanche qui nuiroit à l’ouvrage. 11 faut donc que ces points rentrent les uns dans les autres par digitation , c’eft-à-dire , comme rentrent les uns dans les autres les doigts ouverts des deux mains , & que le milieu d’un point l’oit oppofé à l’extrémité du point fupérieur & du point inférieur, comme les briques fe rangent plein fur joint dans l’appareil des bâtimens. Quoique , dans de très-belles eftampes , ces points femblent établis avec une grande liberté , ils exigent beaucoup d’art.

Pour qu’il y ait de l’accord dans le travail , tous les acceflbires doivent être gravés avec le tnême foin , la même propreté que la tête, excepté dans les parties qui demandent à être ^eaux-Arcs. Tome I.

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ître dans les principes que nous avons cêjâ iblis. On obfervera feulement que tous les facrifïées. Bailleurs la manière de les traiter rent

établi

accefîbires d’un portrait étantplus détaillés que ceux d’un tableau d’hiftoire, ils veulent être gravés d’une manière moins ferrée. La manière large dont Frey, Wagner, MM. Strange , Bartolozzi , Sfc. ont traité les draperies , feroit peu convenable aux étoffés d’un portrait. Quoique ce l’oit de la tête que nous avons parié d’abord, ce n’eft pas ordinairement par elle que commence le graveur. Il ébauche & avance auparavant les fonds , les acceflbires , & réferve pour fon dernier travail les chairs, les linges , les dentelles & les travaux les plus délicats. Ce procédé eft même nécefîaire ; car s’il commençoit par graver les parties qui exigent le plus de finefledans les travaux, il les ternirait , les fatiguerait- , les uferoit même par le frottement de l’a main , par celui de-lV*-arboir, parle fréquent nettoyement delà planche , &c. I : arriverait que, pendant le long travail de la gravure , les parties délicates feraient plus fatiguées par ces opérations répétées que parle tirage d’un millier d’épreuves. Il y a même des graveurs qui , partons ces moyens, ufent leurs planches avant qu’elles foient finies. Ce que nous avons dit de la gravure des portraits , fe rapporte à la pratique moderne que les graveurs appellent par excellence la manière du portrait , quoiqu’il paillé y avoir des manières non moins heureufes de le rendre. On fent , par les détails dans lefqueis nous fommes entrés , qu’elle eft voifme de la froideur : mais les lîolfwert , les Vorfterman , les Pontius ou Dupont, les Pierre de Jode , les Hondius , ont gravé avec chaleur les plus beaux portraits de Vandyck. Infpirés par les tableaux de ce maître faits avec le plus grand art , mais avec autant de feu & de facilité , ils laiffoient la lumière large fur la tête , & fans compter , fans carefler leurs travaux , ils exprimoient la forme de la charpente , le mouvement des chairs , le chryfralin des yeux avec autant de vérité que d’aifance. On ne remarque pas s’ils ont fait de belle gravure ; eux-mêmes ne paroiffent pas s’en être occupés , & ils ont fait en effet de la gravure excellente , puifqm’elle femble la plus propre à rendre ce qu’ils vouloient exprimer. On voit dans leurs portraits un caractère de vie qui fe trouve bien rarement dans ceux qui ont été faits avec un foin plus marqué. Ils ont employé quelques points longuets pour approcher des lumières, & ces points femblent placés avec négligence ; mais ils peignent comme le pinceau. Leurs touches miles Se hardies animent tout. Les acceiToires font traités avec la même liberté que les têtes , & cohfervent de même le caractère qui leur eft propre. Accordons } fi l’on veut, qu’il faille avoir Dour 1& Z z

g : &2

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foibleffe du gros des amateurs, la condefcendance de ne pas imiter entièrement ces grands maîtres -, mais du moins leurs eftampes devroient être fouvent fous les yeux des graveurs ; & fur-tout à préfent que la gravure le refroidit de -plus en plus , ces exemples- deviennent chaque pur plus néceffaires. On y voit les véritables beautés de l’art -, & l’on gémit en penfant que , de nos jours , «lies font fi fouvent facrifiées à la froide manœuvre du métier.

Ce n’eft pas affez pour un graveur de fuivre ies contours tracés dans le tableau qu’il traduit, & d’en exprimer les lumières & les ombres -, il doit encore faire femir la couleur du maître , fon pinceau , fa couleur. Tout fon travail doit changer quandil cène de graver le même peintre. Il faut qu’on ne connciffe plus la manière du graveur, & qu’on reconnoiffe celle du maître. Les travaux qui rendront bien un tableau de Raphaë’ , ne conviendront pas à graver un tableau du Corrége ; Rubens ne doit pas ê :re gravé comme les Carraches, Lanfranc comme Piè :re de Cortone , ni Rembrandt comme le Titien. Enfin une eftampe doit rendre le deflin, l’efprit & le faire du peintre.

Cette partie fi importante de l’art eft reliée long-temps ignorée. On en doit la découverte aux artiftes qui ont gravé les tableaux de Rubens fous les yeux de ce maître , ou plutôt elle -eft due à ce maître lui-même qui dirigeoit leurs travaux & les forçoit à être peintres. Aufli ne fe font-ils pas feulement attachés à Tendre les dégradations des ombres aux chairs : ils orrc encore fait la plus grande attention à cette partie du clair-obfcur fi familière à Rubens , par laquelle les couleurs propres aident ■à étendre la maffe des lumières Se des ombres , parce que cerraiF.es couleurs par leur éclat , tiennent delà nature delà lumière , & d’autres tiennent de la nature de l’ombre par leur obfcurité. Amfi , dans les eftampes de ces graveurs , tout ce qui eft cbfcur, tout ce qui eft ■clair , n’eft pas toujours de la lumière ou de l’ombre ; c’eft fort fouvent la valeur de la couleur propre des objets repréféntés dans le tableau. On a donc eu raifbn de dire de leurs eftampes qu’elles étoient des tableaux elles-mêmes , &- qu’elles rendoient les couleurs ; non qu’en effet avec du noir Si du blanc les auteurs de ces gravures aient pu faire du jaune, au bleu, du rouge -, mais parce qu’ils ont confervé la valeur de ces couleurs différentes , enfcrte que chez eux le noir n’eft fouvent que î’expreffio-n xl’une couleur vigoureufe qui foutient & prolonge une maffe obfcure , & le clair m’eft que celle d’une couleur douce , qui étend & continue une maffe lunineufe.

Ils font les premiers qui aient employé ce

  • btl artifice , & , quoiqu’on fe foit attaché dans

iz fiute à les imiter , il eft rare que l’on ait eu GRÀ

le même fuccèi , & ils continuent d’obtenir les premiers rangs entre les grands coloriftes. « Ces » art :ftes , dit un amateur qui fait honneur à » l’Allemagne , M. Hagedorn , ces artiftes fe » font tellement diftingués par leurs productions , que celui qui voudrait écrire une

  • hiftoire de la gravure pourroit commencer

» par ces chefs-d’œuvre une époque dans l’art. » N’eft-iî pas bien étrange que , dans la peinture qui renferme la fource des couleurs locales , on confonde perpétuellement les notions des couleurs ? Il faudra à la fin que ie » gravei,r, qui n’a qu’une couleur pour rendre » fon expreilion , donne des leçons de colcris » au peintre »,

En détaillant les procédés de la manière de graver à i’eau-forte , & de graver au burin , nous avons parlé «le la pointe-sèche, troifième manœuvre qui s’unit aux deux autres. Elle opère fur le cuivre nud avec une pointe bien tranchante. Rembrandt en a fait un grand ufage ; mais comme il n’a pas divulgué (on fecret , il n’a pas eu d’imitateurs. En regardant bien attentivement certaines eftampes du dernier fièele , on y reconnort quelques travaux à la pointe sèche , mais fi rares qu’on ne les a pas même remarqués. Le premier qui , après Rembrandt , ait fait un grand emploi de ce moyen, & d’une manière propre à le combiner avec les autres parties d’une gravure foignée , eft M. Lebas. Il s’en fervoit pour les parties claires des ciels , desterraffes & même des figures en petit. Nous croyons nous être affez étendus fur les travaux de la gravure qui porte le nom de taille-douce. Il paroît convenable d’en proportionner la largeur à l’étendue de la planche, ou du moins à la dimenfion des principaux objets. Cependant an a vu d’habiles ardues s’écarter avec fuccès de cette convenance. On a des eftampes d’après Rubens & Van-Dyck , dont les travaux font fins & ferrés , quoique les figures foient d’une affez grande proportion. J. J. Flipart , dans fa dernière manière, a traité de grands fujetsavec une gravure firre & ferrée. Callot, le Clerc, qui gravoientde fort petites figures , n’affectoient pas des travaux très-fins , & l’on peut remarquer même que l’extrême fineffe des travaux dont fe font piqués en ces derniers temps des graveurs en petit , a fait beaucoup de tort à ce genre de gravure. Elle ’ les a engagés à remplacer par le fini froid & léché l’efprit qui doit animer ce genre. ( Article de M. Levesqve. )

GRAVEURS. L’hiftoire d’un art eft celle des artiftes qui l’ont profeffé depuis fon origine, & qui ont contribué à fes progrés & à fa perfection. Je crois donc que la meilleure manière de faire ici PJiiftoire de la gravure, eft de donner une notice chronologique des graG R A Vfiîirs qui fe font distingués par leurs talens, ou par l’invention de quelques procèdes utiles aux progrès de l’arc , de marquer le caraâèie particulier de chacun d’eux confideré comme artifte , de faire connoître , autant qu’il eft pofiible dans un récit , les parties de l’arc qui les distinguent les uns des autres. On me reprochera peut-être d’avoir omis quelques graveurs qui n’ont pas eu moins de mérite queplufieurs de ceux que j’aurai nommés ; mais il eft aflèz indifférent que j’aie gardé le filence fur quelques artiftes , pourvu que je n’aie oublié aucun de ceux , qui, par un caractère particulier de travaux ou de méthode , ont fait époque dans l’arc. D’ailleurs , je me fuis impofé la loi de ne parler d’aucun graveur fans avoir fous les yeux au moins quelques-uns de fes ouvrages , & l’on penfera bien que je n’ai pu me procurer des ouvrages de tous. Comme il eft peu d’artiftes qui n’aient marqué par des ouvrages foibles le commencement & la fin de fa carrière , & que plufieurs même , dans le temps de leur plus grande force , ont fait des ouvrages négligés , le jugement que j’aurai porté fur tel artifte ne s’accordera peut-être pas avec telle eftampe du même artifte que le le&eur aura fous les yeux , ou dont il aura confervê le fouvenir. Mais j’ai dû fonder G R A 3<$l le jugement que j’ai porté de chaque graveur fur l’on caractère général , & non fur quelques - uns de fes ouvrages en particulier. Je n’ai dû faire attention ni aux ouvrages foibles d’un homme habile , ni à quelques ouvrages par lefquels un artifte g ;neralement médiocre s’eft élevé , comme par hal’ard , audeffus de fa médiocrité ordinaire. Cependant je ne craindtai pas dévouer qu’il peut m*être échappé certains ouvrages qui m’auroieht fait porter de leurs auteurs un jugement plus favorable que celles de leurs eftampes qui me font connues. Si j’ai c ;mmis quelques-unes de ces erreurs , elles ne peuvent être qu’en petit nombre , &r ne concernent pas les artiftes du premier ordre. Une notice chronologique des graveurs t fervant à compofer l’hiftoire de l’art , s’accorde bien avec l’objet de l’Encyclopédie méthodique ; mais en même-temps l’Encyclopédie a la forme d’un Diftionnaire, & le lecteur doit s’attendre à y trouver (ans peine ce qiii fait l’objet de fa recherche. J’ai donc cru , pour fatisfaire à la fois à la forme lexique & à la méthode, devoir donner d’abord une table alphabéthique des graveurs dont je ferai mention. Chaqua nom fera fuivi d’un chiffre qui rappellera à ua chiffre femblable , dont le même nom fera précédé dans la notice chronologique. TABLE ALPHABÉTHIQUE Des plus célèbres Graveurs. Ch. Albert. (19) Aldegraver. (13) Aliamet. (147) Alrdorfer. (14) Marc Antoine. ($) J>. Aquila. (106) Auden-Aert. (113) Ch. Audran. (48) G. Audran. (101) B. Audran. (110) J. Audran. (111) Aveline. (141) Baldini. (6) Balechou. (141) Biriliu (69) Bauduin. (100) Petre Santé Bartoli. (PO) Baudet. (49) Beauvais. (1*3) Beham. (12) La Belle. (39) Berghem. (81) Corn, Bloemart. (47) F. Bol. (73) Boll’wert. (66) BofTe. (41) Boticello. (j) Boulanger. (87) Bourdon. (43) Brebiette. (37) N. de Bruin. (29) Th. de Bry. (ij) Calloc. (34) Aug. Carrache (23) An. Carrache. (24) Cars. (132) B. de Caftiglione, (44) Caylus (12.6) Chafteau. (55) Chaftillon. ( 9 6) Chauveau. (46) Chéron. (108) F. Chéreau. (11S) J. Chéreau (127) Le Clerc. (93) Cochin père. (124) Mrc, Corneille. (10a) Corn. Cort. (18) A. Coypel. (109) Daullé. (.137) Defplaces (120) Mich. Dorigny. (79) N. Dorigny. (107) Drévet père. (115) Drevec fils. (130) Duchange. (m) Ch. Dupuis. (r2i) N. Dupuis. (12.9) A. Durer. (8) Van Dyck. (35) Edelinck. (104) Le Febre. (90) Ferroni. (110) Fin : gu erra. (4) Fliparc. C144) Frey. (119) Corn. Galle. (12) Gaultier. (30) Geflher. (149) Ghifi. (16) Gillor. £117} Goltzius. (z5) Hainzelman. (j^ Hollar. (38) Hondius. (67) Horremels. (128) Mag. Hortemels. (127) Houbracken. (131) Huret. (77) P. de Jode. (59) Konnick. (76) Laireffe. (98) Lanfranc. (31) Jac.-Ph. Lebas. (143) Luc de Leyde. (10) Lievens. (75) Loir. (97) Cl. le Lorrain. (36) J. L. le Lorrain. (14^ Lutma. (78) Luyken. (103) Mantegne. (7) C. Maratte. (83) Maflon. (pi) IfraU Van-Mecheln.(i} 364 Mellan. (70) Mitelli. (85) Morin. (86) J. Muller. (2.7) Nanteuil. (88) Natalis. (50) Oudry. (12.2) Pentz. (11) Perelle. (94) Perier. (33) Pefne. (8ï) Petits -Maîtres. (11 Picard le R. (89) B. Picard. (114) G R A G R A Piranefe. (139) Pitau. (54I Pitteri. (138) F. Poilly. (yO P. Pondus. (6y) Le Potre. (45) Rembrandt. (72) S’al-llofa. (42) Rota. (17) Roullet. (58) Rcuflelet. (yi) Ryland. (148)’ Les Sadeler. (21) Schmidt. (140) Schoen. (1) Van Schuppen. (ioy) Schut. (31) J. Silveftre. (80) Simonneau. (oy) 6’nyers. (68) Spier. (y 7 ) Sompelen. (61) Soutman. (60) Cl. Stella (92) Subleyras. (133) Suyderoef. (62) Tempefte. (20) P. Tefta. (40) C. Tefta. (40) Thomaflîn. (12 y) Thourneyfen. (71) Vallet. (y 2) Villamene. (2y) Vivarez. (136) Van-Uliet. (74) Van Voerft. (63) Vorfterman. (64) Wagner. (13 y) Watelec. (i4y) Wierx. (28) Corn. Wiffcher. (84) Wolgemuih. (3) Wollet. (tyo) Worlidge. (134) NOTICE CHRONOLOGIQUE Des principaux Graveurs _, depuis V origine de l’Art , ou Histoire de la Gravure. Long-temps avant que la gravure en eftampes fut connue, les orfèvres gravoient au burin des figures Se des ornemens fur leur argenterie , & les armuriers ornoient les armes de travaux au burin. Ce n’eft donc pas de la gravure elle-même qu’il faut chercher l’origine ; elle fe perd dans la nuit des temps ; mais feulement de l’art d’en tirer des épreuves. ( 1 ) Le plus ancien graveur qui ait tiré des épreuves de fes ouvrages , & dont le nom foit parvenu jufqu’à nous , eft Martin S c h oe n , qu’on appelle aufli Beau Martin de Colmar. Il êtoit à la fois orfèvre , peincre & graveur. Il quitta Culmbach , lieu de fa naiflance , & vint s établir à Colmar où il mourut en i486. Il n’eft pas vrai , comme on l’a plufieurs fois répété , qu’il ait été le maître d’Albert Durer : il venoit de mourir , quand le père d’Albert voulut lui envoyer fon fils. Ses eftampes ont été vraifemblablement gravées depuis 1460 jufqu’à l’année de fa mort. « Son outil eft formé , dit M. Huber. Sa » mort de la Vierge offre de l’entente dans la » compofition & de l’expreflion dans les figures. » Rien de plus délicatement travaillé qu’un f> chandelier qui eil placé fur le devant de d l’eftampe , & dont la bafe eft ornée de petites figures d’un fini extraordinaire. » Cette liberté d’outil , ce fini précieux feraient feuls foupçonner que les ouvrages de Schoen ne font pas les premiers eflais de l’art ; & l’on fait en effet qu’il a copié une paffion d’après un autre graveur plus ancien que lui & qui mettoit un F & une S dans fon chiffre. C’étoit vraifemblablement fon maître , Se , en le fuppofant feulement de dix années plus ancien que fon élève , la gravure d’eftampe en Allemagne remonte à l’année i4yo. Sandtart a connu une eftampe qui porte la date de l’année i4yy , & dont l’auteur a pour chiffre une S dans une H. L’auteur du livre intitulé : Idée générale d’une colkciion complette d’ eftampes, imprimé à Leipfic en 1771 , parle d’un graveur plus ancien que Schoen. Ses pièces font , dit-il , très-gothiques , auffi bien que les caractères qui lui fervoient de chiffre, & dans lefquels on trouve un B. Se une S. On a interprété ce monogramme Barthélémy Schoen., & on a fait de ce Barthélémy un frère aîné de Martin. Le même écrivain connoît une pièce qui lui femble pkts ancienne que toutes les précédentes , & qui repréfente la Sybille montrant à l’Empereur Augufte l’image de la Vierge-Marie dans les airs. On voit dans le fond la ville de Culmbach Se le château de Blaffenberg ; ce qui fait conj.eflurer , non fans une forte vraifemblance , à l’auteur dont nous parlons, que la gravure en eftampes a pris fon origine à Culmbach , & il fixe cette origine à l’année 144©. Il feroit facile de la reculer par conje&ure , Se il feroit impofiïble de la rapporter à des temps plus récens. Que des orfèvres, habitués à graver au burin fur leurs pièces d’orfèvrerie , fe foient enfin avif.’s de tirer des épreuves de leurs ouvrages, cela n’a rien que de vraifemblable. Un papier humide, Se mis en preffe par hafard fur leur travail, peut les avoir conduits au procédé de l’imprefnon des eftampes. Mais que la gravure en eftampes ait été inventée par un berger à qui fon état ne pouvoit infpirer aucune idée relative à cet art } c’eft ce qui n’a pu être imaginé G R A

que par l’amonr du merveilleux , & ce qu’on trouve pourtant dans un livre fur l’excellence de la nation Allemande dont l’auteur eft Mathias Quadt de Kinkelbach. Il raconte que I invention de la gravure efl : due à un berger des environs de Mons , & que les figures , quoique traitées avec dureté , femblent plutôt avoir été faites d’après nature que d’imagination, II donne à ce berger le nom de F. fonBocholt. Comme il exifte en effet des eftampes marquées F. V. B. on ne manque pas de les donner pour des ouvrages du berger V on Bochoh. Mais ces caraâères font en capitales italiques , & l’on doute avec raifon qu’il y ait en Allemagne aucune infcription du quinzième fiècle qui ne foit pas en cara&ères gothiques.

On a bien prétendu trouver auffi la même marque en lettres gothiques ; mais il elt très-vraifemblable qu’on a pris un J pour un F , erreur facile dans ce caraftère , Sr que les eftampes du prétendu berger Von Bocholc, font d’Ifraël van Meeheln , qui demeuroit à Bocholt, & qui a marqué plufieurs de l’es ouvrages du nom de fa demeure.

(2.) Il y a eu deux Israël van Méchein , le père & le fils , qui tous deux ont gravé. Le ’fils eft mort en 1523. Le père a pu commencer à graver vers 1450. Le fils a été contemporain d’Albert Durer, que l’on prétend même qu’il alla vifiter à Nuremberg.

Quelquefois des brocanteurs ont ajouté à des eftampes le chiffre F. V. B. pour les vendre comme des ouvrages du faux berger Eocholt. L’auteur de l’Idée d’une collection complette dftampes a.ru la p.’èce de Saint-Antoine, ouvrage de Martin Schoen , ponant cette fupercherie.

(3) Entre ces anciens graveurs, il ne faut pas oublier Michel Woigemuth , parce qu’il fut Je maître d’un artifte célèbre, Albert Durer. Il étoit peintre & graveur, & marquoit Ces ouvrages d’un W. Il eft né à Nuremberg en 1434 Se eft mort dans la même ville en ijio. Il peut avoir conriii l’inventeur de la gravure & en avoir reçu des leçons.

Les Italiens pré.endent à la gloire d’avoir inventé cet art. Comme il y svoit alors très-peu de communication entre l’Italie &l’Allemagne.j on peut aifément fuppofer qu’aucune des eftampes gravées dans l’une de ces contrées ne fut d’abord connue de l’autre. Il n’eft donc pas contraire à la vraifembiance que la gravure trouvée en Allemagne vers 1440 , ait été trouvée de nouveau en Italie vingt ans après. Ainfi las deux peuples qui fe difputent la gloire de cette invention doivent peut-être la partager. C’eft ïtr.û que le :. Européens peuvent avec raifon fe glorifier d’avoir inv-enré l’art de l’imprimerie, quoiqu’elle ait été inventée long-tems auparavant par les Chin-is.

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(4.) C’eft à Maso Finiguerra , orfèvre de Florence, que les Italiens attribuent l’invention de la gravure en eftampes. Il avoir coutume de "tirer en pâte de terre ou de foufïre l’empreinte de fes gravures , & il s’apperçut que le noir qui éteit refté au fond des tailles s’imprimoit fur ces pâtes. Il effaya de tirer de femblables impreffions avec du papier humide , en le prelTant à l’aide d’un rouleau ou d’un inftrument liffe , & il réuiïit. D’auttes prétendent qu’une blanchifleufepofa, fans y faire attention, du linge humide fur une gravure de Finiguerra ; que le linge , par lbn poids , fit l’office d’une prefie , & qu’en le relevant , on trouva fur la partie qui avoir touché la gravure une empreinte femblable à un défini fait à la plume. Ce hafard , ajoute-t-on , donna l’idée à l’orfèvre de renouvelle !’ cette expérience avec du papier & elle eut le fuccès qu’il devoir en attendre. On n’eft pas bien certain que Finiguerra ait tiré lui-même parti de fa découverte , & il ne refte aucune eftampe qu’on puifTe aflurer qui foit de fa main. Mais on en a de Sandro Boticello , peintre, & de JBaccio Baldinr, orfèvre, à qui il communiqua ion invention. On peut croire cependant que deux petites Diéccs de feuillages , marquées M. F. , font de Finiguerra, On lui attribue encore quelques autres morceaux très - anciens & fort rares. (5) Les eftampes de Sandro Boticeilo font d’une très-foible exécution ; on y reconnoit l’enfance de l’art , & le peu de pratique de ce peintre dans le maniement d’un outil étrantrer a fa profelïion.

(6) Baccio Balpini, orfèvre, Sz parconféquent accoutumé à manier le burin pour orner Ces ouvrages, montra plus d’adreffe &de facilité. L T ne édition très-rare du Dante, iniDrimée à Florence par Nicolo di Lovenzo deila Magna en 1481 , eft ornée de deux vignettes gravées ou plutôt égratignées d’un burin inflexible ; niais dans le temps où elles parurent , c’étoiont des chers - d’oeuvre. Vafari nous apprend que le defïin en eft de Boticello ; on ignore fi ] a gravure eft de ce peintre ou de l’orfèvre Baldini.

(7) Sans nous arrêter aux noms & aux ouvrages de quatre à cinq graveurs, qui travaillèrent à-peu-près dans le même temps fans contribuer aux progrès de l’arc , nous nous contenterons de parler à’ André Mantegne , né à Mantoue en 1451 , & mort à Padoue en 1517. Il étoit peintre, & : s’étoit acquis beaucoup de gloire par fon tableau du triomphe de Jules-Céfar. Ses eftampes ne font pas , fans doute d’une manœuvre qu’on puiffe maintenant admil rer ; mais on y voit du moins un cosrnnericement de facilité, & elles font eftimables par la correûion du deffin. Il a gravé quelquefois fur l’etain. Ce métal , par fa mollefîe , eft con366

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traire à la netteté de la gravure , Se fourtiit des < épreuves (aies.

(S) L’Allemagne avoit donne nainance a la gravure ; c’étoit à l’Allemagne qu’il éfoit aulïï réfervé de l’approcher de la petfedion. Albert Durer , voifin du berceau de cet arc , en a tellement avancé les progrès que , dans certaines parties, il ne peut-être furpaffé. Nous avons parlé à l’article Ecole de cet artifte célèbre, qui n’eût pas eu de fupérieurs s’il eût pu connaître l’Italie & l’antique. DelTmateur précis , il lui manqua feulement de lavoir que les modèles offerts par la nature ne font pas toujours ceux de la beauté , qu’il ne fuffit pas de favoir les copier, 8e qu’il faut être encore fcrupuleux dans le choix- Senfible & habile à faifir les lignes extérieurs des affections de l’ame, il eût excellé dam la partie de l’expreilion s’il y eût joint plus ibuvent la nobleffe a la vérité. Cette nobleffe feule manque aufll quelquefois à fes comportions. Mais pour lui accorder tout le tribut d’eftime qu’il mérite , il faut fe rappellerque , de fon temps, une fuite affez nombreufe d’artiftes avoit lutté en Italie contre la manière gothique des premiers reftaurateurs de l’art , & que lui feul en Allemagne raflembloit fes efforts contre la roideur de cette manière qui s’oppofoit à la beauté des formes , à la jufteffe des mpuvemens , à la vérité de l’expref-Nous ne devons le confidérer ici que^ comme graveur ; mais comme il a toujours gravé d’après fes propres defllns , ce que nous venons de dire n’eft pas étranger à cet article. Si l’on veut feulement le confidérer par rapport à la manœuvre de la gravure, il fera admirable, non -feulement pour le ftècle où il a vécu , mais même pour tous les fiècles , par la fineffe & la variété de fes travaux , par la netteté & la couleur de fon burin. Il femble qu’un homme qui n’a pas eu de modèles , ne puiffe trouver feul toutes les reffotirces de fon art , & qu’elles doivent être produires , avec le temps , par le concours d’un grand nombre d’hommes habiles. Albert Durer a été excepté à piufieurs égards de cette loi générale de la nature : & s’il n’a pas trouvé tout ce qui convient à la gravure large & fière , propre à exprimer les grands tableaux d’Viftoire , il a imaginé & réuni toutes les parties de l’art qui font néceffaires pour graver des tableaux fins 8e précieux. Quoique l’art ait acquis depuis fa mort trois fiècles d’expérience, on ne pourroitaujourd’hui graver mieux ni peut-être auffi bien l’eftampe de Saint- Jérôme qu’il a publiée en 15 14. Une lumière vive entre par deux fenêtres fermées de vitraux qu’elle fait refletter en les traverfant furla muraille qui fert d’embrâfore aux croifees Un plancher de fapin eft rendu avec la plus grande vérité. Un Son un renard couchés fur le deyant de l’ef-G R A

tampe font traités avec lea travaux qui leur conviennent. Le Saint eft affis devant Ion pupitre Se plongé dans l’étude des écritures ; la. tête eft d’un caractère digne des grands maîtres de l’Italie. Une foule d’objets entre dans la compolition de cette eftampe , & tous ont le caractère qui leur eft propre. Les travaux font fins 8c ferrés fans maigreur ; le cuivre eft coupé nettement, mais fans avoir le brillant qui nuit à la vérité. La pointe ne rendroit pas ayee plus de goût ungrouppe de fabriques gothiques que celui qu’il a introduit dans fon eftampe de l’hermite Saint-Antoine. On voit de lui au cabinet des eftampes de la bibliothèque du Roi ’ une épreuve retouchée d’une planche de Saint-Jérôme qu’il gravoit en ijii , & qui n’eft pas celle dont nous venons de parler : la planche eft peu avancée , les premiers travaux font encore feuls établis , & , quoique tracés au burin , ils font badines comme un travail de pointe. Il a quelquefois gravé à l’eau-forte & en bois : il entendoit mieux ce dernier genre de grivure que celui de l’eau- forte.

Raphaël connut les eftampes d’Albert Durer, & l’on affure qu’il en fit affez de cas pour en orner fon cabinet. On affure aufli que le Guide les confultoit fouvent, Se l’on peut lui reprocher d’en avoir quelquefois imité le ftyle des draperies.

(o) Marc-Antoine , dont le nom de famille eft Raymondï , naquit à Bologne en 1488 , 8c eft mort vers 1546. Il eft de dix -huit ans plus jeune qu’Albert Durer. C’eft le premier Italien qui ait mis quelqu’art dans la gravure , &il eft fur-tout célèbre pour avoir été le graveur de Raphaël. Il fe diftingua d’abord par des ouvrages d’orfèvrerie , mais il vit à Venife des eftampes d’Albert Durer, dès lors fon inclination le porta vers la gravure , & il s’y livra tout entier. Les orfèvres alors pouvoient être regardés comme des fculpteurs en argent ; ils favoient bien modeler & bien deffiner , Se pouvoient devenir aifément peintres , fculpteurs & graveurs. Il n’étoit pas rare de trouver des artiftes qui réuniffent ces talens aujourd’hui trop féparés. Marc - Antoine copia d’abord les el-» tampes de la paffion d’Alber Durer : on n’auroic pu que le louer s’il avoit fait feulement ce* copies par fon étude -, mais ayant affez bien réuflï pour tromper des curieux qui avoient moins de connoiffance que d’amour des arts , il mit à fes copies la marque d’Albert, & les vendit pour des originaux. Albert Durer informé de la fupercherie , fut moins bleffé fans doute du tort qu’elle pourrait faire au débit de fes eftampes , que de celui qu’elle portoit à fa réputation : il voyoit avec chagrin fe débiter fous fon nom des ouvrages trop inférieurs à fes talens , & il en adreffa, fes plainte* aux magiftrats de Venife* GRA

Marc-Antoïne fut obligé d’effacer cette marqtie trompeufe.

Ses eftampes peuvent être regardées comme des copies afTez pactes , mais froides & timides , des deffins de Raphaël ^ & faites par un procédé difficile , que ne pofledoic pas alfez bien le copifte qui ~cn faifoit ufage. Le contour eft tracé au burin , comme dans les deffins à la plume. Quelquefois le premier trait eft corrigé par un fécond , & ces corrections font d’autant plus précieufes qu’on peut foupçonner qu’elles ont été indiquées par Raphaël lui-même. Les travaux font roides & maigres , ils n’offrent prefque jamais la grâce de la facilité, & font trop inflexibles pour rendre la variété des caraôères propres aux différens objets : mais fur-tout dans les chairs , la première taille eft toujours établie dans le fens le plus convenable, & ce n’eft pas un foible mrérite ; un mérite plus grand encore, celui qui fait toujours rechercher ces morceaux , c’eft la pureté du trait. Marc - Antoine grava d’après Jules Romain des poftures obfcènes qu’Arétin avoir décrites en vers. Le Pape Clément VII vouloit le punir de mort-, on obtint la grâce de l’artifte en faveur de fes talens. Son maffacre des innocens, gravé d’aprè3 Raphaël , eft l’une de fes eftampes capitales , & a été acheté foixante florins •par Berghem 3 à qui fa femme iaiffoit peu d’argent à Ta difpofiîion

(10) Pendant qu’Albert Durer faifoit florir ! la gravure en Allemagne , & que Marc-Antoine l’exerçolt avec moins d’art , mais avec non moins de gloire en Italie, Lucas Dammeft : , connu fous le nom de Lucas de Leyde , difputoit dans les Pays-Bas la palme à ces deux rivaux. Il fut le premier peintre qui fe foit diftingué en Hollande , Se nous avons parlé de lui à l’article école : il fut auffi le premier graveur de fon pays dont le nom ait été con fervé. Il naquit en 1454, & étoit plus jeune qu’Albert & Marc-Antoine. Un orfèvre fut fon maître pour la gravure au burin ; il apprit les procédés de i’eau-forte d’un armurier qui en faifoit ufage pour les ornemens des cuirafles. Il gravoit auffi en bois. Les Hollandois le mettent au-deffus d’Albert Durer , mais les autres nations refuferont peut-être de ratifier ce jugejnent : on lui reproche for-tout de tenir davantage au caracïère gothique. Cependant , malgré ce vice & l’incorreâioïl d*i deifin , les Italiens eftiment fes eftampes , & Durer eut l’ame afTez .grande pour n’être pas jaloux de cet émule. Il fit même, dit-on , le voyage de Leyde pour le voir & gagner fon amitié. Les travaux de Lucas de Leyde font très-fins , G : fes têtes ont de ^exprefiion.

Entre les élèves d’Albert Durer , les plus •.«onnus font délignés par le nom de Pjîtits- .Maitr.es,, parce qu’ils n’ont guère gravé que GRA

de fort petites eftampes.’ Nous nous contenterons de nommer les plus célèbres. (n) Ceorges Penz , né à Nuremberg en 1500, & mort en 1556. Après avoir fait fous Albert de grands progrès dans la gravure, il fit le voyage de Rome , étudia les ouvrages de Raphaël , & travailla quelque temps avec Marc-Anroine. Oti a de lui un grand nombre d’eftampes. On y trouve la finefTe & la netteté de la gravure Allemande, jointes à un , choix de delîin qui n’étoit encore connu qu’en Italie. (12) Hans Sébald Beham , ne à Nuremberg en 1500, mort dans la même ville en ijjo , defhnoir la nature avec précifion , mais fans choix : on le loue pour l’intelligence 8c Pexprefïïon.

( 13 ) Henri Aldegraver, né à Soeft ea Weftphalie en 1501, mort vers 15J5 , peignit d’abord des tableaux de chevalet, bc l’on afi’ure qu’il avoit un bon coloris. Il fe livra eniuite entièrement à la gravure.

(14) Albert Altdorfer, que les François nomment le petit Alkert. On ne fait s’il eft né à Altdorf en Suiffe , ou dans la ville de Bavière qui porte le même nom. II eft mort à Ratisbonne en 1533. Il fut d’abord peintre. Quoiqu’il ne foit pas dev.enu l’égal d’Albert Durer, quel qu.es- un es de fes planches ont été attribuées à ce maître.

Tous ces graveurs ont ’manié le burin avec beaucoup de finefTe , mais Georges Penz eft celui dont les ouvrages font le plus eftimés. ’ (1 j) On compte auffi parmi les Petits- Maîtres Théodore de Bry , né à Liège en j ;i8 , année de la mort d’Albert Durer, il a cherché à imiter Sébald Bëham , & a gravé d’après les deffins de ce Maître. Il y avoit de la délicateffe , mais fouvent aufli de la fechereffe dans fon burin. Comme en Allemagne Albert fit une école de gravure , Ma-c-Antoine laiffa des élèves en Italie. Ils gravèrent à - peu - près comme leur maître , & n’avancèrent point les progrès de l’art. Les plus connus font Auguftin de Venife & Marc de Ravenme.

{16) Mais Ceorges Ghisï dit le Mantouak, fils de Jean-Baptiite Ghifi deBertano , graveur., & élève de Jules R.©main , mérite de faire épooue dans l’art , au moins pour l’Italie. Le burin peu flexible dans la main de Marc-Antoine , acquit afTez de foupleffe dans celle du Mantouan pour rendre d’une manière agréable & fa.vante les chairs délicates des en fans , les linges , les terraffes , le payfage- Il fut varier fes travaux fuivant les plans & fuivant les objets. Son eftatnpe de là naiffance de Memncn eft de l’année i 560 , quatorze ans après la.mort de Marc-Antoine On eft étonné que , dans un temps auffi court , l’art ait fait tant de progrès.. Le Mantouan a gravé l’école d’Atkenes de iU•62

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phaël. On ignore le temps de fa naiffance & celui de fa mort.

-(17) Martin Rota, né à Sebenigo en Dalmatie , fioriflbit quelques années plus tard. Il a gravé en petit le jugement dernier de Michel-Ange, & : cette eftampe eft jufliement regardée comme un chef-d’œuvre , foi t. que l’on confidère la fineffe des travaux , foit qu’on admire le deflin du maître confervé dans une proportion fi différente de l’original. Les Petits-Maîtres, il eft vrai , l’ont emporté fur lui par la fubtiiité des tailles, mais il n’ont pas eu comme lui l’avantage de graver Michel-/» nge & de s’appuyer l’ur un grand maître pour aller à la poftérké. Il a fait beaucoup d’eftampes d’après fes propres defïïns.

(iS) La gravure ne connoiiïbit encore que des travaux fins & ferrés , propres aux eftampes de petite proportion , lorfque Corneille Cort , né à Horn en Hollande en 1536, vint à Rome & y ouvrit la carrière à la gravure en grand. Il eft le premier qui ait employé des tailles larges & nourries ; il a trouvé le premier un bon grain de travaux pour les draperies & a bien traité le payfage au burin. C’eft annoncer qu’il manioit cet outil avec une grande facilité ; de cette facilité devoit naître une plus grande variété de travaux , & par confequent de nouvelles reffources pour l’art , & de nouveaux progrès vers la perfection. On n’avoit pas encore le fecret de donner de la couleur à la gravure ; il ne fera trouvé dans toute fon érendue que par les artiftes qui travailleront fous les yeux & la direction de Ruhens ; mais Corneille Cort femble avoir fait les premiers pas vers cette découverte dans fon eftampe du martyre des innocens d’aorès le Tintoret. Il mourut à Rome en (io % , Chérubin Albert, né a Borgo iàn Sepolcro en 1551 , & mort en 161 j , n’a pas étendu la carrière de la gravure , mais il mérite la reconnoiflance des amateurs des arts pour avoir confervé par fes eftampes les belles frifes que Polydore de Caravage , digne élève de Raphaël , avoir peintes fur des façades de maifons, & que le temps a détruites.

(10) Tous les artiftes dont nous avons parlé jufqu’ici ont gravé au burin pur , pu du moins il auelques-uns d’eux , tels qu’Albert Durer Se Lucas de Leyde , ont fait des eaux-fortes , elles n’ont contribué que foiblement à leur renommée. Mais Antoine Temfeste , peintre Florentin, né en 1555 , doit principalement à fes eaux -fortes l’étendue de fa réputation. Son œuvre en ce genre eft très-conlïdérabie ; ce font en général des chaîTes , pu des marches §c des combats de cavalerie. La feience & la fureté du trait, la vivacité de la touche , la chaleur 8c la fécondité de la compofuion , la font itiftement rechercher par les peintre-s. (Quoique G R A

la manœuvre en foit peu remarquable , les gra* veurs pourront y trouver des leçons utiles pour établir les premiers plans de leurs travaux lorfqu’ils auront des chevaux à traiter. 11 y a d’ailleurs quelques pièces de Tempefte qui , même à ne confidérer que l’efprit de la pointe, méritent d’être accueillies par les amateurs de la gravure. Cet artifte eft mort à Rome en 1630. Il a fouvent gravé fur l’étain. (zi) Le deftin de la gravure en Italie eft de fleurir bien plus par les travaux des étrangers , que par ceux des artiftes nationaux. Jean & Raphaël. Sadeler , frères , tous deux nés à Bruxelles, le premier en 1550, & le fécond en ijjj, fuccédèrent à la profeflion de leur

père , damafquineur en acier ; mais leur goût 8c

leurs difpofitions les appelloient à un art plus noble, & ils fe livrèrent à la gravure. Ils firent enfemble le voyage de l’Allemagne & de l’Italie , 8z perdirent , dans cette patrie des arts, une certaine fécherelTs qui entrait dans leur première manière. Ils furpafsèrent tous les graveurs qui les avoient précédés, & dans certaines parties , ils ne peuvent être furpaffés par leurs fucceiTeurs. On recherche avec raiibn leur nombreufe fuite des hermites repréfentés d’après les deliins de Martin de Vos dans des payfages agrefte’s & très-variés ; les morceaux qu’ils ont gravés d’après le Baffan , entreront toujours dans les porte-feuilles choifïs ; on ne connoît guère de gravure plus aimable que celle de Raphaël Sadeler d’après le Chrift au tombeau de Jean van Achen : on peut critiquer le peintre , le graveur eft fans reproche. Mais on eft fur-tout étonné du fuccès avec lequel les Sadeler ont gravé le payfage au burin pur : les’ vieux troncs d’arbres y font exprimés avec la facilité du pinceau ; fi leur feuille ne peut avoir l’agréable badinage de l’eaurforre , il en a la légèreté ; les eaux tombantes en cafeades , les roches brifées Se menaçantes , les fembres enfoncemens des forêts ne fauroient être mieux rendus par aucun des procédés de l’art ; les plantes qui ornent les devans de ces eftampes ont le port, la forme & la fouplefTe de la nature ; les fabriques vues dans 1* lointain font traitées avec goât ; on n’eft tenté de regretter l’eau -forte que pour les terraîfes. Ces deux excellons graveurs furent cependant furpaiTés de leur vivant ; mais ce fut par leur élève & leur neveu , Giles Sadeler , né à Anvers en 1570, & qui s’appliqua quelque temps à la peinture. Il gràvoit du burin le plus fin quand le fujet paroiiToit l’exiger ; mais il a gravé du burin le plus large le Chrift au tombeau de Barroçhe , & il a donné de la force à fon eftampe fans pouffer au noir aucune partie. On defireroit feulement plus d’harmonie & d’accord dans quelques-uns de fes ouvrages. Il a quelquefois la fierté du burin Se lacQupe hardie de

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■de Goitzîus & de Miîller. On peut voir dans l’eftampe où il a gravé le peintre Sptangers & Catherine Muller , défunte époufe de cet .artifte , à quel degré il a porté la gravure du portrait. Il a, en quelque forte , crée & conduit à la perfection .cette branche importante de l’art.

Jean Sadeler eft mort .à Venife en 1600 , Raphaël dans la même ville en 1617 & Giles à Prague en 1629. L’œuvre des deux oncles Se du neveu eft au moins de deux jnille eftampes.

Dans le même temps lîorifToisnt Pierre de Jode , le vieux , & les trois Galle , Philippe , ’Théodore & Corneille , dit le vieux. (21) Corneille Galle a gravé le paylage au burin pur. Les roches font fermes, le feuille a de la légèreté , la couleur eft agréable & vraie, chaque objet porte fon caractère , & tout le travail eft large & moelleux.

(23) Enfin un grand peintre Italien ne dédaigna pas de difpurcr aux artiftes de l’Allemagne & des Pays-Bas le prix de la gravure. C’étoit Auguflin Carrache dont nous avons parlé à l’article Ecole. On exige àpréfentplus de fini qu’il n’en mettoit dars fes eftampes , mais on n’exigera jamais des travaux plus favamment établis. Il fera toujours un excellent objet d étude pour les graveurs ,& ih gagneront à le regarder au moins comme le meilleur modèle qu’ils puiffent fe propofer pour l’ébauche de leurs travaux , & fur-tout pour celle des chairs. Il ne fe piquoit pas d’exciter l’étonnejnent en faifant tracer à fon burin des chemin : , longs Se difficiles ; mais il manioit cet Outil avec afl’ez d’adreffe peur l’obliger à fuivre favamment le fens des mufcîes, & il mettoit autant de goût que defcier.ee dans fa manœuvre. Enfin , fes eftampes font d’excellentes ^études de gravure & de deflin , & plufieurs même d’entr’elles., fans être terminées à la man : ère moderne , feront toujours regardées par le petit nombre des connoiffeurs comme les ouvrages d’un artifte qui connoifToit le point jufte où il eft bon de s’arrêter. M. Huberconnoît une épreuve du Saint-Jérôme qui femble prouver qu’Auguftin gravoit au premier coup. Les parties qui fe trouvent fur cette épreuve font terminées , les autres ne font encore indiquéas que par un trait léger*

(14) Annihal Carrache , fon frère , ne peut être compté au nombre des peintres dont les eaux-fortes ont ce charme auquel les artiftes donnent le nom de goujlofe ; mais fon trait eft çûr, hardi, favant Se arrêté. Ses travaux font fermes Se bien établis. Dans fon eftampe de la chafte Suzanne , les travaux qui forment" le fein & le bras gauche de cette figure , mériteroient, non d’être copiés, mais fuivis comme Une belle indication, fi l’on vouloir faire d’ar /eaum-Àrts. Tome I.

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près le même tableau , une eftampe plus finie & plus foignée. La tête & la barbe du vieillard qui eft le plus près de Suzanne , offrent aufli l’indication des travaux les plus convenables ; il feroit de même impoiïible de mieux exprimer les cheveux courts de l’autre vieillard. Enfin , les eftampes d’Annibal , très-précieufes pour les peintres qui les regardent comme de bons deffins d’un grand maître , mériteroient auffi d’être confultées par les gra» veurs : ils y apprendroient à joindre ce qus l’art a de favant & de pittorefque à ce que la partie de leur talent qu’on appelle le métier, peut avoir de flatteur. Le Guide , élève d’Annibal , a aufli gravé à l’eau-forte & d’une manière plus aimable.

(25) François Villamfne, natif d’ Affilé , fut élève d’Auguftîn Carrache pour la gravure. Sa manière peu chargée de travail , & dans laquelle le travail eft même trop économifé , indique plutôt des deffins d’un effet très-doux que des tableaux colorés. Elle eft d’ailleurs propre & agréable ; mais on fenr qu’il eft plus facile de conferver la propreté des travaux quand on en met fi peu. Quoiqu’il ne manquât pas abfolument de facilité dans le burin , il n’avoit pas encore toute celle que ce genre femble exiger, ce qui donne à fes travaux un fentiment de maigreur. Son deflin eft manière fur- tout pour les extrémités , & malgré fa réputation , il femble ne pouvoir être l’objet d’une étude fort utile ni pour les peintres ni poulies graveurs. Il eft mort à Rome en 1616, Se y étoit venu vers 1585.

Les arts qui commencent à fleurir confervent encore de la timidité : s’il s’élève alors quelques artiftes qui combattent cette timidité par un excès d’audace ,. ils préparent de nouveaux progrès en infpirant à leurs émules un jufte degré de hardieflé. On ne peut trouver le milieu fans connoître les deux extrêmes. Michel-Ange en outrant les formes Se les mouvemens, apprit aux peintres & aux fculpteurs cmel étoic le point où ils dévoient tendre , & où il falloit s’arrêter : Goltzius , & fes élèves plus audacieux que lui, -n’ont peut-être pas été moins utiles aux graveurs.

{26) Henri Goltz , que nous appelions Goltzius naquit à Mulbrecht, dans le Duché de Juliers en 1558, & eft mort à Harlem en 1617. Il étoit fils d’un peintre iiir ,verre qui fut l’on maître pour le deflin , Se il reçut plutôt des confeils que des leçons de gravure d’un nommé Coornhert qui doit aux talens de fon élève toute fa célébrité. Il voyagea en Allemagne & en Italie , & il étudia Raphaël & l’antique , fans perdre une manière barbare que les Allemands s’étoient faite en croyant imiter Michel-Ange. Savant dans le deflin , il détruifit par fon goût vicieux l’eftime que mériteroit fa feience : Aa a

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maïs on rie peut lui réfuter les éloges dûs à fes talens dans la gravure, à tes compofitions ingénieutes, & même à une certaine grâce que ne pouvoit détruire fa manière fauvage. A le confidérer feulement comme graveur , on trouvera fans doute de la bizarrerie dans fes tailles , une affectation trop marquée de te montrer adroit burinifte , un défaut d’accord dans les effets, & trop de négligence on d’ignorance du clairobfcur : mais avec tant de défauts, dont quelques-uns lui font communs avec fes contemporains , aucun d’eux ne lui peut être comparé. Il femble que la nature lui avoit prodigué l’avantage de pouvoir changer à l’on gré le caractère de tes travaux. En général fa gravure eft large & tes tailles ont une affectation de hardieffe : mais quelquefois fes travaux plus ferrés conduJfent à un repos plus tranquille , à une couleur plus piquante & plus vraie. On connoît de lui des eftampes où toutes les tailles ont du mouvement fans qu’aucune foit contournée d’une manière bizarre, où les têtes font animées par des touches fpirituelles &favamcs, où les travaux fins & les travaux mâles, également bien placés , concourent à donner le vrai caractère aux objets qu’ils repréfentent. On fait avec quelle adrefte il trompa les amateurs de fon temps en imitant dans le deffm & dans la gravure Albert Durer & Lucas de Leyde. Une de ces -eftampes, qu’il avoit eu la précaution d’enfumer , fut payée chèrement parce qu’on la prit pour une pièce inconnue d’Albert. Ce font ces imitations qu’on appelle les chefs - d’ceuvre de Goltzius , non qu’elles foient en effet tes meilleurs ouvrages , mais parce qu’elles contribuèrent fur -tout à alTurer fa réputation. Il en efr. de lui comme de plu fleurs autres artiftes ; ce ne font pas fes plus belles eftampes qui font portées au plus haut prix. On n’ignore pas que les amateurs continuent de mettre des prix exorbitans aux ouvrages qui leur ont été une fois vantés, & ce font ordinairement ceux qui ont commencé la réputation de leurs auteurs.

Goltzius commença à peindre à l’âge de quarante-deux ans ? il a fait des portraits & des tableaux d’hiftoire. On connoît par fes eftampes fa manière de deffiner le nud ; on dit qu.e fa couleur eft vraie.

Il a eu la patience de faire à la plume des deffins dont les figures font grandes comme nature. Sa plume eft large & moëlleute , & fes deffins n’ont point la fécherefte ni la petiteffe de manière qu’on pourrait attendre de ce procédé. J’en ai vu un aux falles de l’académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Corneille Cort & Auguftin Carrache avoient donné plus de largeur aux travaux de la gravure , & Golizius leur donna plus de mouvemens. Il fit d’habiles élèves ^Jacques Màtkan G R A

fon gendre, furpaffé par fon fils Théodore, .Jacques de Ghei/ji , Jean Saenredam , Jean MuLLer. Nous nous arrêterons au dernier , parce qu’il eut une manière qui lui fut propre. (27) Jean Muli.er , Hollandois , eft peut-être le graveur qui a manié le burin avec le’ plus de hardieffe. Il méritera toujours d’être étudié par les artiftes qui afpireront à te distinguer dans cette partie ; mais il faudra qu’ils tempèrent par le goût l’excès d’audace qu’il eft capable d’infpirer. Jamais on ne pofsèd» mieux le métier de la gravure-, il eft impoffible de couper le cuivre avec plus d’aifance, & très-difficile d’employer moins de travaux pour rendre les différens objets. On eft étonné de voir avec quelle adrefte il oblige une même taille à lui fervir de première ou de féconde pour rendre une figure entière. Il fait très-ra-rement ufage d’une troifième taille , & ce n’eft jamais que dans une partie de peu d’étendue & qu’il a voulu facriner. Avec cette favante économie , on ne lui peut reprocher ni monotonie dans l’effet général , ni uniformité dans la manoeuvre : tous fes plans font artiftement variés de travail & de ton. Il étoit favant deffinateur, & n’auroit pu , fans cette qualité , parvenir au procédé dont il faifoit ufage : mais on Uii reproche juftement de la manière dans les extrémités , & il a beaucoup gravé d’après Bartholomée Sprangers , peintre manière lui-même. Comme il ne faifoit pas d’ufages de points pour empâter , & qu’il s’obftinoit à n’employer que les deux mêmes tailles pour une figure entière, il leur ari’ivoit fouvent de former enfemble des lozanges outrés, d’où réfulte un grain défagréable à l’œil que les graveurs comparent au dos de maquereau.

(28 ) Autant il étonnoit par la fierté de fes travaux, autant Jérôme Wierx ou Wierix plaifoit par la finette des fiens. Il excelloit dans le petit , mais fouvent il devenoit fec dans le grand. Le payfage & les fabriques de fon baptême de Jéfus-Chrift, eftampe qu’il a gravée en 1 5S5 , font d’un très-bon goût , & l’on peut remarquer , que contre l’ufage de fon temps il y a fait entrer de l’eau-forte. Ses tons dans les chairs étoient fouvent de la plus aimable douceur. Il a quelquefois gravé d une manière fort approchante de celle de Corneille Cort. Jérôme Vieux , & fes deux frères Antoine & Jean étoient des Pays-Bas.

(29) Nicolas de Bruyn , natif d’Anvers, étoft leur conremporain , & fembloit l’être plutôt d* Lucas de Leyde qu’il prenoit pour modèle ; il a même gravé d’après cet artifte gothique quelques fujets d’hiftoire , mais il gravoit plus fouvent d’après fes propres deffins. On a de lui des compofitions d un très-grand nombre de figures ; elles font remarquables par la vérité & la variété des têtes. Ses agencemens, fon caractère GRA

de de/ïïn tiennent du gothique perfectionné. Sa gravure peut être comparée à celle d’Albert-Durer ou plutôt de Lucas de Leyde , mais fans en avoir le mérite ; ce qu’il imitoit de ces anciens maîtres , c’étoit fur-tout la féchereffe : il n’avoir d’ailleurs aucune idée du clair-obfcur ni de l’harmonie. Mais Couvent les figures Se leurs ajuftemens ne manquent pas d’une certaine grâce , & l’on trouve chez lui des têtes de femmes qui ont de la beauté.

Les François ont reçu affez tard la gravure. Le premier qui l’ait exercée cil Jean Duvet , natif de Langres qui travaiiloir à Paris vers 1550. On cite encore les noms d’un No’élCarnier & d’un Etienne de Laidne.

(30) Mais Léonard Gaultier mérite d’être diftjngué pour avoir gravé le jugement dernier de Michel- Ange , d’un burin encore plus fin & plus net que celui de Martin Rota : d’ailleurs Ion eflampe paroît n’être qu’une copie de celle ■du graveur Dalmate.

Cet artifte travailloit vers le commencement du dix-feptième iiècle ; C’efl : à cette époque ■que la gravure à l’eau-forte , jufqu’alors affez négligée, devint d’abord l’amufement de plusieurs artiftes, & fit enfuite la gloire de plusieurs.

(31) Lanfranc , célèbre par fes talens dans la peinture , ri’eft pas un de ceux qui ont manié la pointe avec le plus de fuccès. (32) Mais Corneille Schut , néà Anvers en 2590, & mort dans la même ville en i6j6 a gravé d’après fes compelitions des eaux- fortes juftemant recherchées. Peu de peintres ont pu le vanter d’avoir une pointe plus fpirituelle & plus ragoûtante. Il étoit en même-temps peintre habile & poète eflimé. Il aimoit la grande machine de la peinture & ce qu’en peut nommer la peinture d’apparat.

(33) François Périer , néà Mâcon en 1590 , & mort en 1660 reçut à Rome des leçons de ■Lanfranc , & fe diftingua dans la peinture. Il a gravé à l’eau-forte un grand nombre de fiâmes Se de bas-reliefs antiques ; mais il en fait feulement connoitre l’attitude Se le mouvement. Sa collection feroit plus utile s’il fe fût attaché ■davantage à exprimer le deflîn & le caractère des chefs-d’œuvre qu’il gravoit. L’antique Se les grands maîtres dans l’art du defjin doiyent ■être copiés avec la plus grande précifion, la plus exacte fidélité , j^oferois même dire avec une foumiffion fervile , car il n’y a pas de honte à fe rendre efclave de tels maîtres. (34) L’eau-forte n’avoit encore occupé que les inflans de loilir des peintres-, Jacques Caliot fe confbvra tout entier à ce genre de gravure. C’étoit un gentilhomme Lorrain, né à Nancy en 1503. Il s’échappa de la maifon paternelle Se fit le voyage de Rome pour fe livrer fans obflacle à Ion goût pour le defîîn. Il GRA

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paffa de Rome à Florence pour y continuer l’es études. Le goût qui regnoit dans cette patrie ds Michel - Ange étoit trop chargé. C’efl : un vice dans’ie grand , c’efl une vertu dans le petit , où les formes prendroient un caractère de froideur fi on ne leur donnoit pas une certaine charge en les réduifant. Ainlî le vice de l’école Florentine devenoit une manière propre au genre auquel le jeune Callot étoit appelle par la nature. Il fut honoré des bienfaits du Grand Duc , 8e ne retourna dans fa patrie qu’à la mort de ce Prince. Le Duc Henri, qui regnoit alors en Lorraine, accueillit fes talens Se lui fit éprouver fa générofité.

Tout le monde connoît au moins quelques ouvrages de Callot , & l’on fait quel efprit il mettoit dans fes compolitions. Si l’on veut le coniïcérer feulement comme graveur , on lui trouvera le plus grand talent pour traiter de fort petites figures , & l’on s’appercevra que fes travaux prennent une certaine pefanteur, Se perdent quelque chofe du goût Se de l’efpric qui diflinguent ce maître quand il pafTe à une plus grande proportion. Les graveurs à l’eauforte couvrent ordinairement leur cuivre d’un vernis mou comme de la poix Se qui cède aifément au tranchant de la pointe. On dit que Callot employa le premier le vernis dur des luthiers que les Italiens nomment vernice grojfo de’ lignaiuoli. Il réfifle à la pointe , & en même-temps il la contient : on peut même repaffer pluueur3 fois fur la même taille Se lui donner de la profondeur. Auffi Callot donnat-il à fes tailles la fermeté de celles au burin, au lieu de leur prêter l’agréable badinage qui fait le charme de la pointe. Il n’a point obtenu à cet égard les applaudiffemens de la poftérité , & les connoiffeurs préféreront toujours à fes travaux un peu compaflés la ragoûtante négligence de la Belle. Les deffins de Callot font recherchés ; on y trouve encore plus d’efpric que dans fa gravure. Il n’étoit pas facile à fe contenter lui-même dans fes ouvrages capitaux, & l’on fait qu’il a fait au moins quatre deffins arrêrés de la tentation de Saint-Antoine avant de graver ce fujet. Cette eftampe , celle de la grande rue de Nancy, fes foires , fes fupplices , [es misères de la guerre, fa grande Se fa petite paillon , fort parterre , fon éventail, font regardés comme fes chefs-d’œuvre. Ses talens lui ont fait la plus grande réputation ; il n’en mérite pas moins par fon courage. Il eut la gloire de réfifter à Louis XIII , ou plutôt au Cardinal de Richelieu à qui rien ne réfifloit. Les François ayant pris en 1331 la ville de Nancy fur le Duc de Lorraine , ïbuveraih de Callot , le roi ou fon miniftre voulut qu’il gravât cette conquête comme ilavoit déjà gravé la prife de laRochelle : mais l’artifte refufa de confacrer par fes talens l’humiliation de fon Prince , & A a a.ij

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répondit qu’il aimeroit mieux fe couper le pouce, que d’employer fa main contre l’honneur de fon fouverain & de fa patrie. Il mourut en 1635,

(35) Antoine VAN-DycK,très-bon peintre d’hiftoire , &le plus célèbre des peintres deportraits , né à Anvers en 1599, & mort dans la même villeen 1641, agravéà l’eau-forte avec unfentiment qu’on pourroit appeller de l’enthoufiafme. Peu curieux de la propreté , ne recherchant pas même ce qu’on appelle l’ef prit de la pointe , il animoit tout par une touche mâle & sûre. Sa tête de Vorfterman , celles de François Franck , de Snellinx, de van Noort , femblent refpirer, & ces eftampes , brutes & négligées , ont plus de prix aux yeux d’un véritable ami des arts , que des porte-feuilles entiers d’eftampes du plus beau fini. Celle de Charles Mallery , terminée fous fes yeux par Vorfterman , eft toute de chair.

(36) Claude Gelée dit le Lorrain , célèbre peintre de payfage, né à Chamagne en 1600 , mort à Rome en 1682 , a gravé avec le même effet qu’il mettoit dans fes tableaux. (37) Brebiette , qui floriffoit vers 1636, étoit plein d’efprit dans fes compofitions , mais il en mettoit moins dans le travail de fes gravures. Il conferveroit une grande fupérioricé fur Gillot , s’il eût gravé d’une pointe auffi agréable

( 3S ) Wencejlas Hollar , né à Prague en 1607, mort à Londres en 1677, étoit d’une famille noble qui fut ruinée par la guerre. Wenceflas fe retira à Francfort où il fe perfectionna dans la gravure parles leçons de Mathieu Merian , graveur à l’eau-forte qui mettoit plus de génie dans fes compofitions que de goût & de propreté dans fon travail. Hollar n’imita pas les défauts de fcn maître. Il fut donner à fes travaux le ton le plus flatteur, & l’on peut feulement reprocher quelquefois de la roideur à fes tailles. Sans imiter le burin , elles n’ont pas tout le jeu propre à la pointe. Il les tenoitfort ferrées , & par ce moyen , il parvenoit plus aifément à un effet vigoureux & tranquille que s’il leur eût donné plus de largeur. Il excella dans le talent d’exprimer les poils fins des animaux , les pelleteries, les infeéles. Il a gravé auffi des portraits eftimés , entr’autres celui •d’Albert Durer.

(39) Etienne de la Belle , né à Florence en i6io,mort en 1664, èft le prince des graveurs en petit , comme G, Audran eft celui des graveurs d’hiftoire. Il reçut, ainfi que Callot, les leçons de Canta Gallina, peintre Florentin, & furpaffafon maître & fon émule. On pourroit le regarder moins comme un graveur , que comme un peintre qui excelloit à rendre fes idées par le fecours de la pointe : on peut même trouver en lui de grands rapports avec

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Rembrandt, & l’on citeroit aifément de ces deux artiftes des eftampes qui ont entr’elles une grande conformité d’efprit & de travaux ; mais la Belle, élève d’une meilleure école, avoit en même-temps l’ame plus élevée. Les attitudes de fes figures font nobles , fes airs de tête gracieux , fes compofitions grandes, riches & ingénieufes. On dit qu’il employoit le vernis dur , ce qui rend encore plus étonnante la foupleife de fes travaux. Il établiflbit avec un goût exquis de petites tailles courtes difpofées dans une forte de défordre pittorêfque & bien plus agréables que les tailles les plus foignées. Sa touche eft piquante , fa couleur fuave , & fes travaux , prefque toujours les mêmes , offrent par leurs combinaifons la plus aimable variété :’ ce font ordinairement de petites lignes mé-~ plattes , mais différemment inclinées , croifées , rapprochées , confondues enfcmble. Comme Callot étoit d’autant plus parfait qu’il réduifoit davantage la proportion de fes figures, il me femble que la Eelle gagnoit à. augmenter la : grandeur des fiennes.

(40) Piètre Testa, né à Lucques en 161 1 ,. fe noya dans le Tibre en 1649. Il" eft célèbre par le génie , la vivacité de fes compofitions : &z nous les a tranfmifes d’une pointe un peu maigre , mais toujours animée de fon efprit. Céfar Testa eft moins connu ; mais fon eftampe de Saint-Jérôme mourant , d’aprèî le Dominiquin , lui donnera toujours une place diftinguée entre les graveurs à l’e2u-forte. (41) Abraham Bosse , né à Tours , & mort à Paris en 167S, étoit contemporain de la Belle, mais il aima mieux , pour la manœuvre de l’art, être l’imitateur de Callot. Comme cet artifte il fut donner à fes travaux à l’eau-forte la fermeté & prefque l’éclat du burin. C’eft plutôt un fujet d’obfervation que d’éloge. Il vaut mieux, fans doute , imprimer à chaque genre de gravure le caractère qui lui eft propre ; laiffer à l’eau-forre fa liberté badine , & au burin fa fageffe & fa févérité On peut avec beaucoup d’adrefîe , imiter le burin avec la pointe , & lapointe avec le burin : mais il faut avouer auffi que chacun de ces inftrumens fera toujours mieux lui - même ce qu’il doit faire que l’iaftrument qui affecte de l’imiter. Olbns blâmer Abraham Boffe de fon choix , mais accordons lui des louanges pour avoir réuffi dans ce qu’il a cherché. Il gravoit d’après fes propres deffins ; & fans mettre fes eftampes dans la même claffe que celles de la Belle & de quelques autres artiftes du goût le plus exquis, on les eftime juftement , fur - tout celles qui repréfentent une falle de la Charité , les arts & métiers , les cérémonies du mariage de Louis XIV, &c. Il mérite auffi de la reconnoiffance pour les traités qu’il a publiés fur l’architeâure & la perfpe&ive , & fur-tout pour celui de la ma-.

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HÏère de graver à Peau-forte & au burin , ouvrage dont M. Cochin a donné une nouvelle édition avec des augmentations néceflaires. Ses talens le rirent recevoir membre de l’académie royale de peinture & d’architecture, & il en fut exclus dans la fuite parce que fon caractère libre ofa réfifter au caractère impérieux & defpotique de le Brun qui tenoit alors le fceptre des arts.

(42) Salvator Rosa , né à Naples en 1615 , mort à Rome en 1673 , célèbre comme peintre & connu comme poète , a gravé d’une pointe un peu maigre Se avec peu de foin. On pourroit comparer fa gravure à celle de Piètre Telle : elle eft peu remarquable par elle-même , & perdroit tout fon mérite fous la main d’un imitateur , parce qu’elle le doit tout entier au fentiment qu’un maître habile ne manque jamais de mettre dans les ouvrages. Le grand caractère des têres & la vivacité de l’expreiïion animent quelques-unes de fes eftampes. (43) Sébaft’ien Bourdon, né à Montpellier en 1616, mort à Rome en 1671 a beaucoup gravé d’après fes propres deflïns. Ses eftampes font plus recherchées pour la compofuion que pour le travail de la gravure. Quoiqu’il les avançât beaucoup à l’eau -forte , il favoit s’aider du burin pour les terminer.

(44) Dans le même temps un peintre Italien prêtoit à la pointe toute la grâce dont elle eft fufceptible. C’étoit Benedette de CastiglionEj hé à Gênes en 1616 , mort à Mantoue en 1670. Il eft plein de goûc , fes tailles font courtes , fa pointe eft badine , quelquefois fon ouvrage n’eft qu’un grignotis dont tout le monde fent le charme , dont les artiftes feuls peuvent apprécier l’intelligence. On peut le comparer à la Belle , à Rembrandt, & à tous ceux qui ont mis le plus d’efprit & de ragoût dans le travail de l’eau-forte.

(45) Jean le Potre , né à Paris en 1617 , mort en 1682, artifte fécond & fpirituel dans fes comportions , a quelquefois gravé du meilleur goût. On pourroit en citer pour exemple les morceaux qu’il a donnés d’après Paul Farinati & un affez grand nombre de ceux qu’il à publiés d’après fes propres deffins. Mais l’abondance de fes conceptions ne lui permettoit pas d’accorder toujours beaucoup de foin au travail de fa gravure. : d’ailleurs il laiffoit fouvent trop mordre fes planches , & l’eau-forte en rongeant & creufant fes travaux, détruifoit ce qu’ils avoient d’aimable -, mais elle ne pouvoit détruire ce qui fait reconnoître en lui l’excellent deffinateur pour les ornemens d’architecture , & , à ce titre , il fera toujours eftimé malgré les variations du goût & les caprices de la mode. Il étoit d’une famille féconde en artiftes célèbres. L’un de fes parens, Antoine le Potre, architecte , a bâti l’églife des religieufes GRA

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de Port-Royal , & donné le deflin de la cafcade de Sainr-Cloud ; l’autre , Pierre le Potre , fculpteur , a fait le grouppe d’Enée Se Anchife au palais des Tuileries, & terminé celui de Lucrèce , commencé par Théodon.

(46) François Ch au veau , né à Paris vers 162.0, mort dans la même ville en 1676, fut élève du peintre la Hire & peignit, dit-on, en petit d’une manière fort agréable ; mais il eft fur -tout connu par le grand nombre de fes gravures. Comme on recherchoit beaucoup fes ouvrages , fur-tout pour l’ornement des livres , il étoit fouvent obligé d’expédier -, & pour ne pas revenir fur fon travail à la pointe , il le faifoit mordre avec trop peu de ménagement. Mais quand il travailloit avec plus de patience» Se de foin , il produifoit des ouvrages agréables par l’efprit de la pointe , par la variété des travaux , & par la douceur des tons. Il gravoit le plus fouvent d’après fes propres delïïns , & compofoit avec beaucoup d’imagination & de feu. Sa manière ordinaire étoit d’avancer fes ouvrages à la pointe, & ce ne feroit pas lui rendre une pleine juftice que de le juger d’après celles de les planches où il réfervoit beaucoup de travail pour le burin. Il étoit alors froid Se peu ragoûtant, comme on peut le voir par les eftampes du cloître des Chartreux qu’il a gravées d’après le Sueur.

Nous n’avons pas voulu interrompre la fuite des graveurs à l’eau-forte, nés à la fin du feizième fièclé , Se dans les vingt premières années du dix-feptième • nous retournons maintenant fur nos pas pour examiner les talens de ceux qui fe font fait un nom par la gravure au burin.

(47) Corneille Bioemaért introduifit une nouvelle manière de graver qui eut un grand nombre d’imitateurs , enforte qu’on peut le regarder comms le chef d’une nombreufe école.’ Né à Utrecht en 1603 , & mort à Rome en 1680 , il étoit le troiiïème fils d’Abraham Bioemaért , bon peintre de l’école de Hollande. Lui-même fe livra quelque temps à la peinture Se la quitta entièrement pour la gravure : Son maître , qu’il ne tarda pas à furpaffer , futCrifpin de Pas, imitateur de Lucas de Leyde. Il grava d’abord d’après les deffins de fon père , vint à Paris vers 1630, s’y diftingua par {es eftampes pour les tableaux du temple des Mufes , Se fe rendit à Rome la capitale des arts , où il fixa fon féjour. Il fe fignala par la beauté de fon burin, par le talent encore inconnu de ménager une dégradation infenfible de la lumière aux ombres, & par la variété dés tons fuivant la différence des plans : mais il rie varia pas avec le même art fes travaux fuivant la diverfité des objets. Son grain , tendant toujours au quarré , a du repos & de la transparence 3 il a du mérite quand, jj, eft bien olacé, 374

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mais il ne peut convenir à tout. On peut auili lui reprocher une molleffe générale caute’e par le défaut de touche : ce défaut le remarque furtout dans fes draperies , & il y eft encore augmenté par fa confiance à ne point quitter l’ordre des tailles qu’il a une fois établies , tandis qu’il faut les abandonner brufquement quand l’ordre des plis l’exige. Les plis longs & étroits doivent être traités par des tailles prifes dans le ffens de leur longueur : ce procédé qui donne à la gravure une grande fermeté ne fe trouve point dans les ouvrages de Bloemaert ; il cherchoit ce qu’on appelle le flou , qui eft toujours voifin de la molleffe. Cette même molleffe fe remarque auffi dans l’on trait , qui tend plutôt à ïa ligne circulaire qu’au méplat. Ce défaut le rendoit plus propre à traiter les figures de femmes que celles d’hommes. Il a beaucoup gravé d’après Piètre de Ccrtone , & fa manière etoit affez d’accord avec celle de ce maître. Il feroit injufle de refufer une grande eftime à fes ouvrages s mais il feroit dangereux de les imiter fans intelligence. On doit préférer fans doute l’art d’Augultin Carrache pour la préparation des travaux : mais Bloemaert eft le premier graveur au burin qui ait fu finir une eftampe. C’eft dire affez qu’avant lui on avoit bien fu graver un deffin ; mais qu’il eft le premier qui ait bien fu graver un tableau. Quoique fa gravure fût généralement un peu froide , il la réchauffent par le ton , quand il gravoit a après de vigoureux coloriftes. On en peut voir entr’autres un exemple dans fon eftampe repréfentantSaint-Piene qui réffufcite Tabitha, gravée d’après Barbieri da Cento. Comme Bloemaert a fait école , nous allons donner fans interruption la fuite des graveurs qui ont adopté fa manière : car l’ordre chronologique n’autorife pas à détruire l’ordre des chofes. Il ne faut ni l’oublier entièrement , ni s’y trop affervir.

Si nous confierions feulement l’année de la naiffance de Charles Audran Se à’ Etienne Baudet, nous les placerions avant Bloemaert. Mais quoiqu’ils fuffent un peu plus âgés que cet artifte , comme il eft vraifemblable qu’ils ont plutôt imité que créé la manière , nous avons cru devoir les placer après lui.

■ (48) Charles Audran eft né à Paris en 1594 , & mort dans la même ville en 1674. Il apprit d’abord à graver dans fa patrie, & alla fe perfectionner à Rome : il put dans ces deux villes connoître Bloemaert , ou du moins fes ouvrages, & il mérite -d’être diftingué dans la foule des imitateurs de cet artifte.

(49) Etienne Eaudet , né à Blois en IJ98 , Se mort à Paris en 1671 a gravé d’une manière généralement allez dure un grand nombre de tableaux. Avec le grain quarré de Bloemaert, kl mêloit l’eau-forte au burin , ce qui ne peut G R A

l réulTir dans ce genre de gravure qui exige la plus grande pureté. On ne peut cependant refufer de l’eftime à fon eftampe de l’adoration du veau d’or , d’après le Pouffin & à quelques autres.

(50) Michel N a t a. 1 1 s , contemporain dô Bloemaert, outra lbuvent le grain quarré de ce graveur. Quoique fes eftampes aient du mente , elles peuvent fervir à prouver combien ce choix de travaux eft vicieux dans les chairs & les draperies. Il n’eft réellement propre qu’à graver la pierre , & il en donne le caractère à tous les objets où il domine. Quand Natalis a quitté cette manière quarrée , ce qui lui eft ai» rivé trop rarement , fa gravure ne manque ni d’agrément ni de douceur.

(5 1) Giles Rousselet , né à Paris en 1614, mort dans la même ville en 1686 , a gravé d’après le Guide les quatre travaux d’Hercule du cabinet du roi : ces eflampes font bien peintes Se d’un bel accord ; il faut cependant en excepter celle de Déjanire qui n’a pas l’harmonie des trois autres. Sa manière tient ordinairement de celle de Blsemaert ; mais fes travaux font plus larges , plus variés, Se fon exécution a plus de chaleur. Son eftampe d’après Bourdon , répréfentant la renommée qui porte 1 le portrait du Cardinal Mazarin au temple de l’immortalité , tandis que la Mufe de l’hiftoire offre à la France le récit des aâions de ce miniftre , eft un morceau qui mérite d’être diftingué. Mais fur-tout celle au Chrift au tombeau , d’après le Titien , eft à la fois d’une gravure moëlleufe , large Sr vigoureufe. Elle prouve qu’il étoit bon colorifte , & qu’il favoit très-bien rendre les étoffes Se les divers objets qui peuvent entrer dans un tableau. On a de lui des planches d’un effet fuave à la fois Se piquant.

(52) Guillaume Vaiiet , graveur François ui floriffoic vers le milieu du dix - feptième îècle a travaillé à Paris Se à Rome. Il gravoit d’une manière large Se colorée.

(53) François Poilly , né à Abbeville en 1622 , mort à Paris en 1693 , alla fe perfectionner à Rome dans l’art du deffin. Bloemaert fut dans la gravure le maître qu’il prit pour modèle , Se il réuffît parfaitement dans cette manière un peu froide , mais très-agréable & fort difficile. Les tailles qui fe croifent quarrément ne fouffrent point une manœuvre timide Se ne produii’ent un effet heureux que par leur parfaite égalité. La pureté de fon deffin répondoit a celle de fa gravure , Se confervera toujours un prix à fes ouvrages. Quoiqu’il ait été fans doute fécondé par d’habiles élèves , on ne conçoit pas qu’avec un procédé qui exige tant de patience Se de temps , il ait pu porter à près de quatre cents le nombre de fes planches. L’une des plus remarquables eft celle qui refie G R À

f rêfente Saint - Charles Borromée adminiftrant 3a communion aux peftiférés de Milan : elle eft d’autant plus précieufe, que le tableau n’exifte plus, & qu’il paroît avoir été le chef-d’œuvre de Mignard. ,»-■ "

(j4) Nicolas Pitau , né à Paris en 1633 , mort en 1676, gravoit dans la manière de Poilly , mais fes tailles étoient plus mâles. Sa Sainte Famille d’après Raphaël eft un chefd’œuvre pour la beauté de l’outil , la pureté du deffin , la vigueur & la jufteffe de l’effet. Le caractère de Raphaël n’a peut-être jamais été mieux faifî dans aucune eftampe. L’amateur qui la préférerait même à la fameufe Sainte Famille gravée par Edelinck d’après le même maître , pourroit donner des raifons plaufibles de fon choix. Pitau a prouvé par cet ouvrage que le prince de l’école Romaine pouvoit donner aux graveurs des leçons de couleur , & que pour les trouver dans fes ouvrages , il ne faut que favoir les bien lire.

(55) Guillaume Chasteau , lié à Orléans en 1633 , mort en 1683 , fit un voyage en Italie par curiofité , fe lia dans cette patrie des arts avec un graveur , conçut en le voyant travailler du goût pour fon art , & y confacra le refte de fa vie. Il eft fur-tout connu par fes eftampes d’après le Pouffin , gravées au burin pur dans le goût de Bloemaert & de Poilly , qui ne convient pas parfaitement au caraclère de ce maître. On connoît moins celles qu’il a confidérablement avancées à l’eau-forte, & dans lefquelies on trouve certaines parties traitées avec efprit & d’un très - bon goût. On peut fegretter qu’il n’ait pas toujours fuivi cette manière plus pittoresque & plus libre , dans laquelle il aurait fait fans doute des progrès , & qui aurait augmenté le nombre de fes ouvrages & fa réputation. On lit dans quelques ouvrages fur les arts que Chafteau étoit un graveur médiocre : ou les auteurs étoient fort févères , ou ils n’a voient pas vu fes meilleurs ouvrages.

(56) Elie Hainzélm an, natif d’Augsbourg, étoit élève de Poilly , & très-bon graveur dans la manière de fon maître. On ignore l’année de fa naiflance & celle de fa mort ; on fait qu’il florifîbit vers 1680.

(57) François Spier , né à Nancy en 1643 , & mort à Marfeille en 1681, exerça la peinture , prit des leçons de gravure dans l’attelier de Poilly, & devint fupérieur à ce très-habile maître. Il n J a vécu que trente-huit ans s & mourut en revenant d’Italie où il étoit allé le perfectionner. Il a gravé d’après Piètre de Cortone , le Mole, le Bernin, &c. Quand il fuiyoit la manière de Bloemaert & de Poilly, fa gravure ne cédoit en rien aux plus beaux ouvrages de ces deux artiftes,ou plutôt elle méritoit de Jeur être préférée ; mais ils n’avoient qu’une G R A

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manière , & il changeoit la tienne a fon gré. Il a gravé d’une feule taille avec une fingulière feuplefïe , & dans un goût tout à fais différent de celui de Mellan. Il y a peu de graveurs au burin qui aient autant varié leur manœuvre ; peut-être même qu’à cet égard aucun ne lui peut être comparé. Tantôt fa gravure eft de la plus grande fierté, tantôt elle eft fine & badine. Il favoit quelquefois donner à fort burin un efprit que l’eau-forte peut à peine lu ? difputer. Le porttait du Comte Laurent de Marfciano , peint & gravé par lui-même, eft un morceau remarquable par la couleur , quoiqu’aucune partie de cette eftampe ne foit pouffée au noir. On a plufieurs belles eftampes de la compofition. On dit que fa manière de peindre reflembloit à celle de Piètre de Cortone. Sa Vierge, gravée d’après le Corrège , eft un chef-d’œuvre ; elle a été vendue 500 liv. à la vente de M. Mariette.

(58) Jean-Louis Roullët, né à Arles eit" 164J , mort à Faris en 1600 , l’un des plus habiles élèves de Poilly , & peut-être fupérieuià fon maître. En quittant cette école , il pafla en Italie où il travailla dix ans entiers , & acquit une pureté de deffin qui le rendit capable de graver avec fuccès d’après les plus grands maîtres. Il fuffit à fon éloge de citer fa belle eftampe des Maries au tombeau d’après Annibal Carrache , ouvrage admirable par la correction & la fermeté du deffin , par la beauté du travail , & par l’art avec lequel le graveur a fu conferver Pexprefficn de fon modèle. On a de lui des eftampes que l’on prendrait pour de beaux ouvrages de Bloemaert ; mais celle des Maries reftera toujours ion chef-d’œuvre. Bloemaert & fes imitateurs avoient introduit dans leur art cette partie du clair-obfcur quï confifte à conduire par une dégradation fuivie la lumière la plus piquante à l’ombre la plus forte : c’étoit donner à la gravure la perfection de la peinture monochrome ou en camayeu. Rubens apprit un autre art aux graveurs qu’il dirigeoit, & dont plufieurs s’étoient formés à fbn école. Comme la couleur propre contribue à l’effet général du clair-obfcur, parce qu’une couleur claire étend une maffe de lumière, &une couleur obfcure , une maiTe d’ombre , il leur fit fentir qu’ils détruifoient en partie l’effet d’un tableau coloré dans ce principe , s’ils négiigeoient de rendre la valeur delà couleur propre , & il leur démontra que cette couleur étant néceffairement par fa nature ou plus claire ou plus fombre , pouvoit fe rendre par le moyen du noir ou du blanc plus ou moins dégradé. Cette heureufe découverte ajouta une nouvelle perfection à la gravure , en lui fourniiTant Je moyen détendre, non la couleur elle-même , ce qui eft abfolument impofûble avec du noir 8c du blanc , mais la valeur & l’effet de la 57^

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couleur. Les graveurs , devenus coloriftes , r.e furent plus réduits à n’exprimer que l’ombre Se la lumière : infpirés par un grand peintre , ils furent peintres eux-mêmes.

Comme déjà nous avons accordé à quelques graveurs la qualité de coloriftes , nous paroifl’ons nous contredire ici , en établiffant que les graveurs de Rubens furent les premiers exprimer la couleur : mais la contradiction n’eft qu’apparente. Les langues manquent Couvent de termes pour exprimer les nuances. Nous avons parlé jufqu’ici de la couleur comme d’une qualité portée par quelques artiftes à un degré eftimable ; nous en parlons ici comme d’une qualité portée au plus haut degré de perfeclion. Une grande intelligence de la lumière & de l’omhre peut donner à une eftampe de l’effet & une bonne couleur ; mais une eftampe gravée d’après un grand colorifbe n’eft parfaite qu’en exprimant encore la valeur de la couleur propre. En obfervant feulement le clair-obfcur proprement dit, & lui donnantla vigueur qu’il exige pour produire un grand effet , on rendra bien

en gravure un tableau de l’école Romaine ; mais

fi l’on n’obferve pas encore la valeur des couleurs données par le peintre à chaque objet, on ne rendra qu’imparfaitement un tableau des écoles Flamande ou Vénitienne.

Nous allons fuivre les graveurs qui ont travaillé fous les yeux de Rubens & de Van-Byck, & qui ont obfervé les principes de ces deux grands maîtres.

(jo) Pierre de Jode , furnommé le Jeune pour le diftinguer de fon père , naquit à Anvers vers ï6oi. Il a gravé au burin pur avec beaucoup d’efprit , de goût & : de fineffe. Les travaux de fes chairs ont fouvent le ragoût de l’eau-forte. On peut lui reprocher quelquefois des tailles un peu maigres. On trouvera des exemples de lés qualités louables & de ce défaut dans fon eftampe d’après le Saint - Auguftin de Van-Dick : mais il a gravé d’après le même peintre des portraits dans Jefquels il eft au-deffus de tout reproche.

(60) Pjerre Sohtman, qui flonrTbit vers 1630 , a gravé d’après Rubens des eftampes fort avancées à l’eau forte. Sa pointe eft maigre ; chacun de fes travaux a peu dû mérite fi on les confidère en particulier ; fjuvent même ils font vicieux : quelquefois ils font en défordre ; quelquefois leur ordre & leur choix femblent contraires à la théorie de Fart : mais leur enfemble ragoûtant produit des eftampes qui ne ïlint pas fans mérite , & qui ont toujours celui d’indiquer la molleff ? des chairs & le coloris vigoureux du maître d’après lequel elles font faites. Il a gravé au ’burin pur avec les mêmes avantages & les mêmes défauts : mais quelque genre de gravure qu’il ait choifi , il s’eft toujours montré peintre.

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(01) Pierre Van-Sompeieh, élève de Souo man, floriffoit vers 1640. La fineffe de pointe avec laquelle il a gravé le tableau de Rubens repréfentant les difciples d’Emaiis feroit peut-être dangereufe à imiter, & n’exprime pas la largeur de pinceau du maître ; mais on ne peut s’empêcher de ]’a,dmirer. Elle produit des tons lourds, doux & colorés qui donnent à la gravure l’avantage du deflin au lavis. Cette eftampe eft de l’année 1643.

(61) Jonas Suyderoef, autre élève de Soutman , floriffoit vers le même-temps. Il a gravé avec fuccès d’après Rubens. Les amateur» admirent la fineffe de fes travaux ; on pourrait quelquefois lui en reprocher la petiteffe , quelquefois aufli la roideur, & en même-temps la fechereffe des contours : mais il réparoit ces défauts parla fermeté de la touche , par la pâte , la couleur & l’exprefiion. C’eft par -là qu’il donne à fes eftampes de la chaleur, quoique les travaux en foient un peu froids. (63) Robert V a n-V o e r s t , floriffoit vers 1640. On ne peut oublier entre les graveurs diltingués par leurs talens , Se par l’art d’exprimer la couleur, celui qui a rendu avec tant de caractère , d’après Van-Dyck , les portraits du Comte de Pembrock , d’Inigo Jones , de Vouer, & ie fien même.

(64) Luc VorstermAîi , qui floriffoit vers 1640, fut d’abord élève de Rubens poiir la peinture , & quitta cet art pour fe livrer entière» ment à la gravure. Il gravoit au burin pur, mais il favoit rendre fon burin pittorei’que , & il exprimoit tous les objets dans leur vrai caractère. On defireroit quelquefois que fes contours , au lieu d’être facilement annoncés par un trait, fe trouvaffent fondus avec les objets qui les environnent , & qui doivent leur fervir de fond. Il femble fur-tout que ce moyen de» voit être employé par un graveur qui avoir été peintre. Mais cet art trouvé par Eloemaert , & pratiqué par fes imitateurs, éroit encore peu connu dans les Pays-bas, & l’on pourvoit même croire qu’il y a été introduit par Vorfterman , car on le remarque dans quelques-unes de tes eftampes. Il faut louer en lui la fineffe des travaux , le caractère & le fentiment des têtes , & l’efprit du burin qu’il forçoit à propos à imiter la liberté de l’eau-forte. Quelquefois il reTervoit de larges lumières , & avoit l’art d’expri» mer la couleur du peintre , en économifant les travaux ; d’autres fois il donnoit à fa gravure toute la vigueur dont elle, eft capable. Son eftampe de l’adoration des Rois , d’après Rubens , eft un des beaux ouvrages de l’art. On y admire la variété de manière avec laquelle eft rendue la multiplicité des objets dont elle eft compefée.

Cette variété, recherchée par tous les graveurs de Rubens avoit été jufques-là trop négligée , GR A

gligée , du fi l’on en trouve quelques indications dans les graveurs précédens , il faut plutôt l’attribuer à un heureux inftincl, qu’a un principe Col idement établi. On fent fur-tout que le grain quarré , introduit dans la gravure par Bloemaert, devoir s’oppofer à cette variété fi juftement recommandée dans la fuite , & dont on doit vraifemblablement la première obfervation aux confeîls de Rubens , & à la favante docilité de fes graveurs.

(6«) Paul Pontius ou du Pont, élève de Vorfterman , florifloit vers 1650. Il étoit fort aimé de Rubens , il travailloit fous fes yeux , & c’eft l’un des graveurs qui femblent avoir partagé l’ame de ce grand peintre. On connoît , on admire, on recherche les belles eftampes ■qu’il a gravées d’après ce maure , & fur-tout celle de Tomiris faifant plonger dans un vafe plein de fang la tête de Cyrus. .11 n’a pas moins réufîï dans le portrait, & fes travaux font variés comme les caractères des têtes : c’efr, ce que prouvent les portraits du Marquis de Léganès, du Marquis de Santa Cruz , de Don Carlos de Colonne, de Henri Steenvick , de Rubens , & un grand nombre d’autres , tous gravés d’après Van-..<yck.

{66) Schelte Bolsweht , né en Frife , flo- ,1’inbit en même-tempi que Pondus , & partageoit avec lui l’amitié de Rubens. Quoiqu’il maniât le burin avec beaucoup d’affurance & de liberté , 11 ne s’occupoit jamais à faire de belles fuites de tailles brillantes , & tâchoit au contraire d’imiter le ragoût & le pittorefque de l’eau-forte. Tous fes foins tendoient à rendre, comme elles dévoient être rendues , les parties que lui offrait ion original , àfuivre le mouvement des chairs , la forme des os, les brifures deî plis , quittant fans fcruDule les tailles dès qu’elles ceffoient de lui convenir ; employant quelquefois des tailles courtes , & des empâtemens de points dans les chairs, & même dans les draperies, ne craignant pas pour parvenir à l’effet , de falir fes travaux , de les confondre, de les contrarier par des touches fermes & bien placées ; tendant toujours plus au pittorefque qu’à ce qu’on nomme la beauté de la gravure, fe la rendant toujours d’autant plus belle en effet , qu’il s’occupoit moins d’en ménager la beauté. On a écrit que Rubens fe pla.ifoit à travailler lui-même aux planches de ce graveur : c’efr. fuppofer que ce peintre étoit très-familier avec le burin , ce qui eft peu vraifemblable. Les écrivains qui ont rapporté ce fait , & qui ne connoiftbient pas affez les procédés de l’art, auront entendu dire apparemment , fans le bien comprendre , que , fuivant l’ufage ordinaire des peintres , Rubens retouchoit au crayon ou au pinceau les épreuves de Bolfwert, & que ce graveur revenant fur fes planches , rendoit avec précifion les retouches du maître. Ces retouches me paxoiffe.qt fenft^les Beaux* Arts, lot», l.

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dans un grand nombre d’eftampes de Bolfwert : je m’en tiendrai ici à la Sainte-Cécile, je n’examine pas fi c’eft la plus belle de ce graveur,, il fuffit pour mon objet qu’elle foit belle , & d’un effet très-pittorelque. Il me femble très-probable que c’eft Rubens qui a frappé les fortes ’ touches des fourcils, des yeux, des narines & de la bouche de la Sainte ; touches hardies, qui donnent à la tête une vie extraordinaire, &qui ont obligé le graveur à fouiller profondément fon cuivre, devenant lui-même à l’on tour plucôt peintre que graveur. On pourroit de même reconnoître dans les draperies & dans les acceffoires le crayon de Rubens, d’où font nés des travaux qui ne femblent pas avoir été prévus dans la préparation de la planche. Il lèroit bon que lesgraveurs, quand ils fe fentent refroidir, miffent fous leurs yeux de belles eftampes de-Bolfwert & appriffent de lui à rendre leur gravure moins belle pour la rendre meilleure. On dift ngue entre fes ouvrages, la chute de Saint* Paul , l’Affomption de la Vierge, la vocation der Saint-Pierre, la charte aux lions, d’après Rubens, le crucifix deVan-Dyck, l’éducation d» Jupiter, & la mort d’Argus d’après Jordaens. Il a montré dans quelques eftampes, & entr’autiesdans celle de l’Affomption, qu’il étoi«  très-habile burinifte, & qu’il lui aurait été faci !» de faire parade de cette qualité s’il avoit c :u que l’objet de l’art dût fe borner à la manœuvrer qui n’en eft que le moyen.

( 67) Guillaume Hondiu s floriffoit vers 1650, l’un des meilleurs graveurs lijui fe foient for» mes du temps de Rubens, & non moins admi* rable par l’art de conferver le caractère du maître , que par la finefle Se la belle couleur de fon burin. Son poi trait de François Franck le jeune», eft l’un des plus beaux qui aient été gravés d’après Van - Dyck. La tête eft vivante ; une manche d’étoffe de foie eft rendue avec le plus grandart & (ans aucune affectation de métier. Ce n’eft pas ainfi que l’on grave quand on fe propofe fro ; dement de faire de belles tailles ; mais c’eft ainfi qu’un véritable artifte fe laifle échauffer du feu d’un autre artifte.

(68) Hendrick Snyers , contemporain des 1 derniers graveurs dont nous venons de parler, a travaillé comme eux d’après Rubens. Si j ea puis juger par celles de fes eftampes qui me font connues, il ne peignoit pas avec le burin auffi parfaitement que Bolfwert & Pontius, maisfes travaux font larges fe moelleux , & ii étoit deffinateur dans la manière flamande. (69) Pierrre de Balliu , graveur d’Anvers» vivok au milieu du dix-feptième ficèle. Il eft" peu recommandable par le choix de fes travaux, & fes portraits d’après Van-Dyck font fort inférieurs à ceux des artiftes dont nous venons> | de parler ; mais il a quelquefois donné un très ?. ’ bon. effet à fes eftampes, Nous np ;:s conten- " * Hb^

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terons de cit’et celle de Saint- Athanafe d’après K.embrandt.

Les graveurs formés pas Rubens n’eurent pas dans leur pays des fucceîïeurs dignes d’eux. Leurs eftamoes reçurent un accueil peu favorable en Italie , parce que le deffin n’en étoit ni d’un beau choix ni d’une grande pureté : on y difoit qu’elles Jentoient le flamand. Les graveurs françois , prévenus des opinions italiennes , y firent eux-mêmes peu d’attemion. Quand elles eurent enfinobtenul’eftimequ’elles méritoient , les François qui Pemporroient alors dans la gravure fur toutes les nations de l’Europe, fe contentèrent de les louer ; mais ils continuèrent de fuivre leur goût particulier , ou d’imiter ceux de leurs compatriotes qui jouiffoient d’une grande réputation,ou qu’ils avoient eu pour maître. Ainfi les travaux des Vorfterman , des Pontius , des Bolfwerr , n’eurent pas fur l’art une grande influence. Ce furent de beaux monumens qu’on fe contenta de célébrer, mais fans en faire un objet d’étude , & ils n’eurent pas d’imitateurs.

Nous avons fait connoître les graveurs imitateurs de Bloemaert , 4k ceux qu’avoient formés les leçons ou les confeils de Rubens ; parlons maintenant de ceux qui , chez les différentes nations où l’on cultivoït les arts , acquirent vers le même temps de la célébrité. (70) Claude Melian, né à Abbeville en iéoi , mort à Paris en i6S’S , commença à peindre dans la manière du Vouet dont il avoit reçu des leçons à Rome , & fe coniàcra enfuite à la gravure qu’il exerça le plus fouvent d’.iprcsfes propres deffins. Son contour eft pur , font trait coulant , fes têtes d’hommes ont du caractère , &z celles de femmes de la grâce. Il a gravé d’abord à Rome , & alors il croii’oit fes tailles comme les autres graveurs ; mais dans la fuite il s’avifa de rendre les formes & le clair-cbfcur par un feul rang de tailles renflées eu diminuées, fuivant que le ton l’exigeoit. C’eft dans ce genre de gravure qu’il s’eft fait une grande réputation , & elle auroit peut-êcre été moins brillante , s’il n’eût pas foutenu fon mérite r< el par la fingularité. On eft juftement étonné de la force qu’il a donnée à fes ouvrages avec une fi grande économie de travaux ; mais il faut convenir que c’eft fon art, & non fon procédé, qui eft admirable : il n’auroit pu manquer , avec cette manœuvre , de donner à’ fes eftampes l’apparence de l’acier, s’il avoit eu cette coupe nette & brillante dont on fait à préfenr tant de cas, . & que les amateurs préfèrent aux parties les plus importantes de l’art. Son eftampe de la Elle de Jethro , qu’il a gravée d’après le Tin-J toret, eft d’une couleur admirable , & du moelleux le plus rare : on voit qu’elle eft faite d’après un grand colorifte , on croit y recon-G R A

noître le ton du tableau, & rarement lés peintres Vénitiens ont été fi bien rendus : il n’y a croifé les tailles que dans quelques acceflbires. Dans fon eftampe de Saint-François , le travail de la robe fur les parties lumineufes exprime toute la rudeffe de l’étoffe dont eft vêtu i’auftère cénobite. Quoique la figure principale foît gravée d’une feule taille , 8c qu’il n’y ait du blanc que fur les parties frappées de la lumière, l’éftampe eft d’une grandevigueur.il a gravé, d’après fes propres deffins, des portraits dans lefqueis on croit reconnoîtrê la couleur de la perfonne repréientée. On peut comparer le portrait de Peirefc , affez bien gravé fuivant le procédé ordinaire , dans le recueil des hommes illuftres de Perraut, & celui que Melian a traité d’une feule taille ; l’avantage de la couleur eft en faveur du dernier. Tout le monde connoîc fa Sainte-Face, grande comme nature, & gravée d’une feule taille tournante qui commence au bout du nez. C’eft un jeu d’adreffe que les amateurs ne cefïent de célébrer ; mais ce n’eft pas le plus beau de fes^ ouvrages : on eft fâché qu’un artifte d’un fi grand taient doive la plus grande partie de fa gloire à un femblable tour de force , auquel il ne mettoit peut-être que fort peu de prétention. Il a eu la patience de faire deux fois à la plume le deffin de cette tête ; on peut voir l’un de ces deffins au cabinet des eftampes de la bibliothèque du Roi. ( 71 ) Jean-Jacques Thourneysen néàBâle en 1636 , & mort dans la même ville en 1718, a gravé dan3 la manière de Melian. Il y a de la grâce dans fon eftampe ronde gravée d’après Charles Dauphin , & repréfentant la Vierge, l’Enfant- Jéfus &le petit Saint-Jean. Cet ouvrage eft de l’année 1663.

(72) Rembrandt Van- Rhin. Nous avons déjà parlé de ce grand maître à l’article Ecole. Une liberté vagabonde, un defordre pittorefque, une touche facile , la plus, rare intelligence du clair-obfcur , le talent de rendre par des travaux jettes en quelque forte auhafard, le caractère des dsftsrens âges, & celui de tous les objets qu’il traitoit , telles font les parties , & beaucoup d’autres encore, qui répandent fur les eftampes de Rembrandt un charme inexprimable. On cherche fes procédés , & je ne les crois pas fort difficiles à trouver ; c’eft fon art qui eft un fecret Lmoénétrable. Il eft certain qu’il a beaucoup employé la pointe-sèche ; quelquefois, il l’ébarboit imparfaitement , & fes rebar» bes arrêtant en partie le noir, lui procuraient des tons de lavis : fon heureufe maladrefle à aiguifer fa pointe , à la manier , lui fourniffoit des travaux & des tons fingulièrement pittorefques. Il faifoit aufTi quelquefois ufage du burin , mais plus rarement. Loin de chercher à le rendre brillant , il ne l’employoit que pour peindre , facrjfier ? falir , & ne cherehoit qu’à G R A

îe cacher. On voit cependant qu’il y a beaucoup de burin dans fa grande defcente de croix. Souvent il rentroit à différentes reprifes lès tailles à la pointe sèche. Quelquefois , après avoir fait mordre une planche , il la reçoit vroit de vernis , y ajoutoit des travaux , & la remettoit, à l’eau-forte. On a de lui des eaux- fortes groffières, mais pleines d’efprit ; telle eft fa préfentation au temple. Son eftampe aux cent florins, & les différens changemens qu’il y a faits, éclairent fur fa manœuvre-. Elle repréfente Jéfus-Chrift guérifiant les malades. Il paroît dans quelques parties s’être procuré des tons de demi-teinte en mettant fur ces parties de l’eau-forte à nud. On voit de lui des têtes entièrement gravées à la pointe-sèche , telle eft celle delà fameufe eftampe du banquier Wtenbogard , dont on pofsède à la bibliothèque du Roi une épreuve où le trait feul de cette tête eft établi ; encore l’eft-il lui-même à la pointesèche : telle eft auili la tête du Bourg-Meftre Six, & la pointe-sèche domine dans tout ce morceau. Mais quel que foit le mérité des eftamDesqui, par l’effet que leur a procuré cet outil , reffemblent au lavis ou à la manière noire , nous croyons pouvoir perfiftcr dans l’opinion que nousavons annoncée àl’avticle Ecole, & regarder comme fes chefs-d’œuvre un grand nombre de têtes gravées à l’eau- forte de la pointe la plus favante , la plus ragoûtante , la plus fpintuelle. Le portrait d’Wtenboga’d eft de ce genre , & l’on pourrait encore trouver dans fon œuvre des têtes qui mériteraient de lui être préférées.

On fent que ce jugement porte uniquement fur la gravure, parce que c’eft uniquement de la gravure qu’il s’agit ici , & que nous faifons ab [traction de l’effet , & de la richeffe de compofition qui peuvent faire préférer d’autres morceaux plus capitaux du même auteur. li a eu plusieurs imitateurs , dont quelques-uns furent fes élèves. (73 ) Ferdinand Bol, dont les ouvrages font recommandablas par le piquant des effets , & la vérité de l’expreiTIon. (74) Jeun-Georges Van - Uliet , don : l’œuvre eft d’un grand prix , quoique peu nombreufe. (75" ! Jean Lievexis, Deintre d’hifloire , dont on a des têtes pleines de vie & de vérité. Enfin .(76) Salomon Konnick, peintre d’hiftoire & de portraits , dont les têtes gravées font plua légères de travail que celles de Rembrandt. (77) Grégoire Huret, né à Lyon en 1610, mort à Paris en 1670. Quoiqu’il ait gravé d’après fes defïins , fes eftampes femblent faites d’après des tableaux vigoureufement colorés. Il mcriteroit , à titre de defïinateur & de graveur, une ïéputfltion fupérieure à celle dont il jouit. Ses effets font larges & piquans , fes têtes expreiïïves , fes draperies bien jettées , fes conceptions neuves & ingénieufes. Ses acceiïbires ont d« $ t3 R A

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richelTe fan* tomber dans le luxe. Cpfflme graveur, fans le mettre au rang des plus grands buriniftes, on ne peut lui refufer d’avoir affez bien manié le burin, non pour étonner par unemanœuvre recherchée , mais pour (àtisfaire ceux quipenfent que l’artifte pofiède fuffifamment fort outil quand, il peut rendre tout ce que Tare exige. Sa gravure eft moëlleufe & facile ; partout fes travaux font d’un bon choix, & , dans certaines parties , ils font pleins d.e goût. (78) Janus ou Jean Lutma , orfèvre d’ Amfterdam , florifîbit vers le milieu du dix-feptième flècle. Il eft connu par quatre portraits qu’il grava au c-ifelet , fe fervant d’un petit maillet pour faire pénétrer cet infirument dans le cuivre Il mettoit au bas de fes eftampes opus mallei (ouvrage au maillet). Ces têtes font pointiliées d’une manière douce & très-agréa~ ble. Il n’y avoit qu’à faire imprimer fes planche» avec de la poudre de fanguine ou de crayon noir broyée à l’huile, pour qu’elles imitafferre le crayon. Lutma peut donc être regardé comme le véritable inventeur de la gravure dans la manière du crayon , & c’eft bien vainement que les fieurs François Se Defmarteau fe fonr difputé fi vivement dans la fuite la découverte de ce genre de grayure. Il n’ont inventé quo la manière de l’imprimer. C’étoit en apparence peu de chofe ; mais c’eft fouvent à peu de chofe que tiennent les découvertes les plus heureufes. On a vu qu’au quinzième fiècîe l’invention de la gravure en eftampes ne tenoit auflï qu’au moyen d’imprimer des ouvrages qu’on favoit faire depuis long-temps. (70) Michel Dorigny , né à Saint-Quentin en 1617 , & mort à Paris en 1663 , étoit gendre de Vouet : il gravoit à l’eau-forte , & ne mérite guère d’être cité que pour avoir perpétué par la grayure un grand nombre d’ouvrages de ce peintre. La plupart de fes eftampes ont de la dureté , & ce défaut n’eft pas réparé par le goût des travaux.

(80) Ifra’jl Silv estre , né à Nancy en 162.1 , mort à Paris en 1601 , fit deux fois le voyage d’Italie. Il defîïnoit des vues avec beaucoup de goût. Il compofa fa manière de celles de Callon & de la Belle , & paroîtà fon tour avoir été imité par le Clerc. Il fut employé par Louis XIV à defilner les maifons royales &les places conquifes par ce prince. Il ornoit feu defïïns de petites figures touchées avec beaucoup de goût. (Si) Jean P e s k e , né à Rouen en 1623 , mort à Paris en 1700. Sa gravure , dont les tra» vaux ne font ni agréables . ni favans , ni pittorefques , ne lui auroit fait aucune réputation y, s’il ne s’étoit pas appliqué à rendre le caractère des maîtres qu’il copioit -, cette qualité manque à un grand nombre de graveurs qui ont eti. d’ailleurs plus de talent. Ce qui a contribua fur-raiy à lui faire un nom dans un art dont ’4, B bb ij >. possédoit trop foiblement la manœuvre, c’est qu’il a gravé un très-grand nombre de tableaux du Poussin. Il avançoit beaucoup les estampes à l’eau-forte. Ses travaux d’Hercule, qui sont légers d’ouvrage, offrent une bonne disposition de tailles.

(82) Nicolas Berghem, dont le vrai nom étoit Klaas, naquit à Harlem en 1624, & est mort en 1683. Il est célèbre comme peintre de paysages, mais il peut être compté entre les bons graveurs à l’eau forte, & peut servir de modèle pour la gravure des animaux.

(83) Carle Maratte, né à Camerano en 1625, mort à Rome en 1713, célèbre peintre d’histoire, a gravé d’une pointe assez maigre. Ses estampes n’ont guère que le mérite de propager quelques-unes de ses compositions.

(84) Corneille Vischer, graveur Hollandois, florissoit vers 1660. Il étoit élève de Soutman. Les animes semblent s’accorder à lui adjuger la palme de la gravure. Il est impossible de mieux peindre avec la pointe & le burin, de mieux accorder ces deux instrumens, de les faire contraster plus hardiment entr’eux, de mieux imiter avec le burin par le badinage pittoresque de l’eau-forte. Ses estampes les plus recherchées sont celles qu’il a gravées d’après lui-même ; car il étoit bon dessinateur, ou plutôt il étoit toujours peintre, soit qu’il maniât le crayon, la pointe ou le burin, ces ouvrages les plus célèbres l’en : le portrait de Gellius de Pouma, qu’on appelle l’estampe à la grande barbe, la fricasseuse, le marchand de mort aux rats, la Bohémienne, le char. On admire dans la Bohémienne l’opposition de ce que l’eau-forte a de plus brut avec ce que !e burin a de plus brillant. Le portrait de Bouma est plus étonnant encore. Les travaux font savamment & hardiment pris & abandonnés pour suivre le plan des chairs de ce vieillard. Les tailles qui peignent l’enchassement des yeux, & celles qui forment les yeux eux mêmes sont d’un choix & d’une perfection dont il seroit difficile d’offrir un second exemple. Les différens plans du nez offrent de la chair véritable, & cette chair est de l’âge que devoir avoir le modèle. La bouche, en grande partie cachée par la barbe, est d’une touche juste ; on y reconnoît d’autant plus d’art qu’elle en montre moins. La barbe blanche semble avoir été faite en jouant, & de ce jeu a résulte la plus singulière vérité ; en la regardant à une distance convenable, on croit en voir les poils. L’habit est gravé au burin comme l’estampe entière ; mais le travail en est remblotté comme celui de la peinte : le ton, la touche, l’ordre des plis font reconnoître l’étoffe du manteau, sans que l’artiste ait employé aucun des moyens auxquels les graveurs ont ordinairement recours pour exprimer des étoffes de soie ; on remarque même, en regardant les tailles de près, qu’elles sont négligées, assez inégales entr’elles, & qu’elles ont même un tremblement de pointe, sorte de travail qui sembleroit ne devoir exprimer que des étoffes grossières. Mais toutes les sortes de travaux, conduits par son intelligence, prenoient sous sa main tous les caractères qui lui convenoient, & c’est en évitant par-tout l’apparence de l’art, qu’il est parvenu au comble de son art.

Il eut deux frères ; Jean qui a gravé d’après Berghem & d’après Van-Ostade ; il allioit aussi l’eau-forte au burin, mais avec un succès très-inférieur ; & Lambert, qui fit le voyage d’Italie, travailla avec Bloemaert, & grava d’une manière assez semblable à celle de cet artiste. C’est ce qu’on peut reconnoître dans ses estampes d’après Pierre de Cortone.

(85) Joseph-Marie Mitelli, graveur Italien, a publié d’après les plus grands maîtres de l’école de Bologne des recueils qui lui méritent de la réputation. Il gravoit à l’eau-forte avec esprit, & d’un bon caractère de dessin. Quoique sa pointe soit un peu maigre, il est digne d’estime, même en qualité de graveur, par l’intelligence avec laquelle il établissoit ses travaux. Sa gallerie d’Enée, d’après Annibal Carrache, fut publiée en 1663, & il donna en 1679 douze estampes d’après les plus grands maîtres Bolonnois. Mitelli passe pour être le premier qui ait publié de semblables recueils. C’est à lui que l’on doit l’estampe italienne de la nuit du Corrège. Ce tableau a été gravé depuis avec plus d’effet, mais peut-être avec moins de caractère, d’esprit & de grâce, dans la gallerie de Dresde.

(86) Jean Morin, né à Paris, & mort vers 1660, étroit élève de Champagne, & se consacra d’abord à la ceinture. Il imagina de graver les chairs avec des points faits à l’eau-forte Comme il avoit le bon goût de rappeller des travaux du même genre dans les tailles de draperies, & des fonds, qu’il gravoit également a la pointe, ses travaux étoient d’accord entr’eux. Il a sur-tout gravé des portraits fort estimables, & qui font justement appréciés par les artistes ; mais on ne le donne pas pour modèle.

(87) Jean Boulanger. vivoit en même tems que Morin, mais il étoit plus jeune : nous le mettons à côté de cet artiste, parce qu’il s’avisa aussi, pour donner plus de douceur & de moelleux aux chairs, de les graver avec des points. Mais Morin faisoit ces points à l’eau-forte, & Boulanger les établissoit au burin. Comme il gravoit les autres parties du tableau d’un burin souvent assez dur, ce contraste de mollesse & d’une excessive fermeté, produisoit un effet vicieux. En général ses estampes manquent d’accord dans les tons & dans les travaux.

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•Boulangeî & Morin peuvent être regardés, comme les premiers inventeurs de cette gravure pointille’e qui, depuis quelques années, eft fort en ufage en Angleterre , & que les François commencent à imiter.

( 88 j Robert Nanteuii, né à Reims en 1630, fliort en 1678. Quoique fils d’un marchand peu fortuné, il reçut une très-bonne éducation, &il avoit un goût fi vif pour la gravure, quil grava lui-même fa thèfe de philofephie. Il peignoir bien le portrait au paftel , & fai-Moit très - heureufement les reffemblances. Comme fes tableaux n’étoient pour lui que les eiquifl’es de fes gravures, on a eu trop peu de foin de les conferver, Se ils font devenus très-rares. Nanteuii tient certainement un des premiers rangs entre les graveurs de portraits , Se fes ouvrages feroient aujourd’hui plus recherchés , s’il ne s’étoit pas contenté de faire de -fimples bulles, qui par conféquent n’offrent pas d acceffoires capables d’intéreffer les amateurs. Il a gravé des portraits grands comme .nature, & dans cette forte proportion, fa gravure eft moëlleufe & colorée. Ses cheveux ont beaucoup de légèreté, quoique pour les exprimer , il ait fait peu d’ufage du moyen trop prodigué dans la fuite par Maflbn, celui de repréfenter des poils qui fe détachent de lamafie. Il varioit fes travaux dans fes diffévens ouvrages fuivant qu’il le jugeoit convenable. Sa pratique ordinaire étoit de graver en points les demitein’es ; mais il a gravé en tailles, &fans aucuns points, la tête du Préfident Edouard Mole, Se tout en points celle de la fameuï’e Reine Christine ^ de Suède ; le travail de ce pertrait eft généralement léger, 8c l’ajuftement très-pittorefque. On regarde comme fes chefy-d’œuvre les portraits de l’Avocat de Hollande , de M. de Pomponne, & du petit Miliard.

1VL de Jaucourt dit , dans l’ancienne Encyclopédie, en parlant du portrait de Louis XIV par Nanteuii , que la couleur naturelle du teint, le vermeil des joues, Se le rouge des lèvres •y lont marqués. Tous les lecteurs fentiront aifément qu’avec du blanc & du noir il eft unpofîïble de marquer du vermeil & du rouge. On peut pardonner ces exagérations ou ces inad-Tertances à un amateur : mais , dans un ouvrage tei que l’Encyclopédie", qui doit donner une idée jufte des arts & de leurs moyens, il faut fe contenter de dire que Nanteuii , comme les graveurs coloriftes , mais à un degré inférieur « queiques-uns d’entre eux, avoit l’art de rendre, avec du noir & blanc, la valeur des tons différens, que les peintres expriment avec des fubj &ances colorées.

(89) Etienne Picard, dit le Romain, parce qu’il étudia quelque tems à Pome. eft né â Paris en 1631 & mort à Amfterdum en 172.1. J a gr&yé dan & kguniere de Fcilly, & a fait GO

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auffi des eftampes où l’eau-forte domine : mais, dans ces deux genres, il ne peut être mis au nombre des artiftes fupérieurs. Il a mérité un. grand reproche ; celui d’avoir gravé leCorrege, le plus harmonieux des peintres , d’une manière sèche, dure & fans accord.

(90) Piètre Santé Bartolii, né à Péroufe en 163 y, mort à Rome en 1700, eft moins celèbte par fon talent pour la gravure, que par fes deffins d’après l’antique. Comme defu> nateur & graveur des monumens de l’ancienne Rome, il eft bien préférable à Perier. On peut ajouter qu’il mérite une place très-honorable entre les graveurs à l’eau-forte. Quoique fes travaux foient en apparence peu étudiés , on voit fouvent qu’il auroit été difficile de faire mieux avec plus de foin. Il mérite d’autant plus d’être confulté par les graveurs , qu’il n’eft pas du nombre des artiftes qui font parvenus à l’effet par des travaux fans ordre ; le» fiens font fouvent établis avec beaucoup defentiment & de goût. Malgré les éloges qu’on lui accorde en qualité de deflinateur, on lui reproche de n’avoir eu qu’une manière de «leilin , quelle que fût celle du maître ancien ou moderne qu’il fe proposât de rendre. On peut ajouter qu’il eft plus rond que méplat dans fes contours. (91) Antoine Masson, né dans l’Orléanois en 1636, mort à Paris en 170°» graveur célè* bre par la foupleffe de fon burin, & par la jufteffe des tons qui donne à tes eftampes la couleur & l’effet de la nature. Il avoit été d’abord armurier & damafquineur, & avoit ao» quis une grande pratique du burin dans ceîta prcfefîion «jui l’obligeoit à graver fur l’acier. On croiroit qu’avec cette première éducation, Maflbn ne poffedoit que le métier de la gra-» rure ; mais il favoit auffi deftïner Si peindre, & comme Nanteuii , il peignoir quelquefois» lui-même les portraits dont il publia les eftampes. Ses ouvrages doivent une partie de leur mérite au talent qu’il avoit d’exprimer la cou* leur. Mais avec toutes les qualités nécerTaires pour obtenir l’eftime des artiftes & des vrais connoifleurs, il eut très-fouvent la petite prétention d’étonner le vulga re des amateurs, par des travaux bizarres. Son portrait de Bnfacier eft juftement efiimé : on reconnoît quel étoit le teint de cet homme , on fent la légèreté de fa belle chevelure grifë, fon collet eft de la dentelle vérirable. Le portrait d’Olivier d’Ormeffon eft aufli de la plus grande beauté fans aucune affeâation, fi ce n’eft dans les cheveux ; mais, dans fon portrait de Fredérj» Guillaume , Elefteur de Brandebourg , on eft un peu choqué de voir une taille en form» de poire, faire le nei de ce Prince, & un» autre taiile fpirale faire fon menton. Son pore trait de Guy Paùn eft étonnant : le travail n«  fàurok être plus biïâire, mais l’effet qu’il prçS S*’

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duit eft admirable. Celui de Charles Patin eft d’une excellente couleur & refpire la vie ; on voit le rire, mocqueur de ce médecin , non moins fatyriquc cjue fon père ; Tes yeux brillent de malice ; l’hermine de fa fourrure eft en même tems de la plus grande liberté dfe travail & de la plus admirable vérité : mais en regardant de près les tailles de la face , on trouve fort fingultere la marche que fuivent celles qui deïïment le nez pour aller enfu’nc former la joue ; on n’eft pas moins bleffé des tailles du iront , & l’on eft étonné de voir enfuite une taille roide former le menton. Son affe&ation de repréfenter des cheveux & des poils détachés, & en quelque forte volans, n’a pas été toujours hcureufe. Il réfulte de cette méthode que dans la fameufe eftampe des difciples d’Emaiis d’après le Titien, qu’on appelle l’eftampe à la nape , le chien avec fes poils hériffis {emble , quand on le regarde de trop près , être un chien de paille. On fentira aifement que cela doit être ; car un poil volant ne peut fe repréfenter en gravure que par deux tailles qui laiffent entre elles un intervalle ; quand cet intervalle ne feroit que de la cinquième partie d’une ligne, il en réfulte que, dans la proportion que peuvent avoir les figures dans une eftampe , le graveur , pour repréfenter un poil léger , reprefente en effet un poil qui a plus d’une ligne de groffeur. Il faut donc faire un ufage très-fobre de ce menfonge qui efb trop aif ment découvert quand il eft trop répété. Il n’en refte pas moins vrai que l’eftampe à la nape, quoiqu’elle offre ancore quelques autres bizarreries , eft un chef-d’œuvrs de gravure & peut être le plusbeau morceau qui qui ait été fait d’après le Titien. Il eft rare eue, dans les ouvrages de Maffon , les beautés ne compenfent pas avantageufement les défauts qu’il n’avoit que parce qu’il aimoit à les avoir. Dans le portrait de Gafpard Charrier qu’il a oravé d’après Blanchet , les cheveux indiquent plutôt les tuyaux d’un hériiTbn que la chevelure d’un homme ; mais la face eft d’un beau travail , les yeux fur-tout font gravés avec le fentiment le plus rare, & la peinture ne rendroit pas mieux l’humidiré bri ;lante du chryftallin. Il a gravé un affez grand nombre de portraits à-peu-près grands comme nature ; mais ce n’eft pas dans cette proportion qu’il a le mieux réuffi.

M. de Jaucourt dit , dans l’ancienne Encyclopédie , que Maffon , » au lieu de faire agir la 55 main droite fur la planche, comme c’eft l’ordid naire , pour conduire le burin fuivant la forme » du trait que l’on y veut exprimer, tenoit » au contraire fa main droite fixe , ik avec fa » main gauche , il faifoit agir la planche dans » le fens que la taille exigeoit. a Affurément «e n’eft pas Maffon qui a le premier imaginé G R A

de tourner la planche , puifqu’on iîé peut tr’às cer autrement au burin des tailles tournantes. Comment M. de Jaucourt imaginoit-il que Goltzius, que Muller euffent pu produire leurs travaux en JaiîTant la planche immobile ’ Comment, avant Maffon , auroit-on gravé en tailles arrondies la prunelle de l’œil fans tourner 1» planche ? Il n’eft pas vrai non plus que Maffon tînt fa main droite fixe, peneant qu’il tournoit le cuivre de la gauche. Ce qui eft vrai, & ce que’ nous ofons affirmer fans avoir vu graver Maffon , c’eft que de la main gauche il tournoit le cuivre vers la droite, tandis que du poignet droit il pouffoit le burin vers la gauche, &, fans ce mouvement du poignet droit, ni Maffon , ni perfonne ne pourrait couper le cuivre.

(52) dandine Bousonnet Stelia , nièce de Jacques Stella , peintre eftimable originaire de Lyon, eft née à Lyon en 1636 & eft morte à Paris en 1697. Elle mérite la palme entre les femmes qui fe font appliquées à la gravure , non que plufieurs ne l’aient furpaffée par ces alléchemens de l’art qui charment le peuple des amateurs, mais parce qu’elle en a poffédé mieux qu’aucune autre la profonde feience. On pourrait même avancer qu’aucun homme, n’a faifi comme elle le véritable caraélère du Poulïïn. C’eft ce qu’il fera facile de reconnoître en comparant les autres eftampes gravées d’après ce maître , avec celle du boiteux à la porte du temple, du calvaire, du Moyfe fauve, & furtout du Frappement du rocher, tous ouvrages de Claudine. On eftime les eflampes de Pefne parce que, dans fa gravure peu agréable, on trouve au moins quelque fentiment des beautés que lui fourniffoient les tableaux du Pouilîn. Mai* avec combien plus de fineffe & : de précifïon Claudine rendoitle deffin du Raphaël François.’ Et comme fes travaux bien fui vis expriment mieux les différens objets, que le défordre des travaux de Pefne qui , dans leur confufion n’off.ent pas même le charme à’an abandon pittorefque .’ Ses tons, favamment dégradés, annoncent les différens plans avec une rare jufteffe ; enfin aucun graveur n’eft parvenu comme elle à indiquer la couleur du Pouilin ; en voyant les cftampes de Claudine, on fe reprefente les tableaux , & dans cette parti* elle l’emporte même fur Gérard Audran. Elle avançoit confidérablement fes eftampes à l’eauforte, & n’employoit le burin que pour les accorder, ylntonïne fa fœur a auffi gravé l’hiftoire , mais avec moins de fuccès. ( 93 ) Sehaflien Ls Clerc , né à Metz en" 1637, mort en 1714. Voifm de la patrie de Caliot, il avoit avec lui quelques conformités ; on pourrait dire que c’étoit Cafiot annobli. Nous laifferons parler fur cet artifte M. Dandré Bardon » Le Clerc s’eft autant diflingué’ G R A

a dit l’habile profeffeur , par la fécondité & » la noblefle de fon ftyle, que par l’efprït & » la netteté qu’il mettoit dans fes ouvrages. » On y fent qu’une eau-forte très-avancée n’a v laiffé à faire au burin que ce qui doit rendre ai la pointe plus agréable & plus précieufe. » (Economie & variété de travaux , tailles fimx > pies , courtes , méplates & ferrées avec intelligence, aimable irrégularité, fuppreilion » générale de ces points qui, dans le périr , » détruifent l’effet 6c nuifent au goût, facilité j) de manœuvre, touche délicate & moè’lleufe , » tel eft le ftyle de le Clerc. Son entrée d’Alexandte dans Babylone , l’académie des » fciences , les figures de la bible , l’élévation » des pierres du fronton du Louvre, fon œuvre » entière préfentent des compofitions plus » grandes que le cuivre où elles font tracées. » Dans la belle manière de les rendre, l’artifte ne cède en rien à celle de les concevoir. <x

Les payfages , les fabriques , les eaux font traitées dans fes eftampes avec un goût exquis. Sa manière de draper eft fimpie Se belle ; les formes de fes figures font élégantes & correctes , les têtes nobles 3c caraclérifees ; quelques traits de pointe y indiquent l’expreflïon avec une fineffe exquife. Il s’étoit formé fur le Brun , & fembloit avoit eu pour maîtres l’antique & Raphaël. C’eft que la favante manière de le Brun, réduite à la proportion des ouvrages de le Clerc , perd ce qu’elle peut avoir de défectueux, & ne conferve plus que le grand ftyle de l’école romaine. La gravure de le Clerc étoit fou vent d’une feule taille ; ellen’avoit pas le charme de la pointe badine de la Belle , elle avoit la fage fermeté qui convenoit aux nobles conceptions qu’elle devoit rendre.

! Le Clerc avoit été d’abord ingénieur : il écoit 

favant en architecture, en mathématiques, en perfpeftive , Se fut profefièur de cette dernière îcience à l’académie royale de peinture de Paris.

(94) Adam Pérelle né à Paris en 1638, mort en 1695, célèbre par fes petits payfages louvent ornés de fabriques très-pittorefques , & gravés avec beaucoup de charme. Nicolas Pereiie a gravé quelquefois l’hiftoire, même d’après le Poufïin, mais d’une manière dure & fans accord. Ses travaux en ce genre reffëmblent à ceux de Michel Dorigny.

( 05 ) Charles Simonneau , né à Orléans en* 1639 , mort à Paris en 1728 , graveur d’hiftoire , de portraits Se du genre qu’on appelle vignettes , moins eftimable par cette variété de talens que parce qu’il avoit une manière de graver qui lui étoit propre , & qui ne manquoit ni d’agrémens ni d’efprit. Il faifoit beaucoup travailler la pointe fur les demi-teintes & fur les plans reculés, & réferyoit le burin pour les parties les SR A

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plus vigoureufes. Il étoit defïïnateur , Se a gravi plufieurs morceaux d’après lès propres compofitions.

(96) Louis Cha^stiilon né à Sainte Menehou , en Champagne, en 1639, mort à Paris en 1734. Il peignoit en émail & cultivoit en même temps la gravure. Il a donné en ce genre un grand nombre d’ouvrages d’après de grands maîtres. Ce n’eft affurément pas un graveur fans mérite, maison ne doit pas le donner pourmodèle. Il avançait beaucoup fes planches à l’eau-forte & favoit affez bien établir l’es ébauches ; mais il ne favoit ni les empâter avec douceur , ni leur donner un accord harmonieux , ni les terminer par des travaux aimables.

(97) Alexis Loir , né à Paris en 1640 , mort en 17 : 3 1 bon defïïnateur, graveur large, facile & expreffif, fâchant varier fa manière, fuivant le maître qu’il gravoit. Le mafTacre des Innocens d’après le Brun , & une deicente de croix d’après Jouvenet lui afturent un rang honorable entre les meilleurs graveurs françois. Il a aufïï gravé à l’eau-force ; mais fa gravure étoit trop quarrée pour ce genre tç fa pointe très-férieufe.

( 98 ) Gérard Lairessè, né à Liège en 1640, mort à Amfterdam en 1711 , a gravé un grand nombre de fes compofitions à l’eau-forte légèrement retouchée au burin. Elles plaifent par l’efprit & la variété de la compofition, quoique le défini en foit maniéré & peu correct ; , Se que la gravure en foit médiocrement agréable. {09) Valintin ie Feere de Bruxelles, travailioit vers 16S0. Il n’eft remarquable que pour avoir gravé à l’eau-forte un grand nombre. d’eftampes d’après Paul Veronèfe dont il ne fait pas ièntir la couleur. Indiquer feulement la compofition &c le trait des bons ouvrages de l’école romaine , c’eft beaucoup : ne donner que la compofition &c le trait des tableaux de l’école Vénitienne fans en indiquer la couleur , c’eft peu de chofe.

( ioa) François Bauduiîi, vivoit en même temps que les artiftes qui viennent de nous occuper. Il a gravé un grand nombre de tableaux de Vander-Meulen , & il mérite d’être étudié par la manière dont il a rendu le feuille des arbres. On ne condamnera pas les amateurs de délirer à préfent un travail plus propre Se plus foigné ; mais Bauduin pourrait du moins être imité pour le trait & la préparation des travaux dans la partie où il excelloit : eu plutôt les graveurs qui fe deftinent au payfage , devroient commencer par deffiner des arbres d’après les peintres qui les ont traités grandement, & enfuite d’après nature. Il eft trop aifé de s’appercevoir que les graveurs modernes pafTent en France de la vignette au payfage fans aucune préparation intermédiaire. Nous avons eu dans ces derniers temps des £W6jf/v oui ont bien 384 GRA

rendu des vues de marine-, des campagnes boifées font-elles des objets moin :; iniéreflans pour l’art ?

( 101 ) Gérard Audran , né à Lyon en 1640 eft mort à Paris en 1703. Il étoit d’une famille qui déjà s’étoit acquis de la réputation dans la gravure. Nous avons parlé de Charles ou Karle imitateur de Bloëmaert. Ce Karle avoit un frère nommé Claude, établi à Lyon , & qui eut deux fils graveurs comme lui. L’aîné fe nommoit Germain, & fut profeffeur d’une académie de deiïin établie dans cette ville ; il a gravé différentes fuites de payfages & desfujets d’ornemens -, le cadet eft Gérard qui a immortalïfé le nom des Audrans.

Il eft vraifemblable que Gérard demeurera long-temps le premier des graveurs dans le genre de l’hiftoire traitée à la manière de l’école Romaine ; car il faut peut-être un plus grand fini, & furtout plus d’imitation de la couleur pour graver d’après les maîtres Flamands S : Vénitiens. Il apprit de fon père les élémens de fon art, & alla fe perfectionner à Rome dans celui du deffin. Après y avoir confacré trois ans à l’étude la plus affidue, il vint à Paris exercer les grands talens qu’il avoit acquis.

Il avoit un excellent goût de deffin ; & comme îl gravoit d’après de grands tableaux, & que par conféquent fes figures étoient d’une proportion bien inférieure à celle de fes originaux, il arrivoit fouvent que fes eftampes étoient nveux deffinées que les tableaux qu’il copioit, fans qu’on pût lui reprocher d’en avoir changé le deffin. En effet, dans une fi forte réduction , un renflement ou une diminution infenfible du contour produit une différence confidérable. Ainfi le Brun traduit en gravure par Gérard Aud’-an , perdoit de la rondeur & de la péfanteur qu’on lui reproche, fans que lui-même eût pu dire comment , fous la main de fon graveur , fon deffin avûit pris un caractère plus fveke, plus méplat, plus caraélérifé. Il eft aifé de fe faire une idée de cette îbrte de correction. Suppofons qu’une figure de le Brun, qu’Audran fe propofoit de graver, eût une proportion dix fois fupérieureacelle qu’elle dev.oit prendre dans l’eftampe : fi pour rendre un membre de cette figure plus élégant , il falloir, rentrer le contour d’une dixième partie de la largeur de ce membre , fuppofition fort exagérée , cette correction étoit dans l’eftampe d’une centième partie & devenoit imperceptible -. mais fi elle n’étoit en effet que d’une cinq-centième partie ou moins encore, ce qui eft plus approchant de la vérité, comment la -vue auroit-elle pu l’apprécier . ? C’eft ainfi qu’un graveur très-habile dans l’art du deffin , peut corriger le peintre fans l’offenfer ; c’eft ainfi içiu’un graveur qui deffijse foiblement peut gâter GRA

le deffin d’un maître , en détruire le caractère fans que le maître lui-même puiffeapperce voir comment on l’a travefti , en (’imitant de fi près. Si le meilleur goût de deffin eût fait le feu ! mérite de Gérard Audran, fes eftampes devroûnt être recherchées : mais il peignoitavec la pointe ’ & le burin, & ces deux inftrumens prenoient en fa- main la facilité de la broffe. Tous les objets recevoient de fon art le caractère qui leur étoit propre. De belles fuites de tailles courtes, placées avec une négligence apparente , des travaux bruts, à l’eau-forte pure, des travaux au burin auffi bruts que ceux de l’eauforte , des points mis en quelque forte au hafard , produifent la magie de fa gravure. Dans quelques croupes de chenaux des batailles d’Alexandre , vous voyez le burin le plus ferme ; dans d’autres parties, vous ne reconnoiffez qu’une eau-forte pittorefque. Des tailles plates fuffifent à rendre les plans reculés : des points de différentes formes , de différentes groffeurs , expriment les teintes des différentes fortes de chairs. Qu’un hamme qui connoît la gravure regarde le tableau qui étoit fous les yeux d’Audran , il le gravera en imagination d’une manière toute différente : qu’il reporte fes regards fur l’eftampe, il reconno’ttra qu’on ne pou voie le graver mieux, & que même les travaux de Gérard Audran, ont un charme & une railbn que n’auroient pas tous ceux par lefquels on, les pourroit remplacer. On reconnoît que tous "lui étoient infpirés par un fentiment profond de fon art, & de celui de la peinture. Il ne peut avoir d’imitateurs ; pour graver comme lui, il faudroït être lui-même.

On voit, comme nous l’avons dit , par plufieurs parties de fes ouvrages , qu’il avoit un maniement de burin très-beau & très-hardi. Il n’auroit tenu qu’à lui de plaire p3r le méiier, s’il n’avoit pas mieux aimé fonder fa gloire fur l’art. Il eft vrai qu’il a gravé d’une manière roide au burin pur l’eftampe d’Enée Se Anchife d’après le Dominiquin : mais oelle de ia femme adultère d’après le Pouffin eft auffi au burin pur-, & il faut y regarder de fort près pour s’en appercevoir : elle eft dans fa manière ordinaire , & : au lieu de faire bailler l’outil, il n’a cherché qu’à le diffimuler. Ses chefs-d’œuvre font le Pyrrhus fauve d’après le Pouffin , le Temps qui enlève la vérité d’après le même maître , le martyre de Sainte-Agnès d’après le Dominiquin, celui de Saint-Laurent d’après le Sueur, les batailles d’Alexandre d’après le Brun , &c.

Cet artifte , qui n’a pas été remplacé , recevra toujours les hommages des vrais connoiffeurs : mais le vulgaire des amateurs lui préférera ! a manière léchée qu’il eft bien plus aifé d’acqué.ir. Pour graver, non comme Gérard

  • Audran s car" fa gravure lui appartenoit , mais

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aufll bien que lui , il faudroît avoir le fentiment qui l’animoit ; mais avec quelqu’adrefle dans la main , on parvient à exceller dans le genre qui eft accueilli par les amateurs , & récompenfé par le débit de l’ouvrage. Si Audran pouvoit renaître , il faudrait qu’il détruisît Ton art pour en tirer fa fubfiftance. (102) Michel Corneille, né à Paris en 1642 , mort en 1708 , peintre habile, qui a gravé à l’eau-forte d’une manière très-moè’lleufe, & avec beaucoup de goût. Il favoit affez manier le burin pour donner l’accord & la couleur aux travaux qu’il avoit établis à la pointe. Les graveurs ne confulteroient pas fans profit fes eftampes ; elles pourraient contribuer beaucoup à leur faire vaincre la froideur que le mécanifme de leur art eft capable d’infpirer. (103) Jean Luyken , né à Amfterdam en ■ 1649, mort en 1711 , a gravé d’après fes propres defîîns , & eft plus remarquable par l’abondance & la richeffe de l’es compofitions que par le travail de fa pointe, qui n’eft cependant pas fans mérite. On en jouirait mieux , s’il eût mis plus d’accord & plus de variété de tons dans fes travaux.

(104) Gérard Edelinck, né à Anvers en 1649 , mort à Paris en 1707. Ce fut Colbert qui l’appella en France. On reconnoît en lui le compatriote de ces fameux graveurs , élèves de Rubens. Son travail , en même-temps fier & précieux , annonce un fentiment profond de la couleur. Son burin eft plus foigné que celui des Vorfterman , des Bolfwert fans être moins pittorefque : mais chez lui le foin ne dégénéroit pas en petiteffe , & n’entraînoit pas cette longueur de temps que les graveurs mettent aujourd’hui à leurs ouvrages , qui leur infpire l’ennui de leur art , & amène avec lui la froideur. La grandeur & le nombre de fes eftampes témoigne fon étonnante facilité. Que l’on jette un coup - d’œil rapide fur fa Madeleine pénitente ; on en admire l’effet , l’exprefïion , la propreté. Qu’on la regarde plus attentivement ; on eft : étonné de la hardieffe de touche qui y règne, & c’eft précifément cette touche qui y répand un efprit de vie. Ce fecret femble être mort avec lui pour les graveurs au burin. Le Bran , dans cette eftampe , paraît grand colorifte, & l’on doit avouer que ce très-habile maître , traduit par Edelinck & par Audran , femble avoir eu des perfections qui lui man» quoient. Edelinck n’a pas fait d’ouvrages médiocres ■- on trouve dans tous de la chaleur , toutes fes têtes font vivantes. On compte entre fes chefs-d’œuvre la Sainte-Famille d’après ïtaphaël , la famille de Darius devant Alexandre , la Madeleine & le Chrift aux anges d’après le Brun, les portraits de Desjardins, de le Brun , I de Rigaud ; mais de toutes fes eftampes , c’étoit j Au portrait de Champagne qu’il donnoit la pré- | Tome I. Beaux-Arts*

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féreflce , & on ne lui refufera pas la qualité de connoiffeur. Sa Sainte-Famille eft plus vantée que tout le refte , parce que c’eft le premier ouvrage qui ait fait fa réputation-, on continua, lorfque l’auteur le fût furpaffé lui-même , a répéter les éloges qu’on avoit donnés d’abord à cette eftampe, qui eft en effet d’une très-grande beauté.

(105) Pierre van-Sc h uppen, natif d’Anvers & contemporain d’Edelinck -, fut appelle comme lui par Colbert, & la France fembloit avoir le droit de revendiquer un artifte à qui elle avoit donné l’éducation ; il étoit élève de Nanteuil. Comme fon maître , il a gravé des portraits d’après fes propres deffins. Il mérite d’être placé entre nos meilleurs graveurs au burin , Se fon deffin eft correcl. Il a fur-tout gravé des portraits entre lefquels ont peut diftinguer celui de Vander Meulen ; mais il s’eft fait auffi de la réputation par la gravure de l’hiftoire &c fur-tout par fa Vierge d’après Raphaël. On ignore le temps de fa naiffance, mais on fait qu’il eft mort à Paris en 1702. Son nom ferait plus célèbre, fi Edelinck n’avoit pas été fon émule ; on peut céder fans honte à un rival fi redoutable.

( 106 ) Les deux frères Pierre & François Aquila , florilTbient en même-temps en Italie par un genre très-différent. Ils étoient natifs de Palerme, & ont gravé à Rome à l’eau- forte vers la fin du dix - feprième fiècle. Us ont publié de bonnes eftampes d’après de grands maîtres, tels qu’Annibal Carrache , Carie Maratte, &c. La bonté du deflin fait le principal mérite de leur travail qui étoit un peu maigre , mais bien conduit. Au refte, ce n’eft qu’en général qu’on peutleur reprocher cette maigreur ; on connoît des eftampes de Pierre Aquila qui font d’une pointe trèsmoëlleufe.

( 107 ) Nicolas Dorigny , fils cadet de Michel, dont nous avons parlé, naquit à Paris en 1657, & eft mort dans la même ville en 1746. Il fut d’abord avocat , quitta le barreau pour la peinture , & celle-ci pour la gravure. Il alla étudier le3 grands maîtres en Italie, & y refta vingt-huit ans. C’eft l’un des plus habile» graveurs qui aient afibeié la pointe au burin , & peut-être doit-il être regardé , après Gérard Audran , comme le premier graveur pour la grande hiftoire : quoique bon defïïnateur , fon deffin n’eft pas d’un aulFI grand goût que celui d’ Audran , tk l’es travaux font moins pitrorefques. Ses eftampes de laDefcente de croix d’après Daniel de Voltaire , de la Transfiguration de Raphaël , des cartons de ce même maître que l’on conftr /oit à Hamptoncourt,le rendront tou* jours célèbres. Il difpofoit fes travaux d’une manière méplate qui leur donnoit une grande fermeté , & il femble avoir manié le burin avec autant d’aifance que la pointe. Tout, dans l’es gravures , refpire la facilité ; il femble que rien C c.c

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ne lui ait coûté de peine. Ses premières tailles, moins ferrées que celles d’Audran dans les ombres , offrent par confequent moins de repos ; mais il cède fur-tout à ce grand artifte par les travaux des jours & des demi-teintes. Si i’on ne confuhok pas fes bons ouvrages, on pourroit le placer entre les graveurs médiocres : il a gravé d’abord prefqu’entièrement à l’eau-forre , d’une pointe maigre Se d’un mauvais choix de travaux.

( 108) Louis Chéhon, né à Paris en 1660, mort à Londres en 1723. Sa gravure eft d’un très-bon grain , 8c l’on ne peut qu’applaudir à la difpofuion de fes travaux, lis n’aaroient befoin que d’être reveillés par des touches plus vives, par des maffes plus fouillées. Plus de patience, ou plus de pratique du burin en auroit fait un excellent graveur d’hiftoire , & quoiqu’il fût peintre, les graveurs gagneraient à le confulter. Elifabeth. Chéron fa fœur a gravé médiocrement fans être moins digne d’admiration. Elle étoit muficienne , elle faifoit des vers , elle avoir -appris l’hébreu pour entendre les beaux morceaux poétiques de la bible 3 elle peignoit l’hiftoire Se la miniature, &fut agréée à l’acadsmie Royale de peinture de Paris. Elle mourut dans cette ville en 171 1 à l’âge de 63 ans.

( 100 ) Antoine Coypel , né à Paris en 1661 , mort premier peintre du Roi en 1722, doit être mis au nombre des bons graveurs à l’eau forte. Son eftampe de Démocrite, qu’il a gravée d’après un de fes tableaux, eft pleine de goût, de vie & de facilité. Le défordi e apparent des tailles dans la draperie n’empêche pas qu’il n’y règne une difpofition très-bien raiibnnée & qui décide b en lafuite desplis. Les tailles courtes & badines de la face ont l’efprit & le goût de cellas du Béncdette avec plus de vigueur.

( 1 10 ) Benoît Audran , né à Lyon en 1661 , mort à Paris en i72i,étoitfils de Germain , & neveu de Gérard. Il a gravé le portrait & l’hiftoire , & a fait, d’après le Sueur, l’eftampe d’Alexandre malade. Sans avoir eu le goût exquis de fon oncls , il doit être compté entre les bons artiftes. ( ni ) Jean Audras, fon frère eft né à Lyon en 1667 , & mort à Paris en 1756. Son enlèvement des Sabines d’après le Pouilin eft une fort bonne eftampe , & l’expreffion du tableau y eft bien confervée.

(112) Ga/pardDvcKAtiGi., néàParis en 1662, mort dans la même ville -en 1754 , eft l’un des graveurs qui ont accordé le "plus môelleufement, & avec beaucoup de propreté, mais fans froideur, les travaux de la pointe avec ceux du burin. On peut ajouter que c’eft 1 lui qui a trouvé le grain le plus favorable à repréfenter les cha : rs de femmes , & que les meilleurs graveurs François l’ont imité, fans devenir fes égaux dans cette partie. Il fembloit que la nature l’eût particulièrement deftiné à graver le Corrègej G R A

il a fait d’après ce peintre trois eftampes célèbres, l’Io , la Léda , la Danaé ; fes travaux moelleux Se l’harmonie de fes tons rendent le pinceau • & la couleur de ce grand maître. On pourrait, d’après la Léda, démontrer les principes du ciairobfcur que fuivoit le Corrège , & qui ont été fi bien établis par Mengs. Ses travaux , près du contour, participent de ceux qui leur fervent de fond , il femble que le burin fe foit prêté à les fondre av«c toute la facilité de la broffe. Cet artifte gravoit encore à l’âge de 91 ans. Il a fait quelques unes des eftampes de la galerie du Luxembourg peinte par Rubens , & il contribuerait à prouver qu’il n’eft pas donné aux François de graver d’après ce maître , fi l’on ne favoit pas que cette galerie a été gravée non d’après les tableaux eux-mêmes, mais d’après les defïïns de Nattier. Il ne fe diftinguoit pas moins par les vertus fociales & la plus aimable douceur que par les talens ; il fut père d’un grand nombre de filles qui reçurent de lui , pour tout héritage , la rare bonté de fon caraélere , Se elles l’ont à leur tour léguée à leurs enfans. ( 113 ) Roben van Auden-Aert , né à Gand en 1663 , a gravé à Rome , & eft mort dans fa patrie en 1743. Il a quelquefois imité le ttavail quarré de Bloemaért , mais en l’avançant à l’eau-forte, ce qui ne produit pas un heureux effet ; de nombreux exemples prouvent que ce grain , qu’il eft d’ailleurs bon d’épargner , exige toute la propreté & l’égalité du burin pur. Au refte fes eftampes font affezmoêlleufes Se ont de la vigueur. Il a gravé dans une autre manière, & avec bien plus de fuccès, d’après Carie Maratte , & l’on ne peut nier qu’il ne fût un artifte très-eftimable. Samort de la Vierge 1 eft une fort bonne eftampe, & le martyre de Saint-Blaile eft encore bien fupérieur. Dans quelques-unes de fes eaux-fortes le trait eft plein de fentiment , & la pointe pleine d’efprit. (114) Bernard Picard , fils de Picard le Romain , eft né à Paris en 1663 , & mort en Hollande en 1733. Habile defîinateiir , il fe diftingua dans la gravure , foit qu’il lé contentât de manier la pointe Se de l’animer d’une partie de l’efprit qui lui convient, foit qu’il la combinât avec le burin. Ses eftampes en petit, & gravées d’après fes propres compofiions furent comparées à celles da le Clerc. Il avoit une fingulière flexibilité, & imicoit avec fuceès les graveurs qui l’avoient précédé. Il nommoit ces imitations trompeu fes les impoflures innocentes. Les amateurs Hollandois détruifirent fon talent, Comme il n’eft que trop fbuvent arrivé aux amateurs de tous les pays de détourner les artiftes de la bonne route que leur avoit tracée la nature. Leur goû : inclinoït pour le froid & le léché ; Bernard voulut leur complaire , & devint différent de lui-même. Il gagna beaucoup 1 d’argent, & perdit l’eftime des artiftes qui GRA

rendent encore juftice à Tes premiers ouvrages. On ne peut cependant lui reprocher d’avoir porté ie léché dans la gravure en petit au point où l’ont conduit des graveurs plus récens. Antoine Coypel femble avoir été le modèle qu’il fe propofoit dans les comportions : il avoit 8c la même richeffe & la même expreffion minaudière. Il a gravé l’hiftoire. Une de lés meilleures eftampes en ce genre eft d’après le Sueur ; elle repréfente Darius faifant ouvrir le tombeau de Nitocris. Elle tient beaucoup du deffin , de l’art & de la manœuvre de Gérard Audran. Les curieux n’ont pas été avertis de faire attention à ce morceau , & il n’eft pas recherché. (115 ) Pierre Drbvet le père, né à Lyon en 1664, mort à Paris en 1739. Il avoit reçu dans fa ville natale des leçons de Germain Audran, & vint fe perfectionner à Paris. Il fe confacra à la gravure du portrait. Ce feroit l’h_omme qui l’auroit gravé non avec le plus de caractère , de vie & de fierté, mais de la manière la plus fine & la plus agréable , s’il n’avoit pas été futpaffé par fon fils.

(116) Jérôme Ferroni qui gravoit en Italie, vers le commencement du dix-feptième flècle , d’une pointe maigre , & qui n’avoit pas affez la pratique du burin pour nourrir & : empâter fes travaux préparés à l’eau-forte, mérite cependant d’être cité pour leur bonne difpofition & pour la correction du deffin. (117) Claude Gillot, né à Langres en 1673 , mort en 1722, fur le maître deVatteau. On connoît peu fes tableaux , mais il eft célèbre parles eftampes qu’il a gravées d’après fesdeffins. Ceft l’un des ardftes qui ont eu le plus d’efprit dans la pointe, le plus de fineffe dans la touche , le plus de piquant dans l’effet , fans avoir eu recours aune grande vigueur de ton, ai aux grands moyens du cla :r-obfcur. ( 118) François Chereau, né à Blois en 1680, mort à Paris en 1729 > excellent graveur au burin. Il eft fur-tout connu par de beaux portraits , dont aucun peut-être ne l’emporte fur celui de Pécourt qu’il a gravé d’après Tournieres : il eft en même-tems d’un très-beau travail , & d’une couleur très - vigoureufe. Les points (ont épargnés dans les chairs , ce qui-eft toujours heureux , parce que fi des points longs dans les chairs fervent à former de trop grandes parties, ils rifquent de reffembler à du poil. Maffon n’employoit guère les points que pour lier les plus foibles demi-teintes aux lumières. Il n’y en a dans le fameux portrait de Bouma, par Wiflcher, qu’en manière d’entre-tailles. On remarque entre les portraits de François Chéreau ceux du Cardinal de Fleury , & du Cardinal de Polignac d’après Rigaud. ( 119) Jacques Frey , né à Lucerne en 1681, mort à Rome en 1752, a trouvé pour les chairs & pour les draperies un grain fort agréable ; GRA

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le lozâTtge domine dans la combinaifon de fes travaux : des points très-reîTentis à l’eau-forte , rangés en manière de tailles, croifés & accompagnés par des travaux plus doux , donnent beaucoup de moelleux aux demt-teintes de £es chairs. Ses eftampes , d’une bonne couleur & d’un effet harmonieux , joignent le mérite du deffin à celui de la manœuvre qui a été adoptée par Ph. A. Kilian , & que M. Strange a imitée en maître , fans la fuivre d’une manière fervile. Frey femble avoir frayé la route à Wagner , qui lui-même a formé le célèbre M. Bartolozzi. ( 120 ) Louis Desplaces , né à Paris en 1682 , mort dans la même ville en 1739 » n’eft peut-être pas inférieur à Gérard Audran pour la patrie du deffin ; mais quoique fa gravure foit d’un très-bon goût , il n’avoit pas la pâte &le charme pittorefque de cet artifte. Il ne peut être furpafle dans l’art de faire fentir les têtes des os, les pians & les mouvemens des mufcles. Des tailles méplates donnent à fa gravure une fingulière fermeté. Ses chefs-d’œuvre font les eftampes qu’il a gravées d’après Jouvenet , telles que la guérifon du Paralytique , la Defcente de Croix , Saint-Bruno en prière. La manière dont il a gravé la tête raf^ de ce Saint en fait un beau morceau d’étude. Il étudioit chaque jour lemodèle, & fréquentoit , plus affiduemenc que les élèves, l’école académique du deffin. ( 121 ) Charles Du puis , né à Paris en 168 j , mort en 1742, élève de Duchange , & graveur d’un très -bon goût. On place entre fes meilleurs ouvrages le mariage de la Vierge d’après Carie Vanloo.

( 122 ) Jean-Baptifte Oudry , né à Paris en 1686 , mort à Beauvais en 175 j , célèbre peintre d’animaux , a gravé d’après fes propres tableaux avec beaucoup de goût, & d’une touche très-fpirituelle. Il doit être confulté par les graveurs, lorfqu’ils ont à traiter des morceaux de ce genre.

( 123 ) Nicolas Dauphin Beauvais , né à Paris en 1687, mort en 1765. On peut dire des eftampes comme des livres , qu’elles ont auffi leurs deftinées-, hahent fua fata lihelli. Ce graveur avec du talent , & la forte de talent qui eft en pofTeffion de plaire aux amateurs , a eu peu de réputation. Il deffinoit foiblement , fur-tout les extrémités ; mais ce défaut n’eft pas fort fenfible dans tous fes ouvrages , & ce n’eft pas fur cette partie que les amateurs ont coutume de fe montrer févères.

(124) Charles-Nicolas Cochin, père , né à Paris en 1688 , mort en cette ville en 17^4, n’eft pas le premier qui ait fait connoîrre dans la gravure ce. nom devenu fur-tout célèbre par les ouvrages de M. Cochin fils. Nicolas Cochin , natif de Troyes en Champagne , s’étoit diftingué vers le milieu du dix -feptième flècle , par des eftampes de fa compoûtion gravées dans le Ceci)

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goût de Callot , dont on croit qu’il ëtoit élève. Charles-Nicolas cultiva la peinture jufqu’à l’âge de vingt-deux ans. Il droit bon defïinateur, 8c gravoit avec beaucoup d’eiprit 8c de goût , furtout quand les figures de les eftampes étoient d’une grandeur médiocre. Ii n’a pas eu le même fuccès dans le grand , parce qu’il confervoit le même genre de travaux en leur donnant plus de largeur , & qu’ils n’avoient pas alors affez de repos & de fermeté.

( 125 ) Slmon-Henri’TiîOMhssini , né à Paris en 16S8 , mort en 1741 , étoit fils de Simon Thomafïin , bon graveur , qu’il furpaffa. Il avoit une manière libre & pittorelque ; on en peut voir un bel exemple dans l’on eftampe du Magnificat d’après Jouvenet. Son portrait de Thierry , fculpteur , d’après Largilliere , ouvrage eftimé des artiftes , fuffiroit pour prouver, fi cela avoit befoin de preuve , qu’on peut , avec fuccès , avancer des portraits à l’eau-forte. On connoît fon bufte du Cardinal de Fleury , foutenu par Dicgène , qui a enfin trouvé un homme. Le tableau eft de Rigaud.

(126) Anne-Claude-Philippe de Tubieres , Comte de Cayxus, né à Paris en 1692, mort en 1765 , a beaucoup gravé à l’eau-forte avec plus de zèle que de talent. Ses eaux - fortes d’après Bouchardon ont été retouchées par le graveur Etienne Feffard ou par fes élèves, fans que les travaux réunis de l’amateur & de ces artiftes en aient fait de bonnes eftampes. Elles méritent cependant d’être recueillies, parce que toutes les beautés des deffins d’après lefquels elles ont été faites n’ont pu être détruites. M. de Caylus a rendu plus de fervice aux arts en confervant , par fa gravure, des traits & des croquis de quelques anciens maîtres. (127) Jacques Chéreau , né à Blois en 1694 , mort à Paris en 1750 , étoit frère de François. Il a gravé de fort beaux portraits , entr’autres celui de Jean Soanem, Evêque de Sénez , d’après Raoux. Son David d’après le Feti , fuffiroit pour aflurer (a réputation. Il ne manque à fa célébrité que d’avoir fait un plus grand nombre d’ouvrages ; mais il quitta de bonne heure les arts pour le commerce. (128) Fre’déric Hortemels , mérite d’être diftingué par le moelleux qu’il a fu donner à quelques-uns de fes ouvrages. Cette partie de l’art eft importante, & commence à être trop peu connue. La timidité , l’amour d’une exceflive propreté feront toujours ennemis du moelleux dans la gravure. Le graveur ne peut y parvenir qu’eD donnant de la largeur à fes travaux , fans craindre de les gâter en les nourriffant , comme le peintre , ne fera jamais moelleux dans fon art , s’il craint de charger fa broffe de couleur. On peut reprocher à Hortemels d’avoir trop fait ufage des gros points ronds dans les shairs. Marie - Madeleine , fa fille, G R A

époufe de Ch. - Nie. Cochin père , doit ê ;re comprife entre les bons graveurs. (129) Nicolas Dufuis , né vers 159J , & mort en 1770 ? grava d’abord , ainfi que Duchange fon maître , & Charles Dupuis fon frère, à l’eau-forte 8c au burin. Croyant enfuite que fes yeux étoient bleffés par l’éclat du cuivre fous le vernis , & que la vapeur de l’eau-forte nuifoit à fa fanté , il fe mit à graver au burin pur , & conferva dans ce genre la liberté de l’eau - forte, C’eft ainfi qu’il a gravé Enée & Anchife , très - bonne eftampe d’après Carie Vanloo. Il aimoit à annoncer fortement les plans , & modeloit en quelque forte les travaux de fes planches.

(130) Pierre Drevet fils, né à Paris en 1697 , mort en la même ville en 1739. On a de lui une eftampe qu’il a gravée à l’âge de treize ans, & qui, dans bien des parties , peut faire le défefpoir des graveurs confommés. On peut , fans doute, graver plus fièrement, plus librement que lui ; on peut , même dans le portrait , introduire des travaux plus pitrorefques , &fe diftinguer par une touche plus hardie ; mais peut-être ne fera-t-il jamais furpafle dans la gravure finie & precieufe. Il eft impoflible de revoir fans étonnement fon fameux portrait de BofTuet qu’il fit à l’âge de vingtfix ans. On voit , dans cette eftampe , des cheveux blancs , des chairs , de l’hermine , du linon , des dentelles , de la moëre , du velours, des franges d’or , du bois travaillé par l’art des ébéniftes , des bronzes , du marbre , du papier , &c. -, chacun de ces objets eft gravé d’un caractère différent , & : ce caractère eft celui qui lui eft propre. Les curieux ne recherchent pas moins fon portrait de Samuel Bernard. Il falloit que cet artifte , pour traiter avec tant de perfection tout ce qui peut-être l’objet delà gravure, eût une grande pratique du burin ; mais nulle part il n’affeSe de montrer fon habileté à manier cet inftrument. Il favoit <jue. cette habileté eft un moyen de parvenir à la perfection de l’art -, mais qu’elle n’en eft pas le but. Des graveurs ont femblé , dans la fuite , ne manier le burin que pour faire voir qu’ils favoient le manier, & autant auroit-il valu qu’ils euffent gravé des traits capricieux que des tableaux. (131) Jacques Houbracken , né à Dordrecht en 1698 , mort dans un âge très-avancé, graveur au burin , qui ne le cédoit pas à Drever par la fineffe des travaux dans les têtes , & qui l’emportoit par la hardieffe de la touche Srla fierté de la eouleur. Avec une étonnante habile»é dans le maniement du burin , il fe plaifoit fouvent oppoler aux travaux des chairs , des travaux bruts qui produifent l’effet le plus putorefque. On en peut voir un exemple dans fon beau portrait de Thomas-Morus , d’après Holben. Il eft malheureux qu’il fe foit quelquefois permis de G’RA

négliger les acceffoires , & même de faire des ouvrages entièrement médiocres : mais on n’a peut-être rien qu’on puiffe oppofer à Tes beaux morceaux. Jl a beaucoup travaillé à la collection ’ des portraits des hommes ilhifires de- la Grande-Bretagne , dont le premier volume a paru à Londres en 1743 1 &■ ^ e fécond généralement inférieur en 1751-

( 131 ) Laurent Cars, mort à Paris vers 1766, l’un des meilleurs graveurs du dix-huitième fiècle. Il mit dan :, fes ouvrages un goût qui n’étoit par celui des graveurs du fiècle précédent , qui peut-être ne lui doit pas être préféré, qui même n’auroit pas convenu aux tableaux que ces graveurs dévoient rendre , mais qui fut inf’piré à Cars par les gravures de le Moine. Les tableaux des grands maîtres d’Italie, ceux de le Sueur , de le Brun , de Mignard , avoient dans le faire une forte d’aufférité qui auroit été mal exprimée par l’aimable mollefle que Cars introduifit jufques dans les maffes d’ombre. Dans Gérard Andran le ragoût domine dans les parties de demi-teintes •, 8c dans Cars, c’eft dans les parties ombrées. Ses chefsd’œuvre font les morceaux qu’il a gravés d’après le Moyne, & fur - tout l’eftampe d’Hercule filant auprès d’Omphale.

On peut remarquer que , depuis la mort des artiftes qui contribuèrent à la fplendeur du règne de Louis XIV , peu de graveurs ont rempli les efpérances qu’avoient données leurs premiers ouvrages. C’eft que l’amour du beau s’eft perdu ; c’eft que du temps de Louis XIV l’amour du prince pour le grand dirigeoit le goût de la nation ; c’eil qu’alors on aimoit les ouvrages des grands maîtres , 8c qu’on fe plaifoit à les voir le reproduire par la gravure. Mais dans le fiècle fuivant, on n’eut de goût que fuivant la mode , on ne rechercha que les ouvrages à la mode , & la mode eut toute l’inconftance qui forme fon caractère. Il en réfulta que les graveurs furent obligés de fe prêter au caprice général pour fubfifter , & que plusieurs d’enrt’eux qui le feroient distingués par leurs -talens , fi les circonftances les eufTent fécondés n’eurent pas même dans toute leur vie l’occafion de faire un ouvrage capable de développer leurs difpofitions. Sans parler de modes plus fubalternes , on a vu naître 8c mourir celle des mafearades de Watteau , celle des jeux d’enfans de Chardin , celle des paftorales de Boucher , celle des vues 8c des marines , &c. Que pendant la durée de ces modes qui fe font fuccédées fans interruption , un graveur eût publié une eftampe d’après Raphaël , le Poufïïn , le Dominiquîn , le Carrache , &c, il n’eût pas trouvé d’acheteurs. Les amateurs feuls peuvent nourrir les arts , & fouvent leurs caprices les tuent. Cars lui-même n’a rien gravé d’important après fa jeunede, 8f j’ai vu Nicolas Dupuis G & A

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obligé de graver des eftampes auxquelles il ne mettoit fon nom qu’en rougiffant. ( 132 ) Pierre Subieyras , néà LTzès en 1699, mort à Rcme en 1749, e ^ <*u nombre des peintres qui ont manié la pointe avec le plus d’efprii 8c de gcût. Ses travaux font d’un excellent choix, fans qu’il paroiffe s’être occupé de les choifir. Il n’eft pas nécedaire de citer d’autres preuves de fen talent en ce genre, que fon eau-forte du repas chez le Phariflen. (134 Thomas Worlibge, né à Péterboroug en 1700, mort à Ilamershmith en i766,étoit peintre 8c s’eft occupé de la gravure. Il a cherché le procédé de Rembrandt, celui du moins par lequel ce peintre cachoit fes travaux , &c parvenoit à l’effet fans laiffer voir la marche de les tailles. Worlidge a trouvé ce procédé ; mais non l’efprit , le fentiment , l’art pittorefque avec lefquels Rembrant en faifoit ufage. (135) C. Wagner a gravé à Venife. Ses eftampes font remarquables par le grain flatteur que forment fes tailles croifées en lozange. Sa manière belle , large , meëlleufe & facile , qu’il paroît avoir imitée de Frey , a été perfectionnée par le célèbre M. Bartolozzi. Quoique Wagner ait gravé plufieurs fois d’après de grands coloriftes , & entr’autres d’après Paul Véronèfe ; je ne me fouviens pas d’avoir vu aucune de Ces eftampes qui fe diftingue par une couleur vigoureufe.

(136) François Vivarès , graveur fraoçois établi à Londres , a très-bien traité le payfage. On dit qu’il avoit commencé par être tailleur d’habits, qu’il confacroit tous les loifirs que lui laiflbit fa profeilien à deffiner le payfage d’après nature ou d’après des eftampes, & qu’il fe livra fort tard à la gravure. On peut dire que, dans fon genre, il a furpaflë en général ceux qui l’avoient précédé. ( 137 ) Jean Daullé , né à Abbeville en. 1703 , 8c mort à Paris en 1763. Son premier ouvrage eft d’après Mignard, & reprél’ente la Comteffe de Feuquieres , fille de ce peintre dont elle tient le portrait d’une main. Si Daullé avoit fait encore des progrès, peu de graveurs au burin auroient mérité de lui être préférés ■ il auroit eu même peu de concurrens s’il avoit pu du moins fe foutenir : mais quoiqu’il n’ait rien fait dans la fuite qu’on puiffe comparera ce morceau , il doit être regardé comme un artifte forr eftimable. Dans un fiècle plus heureux pour les arts , il fe feroit renfermé dans le genre qui lui convenoit ; la néceffité de vivre de fon talent l’a obligé à cultiver les genres auxquels il étoit le moins deftiné par la nature , ou, ce qui revient au même, par les premières imprefîionï qu’il avoit reçues en emrant dans la carrière des arts.

(138) Jean-Marc Pitteri , né à Venife en 1703 , mort dans la même ville en 1767, a choifi 5,oo g iy a

un genre de gravure qui lui eft particulier & qui ne mérite pas d’avoir d’imitateurs, quoiqu’il ait fait lui-même des morceaux effimables. Il n’établit pas , fuivant l’ufage ordinaire des graveurs , des tailles croifées en difïérens fens ; il ne grave pas non plus, comme Mellan , d’un féul rang de tailles qui fuive le fens des objets qu’elles doivent repréfenter : mais couvrant perpendiculairement ou diagonalement fa planche de tailles légères-, il rentre ces tailles à petits coups de burin, & en manière de points allongés, fuivant qu’elles doivent être plus îbibles ou plus reffenties pour décider le contour 8c le clair-obfcur des objets qu’il veut repréfenter. Il a fait , dans cette manière bizarre , ces morceaux qui ne manquent ni de vérité ni de couleur.

(139) Jean - Baptijle Piranese , Italien, l’un des meilleurs deilinateurs d’architecture 8c de ruines , & des graveurs les plus pittorefques qu’ait produit le dix-huitième fiècle. Jamais on n’avoir gravé avec tant de goût l’architecture ruinée ou bien confervée ; il a eu des imitateurs , & n’a pas encore eu de rivaux. Il a fait des ouvrages de caprices dans lefquels on ne fait ce qu’on doit le plus louer de l’efprit qui règne dans la compofition , ou de celui qui pétille dans la manœuvre. Son œuvre eft très-nombreufe & très-juftement recherchée. ( 140 ) Georges - Frédéric Schmidt, né à Berlin en 1712 , & mort dans la même ville en 1775, après avoir travaillé long - temps à Paris 8c à Saint-Pétersbourg. Il feroit peut-être le premier des graveurs il Corneille Viffcher n’avoit pas vécu , & : s’il lui cède, il faut peut-être attribuer fa défaite à l’exceffive beauté de fon burin qui donne à fes ouvrages trop d’éclat, comme les tableaux perdent de la vérité , quand ils font couverts d’un vernis trop brillant. D’ailleurs Scmidt n’étoit pas moins favant que Viffcher , & avoit encore une plus grande étendue de talens. Il a gravé d’après de bons maîtres 8c d’après lui-même. Hardi comme Viflcher, il abandonne brufquement l’ordre de fes travaux, dans les chairs, & même fur les lumières, quand les plans femblent l’exiger : mais on voit que Viflcher fe jouoit de fon art, & Smidt aimoit trop à montrer qu’il s’en jouoit. Il manioit le burin avec la plus grande fermeté, & la pointe avec la légèreté la plus badine ; gravant au burin comme lui feul en étoit capable, & à l’eau - forte comme la Belle , Rembrandt, le Eénédette ; affociant quelquefois enfemble les deux inftrumens dans le genre qu’on appelle vignette , & quelquefois n’employant que la pointe ; toujours également fpirituel 8c pittorefque , quel que fût le procédé qu’il employât. Il a auffi gravé dans la manière du crayon. On peur regretter qu’il n’ait pas vécu dans le dernier fiècle , parce que , pour les morceaux qu’il G R

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1 ne gravoit pas d’après lui - même , il auroit en I de plus grands maîtres à fuivre. Son portrait | de la Tour , dont le tableau eft de ce peintre lui-même , eft un chef-d’œuvre : il eft impof-Uble de donner à une tête gravée plus de vie, de gaieté , d’expreflion. Perfonne n’a autant approché que lui de la manière de Rembrandt, non de celle où ce peintre a imité l’apparence du lavis en cachant fes travaux, mais celle où. par le mélange de toutes fortes de travaux , dont le goût & l’efprit font cachés fous l’apparence du deibrdre, il eft parvenu à rendre mieux qu’aucun autre artifte le caractère des objets 8c l’effet du clair-obfcur.

( 141 ) Pierre Aveline , mérite d’être compté entre les graveurs de goût. Il jouiroit d’une plus grande réputation , s’il n’avoit pas confommé une grande partie de fa vie à ne graver que des croquis. On eftime le payfage qu’il a gravé d’après Berghem , & la Folie d’après un deffin de Corneille Viflcher.

( 142,) Jean - Jacques Balechou , né à Arles en 1715 , mort à Avignon en 1764. Si l’on regarde comme la fin de l’art un beau maniement de burin , & l’adreffe découper le cuivred’une manière br’llante , il y aura peu de graveurs qu’on puiffe oppofer à Balechou ,• mais fi l’art confifte à imiter la nature , à rendre le caractère dont on grave un tableau , à exprimer fon deffin , fes effets , Balechou fera furpafle par tous les graveurs qui fe font fait une réputation. Il a long-temps gravé le portrait ; mais connoît-on de lui une feule tête que l’on puifle comparer , je ne dirai pas à celles de Nanreuïl , d’Edelinck , mais à celles de quelqu’artifle qui fe foit diftingué dans ce genre fous le règne de Louis XIV .’ Il a fait briller la beauté de fon burin dans les acceflbires ; mais eft-il aucun de fes portraits dont les acceflbires foient comparables par l’art & la vérité à ceux d’Edelinck 8c des Urevets ? Il a tenté de graver un tableau d’hiftoire , la Sainte-Geneviève de Carie Vanloo , & les amateurs ont mis un grand prix à cette eftampe : mais qui pourra jamais y reconnoître le caractère , la couleur, le pinceau de Vanloo’ Il a gravé trois marines de M. Vernet , & dans celle qui repréfente une tempête , il a rendu les eaux avec un art qui dans la fuite a fervi de modèle ; mais , pour les autres parties , quel connoiffeur non prévenu ne préférera pas les ef-’ tampes gravées d’après le même maître par Aliamet , Flipart , &. ? Balechou a fait un grand tort à la gravure , parce que les amateurs, féduits par l’éclat de fon burin , qui doit être compté lui - même entre fes déf-.uts , puifque la nature n’eft pas toute compofée de fubftancei lifles , polies 8c brillantes , fe font accoutumés à préférer les preftiges du métier aux beauté* fondamentales de l’art.

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( 143 ) Jacques- Philippe Lebas , né à Paris en 1708 , mort dans la même ville en 1782 , a été long - temps le plus connu des graveurs françois qui vivoient en même-temps que lui. Il étoit parvenu à fe rendre fi fameux , en mettant fon nom aux eftampes même très - médiocres , & quelquefois mauvaifes , que fes nombreux élèves gravoient dans fon attelier. Perfuadé qu’il n’y a qu’un petit nombre de connoifieurs, il penfoit que l’artifte dont on voit le plus Souvent le nom eft regardé comme le meilleur , Se la réputation qu’il s’eft acquife a prouvé qu’il ne fe trompoit pas. Mais elle auroit été plus folide , s’il n’eût avoué que les morceaux qu’il avoir graves lui-même, ou du moins qui avoient été avancés par de bons élèves , & qu’il avoit terminés. Il méritera toujours une place honorable entre les artiftes qui fe font diftingués par le goût. Il avoit une touche piquante & fpirituelie, qui donnoit de la vie Se de la grâce même à des travaux médiocrement préparés. Il eft le premier , après Rembrandt , qui ait fait un grand ufage de la pointe-rèche , & fes élèves ont perfectionné cette manœuvre.

( 144 ) Jean-Jacques Flipart a gravé longtemps d’une manière large , moëlieulè Se empâtée. Il a conçu dans la fuite que la gravure , étant une forte de peinture monochrome , devoit cacher fes hachures qui laiffent toujours entr’elles des blancs plus ou moins nuifibîes au repos. Alors il a préparé Se considérablement avancé à l’eau - forte des travaux fort ferrés , établiffant des fécondes, des troisièmes , Se même des points , enlbrte que, fur le vernis, la planche fembloit être faite. Mais pour fe rendre maître de tous ces travaux multipliés, îl les faifbit mordre tiès - foiblcment à l’eauforte , Se les repvenoit au burin avec une patience d’.n.tanr plus grande qu’ils avoient moins de folidité. Il a fait dans cette manière , que Soutman ou Sompelen pouvoier.t lui avoir infpirée , d’excellentes eftampes , dans lefquelles la longueur du travail ne nuit point au goût , & qui font auffi eftimables par la précifion du deifin que par lafjufteue de l’effet. (145) Claude-Henri Watelet, né à Paris en 1718, mort en 1786, auteur d’une partie confidérable de ce dictionnaire , a été l’un des amateurs qui ont gravé avec le plus de fuccès. Son œuvre eft nombreufe. Il s’eft appliqué dans les dernières années de fa vie à rechercher & à imiter la manière de Rembrandt. Il en a trouvé la manœuvre, & il eft fans doute bien excufable s’il n’en a pas retrouvé l’art, qui ne peut être renouvelle que par un artifte de la îcience la plus profonde.

( 146 ) Jean-Louis le Lorrain , mort à Petersborg vers 1758, peintre à talent, a gravé à l’eau-forte : feS travaux n’ayoient rien de re-G R A

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marquable, mais il les animoit pas la vigueur de la touche.

( 147 ) Jacques Aliamet , né à Abbeville en 1727 ? & mort à Paris en 1788, a commencé fa réputation par la gravure de ces petites eftampes qui fervent à l’ornement des livres , & qu’on appelle vignettes. Il l’a augmentée par les belles eftampes qu’il a gravées d’après NI. Vernet. Il a perfectionné la manœuvre de la pointe-sèche créée par le Pas dont il étoit l’élevé. Sa gravure eft fuave : il connoiflbit la valeur des touches, & : les frappoit avec jufteffe. Ennemi des eftampes noires, il cornparoit leur effet au jeu de ces acleurs qui s’éloignent de la nature , crient Se grimacent fur le théâtre pour fe faire applaudir de la multitude. (148) William ^y/zneRyiAND, né à Londres en 1732 , mort en 1783 , a gravé à I’eau-fortede la manière la plus pittorefque. Au badinage de fa pointe , à la hardiefTe de fa touche , à la sûreté de l’effet, on le prendroitpour un peintre. Il a fait des planches terminées , dans lefquelles an admire l’accord heureux & facile de la pointe avec le burin. Il a auffi gavé dans la manière pointillée. Ses talens lui avoient acquis de la fortune ce de la coniidération ; mais il s’eft rendu coupable d’un crime de faux , & il a fini fa vie d’une manière ignominieufe. (149) Saiomon Gessner , né à Zurich en 1734, mort en 1788 , eft l’un des hommes qui ont illuftré la Suifiéfa patrie. Ses idylles font en général d’un genre qu’il a créé & que l’antiquité n’a pas connu ; elles joignent aux charmes de la poéfie le mérite d’infpirer les vertus les plus douces. Geffner étoit en même-temps poète, imprimeur, deffirrateur , graveur, & il fe fit peintre dans les dernières années de fa vie. J’ai fous les yeux les eftampes dont il a orné l’édition de fes idylles, donnée à Zurich en 1773. Sa pointe eft agréable, fpirituelle, badine Se ragoûtante. Souvent on defneroit plus de correction dans le deffin de fes figures , plus de beauté , plus d’expreffion dans les têtes ; mais en général fes compofitions font heureufes Se naïves. L’eftampe qui précède l’idylle de Daphanis & Chloè’ ,1e bas-relief qui eft à la tête de cette idylle , celui qui termine celle de Damete & Milon , Se plufieurs autres morceaux pourroient être avoués p$r des artvftes qu’aucun autre talent n’auroit détournés de leur art. Il favoit s’aider du burin & de la pointe- sèche pour donner l’accord Se l’effet à fes gravures. J’ai vu de fes tableaux. Peut - être le mérite touchant du poète agit-il fur l’imagination de ceux qui les admirent : mais on doit avouer au moins que les fîtes font heureufement choifis Se que fa couleur a de la vérité.

( i-)0)V/illiam Wollet, né a Maidftone en 1735 , mort à Londres en 1785, fe dunna principalement à la gravure du payfage, Se joignit 3p2

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un excellent goût à une grande vigueur de ton , & à une grande propreté. Ses eaux font gravées dans la manière dont Baléchou avoir donné le modèle, & que Wollet a perfectionnée : fes roches nepourroient êtremieuxtraitées, fon feuille, fes troncs d’arbres font très-pittorefques. Il fe fervoit d’une forte échoppe pour graver les arbres, les terraffes & tout ce qui demande un travail brut. On peut trouver que , dans ces objets , les tailles font trop larges & trop nourries pour s’accorder avec le travail des figures 1 dont fes payfages font accompagnés : ce défaut a été outré par fes imitateurs. Il s’eft attaché dans les dernières années de fa vie à la gravure de l’hiftoire, & a toujours eu dans fa manœuvre un caractère qui lui étoit particulier, dont il fautfentir le mérite, mais qu’on ne doit pas adopter fans réflexion. ( Article de 31. Levesque. )

GRAVURE (fubft. fém. ) Par - tout on éprouve, on reffent chaque jour les avantages de ïa gravure ; dans tous les pays où les arts font même foiblement cultivés, elle reçoit les hommages qui lui font dûs , & les peuples qui accueillent le plus foiblement l’art de peindre , -font obligés d’avoir quelquefois recours à celui de graver.

Qu’il nous foit permis de rapporter Ici les obfervations d’un homme de beaucoup de goût. Elles font le réfultat d’un examen critique & raifonné des ouvrages des grands maîtres, & elles doivent être d’autant mieux accueillies que nous ne les devons pas à un graveur qni auroit pu fe laiffer féduire par les préjugés de fa profeliion ; mais à un amateur très-éclairé des beaux arts , & à un homme d’un profond favoir.

On peut affurer , dit-il , que de tous les arts d’imitation , il n’en eft aucun , fans en excepter même la peinture , qui foit d’une utilité plus générale que celui de la gravure. Dès fes commencemens , on s’en eft fervi pour étendre les diverfes branches de nos connoiffances ; c’eft à cet art que nous devons les plus sûrs moyens de communiquer la repréfentation des objets vifibles ; c’eft lui qui nous a difpenfé d’avoir recours à ces defcriptions embarraffées, & prefque toujours fautives , dont on étoit obligé de fe fervir pour faire connoître ce que l’on peut aujourd’hui mettre fous les yeux , & indiquer clairement, à l’aide d’une eftampe accompagnée d’une courte explication.

Le moyen de multiplier les eftampes leur donne un avantage inap’-éciable fur les tableaux ; elles ont encore celui d’une plus longue durée , parce qu’on peu plus facilement les préferver des injures du temps. Les meilleurs ouvrages des anciens peintres font pour la plupart peints à frefque fur des murs , ou dépofés dans de G R A,

valTes fallons & des galeries inhabitées , que l’humidité pénètre , J8c que le temps détruit à la longue. Une eftampe au contraire, quand elle eft de quelque importance, ne pane que de loin en loin du perte-feuille d’un amateur dans celui d’un autre amateur : pour qu’elle s’y conferre , le foin le plus léger fuffit. Au fit voyons-nous que tandis que les peintures de Raphaël ont prefque difparu des plafonds humides Se des toiles moifies qui les retenoient, les eftampes de fon contemporain Marc-Antoine Raimondi , font encore d’une beauté fingulière ; nous y retrouvons l’imitation la plus fidelle de ces belles compoûtions, qui fans ces gravures, feraient entièrement perdues pour •nous ; ou fi nous en avions queique connoiffance vigue , ce ne feroit que par les defcriptions des écrivains contemporains t comme nous avons dans les écrivains de l’antiquité les defcriptions infuffifantes de quelques tableaux de Zeuxis ou d’Apelles.

Il n’y a peut-être pas d’imitation de la nature qui intéreffe plus généralement que les ponraits. Quelle fatisfaétion les gens inftruits n éprouvent- ils pas à la vue de ces perfonnages, qui , par leurs talens fupérieurs, leurs feiences ou leurs vertus , ont mérité l’admiration & le refpeét des fiècles à venir ? Et qui pourrait fatisfaire le louable defir de fe procurer leurs portraits, fans la facilité fingulière qu’a la gravure de multiplier fes différens ouvrages ? Tandis que le tableau original refte au fond d un appartement particulier , où il ne peut être vu que de quelques perfonnes , fa traduction fidelle va par-tout offrir aux yeux du public les traits 8c , pour ainft dire , le caractère de l’objet de fes louanges 8c de fon refpeét. En Angleterre, où les tableaux originaux des anciens maîtres font extrêmei^nt rares , ce n’eft que par le moyen des eftampes qu’on peut fe former des id-ies vraies du mérite de leurs auteurs. Si ces fameux artiftes ont eux-mêmes tenu le burin ou la pointe , ce qui eft arrivé très-fouvent, qui doutera de l’exactitude du jugement qu’on en peut porter par l’infpection de leurs gravures ! on y retrouve en effet la fine.Te du deffin , la beauté de l’ordonnance &c l’expreffion qui leur étoient ordinaires. La pureté des contours y eft même fouvent plus grande que dans leurs tableaux : quand un artifte poflede dans un degré fupérieur ces qualités principales , il peut arriver que fes eftampes obtiennent la préférence fur ce qu’il a peint : telles font ce’ les de Piètre Tefte, à qui il ne manquoit qu’un meilleur coloris pour être au rang des plus fameux peintres , 8c qui s’eft fait, par Ces gravures à l’eau-forte, une réputation que fes tableaux ne lui auraient jamais méritée.

On ne peut acquérir une véritable connoiffance G R A

Ifôiifafica fln ftyle &" de la manière des différées peintres , qu’en voyant Couvent leurs ouvrages , &r qu’en les rapprochant les uns des autres. S’il nous falloit juger du mérite de Raphaël d’après un ou deux de fes tableaux feulement , nous ne ferions peut-être pas tentés de joindre nos éloges à ceux dont cet homme célèbre jouit depuis trois fiecles. Il n’y a pas de peintre qui n’ait fait des ouvrages inférieurs à ceux qu’il produifoit ordinairement ; il faut donc en confulter plufieurs avant de le juger. Mais où trouver une galerie de tableaux allez confidérable pour nous en offrir plufieurs de chacun des anciens maîtres’ Deux ou trois tableaux fuffifent-ils pour connoître la fertilité du génie , la pureté du deiïïn , la force d’expreffion & cette inépuifable variété de formes & d’ingénieufes compofitions , premières qualités d’un excellent peintre ? Mais une collection d’eftampes d’après ces mêmes artiftes , nous fuffira complètement, fi nous la regardons avec des yeux attentifs. Si dans ces gravures , foit au burin , foit à l’eau-forte , nous retrouvons ces mêmes qualités fupérieures, pourrons - nous douter des grands talens de l’auteur original ? Cette même collection nous permettra de rapprocher diverfes compofitions d’un même artifte , de les comparer , de diftinguer en quoi elles diffèrent , & de juger des commencemens, des progrès, de la fupériorité & de la décadence de fes talens. En examinant attentivement les effampes gravées d’après Raphaël , on voit dans celles de Tes premiers temps cette manière" roide & gothique qui diffère fi peu de celle du Pérugin dont il fut l’élève : mais bientôt on reconnoîr dans celles qui fuivent, ce ftyle fublime & plein de grâces qu’il adopta pour toujours.

C’eft principalement , comme nous l’avons déjà dit , dans les effampes gravées par les peintres que l’on retrouve toute leur manière -, c’eft donc par elles que l’on peut plus certainement les connoître. Celles d’Albert Durer , de Rembrandt, de Salvator-Rofa font en quelque façon des contre - épreuves de leurs tableaux , qui, pour la plupart , ont perdu par le temps la fraîcheur de leur coloris : aufli font -elles très - recherchées des amateurs, & quelques-unes même ont été payées auffi cher que l’aufoient été des tableaux originaux de ces mêmes artiftes.

Indépendamment de la propriété de repréfenter exactement les chefs - d’oeuvre de la peinture , les effampes ont encore , en qualité «le productions originales , le mérite d’imiter la nature. La gravure ne s’eft pas toujours affujettie à ne faire que des copies ; elle a fait voir qu’elle pouvoit prétendre avec fuccès à la gloire de l’invention ; c’eft même en cela qu’elle s’eft fait le plus d’honneur. Albert - Durer , Beaux-Arcs, lome J %

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Goltzius & Rembrandt, en Allemagne 8c en Hollande-, le Parmefan , Délia Bella en Italie,-Callot 8c le Clerc , en France , ont gravé beaucoup d’eftampes, dont les fujets , entièrement de leur compofuion , ne font point faits d’après des tableaux , 8c ne cèdent à ceux-ci que par le coloris , feul avantage de la peinture fur la gravure.

Ce que nous venons de dire peut nous indiquer la méthode que l’on pourroit fuivre dans l’arrangement d’une collection d’eftampes -, arrangement qui ne laiffe pas que d’avoir fa difficulté. Toutes les fois que l’on regardera la gravure comme un art fecondaire , comme un art qui en imite un autre, il faudra que les effampes faites d’après les tableaux foient clafiees fuivant l’ordre & les noms des peintres : mais fi on la confidere comme un art original r qui peint la nature par des moyens qui lui font particuliers, alors on doit claffer fes productions fuivant l’ordre & les noms des graveurs feulement,

La découverte de l’imprimerie dans le quinzième fiècle , eft fans aucun doute , ce qui a le plus contribué à l’avancement général de toutes les connoiffances. Avant elle la feience des fiècles paffés n’exiftoit, pour ainfi dire, que dans les anciens manuferits à demi vermoulus ; il en coûtoit trop à leî faire copier pour qu’ils fuffent multipliés , & d’ailleurs le propriétaire ne s’en deîTaifirtbit prefque jamais pour les communiquer, tant il y mettoit de valeur ou d’importance. Nous voyons dans l’hiftoire quelques exemples des difficultés qu’on faifoit pour confier un livre, & les précautions qu’on prenoit pour qu’il fût exactement rendu à celui qui l’avoit prêté. La découverte de l’imprimerie abbatit ces barrières , qui fi long - temps avoient empêché la communication des lumières ; les mœurs s’adoucirent , & la civilifation qui , peu à peu , devint générale , fut une heureufe preuve de l’utilité de cette découverte. Ce que l’imprimerie a fait pour les feiences , la gravure l’a fait pour les arts ; elle a rendu aux anciens peintres d’Italie , en confervant & multipliant leurs ouvrages , le même fervice que l’imprimerie a rendu au Tafle , à Shakefpéar , au grand Corneille.

Le plus nobJe de tous les genres de gravure , celui qui exige le plus de talens , c’eft fans contredit le genre de l’hiftoire. On ne peut y réuflîrfans un goût excellent , fans une grande habileté dans le deflîn , & fans la plus heureufe exécution. Un artifte qui croiroit fuppléer à ces qualités par un foin extrême & la plus grande netteté dans l’arrangement de fes tailles , ne feroit qu’une gravure froide & infipide , & tout en admirant fa patience, le.s véritables connoiffeurs ne pourroient s’empêcher d’ayoïr pitié de fon peu de goût , & de regrette !: Ddd

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un temps ïi maladroitement employé. C’eft ce qui arrive quand on examine les eftampes de Jérôme Wierix , & de quelques graveurs Allemands fi précieux & fl froids , 8c lorfqu’on les compare avec celles de Henri Goltzius & de Gérard Audran. Quelque foin que l’on prenne , quelque précieux que foit le travail , fi on manque de fentiment 8c de génie , on ne fera jamais qu’un artifte médiocre. C eft ainfi qu’en poéfie , avec tout le favoir poffible , & la plus ftride obfervation des règles de la vérification , un homme fans génie ne peut jamais être . un Shakefpéar , un Milton , un Voltaire.

Nous ne faurions trop appuyer fur ces obfervations dans un temps où le public , entraîné par un faux goût , femble ne demander autre chofe dans la gravure qu’un travail très-foigné, & ne s’embarraffe plus du deffin , de l’effet & du véritable talent. Elles font néceffaires aux jeunes graveurs pour les détourner d’une route suffi pernicieufe. Les fuccès inconcevables de quelques eftampes modernes, qui n’ont d’autre mérite que d’être extrêmement terminées , pourroient les féduire ; ce fera donc pour eux principalement que nous infifterons encore fur la grande différence qu’il y a entre une eftampe très-foignée & une belle eftampe favamment terminée. Dans la première , on ne trouve que cette exécution fervile & purement méchanique qu’on peut acquérir avec le temps & la patience ; l’arrangement des tailles & leur difpofition y font toujours les mêmes, quelque objet que le graveur ait voulu rendre : la féconde au contraire eft d’un travail harmonieux, mais varié fuivant les formes différentes & la nature des différens objets ; le deffin y eft large , l’effet en eft vrai & bien dégradé , & le fentiment fur-tout y domine. Quelque habileté qu’ait un graveur , quelque facilité qu’il ait de mani-er le burin ou la pointe , il ne doit encore jama ? oublier de conferver le ftyle de l’auteur d’après lequel il grave , 8c de bien fe garder de nous donner l’a propre manière. Ainfi l’ariifte qui voudroit t’eloigner de la manière fervile du graveur Château , devroit éviter en même-temps la liberté blâmable de Dorigny, qui n’a pas craint de fe livrer à fa manière par ic . liere de deffiner, en gravant d’api es Raphaël , au lieu de respecter & de fuivre exactement celle d’un fi g and pein-re. Les ouvrages de Gérard Audran me femblent les plus sûr. m-.dclesà fu’vre pour les jeunes artiftes qui fe deflinem à graver l’hiftoire. Cet liomme célèbre réunifloit toutes les qualnés que nous avons ât fixées dans un graveur de ce genre, & nous croyons pouvoir affurer fans craindre d’ère con red t par les connoiffeurs , qu’il eft le plis habile 8c le premier de tous ceux qui fe fiant adonnés à ce genre. G R A

On peut définir la gravure , un art qui, par le moyen du deffin, 8c à l’aide de traits fait» & creufés fur des matières dures , imite les formes , les ombres & les lumières des objets vifibles , & peut en multiplier les empreintes par le moyen de l’impreffion. Nous ne parlerons ici que de la gravure en cuivre &c de la gravure en bois , tk nous commencerons par la première.

On grave fur le cuivre à l’eau-forte , au burin , en couleur , en manière noire , &c. La différence des procédés qu’on employé fert à diftinguer les manières de gravures , & c’eft de ces différentes manières que nous entretiendrons nos ledeurs.

La gravure à l’eau-forte eft ainfi nommée à caufe de l’ufage qu’elle fait de cette liqueur corrofïve. Après avoir enduit un cuivre bien préparé d’une légère couche de vernis & l’avoir noirci à la fumée d’une torche , on y tracefon fujet avec une pointe plus ou moins fine,. qui enlève en même-temps le vernis par ’ont où on la promène ; puis on verfe fur fa planche : une quantité fuffifante d’eau-forte qui mord & entame le cuivre aux endroits où la pointe l’a mis à découvert.

La gravure au burin e(l celle où l’on n’employé pas d’eau-forte, mais le burin feulement. On commence par tracer fur le cuivre les contours & les formes de C- :n fujet avec un ; miment fort acéré & très-coupant ,. que l’on nomme pointe-sèche ; puis, à l’a ;de du burin , autre inftrument d’ac.er très - coupant , & à quatre faces, on entame le cuivre, & on y trace de ;; filions plus ou moins larges, & plus ou moins profonds : ces filions font appelles tailles.

On réunit fo-’vent ces deux manières de g-aver ; c’eft-à dire, qu’ayant fait d’abord ce que nou :. avons appelle une eau-forte , en rerouchc au b,rin , & on donne par ce moyen plus d’accord & de. moelleux à fa gravure. La gravure en manière noire, qui, comme l’a dit i_n aru’ie célèbre , M. Cochin , eft ainfi defignée p^r fen défaut capital , n’eft guère cultivée avec lUccès qu’en Angleterre , où on l’appelle Mezzo tinto. Elle fut inventée par un certain Louis de Sieghen ou Sichen, Lieutenant-Colonel au fervice du prince de Heffe-Caflel. Son premier ouvrage, qu’il publia en 1642 , fut le bufte de la Landgravine Amélie-Elifabeth. Cet officier apprit fon fecret à Robert de Bavière , Prince Palatin du Rhin , Amiral d’Angleterre fous le règne de Charles I. Le Palatin communiqua la découverte de Sieghen à Waleran Vaillant, peintre Flamand , & le fecret fut divulgué par l’indiferétion de quelques ouvriers. I es Anglois ont porté ce genre au plus haut degré de perfection dont il fok capable.

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Cette gravure diffère entièrement de celle »I burin ou à l’eau-forte par fes procédés & par fes effets. Au lieu que dans ces deux manières on paffe de la lumière aux ombres, donnant peu à peu de la couleur & de l’effet à fi planche ; dans la manière noire au contraire on pafle des ombres aux lumières , & peu à peu on éclaircit fa planche. Ee cuivre d’une manière noire eft tellement préparé que le fond y eft totalement noir. On y trace fon fujet , & :avec des inftrumens propres à ce genre de gravure, on enlève peu à peu le fond, fuivant les places & en proportion du plus ou du moins de lumière qu’on veut répandre fur fon eftampe. Cette manière de graver eft prefque toujours molle , & ne peut guère bien rendre que les chairs &les draperies , fût-elle même entre les mains d’un excellent artifte.

Elle eft en quelque façon la bafe d’une manière de graver en couleurs qui fut découverte vers l’année 1730 par Jacques le Blond ; il en commença les effais en Angleterre , & vint enfuite en France , où il grava avec quelque fuccès des portraits de grandeur naturelle. Il nous a donné une defcription détaillée de (a manœuvre que nous ferons conr.oîrre dans le dictionnaire de la pratique. On paroît avoir abandonné cette façon de graver qui avoit les défauts qu’on reproche à la manière noire , & dont l’exécution n’a jamais répondu à ce que l’auteur s’en promettoit.

Nous avons quelques eftampes de J. Lutma qu’il intituloit du nom d’ouvrages au maillet , opus mallei ; il paroît par le titre de ces eftampes gravées en points , que l’auteur fe fervoit d’un petit marteau pour enfoncer dans le cuivre la pointe avec laquelle il gravoit ; c’eft fans doute à cette manière que nous devons celle à l’imitation des deffins au crayon ou à la fanguine , qui fut portée à fa perfection , il y a quelques années, par Demarteau l’aîné & fon neveu. Pour accélérer le travail , lui donner plus de liberté & une touche plus large que ne faifoit Lutma avec une feule pointe , on a imaginé des inftrumens dont la face inférieure eft hériffée de pointes l’aillantes , plus ou moins diftantes , plus ou moins fines : ces inftrumens , qui font l’effet d’un faifceau de pointes jointes enfemble , font de différentes formes ; plufieurs font difpofés en roulette , de forte qu’on peut les faire mouvoir & les rouler dans tous les fens en appuyant fur fon cuivre, ce qui donne la facilité d’y tracer librement les hachures , & d’imiter parfaitement la grainure & le mcè’leux d’un deffin à la fanguine. On fe l’en ordinairement de l’eau - forte pour ébaucher , puis on retouche avec les mêmes inftrumens pour donner l’accord & adoucir fon travail.

On appelle gravure pointillée une manière G R A 3^ ;

de graver fort reffetnblante à celle de J. Lutma & de Demarteau ; c’eft un compofé de points & de tailles , mais dans lequel les points dominent , & font employés ordinairement pour faire les chairs & les fonds ; on peut fe fervir de l’eau -forte , ou ne s’en pas fervir. Jean Boulanger, graveur François du fiècle dernier, nous a laifle quelques eftampes en ce genre , qui font aflez bien faites , mais d’une touche froide & molle en général. Depuis quelques années cette manière de graver eft devenue fort à la mode fur-tout en Angleterre ; elle y a été portée au plus haut point de perfection par le malheureux W m Ryland, Se fur- tout par le célèbre F. Bartolozzi , artifte Italien. Elle ne pouvoit manquer de plaire entre les mains de ce dernier , dont les talens en deffin Se ea gravure font au-deffus de tous éloges. On s’eft avifé dans ces dernières années de faire imprimer en couleurs les planches gravées dans cette manière. Le fuccès de ces eftampes , faites pour les demi-connoiffeurs feulement, dépend de la vivacité des couleurs , de leur bon accord , & de l’intelligence réunie du graveur & de l’imprimeur , & de ce dernier fur-tout. C’eft l’imprimeur qui prépare fes couleurs Se les détrempe à l’huile •, c’eft lui qui les couche fur les différentes parties de la planche , Se qui enfuite les fait paffer fous fa preffe ; mais en général ces eftampes font d’un effet beaucoup plus foible que celles qui font imprimées à une feule teinte rouge ou brune ; elles font prefque toujours médiocrement imprimées : enfin on y voit beaucoup moins le talent du graveur que fi elles netoient pas ainfi colorées. Nous ne craignons pas d’ajouter que les couleurs s’effacent & s’évaporent avec le temps , Se qu’il ne refte , après quelques années, que des traces bien foibles de ces teintes colorées, qu’on peut bien appeller du nom d’enluminures.

On a auffi imité, par la gravurû, les deffins an lavis. Il y a plufieurs procédés différens pour réuflïr dans cette manière nouvelle ; le plus ufité eft de laver fur le cuivre par un procédé particulier , avec l’eau - forte Se le pinceau , comme on lave un deffin fur le papier avec du biftre ou de l’encre de la chine. Les eftampes gravées dans cette manière par un bon peintre ou un bon deffinateur peuvent être regardées comme autant de deffins originaux ; car elles en ont toute la liberté , toute la touche, enfin tout le mérite. Telles font celles qu’a gravé J ; B. Leprince , qui a porté cette découverte auflï loin qu’elle pouvoit aller. On a quelquefois imité les deffins au lavis par un travail pointillé infiniment précieux , & d’un extrême fini ; mais cette imitation , étant en quelque façon fervile , n’a été employée avec fuccès que pour graver de l’architecture. Les cinq ordres D d d ij

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gravés en ce genre font infiniment d’honneur à M. Duruifi’eau.

De la gravure à l’imitation du lavis il n’y avoit qu’un pas à faire pour trouver celle à l’imitation des deffins colorés à l’aquarelle ; il i’agiffoit Amplement démultiplier les planches pour une même eftampe , & de diftribuer fur chacune d’elles les couleurs deflinées à en couvrir les différentes places. C’eft ce qui a été fait avec i’uccès par MM. Janinet, Dubucourt & Defcourtis , depuis dix à douze années feulement. Voici le procédé dont on fe fert : on a quatre ou cinq planches de cuivre d’égale grandeur , que l’on a grand foin de faire raccorder exactement les unes avec les autres par le moyen de pointes fixées fur les marges en dehors de la gravure. Sur la première de ces planches on grave fon fujet de manière à trouver les formeirprincipales , & on le termine afl’ez pour qu’il puiffe être imprime dans une couleur foncée , foit de biftre , foit d’encre de la chine médiocrement noire. L’épreuve de cette première planche fait à-peu-près l’effet d’un deffin lavé auquel il ne manqueroit que l«s couleurs. Les autres cuivres font deftinés à recevoir ces couleurs , 8c à les tranfmettre à l’épreuve par le moyen de l’impreflion ; ainii la deuxième planche eft deliinée à recevoir les travaux qui doivent être imprimés en rouge. La troifième planche le fera aux travaux imprimés en bleu. La quatrième fera pour l’impreffion de couleur jaune. Le mélange des couches de bleu 8c de jaune donnera le verd ; le mélange du rouge avec le jaune iera une teinte qui participera des deux , & ainfi des autres. La première planche, celle deftinée au fond 8c au fujet principal , étant imprimée* en noir ou en biftre, donnera les teintes grifes, noires ou biftrées , & le fond du papier, laiffé blanc, donnera les lumières pures. L’heureux accord de ces couleurs, leur mélange harmonieux a quelquefois produit des eftampes fort agréables ; mais , abftraclion faite du talent en gravure 8c en deffin , la grande difficulté de cette forte de gravure confiftant dans la juftefle des rentrées de chaque teinte, il faut convenir qu’à l’exception de quelques eftampes gravées par les artiftes que nous avons nommés , & par un petit nombre d’autres ; la plupart de celles de ce genre font au-deffous du médiocre. Nous ne diffimulons pas que cela vient autant de la difficulté de les bien imprimer , que -de celle de bien diftribuer fes teintes fur fes differens cuivres -, car s’il faut que le graveur ait des connoiffances relatives au coloris , il faut suffi qu’il foit aidé par un imprimeur intelligent, & homme de goût. La réunion de ces qualités dans deux perlbnnes d’un talent différent ne peut être commune ; auffi yoy.ons-nous qu’il y a bien peu de yra»-GRA

ment belles eftampes imprimées <y couleurs. Quel feroit donc l’orgueil de la gravure fi elle pouvoit, à tous fes avantages, joindre encore ceux du coloris ? Nous ibmmes bien éloignés de décourager les graveurs des louables efforts qu’ils font pour y réuffir ; mais nous croyons que la gravure a. fait aflez pour fa gloire & pour fon utilité entre les mains des Audran , des F.delinck, des Drevets , fans prétendre vainement aux effets brillans & hardis du pinceau , & à l’harmonie des couleurs.

La gravure en manière noire, celle à l’imitation du lavis, & celle en couleurs à l’aquarelle , ont toutes trois le même défaut par elles-mêmes , celui d’être de peu de durée , & de s’ufer promptement à l’impreflion. On ne peut en tirer qu’un petit nombre de bonnes épreuves, à caufe du peu de folidité des travaux faits fur le cuivre. Comme ils n’en effleurent , pour ainli dire T que la furface , ils font bientôt affoiblis par la main de l’imprimeur 8c par l’impreflion fur le papier. Il eft vrai qu’on peut les retoucher facilement ; mais les épreuves faites après les retouches font ordinairement inférieures aux premières. Les gravures au burin , i ou à l’eau - forte retouchée au burin , n’ont pas ce défaut , par la raifon oppofee. On peut, quand le cuivre eft de bonne qualité , tirer de celles-ci un grand nombre de bonnes épreuves ; au refte tous ces avantages & ces défavantages font compenfes parle plus ou moins de temps qu’on met à graver dans une manière ou dans une autre ; une gravure en manière noire ou au lavis n’exige pas le quart du temps qu’il faut employer pour une gravure au burin de pareille grandeur-, c’eft peut-être même cette célérité dans l’exécution &refpérance déplaire & de féduire par les couleurs, qui ont engagé tant de jeunes élèves à s’adonner à la gravure à l’aquarelle -, c’eft à cela fans doute que nous devons une infinité de médiocres eftampes, qui n’ont fait aucun honneur à leurs auteurs. La gravure en bois a été pratiquée avant la gravure en taille -douce. « L’opinion la plus » générale , dit M. Hubert eft qu’elle tire fon » origine des carriers j ou faifeurs de cartes à » jouer, nommés en Allemand formfchneiêer » ( tailleurs de formes ou de moules) parce que » le méchanifme en eft à - peu -près le même » fur- tout par rapport aux cartes allemandes. Il » réfulte des recherches de nos favans que les » cartes éto’ent en ufage en Allemagne dès » l’année i ?oo.

ii L’impreflion des images étoit anciennement » la même que celle des cartes. Après avoir » chargé de noir la planche de bois , ou le » moule, on y appliquait une feuille de papier humeété ; enfuite on paffbit plufieurs » fois fur cette feuille un frottoir de crin ou » de bande d’étoffe , & l’on frottoit ce papier G R A

» fur le moule. Cette opération faite , l’errrpreintc de l’image paroiffoit fur le papier, j » Qu’on examine les anciennes gravures en » bois , & les anciens livres d’images imprimés » d’un côté , on découvrira ailetnent cette opération fur le revers qui eft lifTe , & quelquefois maculé.

» Après avoir produit des images de Saints , » on grava aufïi des fujets d’hiftoire , Se on y » ajouta , par les mêmes procédés , une ex- . » pïication en bois. Ce font ces livres , qui , » fuivant l’opinion de plufieurs favans, ont » donné l’idée à Guttenberg d’inventer l’art

  • typographique.

« Dès que l’imprimerie fut inventée , ]s. gravure en bois fut employée à l’ornement des » livres. Les noms de la plupart des graveurs » qui ont travaillé dsns cette partie ne nous » l’ont pas parvenus. On peut ranger parmi les ■ » anciens graveurs en bois Hans Sporer , Jorg » SchapfT, Jean de Paderborn, Johann Schnitzer, » Sebald Gallendorfer : mais ceux qu’on peut » nommer avec plus de certitude font Guillaume Pleydenwurf ëc Michel Wolgemuth , » le maître d’Alberr-Durer. Cependant cet art r> ne fut entièrement perfectionné en Allemagne ■ » qu’au commencement du feizième fiècle ; ce I » fut à cet époque qu’Albert - Durer , Lucas | » Cranach , Albert Altdorfer , & un grand » nombre d’autres donnèrent des gravures en » bois, très - recherchées aujourd’hui par les » curieux ».

Nous avons beaucoup d’eflampes des anciens artifles dont les planches font en bois. Il exifte encore à Paris , dans le cabinet d’un amateur , des planches en bois, gravées par Albert -Durer , qui font paffablement confervées, & dont on pourroit encore tirer des épreuves. L’âpreté h des tailles de cette gravure l’a fait abandonner depuis long-temps par les favans arriftes ; elle n’eft plus d’ufage que pour les vignettes , les fleurons & autres ornemens de la typogsaphie. On décrira les procédés de cette gravure dans le dictionnaire de pratique des arts. Nous nous contenterons de dire ici qu’on commence par defliaer fon fujet à l’encre fur la planche ; puis avec des outils fort tranchans , on creufe & on enlève le bois. Tout ce qui y refle en creux doit former les lumières fur l’eftampe ; on réferve en faillie les traits & : les hachures qui doivent former les mouveniens , les formes & les embres. La gravure étant terminée , on la porte fur uae preffe d’imprimerie en lettres , & Jes épreuves font tirées comme on tire les feuilles d’un livre. La gravure en bois a l’avantage de réfifter à l’impreflion beaucoup plus que la gravure en cuivre -, celle-ci dorme à peine quelques centaines de belles épreuves , tandis que l’autre en donne plufieurs milliers prefquè toutes d’une égale beauté j c’eil peut-être un«  G R E

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des raifons qui , pour l’ufage général de la typographie , fait préférer la gravure en bois , quoi qu’elle foit moins agréable, à la gravure en cuivre qui plaît davantage à tous les yeux. Nous avons quelques anciennes eftampes gravées en bois , auxquelles on a donné le nom d’eftampes en clair- obfcur. Elles font faites par le moyen de plufieurs planches en bois imprimées fuccefïivement lnr la même feuille ; la première ne porte que les contours & les ombres-, la féconde, les demi-teintes ; la troifième eft réfervée pour les lumières : par ce moyen on imitoit les defiïns à la plume , à la pierre noire, au lavis , à l’encre rehauffée de blanc fur papier bleu ou gris ; les Italiens ont appelle du nom de chievo-feuro , ce genre de gravure, que nous connoiflbns fous le nom de camayeu. (Article de M. Chéreav , extrait en grande partie du difeours préliminaire du Dictionnaire Biographique des graveurs , écrit en anglais , par M. Strutt , graveur. GRECS ( Artifles Grecs. ) Comme les Grecs font nos maîtres dans l’art, il eft utile fans doute de rechercher qu’elles étoient leurs idées fur l’art. Cette recherche a été faite par un artifte célèbre, & c’eft lui que nous laifTercns parler.

Les Grecs fe-rappelloient fans ceffe que les arts avoient été faits pour l’homme, que l’homme cherche à rapporter tout à lui-même, & q Ue par conféquent la figure humaine devoir être leur premier modèle. Ils s’appliquèrent donc principalement à cette partie de la nature ■ & : comme l’homme eft lui-même un objet plus noble que fes vêtemens , ils le repréfentèrent le plus fouvent nud , excepté les femmes que la décence exige qu’on vêtiffe.

Reconnoiffant donc que l’homme eft le chefd’œuvre de la nature , pa la belle harmonie de fa conft-u&ion.-, & la belle proportion de fes membres , ils s’appliquèrent furtout à étudier ces parties. Ils s’apperçurent ifïï que la force de l’homme réfulte de deux au

rnouvemens principaux ; favoir , celui de replier fes membres vers le corps oui eft leur centre commun de gravité, & celui de les écarter de ce centre en les étendant ; ce qui les engagea à étudier l’anatomie , & leur donna la première idée de la fignincation 8c de l’expref- 1ÏQJ1.

Leurs mœurs &c leurs ufages leur furent en cela d’un grand fecours. En voyant les lutteurs dans l’arène, ils furent naturellement conduits à réfléchir fur la caufe de leurs divers rnouvemens , & : en y réfléchiiTknt , ils la découvrirent Enfin , ils s’élevèrent par l’imagination jusqu’à la divinité , & cherchèrent dans l’homme les parties qui s’accordoient le mieux avec les idées qu’ils s’étoient formées de leurs Dieux 55 >8 GR Ê

& c’eft par cette route- qu’ils par vinrentà faire un choix. Us s’étudièrent à écarter de la nature divine toutes les parties qui marquent la foiblefle de l’humanité. Us formèrent à la vérité leurs Dieux d’après l’image de l’homme , parce que c’étoit la figure la plus noble & la plus parfaite qu’ils connuflent ; mais ils cherchèrent à les exempter des foiblefles & des besoins de l’humanité -, & c’eft ainfi qu’ils parvinrent à la beauté.

■ Enfuite ils découvrirent par degrés un être mitoyen entre la nature divine & la nature de l’homme ; & : c’eft en réunifiant ces deux idées qu’ils imaginèrent la figure de leurs héros. L’art atteignit alors à fon plus haut degré de perfection ; car par ces deux natures différentes , la divine & l’humaine , ils trouvèrent suffi dans les formes & dans les attitudes toutes les expreffions caractériftiques du bon & du mauvais. D’après ces réflexions & ces comb :naifons, ils parvinrent à connoître les acceffoirë’s , tels que les draperies, les animaux , &c. Cependant ils n’eftimèrent chacunedeces parties que fuivant fa valeur , auffi long-temps que l’art fut exercé par de grands génies. Mais lorfqu’il fut dérigé par des âmes étroites & vénales , & que ce ne furent plus les philolbphes , mais les riches & les rois qui en furent les juges , ils s’occupèrent peu à peu des petites parties , & des objets inférieurs de la nature , jufqu’à ce qu’enfin ils composèrent des chimères bizarres , dont l’exiftence eft irapofïïble , ce qui produifit les bambochades & le genre grottefque. Depuis ce temps , l’art ne fut plus dirigé par le jugement, mais fe trouva abandonné au haïard.

Ce goût d’œil général fur l’art des Crées peut fuffire ici. Nous traiterons ailleurs cet objet avec plus d’étendue. ( Article entrait des Réflexions fur la beauté & fur le goût dans la peinture , par Mengs ).

GRÊLE (adj.) Cette figure eft trop grêle, ce membre eft grêle. On entend par ce mot , qui vient du latin gracilis , le vice voifin delà bonne qualité qui s’exprime par le mot fvelte. C’eft en effet en cherchant à être fvelte & léger qu’on tombe dans le grêle , c’eft-à-dire , d’ans la maigreur-, qui eft un défaut dans l’art comme dans la nature , à moins que l’artifte ne foit conduit par fon fujet à représenter une nature déoourvue de l’embonpoint qui accompagne la fanté.

Le grêle eft ordinairement accompagné de roidenr , parce que l’artifte qui, voulant parvenir à la légèreté , ôte aux différentes parties plus qu’il ne devroit faire pour les rendre conformes à là nature-élégante , perd ces lignés ondoyantes qui expriment le mouvement. Ainfile gothique G R I

eft ordinairement roide & grêle. ( Article it M. Levés que. )

GRIGNOTÉ (part.) GRIGNOTIS ( fubft. maie. ) Ces mots ne font en ufage que dans l’art de la gravure. Ces travaux font agréablement grignotes ; le grignotis convient mieux pour rendre de vieilles mafures que des travaux plus fermes.

Des tailles courtes & tremblées, interrompues par des points de toutes les formes , & par tous les travaux capricieux que peut créer une pointe badine , conftituent le grignotis. Il eft propre à rendre les terraffes, les vieux édifices, les chaumières , les pierres couvertes de moufie , les étoffes groffières & velues, & en général les fubftances dont la furface offre une apparence de molefle. C’eft la pointe qui s’acquitte avec le plus de fuccès de ce travail libre & ragoûtant : cependant Corneille Wificher , Bolfwert & même Albert-Durer ont fu forcer le burin à grignoter certaines parties de leurs planches avec un goût exquis. ( Article de M. Levesque. )

GRIMACE ( fubft. fém. ) Je regarde comme trop eïfentiel pour l’intérêt de l’art de recommander la fimplicité d’expreflion & de caractère dans les imitations de la nature, pour ne pas faifir l’occafion d’infifter fur ce précepte, à l’occafion d’un mot dont on aura d’autant plus de droit de felérvir dans le langage des arts qu’ilss’éloigneront plus de la véritable perfection. Artiftes qui voulez plaire & toucher , perfuadez-vous bien que les figures peintes qui grimacent peur paraître avoir du caractère , des grâces , ou pour montrer de l’expreffion , font aufîi rebutantes aux yeux des fpectateurs, que les hommes qui fe montrent faux & qui mentent, même par exagération de fentimens, font odieux aux âmes franches & honnêtes. Me direz-vous que la plupart des expreflions que vous voulez étudier dans la l’ocicté font ou feintes , ou exagérées , que prefque tout ce qu’on y appelle grâce, & fouvent fenfibilité, eft affect ation & grimace ? Ce font des lieux communs malheureufement trop vrais : ce font de plus, il faut en convenir, des obftacles aux progrès de vos arts. Il faut les connoître , &, fans perdre le tems à vous en plaindre , mettre vos efforts à les fUrmonter.

Réfléchiflez donc fur ce fujet plus fouvent encore que vous n’obfervez. Pénetrez-vous des fujets que vous traitez : ne vous dégoûtez pas de la folitude -, defeendez en vous-même pour y retrouver (fi votre ame a confervé fa franchife ) les grâces naïves & les fentimens vrais. Des intérêts, fouvent mal-entendus, conduifent les hommes à fe tromper par des appa/ences quelquefois mal-adroites & : par des exagérations GRI,

tolérées -, mais on ne fait pas autant de grâce à ces défauts dans les imitations de la peinture que dans la fociété. Ils bleffent & font condamnés, au moins lorfqu’on les peint ; ainfl votre propre intérêt doit vous attacher à la vérité à laquelle lès ans d’imitation font fournis par leur nature. Etudiez les grands modèle* plus fouvent encore que la nature qui fe préfente le plus ordinairement à vous.

Les grands modèles doivent leur gloire à cette vérité que les hommes refpe&ent encore , lorfqu’ils s’en éloignent le plus.

Polycléte fe fit un nom qui eft célèbre encore , par la juftefTe des proportions : A-gefandre, auteur du Laccoon, par la vérité d’une douleur noble & terrible. Homère eft le modèle des poètes , parce qu’il eft vrai 8c fans grimace , comme les belles figures antiques. La Fontaine -fera celui des poêles philofophes, parce que fa naïve beauté eft exemple de toute afîeéia ion. Molière n’en a point , lorfqu’ïi peint, non-feulement les vices, mais les ridicules même ; lorfqu’ïi a grimacé pour cap p iver le peuple, il a été fevèrement blâmé,, mais Raphaël , le Sueur, Pouflin , fans en exclurre d’autres, n’om jamais fait grimacer leurs figures. L’expreflion dont l’arae n’a qu’une idée vague, fans la fenc.r vivement, devient aifiment fous le pinceau , une giimace , & lagrimace laiffe !e fpeélateur froid ou le fait rire aux dépens du çeintre.

Voyez un époux , une veuve , un héritier qui fe croyent obliges de feindre une vive douleur, qu’ils ne trouvent ni dans leur cœur, ni dans leur imagination ; obfervez bien ces modèles ( vous en trouverez, fi vous vous donnez la peine d’en chercher) & vous fentirez en quoi la grimace diffère de l’expreflion vraie.

ïl faut quelquefois fixer les yeux fur les défauts, pour mieux fentir les beautés , & regarder les affectations des homme.- ; , pour a’o r une plus j u fie idée â" leurs véritables affeclions. ( Article de M. JP^atelet. )

GRIS (adj. pris quelquefois fubftanrivetnent. ) Ce tableau eft gris , ce peintre donne dans le gris,

Quand le gris efl la teinte dominante d’un tableau, l’ouvrage manque d’effet ; c’eft un vice capital de couleur. Mais les tons gris peuvent être artiilement oppofés aux tons chauds, vigoureux , & contribuer ainfi par leur opposition à l’heureux effet du tableau. GRÏSAILLE( fubft. fém. ) Ce mot défigne u»e efpèce de peinture ; il exprime aufîi lin défaut dans le colons. Lorfq..’un lableau eft d’une teinte grife , lourde , 8-r fi uniforme, que les couleurs locales ne s’y dilUn/*uein pas G R O

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bien , on dit alors , avec le fentiment du mépris : c’ejl une grifaille.

La première acception de ce mot s’applique à deux fortes de peintures.

i°. On dit d’une efquiile faite d’une feule couleur grife, avec du blanc & du noir : il a fait fon efquife feulement en grifaille ,• le modèle du plafond de AJignard au P’al-de-Grace, qui fe voit à C Académie de Peinture , eft peint en grifaille. Ce qui deiîgne que les couleurs locales n’y font point indiquées , & que le ton eft gris.

î n . Nous entendons auffî par grifaille ce que les Italiens entendent par chiaro feuro . méthode employte ordinairement dans les frifvs & dans les panneaux de foubaffement des ordres d’archiietlure. On en voit de cette forte au Vatican , peints la plupart par Polidore de Caravage. Ce font des tableaux de couleur grife , imi :ant imparfaitement les bas-reliefs de pierre ou de marbre. Je dis imparfaitement ; car les tableaux imitans les bas-reliefs font fufcepribjes de tons variés, foit dans les clairs, foit dans les ombres ou dans les parties reflétées ; au lieu que le tableau n’eft que grifaille quand il eft fait feulement avec le blanc & le noir. Nous ne taifons de diftinélion entre les deux fones de grifailies , que parce que l’une s’employe pour des eiquiffes, & l’autre dans des tableaux terminés de cette couleur. Toutes deux font des ouvrages nuls de coloris , où l’on n’a voulu exprimer que le clair & l’ombre , chiaro feuro , d’où il n’eft réfulté qu’une teinte grife ; car , encore une fois , fi un artifte tant foit peu habile avoir intention de rendre la pierre ou le marbre ; l’ouvrage alors devroitétre plus recherché dans l’art de colorier , ce ne feroirplus une grifaille ; mais un panneau peint d’un ton de marbre , une ftatue en couleur de pierre . &c. Nous a-’ons cru devoir infifier fur la fignificanon precife de ce mot grifaille , parce que plufïeurs écrivains s’en font fervis indifféremment pour exprimer ce qui imite le bas-relief ou ce qui n’eft qu’une peinture grife. En mûmetemps nous penfons que. c’eft dans l’idée de feindre un bas -relief, en négligeant cependant tous les dé- ails des teintes, qu’on a produit des grifailies ; Se fi, dans ce genre, on a fait des ouvrages précieux, ils l’ont été parla compofition tk. le deflin. ( Article de il/. Robin. )

GROTTESQUE (adi. ) Une figure grotttfque c’eft-à-diie une figure d’une proportion cud’ ne cnn"ru£tion vicieufe & ridicule. Callot fe p-laifoit à faire de ; figures grottefques. Grottesques (fubft. mafe. ) Ce mot ne s’employe qu’au pluriel. On appelle grottefques en peinture, des ornemens qu’on nomme aiïflï arabefques.

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L’étymoïogie du mut grottefques eft aujourd’hui fi peu relative au fens qu’on lui donne le plus ordinairement, qu’il efl : bon de la rappeiler.

Des élèves de RaphaP 1 . , dit-on , découvrirent, dans des grottes antiques , des ornemens de flruc ou de peinture , d’après lefquels leur maître en compofa du même genre qui furent appelles grottefques , relativement aux lieux où l’on en avoit trouvé des modèles. Il efl : afTez vraifemblabie que l’abus qu’on a fait de ces ornemens, fufceptibles d’une infinité de formes chimériques , y a introduit des figures ridicules , & qu’alors , on a appelle des grottefques les figures que la nature même avoit douées de difformités rifibles , qu’on imitoit. L’étymoïogie s’eft oubliée d’autant plus facilement , qu’elle n’avoit point de rapport au caraftère de ces fortes de figures ; mais le mot adopté dans le dernier fens dont je viens de parler, a dû influer fur la corruption du genre, & ce nom de grottefques , parvenu à fignifier dans la langue générale , des objets Se des figures ridicules , aura fait penfer aux artiftespeu inftruits & peu réfléchis , qu’ils ne pouvoient jamais rendre trop ridicules les objets & les figures dont ils égayoient leurs ornemens ; mais du ridicule au bas , & à plus forte raifon , du bas au dégoûtant , il y a peu de chemin a faire. On doit concevoir que lorique les ornemens dont je parle ont été le plus en vogue, on les aura fouvent compofis- d’après les délires de l’imagination livrée à fes caprices , & d’après les extravagances du mauvais goût. Ce qui a dû ajouter vrailèmblablement à cette corruption , c’eft que les artiftes distingués fe croyent autorifés à regarder comme audeffous d’eux de peindre ces fortes d’ornemens, qui ont été abandonnés le plus fouvent à des artiftes dont les talens étoient fubordonnés. Raphaël cependant ne les dédaignoit pas , & j’obferverai à cette occafion que , dans les arts libéraux , les petits genres ne peuvent fe foutenir qu’autant que les grands artiftes daignent s’en occuper quelquefois ; & ils le doivent , quand ce ne feroit que pour foutenir les droits du génie 8c du bon goût, dont ils font dépofitaires & défenfeurs. C’eft, je le répète, du fort des grands genres que dépend dans les arts libéraux , le fort des petits , comme, parmi nous , c’eft des mœurs des grands que dépendent principalement les mœurs d’une nation. La protection marquée & les encouragemens bien dirigés doivent être prodigués aux premiers genres, dans les beaux-arts , comme aux premières vertus : mais il eft bon que ceux qui pratiquent les genres nobles avec fuccès , ne fe croyent pas trop au - deffus des genres moins importans , pour ne pas s’en occuper quelquefois. C’eft par cette raifon entr’autres , que

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J’exhorte en plufïeurs endroits de cet ouvrage ; les peintres d’hiftoire à traiter , quand l’occaiion fe préfente , tous les genres. Les attiflescélèbres n’ont regardé comme au-deffous de leurs talens , rien de ce qu’embraffbit leur art î ils faifoient plus, puifqu’un afTez grand nombre d’entr’eux exerçoit les arts que j’appellerai limitrophes de la peinture ; je veux dire lafculpture, l’architefture , la cizelure & la gravure dans toutes leurs parties, (article de M. J^Atelet. )

Grottesques : on donne ce nom à des ornemens bizarres dont les Romains , dans le temps de leur luxe , ornoient les plafonds , les planchers , les frites , & même les panneaux de leurs petirs appartemens. Le mot grottefques exprime à - peu - près le même genre dans l’art que celui arabefque. Tous deux défignent des ornemens légers , gais & chimériques. On les a employés probablement pour imiter la broderie.

Le mot grottefque rend , par rapport à l’art, la même idée qu’il donne d’une certaine efpèce de penfées. Et comme une penfée grottefque eft ordinairement piquante & deftituée de raifon , de même les grottefques , foit en peinture , foit en bas-relief , nous offrent des objets contre nature , qui cepeadant récréent l’œil un moment ; mais auxquels un être fenfé ne peut s’arrêter long- temps

Comment en effet eftimer un genre capricieux qui nous expofe des animaux ou des hommes, dont le modèle n’exifte pas dans la nature ? On les fait fortir d’une branche très-déliée , fouvent d’un brin d’herbe -, ils font tantôt furmontés de meubles , d’attributs de chaffe ou de mufique , & tantôt d’une cafeade ; tout cela mélangé de mafearons de métal ou de marbre , de fleurs , de fruits , d’étoffes , &c. Le jugement peut-il le fixer fur un genre qui réunit tout ce que l’imagination la plus fantafque peut nous préfenter , & encore dans une difpofition toujours défavouée par la raifon , puifqu’elle eft oppofée à l’ordre des poffibles ?


On doit croire qu’un goût bien bizarre a pu feul inventer les grottefques. Raphaël les a trouvés dans des fragmens d’habitations antiques , & les a places aux loges du Vatican ; c’étoient des galleries fervant de promenoirs, & de paffages pour les appartemens de ce palais des Papes , où il avoit beaucoup de petits corps d’architeclure à remplir de fes peintures. Il auroit été peu porté fans doute à placer les grottefques dans un fallon d’un genre noble & deftiné à des ufages importans , tels qu’étoient les falles de ce même palais.

De nos jours , on multiplie les grottefques dans les endroits les plus graves ; leurs figures bizarres décorent les fallons des Prélats , dès Magift rats ,

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Magiftrars ; & ils ornent les bibliothèques 8c les lieux où les Princes tiennent leurs confeils. Il devro’ent en être exclus ; ils pourraient feulement être employés pour les bains , les cabinets de plaifirs , & tous les petits cafins qui entourent nos grandes villes.

L’emploi des grottefques en peinture eft encore plus b-zarre qu’en fculpture ; de cette dernière manière , ils tiennent des ornemens propres à l’architecture : mais il faut bien distinguer ce qu’on appelle ornemens d’avec les grottefques ou arabefques.

Les ornemens ont été inventés parles auteurs des règles , par les difpenfateurs du grand goût, par les Grecs enfin, qui les ont liés à toutes les parties de l’architecture. Ils font d’un tel choix déformes, fi mâles & fi nobles, & employés avec une fi fage distribution , qu’ils font devenus d’une néceffité indifpenfable dans la décoration ; au lieu qu’on ne voit nuls vefciges des grottefques dans ce qui nous refte de ces maître de l’art. Les feuls Romains , lorfque leur goût commença à le dégrader , lorfque leur richeffe excefïïve , leur luxe , 8c l’ufage immodéré des arts leur eurent rendu néceflaire le nouveau 8c V ’extraordinaire, les Romains, dis-je, inventèrent alors les grottefques. Les forties de Vitruve contre cette innovation indiquent leur époque.

Si l’on objecte que les formes des plus beaux ornemens , adoptés par l’architecture , contredifent fouvent ce. que nous ’montre la nature , 8c qu’elles doiventaufii paroître bizarres, comparées à fes fages productions , nous répondrons qu’indépendamment de l’exagération ridicule des formes des grottefques , de i’incohérence des objets qu’ils raffemblenc , la couleur accroît encore l’excès de leur invraisemblance. Au lieu que les ornemens adaptés à l’architecture , étant comme elle de pierre , de marbre ou de métal , en deviennent une partie inféparab ]e , & ferment avec elle une liaifon douce, un acceffoire précieux qui accompagne, & enrichit fans abforber , & plaît à i’œil fans trop l’occuper ni le diftraire des maffes ; délicieux 8c face attribut auquel le clinquant des grottefques ne peut être comparé, fur-tout quand ils font colorés.

Sans ce fiècle où l’on prodigue les grottefques fans choix & fans difcrétbn , on pourra trouver extraordinaire ce que je viens de dire fur leur emploi , dans lefeul article de cet ouvrage où je pouvois encore en parler : mais on n’a qu’à lire le pafîage de Vitruve que je rapporte ici en entier ; on verra que mon opinion fur fes grottefques ou arabefques n’eft ni unique ni nouvelle, 8c que c’étoit celle d’un Romain , qui écrivoit dans le beau fiècle d’Augufte , 8c à qui jamais on n’a conreflé le bon goût.

Beaux- Ans. Tome I.

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« Cependant par je ne fais quel caprice , » dit-il, on ne fuit plus cette règle que les » anciens s’étoient preferite de prendre toujours pour modèles de leurs peintures les » chofes comme elles font dans la vérité ; car 53 on ne peint à prêtent Sur les murailles que » des monftres extravagans , au lieu de chefes » véritables & régulières. On met pour colonnes des rofeaux qui Soutiennent un entortillement de tiges, de plantes cannellées » avec leurs feuillages refendus & tournés en » manière de volutes. On fait des chandeliers (i) qui portent de petits châteaux , defquels , comme fi c’étoient des racines , il » s’élève quantité de branches délicates Sur » lesquelles des figures Sont afliSes : en d’autres » endroits, ces branches aboutilTent à des » fleurs , dont on fait fortir des demi-figures , » les unes avec des vifages d’homme , les » autres avec des têtes d’animaux. Ce Sont » des choSes qui ne Sont point, & qui ne peuvent être , comme elles n’ont jamais été ; » tellement que les nouvelles fantaifies prévalent, de Sorte qu’il ne Se trouve prefque » perSonne qui foit capable de découvrir ce » qu’il y a de bon dans les arts & qui en » puiffe juger. Car, quelle apparence y a-t-il » que des rofeaux foutiennent un toît , qu’un » chandelier porte des châteaux , & que les » foibles branches qui forcent du faîte de ces » châteaux portent des figures qui y font » comme à cheval -, enfin que de leurs racines, » de leurs tiges & de leurs fleurs, il puiffe » naître das moitiés de figures ? Cependant pérît ) fonne ne reprend ces impertinences ; mais » on s’y plaît, fans prendre garde fi ce font » des choSes qui Soient poffibles ou non : tant » les eSprits font peu capables de cannoître ce » qui mérite l’approbation dans les ouvrages. » Pour moi , je crois que l’on ns doit point » eftimer la peinture fi elle ne repréfente la » vérité , & que ce n’eft pas nffez que les » chofes foienc bien peintes , mais qu’il faut » ar.fli que le deffin ( 2 ) foit raifonnable , & » qu’il n’y ait rien qui choque le bon fens ». ( Vitruve . tra-.l. de Perrault , liv. Vll,chap. 5.) Si l’idée que d^nne Vitruve des grottefques digrade ce genre dans l’opinion de quelques gens de goût , ils Seront Sans doure d’avis qu’un artifte qui Se deftine à peindre l’hiftoire doit très-peu s’en occuper. Tous les objets de la nature doivent bien être celui de Ses continuelles recherches & ds Ses plus délicieuSes (1) Le mot candélabre, en ufage depuis Perrault, rend mieux le candelabrum. des Latins que notre chandelier.

(2) C’efl !e mot argumentatlo que Perrault a rendu ici par deffin. Il auroit été plus clairement interprété parlemoe cempojition ou fujet.

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occupations. Maïs, en employant le réfultat à les affembler d’une manière fi peu vraifemblable , il me femble avilir Tes études , & dénaturer leur but. J’ajoute que Raphaël chargeoit probablement quelqu’élève , à main légère 8c adroite , des grottefques des loges du Vatican (i) , & qu’il a pu feulement s’occuper à tracer quelques - uns des beaux camées qui s’y voyent , travail dans lequel il étoit fi bien fécondé par les talens de Polidore de Caravage. {Article de M. Robin.)

Les Grottesques ont donné lieu à une opinion de Winckelmann qui méritoit d’être, difcutée. AuiTil’a-t- elle été par un habile artifte , M. Falconet.

Parmi les peintures tirées des fouilles d’PIerculanum, quelques-unes compofées de bandes longues Se étroites offrent différentes réparations, dans lefquelles font repréfentées de petites figures traitées à la manière égyptienne. Entre ces féparations remplies défigures , & fur la bordure de ces tableaux , on a pratiqué des ornemeus dont le goîlt Se la forme font très-baroques.

Voilà bien les grottefques qui étoient à la mode du temps de Vitruve , & dont le goût duroit encore, lorfqu’HercuIanum fut englouti fous les cendres.

"Winckelmana , dans fa dernière édition de l’hiftoire de Van, z. cru que cette obfervation lui fourniflbit le fens d’un pafiage obfcur de Pétrone. Ce romancier fatyrique , après s’être plaint de la décadence des lettres , ajoute : l’iclura quoque non alium exitum fecit, pojlquam Agytiorum audacia tant magna artis compendiariam invenit. Si l’en n’y eût pas voulu entendre fineffe , il étoit aile de traduire cette phrafe , en fuppléant , à i'adjeclif compendiariam > le fuftantif fous-entendu viani ; ellipfe familière à la langue grecque , Se qui l’étoit devenue à la langue latine, depuis que les Romains avoient fait pafler les hcllenifmes dans leur langue. « La peinture , dit Pétrone , arriva » de même à fa décadence , q^and l’audace des » Egyptiens eut trouvé le moyen de réduire » un fi bel art en abrégé ».

Winckelmannacru que ces compartimensdonr nous venons de parler, cette forte de peinture égyptienne , ornée de figures , & compofée d’idées les plus bizarres, étoit ce que Pétrone appelle l’abiégé de tan. « II lui a fans doute » donné ce nom, dit-il, parce que ce genre » étoit une imitation des Egyptiens qui déçois roïent leurs édifices de pareils ornemens. La » haute Egypte offre encore aujourd’hui des » palais & des temples qui repofent fur des ( i ) Cet élève fut Jean da Udine , habile à peindre les cifeaux , les quadrupèdes , les rieurs & Us fruits, Nots de l’Editeur.

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» colonnes d’une grandeur énorme. Les oclonnes , ainfi que les murailles & les plafonds de ces édifices font entièrement incruftés d’héiroglyphes, & couverts enfuhe de couches de peinture. C’eft à es fracas de lignes » & d’images que Pétrone compare les ernemens » remplis d’une multitude de petites figures infipides, qui étoient alors le principal objet de » la peinture. On aura donné le nom de compendiaria à ce genre, à caufe de la multiplicité & de la diverfké des choies entaffees » dans un efpace renerré Se réduites en abrégé ». Mais la multiplicité n’exclud-elle pas l’idée a" abrégé 1 N’eft-ce pas une interprétation un psu forcée que d’expliquer une grande diverfité de chofes entafl’ées par le mot abrégé ? Ne feroit-il pas plus vrai de dire qu’un abréviateur élague , retranche , & n’entaiïe pas ? D’ailleurs un paffage où Pline fe fert de la même expreflion que Pétrone , nous fait bien voir qu’elle n’indique pas des moyens de ccrapofltion , mais d’exécution. Il nous repréfente Nicomaque comme un peintre d’une exécution rapide ; nec fuit alius in eâ arte velocior ; il ajoute que Philoxene , fon dilciple , imita la promptitude de fon maître Se qu’il imagina des moyens abrégés de peindre, qui dans la fuite ont été rendus encore plus expeditifs ; breviores eiiamnum quaflam piclurœ vias & compendia* rias invenit. (Plin. hift. nat. 1. 35. c. 10. ) On voit que Philoxene devint encore plus expéditifque fon maître , en peignant cependant le même genre , c’eft-à-dire , celui que nous appelions hiftoire , Se qu’il ne peut s’agir icï de l’invention des grottefques. Il ne s’en agit donc pas non plus dans le paifage de Pétrone, qui enpioye les mêmes termes que Pline. Ce qui eft fingulier c’eft que Winckelmann, qui s’eft égaré lui-même, & qui, par la confiance qu’il mérite quand il parle des arts antiques , a entraîné dans l’erreur un très-favant éditeur de Pline, avoit trouvé la véritable interprétation du paflàge de Pétrone , & l’avoit folidement établie dans la première édition de V hiftoire de Part.

» L’examen d’un bas-relief delà villa Albani, » dit M. Falconet, eft pour Winckelmann un » coup de lumière qui le conduit rapidement » à dévelepper un fens que, jufqu’à lui, perfonne encoie n’avoit apperçu. Il voit, dans » les ouvrages égyptiens, un ftyleperit, refferré, plat, & qui deveit être d’une exécution » abrégée, pa :ce qu’il étoit produit iàns étude » &-par la feule routine ; dans le nud, les parties d’exprefïions rondes & : d’un delïïni peine » indiqué ; les os , les mufcles, les veines foiblement exprimés ou totalement oubliés : puis » ailleurs , il obferve que , fous le règne de .» Ptolémée Phyfcon , prefque tous les artiftes » fe retirèrent d’Egypte Se fe réfugièrent dans GRO

» la Grèce : ce fut alors que le ftyle égyptien corrompit l’art en Grèce & en Italie , » ce qui devint plus ou moins général. Voilà ce qui achevé d’expliquer le paflage diffi-elle de Pétrone & de juftifier fa plainte. Cependant Winkelmann a jugé à propos de changer d’avis dans la fuite^. . . Mais il donne » encore un coup d’œil de complaifance fur » fon ancienne interprétation. Il a pu arriver, » dit-il , que Us artijlcs de ces temps s’efforcirent d’imiter V ancien ftyle , dont les contours peu ondoy ans s approchent de la manière » égyptienne. Ce toit ma première conjecture a que j’appliquois à l’art en général». Cette conjecture mérite feule d’être adoptée. Lui - même nous apprend que les artiftes de 1 Egypte étoient roides dans les contours & dans les attitudes ; qu’ils eonnoiffoient à peine de l’anatomie ce qu’on pourroit en démontrer fur la nature vivante ; que leur art de drapper fe bornoit à indiquer de petits plis parallèles ; qu’ils négligeoient de rendre les affections de l’ame ; qu’ils travailloient de pratique , parce que les loix ayant réglé les formes , les proportions & tous les procédés de l’art, rendoient inutile l’étude de la nature : il nous apprend que les artiftes égyptiens-grecs d’Alexandrie confervèrent en grande partie cette manière •. quand , fous le règne de Ptolémée Phyfcon , ils fe réfugièrent dans laGrèce, on peut croire qu’ils y trouvèrent des imitateurs, Se plufieurs monumens, faits en Grèce ! & en Italie , dans la manière des Egyptiens , prouvent qu’ils en eurent en effer. La mode vint aufll , comme il eft également prouvé par des monumens, d’imiter les ouvrages faits en grèce dans l’enfance de l’art, & qui avoient un grand rapport avec ceux de l’Egypte , & ces pratiques abrégées qui fuppofcient peu de recherches & peu d’études , amenèrent la décadence de l’art. Tousces faits expliquent le paflage de Pétrone , lui ôtent fon obfcurité, & confirment que ces exprefllons , compendiaria artis , compendiarias vias piclurœ ne doivent pas s’entendre des grottefques. ( Article de M. Levesqve. ) GROUPPE ( fubft. marc. ) fignifie en peinture l’affEmblage de plufieurs objets, qui font tellement rapprochés ou unis, que l’œil les embrafle à la fois. Les avantages qui réfuitent "de cette union dans les ouvrages de peinture tiennent, à ce que je crois , d’une part, au principe de l’unité , qui dans tous les arts eft la fource des vraies beautés ; d’une autre , ils ont rapport à Vharmonie , qui eft la correîpondance & la convenance générale des parties d’un tout, comme on le verra au mot Harmonie. Développons la première de ces idées. Si nos yeux n’étoient pas afTervis à la néceflïté de raffembler leur rayons vifuels à-peu-près dans un G R O

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même point pour appercevoir nettement un objet ; fi au contraire , indépendans l’un do 1 autre , il pouvoient s’occuper également de plufieurs objets féparés les uns des autres ; fi leurs perceptions rapportées au terme qui fait la liaifon de notre partie intellectuelle avec nos reflbrts matériels, pouvoient fans fe nuire, exciter à la fois différentes idées ; vraifemblablement le principe d’unité feroît fujet à conteftation ou n’exifterait pas, & l’ufage de groupper feroit moins autorifé. Mais la néceffité où nous fommes de n’appercevoir , de ne fentir, de ne penfer qu’un feul objet à la fois, nous oblige d’établir ce principe d’unité auquel nous fommes aftreints ; & c’eft pour s’y conformer que l’artifte qui traite un fujet, raf- (emble le plus qu’il lui eft poflible , les objets dont il fouhaite que le fpecïateur s’occupe & jouifle. L’ufage de former des grouppes eft donc pris dans la nature, quoiqu’il fe rencontre peut-être rarement que , dans l’adion réelle que le peintre choiflt pour fujet de fon tableau , les objets aient été raflemblés & unis précifément comme il a intérêt de les unir & de les raflembler. Mais en juftifiant aux artiftes une forme de compofition dont la plupart ne fe font peut-être pas rendu un compte bien exafl , je leur obferverai que l’on a abufé, & que l’on abufe encore de l’ufage où l’on eft de groupper , & que les conventions auxquelles on lemble avoir fournis cette partie de la compofition , peuvent entraîner une école entière à des défauts effentiels. C’eft princ paiement dans Le genre héroïque de la peinture qu’il eft effentiel d’approfondir de quelle considération l’ufage de groupper doit être pour les artiftes. Dans un table» d’hiftoire , le but principal du peintre eft de fixer les yeux du fpeâareur fur l’objet le plus intéreffant de la fcène. Deux moyens principaux s’offrenr pour cela ; ? effet & Vexpreftion : il eft maître de l’un , il n’a aucun droit fur l’autre.

Vexpreffion eft indépendante de l’artifte , puifque la nature , d’une jufteffe invariable dans fes mouvemens , ne laiffe rien au choix du peintre , Se qu’il s’égare dès qu’il la perd de vue.

L’ 'effet eft fubordonné à l’artifte, parce que cette partie , qui dépend de plufieurs fuppofitions arbitraires , lui permet de difpofer le lieu de la fcène , les objets qui le conftituent & la lumière, de la manière la plus favorable à fon projet. C’eft en conféquence de cette liberté, qu’il forme des efpeces de di^ifions dans fon fujet, & que celle de ces divifions qui doit renfermer fon objet principal eft le but le plus intérefTant de les réflexions & de. ion travail.

En conféquence , il dirige vers ce point fa E ee i]

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lumière îa plus brillante -, • fi l’objet principal eft feu ! & ifolé, cette lumière pourra s’y diftinguer par quelques touches éclatantes , mais elle n’attirera pa ? l’œil par la mafTe ; il faut donc s’il eft poffible , reproduire cette lumière, l’étendre autour de l’objet principal , «nfin former un grouppe de lumières qui fe lient, qui s’unifient , & dont la maffe étendue frappe l’œil du fpeéîateur & le retienne. Cette forte de grouppe qui tient à la partie de l’harmonie, eft celle qui nique le moins de s’éloigner de la nature ; elle eft d’une relfource infinie pour ceux qui lavent l’employer ; c’eft une forte de magie d’autant plus puiffante , que fes preftiges font cachés fous les apparences les plus naturelles -, c’eft enfin , j’ofe le dire, un des moyens les plus efficaces que puiffe employer l’art de la peinture. La féconde efpèce de grouppe eft celle qui confifte dans l’afTemblage de plufieurs figures, dont l’union eft l’effet d’une compofition réfléchie -, la nature offre des exemples de ces afiTemblages, mais ils ne font pas toujours affez heureux pour que l’arcifte les adopte tels que le hafard les raffemble : il le croit autorifé , s’il les copie, à y faire quelques changemens dont il efpère plus de grâce dans la forme générale du grouppe ; il lui arrive alors de confiderer un grouppe de plufieurs figures , comme un feul corps dont il veut que les différentes parties contraftent , dans lequel il évite avec foin ( heureux (i ce n’eft point avec affectation ) la moindre conformité de pofition dans les membres ; où il cherche enfin, à quelque prix que ce foit , une forme pyramidale, qu’il croit, fur la foi du préjugé, faite pour plaire préféra-Moment à d’autres.

Il eft aifê de fentir combien cette efpèce de méchanifme s’éloigne de la nature ; il eft aifé de voir quelle porte on ouvre par-là an préjugé à la mode , & à ces efpèces d’imitations de manière qui circulant d’attelier en anelier , attaquent l’art dans fes principes , & qui parviendroientâ l’afiérvir , fi le génie parfon indépendance , ne rompoit ces indignes chaînes. Je ne prétends pas cependant qu’on doive fe refufer à groupper les figures principales d’un fujet , lorfque ce fujet le comporte. Je ne dis pas même qu’en grouppant plufieurs figures , on ne doive éviter" certaines rencontres défag’éables ou trop uniformes ; mais qu’il y a loin d’un choix fage & refermé que j’approuve , d’un art modéré qui fe cache fi bien qu’on le prend pour la nature même, à des oppofiïions recherchées & à des contr.iftes affeciés. par le moyen defquels les figures d’un grouppe reifemblent à une troupe de danfeurs , dont les pas, les attitudes, les mouvemens font combinés S- : écrits 1

. Quelques auteurs ont établi des règles fur la G R O

quantité de grouppes qu’on doit admettre dans la compofition ; je n’engagerai jamais les artiftes à adopter ni à former des fyftêmes de comportions de cette efpèce. ( Article de M. Watelet. )

Principes claffiques des Grouppes. La véritable doélrine des grouppes réfulte de l’obfervation de la nature, des loix du clair-obfcur , de Vunïté d’intérêt qui doit régner dans une compofition.

On obferve dans la nature , comme le remarque Félibien d’après Léonard de Vinci , que li plufieurs perfonnes fe trouvent enfemble , elles s’attroupent féparément félon la conformité des âges , des conditions , & des inclinations naturelles qu’elles ont les unes pour les autres : ainfi une grande compagnie fe divife en plufieurs autres, & ce font ces divifions que les peintres appellent grouppes. Si dans l’afTemblée il furvient un événement confidérable , les grouppes fe forment faivant les affections des différentes perfonnes qui la compoferît, & : fuivant l’intérêt plus puilî’ant ou plus modéré qu’elles prennent à cette événement. Alors la nature forme elle même un tableau, & ce tableau oblérvé par Panifie eft transporté dans l’ouvrage de l’art.

Les loix du clair-obfcur preferivent de grandes maffes d’ombre èc de lumière,- mais ces maffes ne fe peuvent établir , fi les cbjet.- ; ne font pas laffemblés eux-mêmes par mailés qu’on appelle grouppes. On peut ici revenir à la comparaifoniï familières aux peintres, de la grappe de raifms, & des raifins d.fperfés. Voye l’article GRAPPE DE RAISINS.

Enfin l’unité cCintérêt exige que les perfonnages d’un tableau prennent part à l’aélion & par conféquent qu’ils ne foient pas difperfés. Elle exige que l’aélion fuit raffemblée tout entière tous l’œil du fpeéîateur ^ & qu’il ne foit pas obligé de chercher l’un après l’autre les perlbnnages qui t’y intéreiTent. Tout le monde cennoît des tableaux de payfages où font repréfentées des fig-res difperfées, qui n’ont entre elles aucune iiaifon : • elles n’infpirent aux fpeclateurs d’au ire intérêt que celui qu’ils prennent à une fidelle imitation de la nature.

il n’eft cependant pas effentiel que tous les perlbnnages d’un tableau foient grouppes : fou- ’ vent la nature défavoueroit cette : ;ffeclation Un perfonnage peut-être lié à l’acV.en par l’intérêt qu’il y prend , èv fera quelquefois expreffif précifement parce qu’il eft ifolé. F’oye^ l’article COMPOSITION.

La natur» & les chef-d’œuvres âes grands maîtres, habiles dans l’art d’exprimer, donneront ’aux jeunes artiftes ces leçons bien préférables à tout ce que leur preferiroienr les principes d’école. Il ne faut pas cependant G R O

dédaigner de connoître même les détails de ces principes ; ils doivent fur-tout être placés dans l’Encyclopédie, parce que fon objet eft de former -pour l’avenir un monument de l’état des connoiffances &c de celui des opinions , dans le temps où elle a été écrite. C’eft Mengs qui va parler ; maÎ3 s’il donne des loix, il ne les regardoit pas comme abfblument obligatoires dans tous les cas , puisqu’il n’a pas cru lui même les devoir confhmment obferver.

« Un grouppe , dit-il, confifte dans l’union » de plufieurs figures qui toutes doivent fe » lier emr’elîes. Il faut toujours les compofer y> d un nombre impair, comme trois, cinq, » fept 6Vc. De tous les nombres pairs , les » moins déf’agréab.les font ceux qui font formés » de deux nombres impairs ; mais il ne peut »• jamais réfulter de grâce de ceux de deux » nombres pairs.

» Chaque grouppe doit former une pyramide , & il faut en même temps que fon » reiief ait , autant qu’il eft poîfible , une » forme ronde. Les principales maffes doivent » fe trouver au milieu du grouppe , en cherchant toujours à mettre les moindres parties fur les borda ou extrémités , afin de » donner plus de grâce & de légèreté au » grouppe.

» Ult doit avoir foin aufïi de donner au » grouppe une profondeur proportionnée à la » place qu’il occupe ; c’eft-à-dire, de ne point » mettre les figures à la file , afin qu’il en » réfulte de la grâce par la variété dans la » grandeur des formes , & par la diverfité » qu’y répandent les accidens de lumière. » Il faut pareillement obferver que jamais » plufieurs extrémités ne forment enfemble une » ligne droite , foit horizontale , foit perpendiculaire. , foit oblique ; qu’aucune tête ne ie » rencontre horizontalement ou perpendiculai- ». rement avec une autre tête ; qu’aucune ex- 55 trêmité , foit tête, main eu pied, ne puifle » former une figure régulière, comme un 5» triangle, un quarré &c ; que jamais il n’y »> ait une égale dtftance entre deux membres , 55 ni que les deux bras où les deux jambes >ï d’une figure le trou vent, dans le même raccourci ; enfin qu’il n’y ait aucune répétition G R O

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’ » dans la dîfpofition des membres. Si , par 5» exemple , on fait voir la partie du deffus de » la main droite , il faut montrer la paume de >5 la main gauche.

s» On doit auffi chercher à faire paroître les 55 plus belles parties du corps qui, en géné- >5 rai , font toutes les jointures , le col , les 55 épaules, les coudes, les poignets, les han- 53 ches, les genoux, le dos, la poitrine. Ces

  • • parties font belles par deux raiibns ; la pre-

55 mière parce que c’eft dans les extrémités 55 qu’on peut mettre le plus d’expreffion , & 55 de favoir ; & la féconde , à caul’e que le 55 dos & la poitrine étant les plus grandes par- 53 ties du corps de l’homme , font auffi les plus 53 propres à unir, dans le même grouppe , une 33 grande maffe d’une même couleur agréais ble , comme l’eft celle de la chair. )i Le corps de la femme efl’ agréable fur tous >3 fes différer.s afpecls : il faut remarquer cepen- >3 dant qu’en dérobant avec intelligence quel- 33 ques parties aux yeux , on en augmente la 33 beauté & la grâce. Il efl certain q.i’un fein xi qui n’eft pas tout-à-fait nud paroît infini- )5 ment plus beau : il en eft de même d’autrès parties qui gagnent à être à moitié » voilées.

» Lorfqu’il eft néceflaire de mettre enfemble 33 plufieurs grouppes ou figures, on obfervera 33 les mêmes règles que j’ai indiquées pour les 53 grouppes , en confeillant de les compofer >3 d’un nombre impair de figures -, c’eft-à-dire , >3 qu’on tachera d’employer un nombre impair 33 de grouppes. Mais dans le cas cependant , 33 où la grandeur du tableau ne pourra per- 35 mettre ce nombre de grouppe ou pyramides , >3 on pourra faire alors un feul grouppe entier r » & deux dtmi-grouppes fur les deux côtés ’, » en cherchant toujours à obferver la loi pref- 55 crite pour la profondeur des greuppes & le 33 nombre de figures dont ils doivent être com- )3 pofés. La figure principale doit toujours fe 53 trouver placée dans le milieu , & lorfqu’il 35 y a plufieurs figures principales, il faut alors 33 tâcher de les mettre toutes vers le milieu , 55 toujours fur le fécond plan & jamais fur le 35 premier , afin qu’elles y paroiiîent comme 5> entourées des autres objets ». ( Article de M. Levesqve. )

jtèÊé^Êd.


  1. Œuvres complettes de Mngs, in-4o. 2 vol. P. 46.