Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Richesse

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RICHESSE, (subst fem.) Il est difficile de déterminer ce qui fait la richesse d’un tableau puisqu’elle peut consister dans ce qui fait le principal objet de la composition, dans les accessoires, dans la couleur, dans les effets. Toute richesse qui ne tient pas au fond du sujet doit être épargnée ; elle nuit à l’objet principal, & l’offusque plus qu’elle ne l’embellit. Les maîtres les plus renommés par leur sagesse ont donné l’exemple de cette heureuse économie, & l’on risquera peu de s’égarer en prenant pour modèle Raphaël, les Carraches, le Poussin. Lebrun lui-même quoi-qu’il n’ait pas été fâché de montrer ses richeses, ne les a jamais étalées avec profusion.

Mais laissons parler Félibien. Son autorité est grande ; car on ne peut guère douter que ses principes, à cet égard, ne fussent ceux qu’il avoit reçus du Poussin, son ami, & que ce grand peintre avoit consacrés par sa pratique.

« Ce n’est pas, dit-il, un témoignage de. peu de doctrine à un peintre, quand il retranche plusieurs parties, quoique selles, de crainte que cette beauté ne fasse tort à son principal sujet ; comme lorsqu’il affecte a doter les couleurs vives Banc les draperies, & toutes, fortes de broderies dans les vêtemens, de peur que ces petits avantages ne nuisent à ceux d’une belle carnation ; ou bien encore lorsqu’il ne veut pas donner de la gainé à un paysage, afin que la vue ne s’y arrête pas, mais qu’elle se porte aux figures qui sont faites pour être le principal objet du tableau. Car il est vrai qu’il y a des ouvrages qui, pour être trop riches, en sont moins beaux, comme il arriva à la statue que Néron fit doter, qui ne put augmenter de prix s’ans perdre beaucoup de sa s grace. Ce peintre pensoit avoir bien réussi, qui, montrant à Apelles un tableau où il avoit peint Hélene richement vêtue, lui en demandoit son avis, ou plutòt son approbation. Mais Apelles lui répondit avec sa sincérité ordinaire, qu’il avoir fait une figure fort riche, mais non pas belle. La


beauté ne consiste point dans les parures & dans les ornemens : un peintre ne doit pas s’arrêter aux petits ajustemens, surtout dans les sujets d’histoire, où il prétend représenter quelque chose de grand & d’héroïque. Il y doit faire paroître de la grandeur, de la force, de la noblesse ; mais rien de petit, de délicat, ni de trop recherché. Il en est des ouvrages de peinture comme de ceux de poësie : il ne faut pas qu’il paroisse qua l’ouvrier ait pris plus de plaisir à se satisfaire lui-même & à faire connoître le jeu de son esprit ou la délicatesse de son pinceau, qu’à considérer le mérite de son sujet. »

« Les peintres, à l’Imitation des poëtes, doivent, il est vrai, répandre dans leurs tableaux quelque chose d’agréable : mais cet agréable doit naître toujours du sujet que l’on traite, non pas de choses écrangères. Car on ne prétend pas retrancher les choses belles, quand elles sont propres aux lieux où on les met ; mais on condamne ceux qui gâtent un sujet qui, de soi, est noble & grand, parce qu’ils s’arrêtent trop à la recherche des ornemens de certaines petites parties. »

Félibien confirme ces principes par l’exemple même du Titien, qui cependant n’est pas du nombre des peintres austères. « Il gardoit parfaitement, dit-il, la maxime, de ne pas remplir les tableaux de quantité de petites choses ; mais d’éviter le défaut où tombent plusieurs peintres, qui, par la quantité excessive de parties dont ils composent leurs ouvrages, les rendent petits & pleins de ce que les Italiens appellent triterie. Aussi faisoit-il paroître les siens admirables par une noblesse & une grandeur qui s’y remarque. Par exemple, lorsque, dans la représentation. de quelqu’hisloire, il y a un paysage dans le fond de son tableau, ce paysage est grand : on n’y remarque point une infinité de petites choses ; les couleurs en sont éteintes, quand elles doivent souten’r ses figures & leur servir de fond, parce que celles ci paroîtroient beaucoup moins, si les couleurs dit paysage étoient trop vives. Les ciels, les nuées, les arbres, toute l’étendue de la campagne, & généralement tout ce qu’il représente, est grand ; les draperies des figures sont amples, évitant les vêtemens pauvres, les plis trop petits, & mille autres choses que quelques peintres affectent, qui cependant ne font que rendre leurs tableaux plus confus. »

ll n’hésiste point à blâmer la richesse que Paul Véronèse a répandu dans un de ses tableaux représentant le repas chez le Pharisien. La beauté des habits, la somptuosité des vases & tous les accessoires y sont de la plus grande magnificence. « Je sais bien, dit notre auteur, que les anciens étoient très-somptueux dans leurs banquets, que le luxe paroissoit non seulement dans le service de leurs tables, mais encore dans tous leurs autres meubles. Cependant un peintre doit toujours garder la convenance dans les tableaux, & n’y rien introduire qui ne soit conforme au sujet qu’il traite, & l’on peut douter que Paul Véronese, dans les siens, ait observé les choses comme vraisemblablement elles devoient être, puisqu’il y a mis une magnificence qui égale celle des plus grands princes, ce qui ne peut convenir à des particuliers, tels qu’étoient Simon, & Lévi, ni à ceux qui invitèrent à leurs noces Jésus-Christ & la Vierge. (Félibien entend ici les noces de Cana, du même peintre.) « Je l’estimerois s’il avoit réprésenté de ces banquets fameux, tels que celui où Cléopâtre traita Marc-Antoine : car, en ce cas, il auroit pu faire voir des salles remplies de toutes sortes de riches meubles, & des tables servies avec une somptuosité extraordinaire, parce que cela auroit été de la dignité de cette grande reine, & conforme au luxe de ce temps là. »

On pourroit ajouter que quand Véronese auroit representé des festins donnés par les Romains les plus fastueux, ou par les princes leurs alliés, au lieu de peindre les banquets de particuliers dont il est parlé dans la nouveau testament, on auroit encore à lui reprocher toutes les fautes de costume qu’il se plaisoit à commettre.

Rubens a quelquefois mérité de semblables reproches. Je me contenterai de citer ici le tableau représentant Tomiris, reine des Scythes, qui fait plonger dans le sang la tête de Cyrus. Peut-on reconnoître une souveraine des Scythes dans la magnificence de ses vêtemens ? Sont-ce des guerriers Scythes, ou ne sont-ce pas plutôt des Satrapes de Perse qui l’accompagnent ? L’histoire raconte qu’elle fit plonger la tête de Cyrus dans une outre pleine de sang : pourquoi donc, au lieu d’une outre, Rubens a-t-il représenté un grand & superbe vans d’or ? devoit-il donner un tel vase à une nation pauvre, vagabonde & guerrière, qui se vantoit de ne posseder que du fer ? Il semble avoir transporté à la cour de Suze ou de Babylone une scène qui se passa entre les rochers de la Scythie. Des pelleteries, un costume sauvage, des armes barbares, n’auroient pas procuré moins de richesses pittoresques à son tableau, que l’or & les riches étoffes qu’il y a prodiguées.

La richesse en peinture n’est pas toujours celle des nations opulentes : des vêtemens simples, des toits rustiques, un site sauvage, peuvent être aussi riches, & sont bien plus piquants, que des brocards, des édifices somptueux & un site altéré par la magnificence des habitans.

Tout ce qui est beau, est toujours riche dans les ouvrages de l’art : & le beau doit être toujours uni au convenable & au naturel. Une composition riche, n’a souvent rien de ce qu’on appelle richesse dans le langage ordinaire. C est une composition dans laquelle on remarque une sage abondance, exempte de profusion. (L)