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Encyclopédie méthodique/Economie politique/AFFAIRES POLITIQUES

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Panckoucke (1p. 61-66).
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AFFAIRES POLITIQUES. On appelle ainsi toutes les affaires qui concernent le gouvernement des états, soit au dedans ou au dehors, telles que l’administration de la justice, la police, les finances, les négociations, &c. Quoique la manière de traiter les affaires varie suivant leur nature & suivant les circonstances, il est possible néanmoins d’établir quelques regles générales. On a besoin par-tout d’ordre dans les départemens, de sagesse dans la direction, de promptitude dans l’expédition. Nous allons développer chacun de ces trois points.

De l’ordre dans les départemens.

Les affaires d’un état sont si multipliées, qu’il est nécessaire de les distribuer en différens départemens ou colleges supérieurs, & de subdiviser ces départemens ou colleges en bureaux ou secrétaireries. Chaque branche doit avoir ses bornes fixes ; de maniere que tous les départemens soient dans une harmonie perpétuelle, sans qu’aucun d’eux puisse empiéter sur les droits & les privilèges des autres, ou s’arroger leurs fonctions. Le véritable homme d’état, qui fait établir le gouvernement sur la base inébranlable de l’ordre, a soin d’entretenir cette harmonie, & d’empêcher qu’on ne confonde ces bornes.

Toutes les affaires des gouvernemens les plus vastes & les plus compliquées, peuvent se réduire à huit chefs qui sont : I. l’administration de la justice ; II. les affaires ecclésiastiques ; III. les affaires étrangères ; IV. la guerre ; V. les finances ; VI. le commerce ; VII. la marine ; VIII. la police. Delà résultent huit grands départemens sous la direction d’un ministre, secrétaire d’état, président ou directeur de college : car le nom est indifférent.

Un auteur, Italien, Donato qui a composé un traité de l’homme d’état, les réduits à cinq chefs, qui sont la justice criminelle, la justice civile, la partie économique, le militaire & la politique. Cette division paroît mal-faite ; d’abord, il faut y ajouter un sixième département pour ce qui concerne la religion & les affaires ecclésiastiques ; objet très-essentiel, sur-tout dans les états catholiques ; ensuite il convient de réunir la justice criminelle & la justice civile. Du reste, c’est le nombre des affaires qui doit regler celui des départemens.

Dans les petites souverainetés, il n’y a pas tant de colleges supérieurs ou départemens. Trois ou quatre suffisent. Un plus grand nombre retarderoit l’expédition, au lieu de l’accélerer ; elles ont besoin sur-tout d’un college supérieur pour l’administration de la justice, d’un college de régence pour les affaires générales de l’état, d’un tribunal pour les affaires ecclésiastiques, & d’une chambre des finances. Il y en a même où l’administration n’est pas aussi étendue. Mais les petits états veulent toujours imiter les grands ; & plusieurs d’entr’eux ne manquent pas de diviser leurs troupes en autant de corps que les armées des plus grandes puissances. On retrouve la même vanité dans le département civil, & l’on ne peut s’empêcher de rire en voyant dans les almanachs de ces cours, la liste des différens conseils d’un souverain qui n’auroit besoin, comme ses prédécesseurs, que d’un conseiller, d’un bailli & d’un receveur des revenus. Un état composé d’une très-petite ville, & de quatre ou cinq villages, a sa chancellerie de régence, son consistoire, sa chambre des finances, son maréchal de la cour, son grand forêtier, son surintendant des bâtimens, ses ministres de police, &c. M. de Moser,[1] qui a bien étudié cette matiere, fait là-dessus plusieurs observations intérressantes auxquelles nous renvoyons le lecteur.

Lorsque les bornes de chaque département & de ses divisions sont bien déterminées, les affaires s’arrangent pour ainsi dire d’elles-mêmes sous la main de celui qui en est chargé ; on sait à qui l’on doit s’adresser ; le souverain sait lui-même à qui s’en prendre, s’il y a de la malversation. Ainsi l’ordre fait marcher d’un mouvement doux & uniforme, la machine du gouvernement.

Le défaut de méthode embrouille l’administration la plus simple. « Je connois, dit l’auteur que je viens de citer, une chambre des finances, où toutes les affaires sont dans le plus grand désordre. Aucun des huit ou dix membres dont elle est composée, n’a de département fixe. Ils se distribuent le travail au hasard, & comme ils le jugent à propos. Tel a fait aujourd’hui son rapport dans les affaires forêtieres, qui se charge demain de ce qui concerne les bâtimens & celui qui ne devroit s’occuper que de l’économie rurale, s’attribue la revision des comptes. L’un ne sait pas plus que l’autre ce qui intéresse l’état, & il n’y en a pas un seul qui soit instruit sur une partie des finances. Ils n’ont d’autre regle que la routine. C’est en suivant cette routine qu’ils donnent leur voix, qu’ils calculent, qu’ils empruntent toujours, ne payent jamais, & plongent le prince & ses sujets dans la misère. » Qu’on mette de l’ordre dans les départemens, & chacun étudiera ce qui le regarde. Cette confusion excite à la paresse. Le mieux intentionné n’ose s’attacher à une partie, parce qu’un autre pourroit se l’attribuer. S’il y a une affaire pénible, embrouillée, délicate, chacun s’excuse, on en parle dix fois, & personne ne veut s’en charger.

J’ai quelquefois entendu blâmer, continue M. Moser, la multitude des départemens qu’il y a en Prusse. Elle est excessive, dit-on ; elle entraîne une augmentation superflue d’affaires, d’actes, & d’employés. Ceux qui parlent ainsi ne font pas attention que de tous les gouvernemens, le systême prussien est à cet égard celui où il y a le plus d’ordre, le plus d’exactitude & le plus de célérité dans l’expédition. De si grands avantages compensent de légers inconvéniens.

L’homme d’état sensible à la foiblesse humaine, considérant combien les habiles gens sont rares, combien les passions, les gouts, les intérêts de famille, le soin de sa propre santé, & la variété des rapports que les hommes ont dans la société, leur causent de distraction, combien ils s’attachent peu aux affaires d’autrui, craindra toujours de les surcharger ; il croira rendre un service essentiel au public en divisant & subdivisant les départemens. Il sait qu’en réduisant l’administration à ses moindres termes, il la rendra plus aisée, plus expéditive & plus sûre. D’ailleurs il est beaucoup plus aisé de trouver des sujets propres à régir une branche particuliere, qu’à en diriger plusieurs ; celui qui est au-dessus de sa besogne travaille avec plus de zèle, d’ardeur, de satisfaction, & conséquemment avec plus de gloire pour lui & d’avantage pour le public.

L’administration est ordinairement mieux ordonnée dans les grands états que dans les petits. Cela vient sans doute de ce que l’immensité des affaires fait mieux sentir le besoin de l’ordre, ou de ce que les grandes affaires formant les grands hommes, ceux-ci mettent dans la régie l’esprit d’ordre & d’arrangement qui est dans leurs vues & dans leurs pensées. On reproche à presque toutes les petites cours d’AIlemagne, dit M. de Moser, de n’avoir point de systême de théorie ni de pratique ; il y en a où l’on n’apperçoit pas même la trace de quelque ordre. Remontez à cinquante ou soixante ans, ou jusqu’à un siecle si vous voulez, vous trouverez une suite de maîtres & de serviteurs nés & élevés ensemble, qui perpétuent d’âge en âge l’ancien désordre. Le même écrivain qui a étudié & senti plus profondément que personne cet abus si nuisible aux souverains & à leurs peuples, a proposé une méthode qui pourroit avec le temps rétablir l’ordre dans toutes les branches de l’administration. Il forme quatre colleges, un conseil privé ou de régence, un consistoire, une chambre des revenus ou des finances, & un conseil de guerre, divisés chacun en plusieurs bureaux confiés à autant de sujets habiles & intégrés.

De la sagesse dans la direction des affaires. La sagesse doit présider à tous les conseils, régler toutes les décisions, se faire toujours entendre par l’organe des ministres & de leurs subordonnés. Elle est sur-tout nécessaire aux chefs. Leur probité, leur prudence, leurs lumières influent jusques sur les moindres parties de l’administration, & entraînent les subalternes. Si les chefs sont corrompus, la corruption se communique par degrés jusqu’aux moindres commis, & infecte toutes les affaires. Il n’est point d’état qui n’ait pu reconnoître cette vérité.

Les rois qui font des gentilshommes, des intendans, des gouverneurs, des ministres, ne sauroient faire des hommes habiles ou des hommes vertueux. Ils donnent des titres, des honneurs, des richesses, mais ils ne peuvent donner ni les talens ni la vertu. Heureux celui qui sait distinguer le mérite dans la foule des courtisans, l’appercevoir dans l’obscurité, & le chercher au fond d’une province où il languit !

Le ministre, le président, directeur ou sénateur qui est à la tête d’un département, doit surpasser en lumière tous ceux qui sont sous ses ordres ; sans cela les subalternes manqueront de confiance en lui ; ils feront la critique de ses décisions ; ils ne seront pas portés à y souscrire. On forme des plaintes & des murmures contre une administration qu’on ne croit pas assez éclairée, & on se soumet volontiers au gouvernement d’un homme dont la sagesse est connue.

Un chef de département est responsable du mal qu’il fait, & de celui qu’il laisse faire, du bien qu’il ne fait pas & qu’on attend de lui & des hommes qui sont sous ses ordres. Il ne peut donner son ignorance pour excuse, car il ne doit rien ignorer de ce qui se passe sous sa direction. Chargé de nommer aux emplois de cette branche des affaires publiques qu’il dirige, il est digne de blâme s’il choisit mal. Il faut qu’il connoisse assez les sujets pour les employer suivant leurs qualités, leurs talens, leurs inclinations : ce dernier article est aussi essentiel que les autres, car si on réussit ordinairement aux choses qu’on fait avec goût, lorsqu’on a d’ailleurs l’habileté nécessaire, il est rare qu’on se distingue dans un emploi pour lequel on a de la répugnance. C’est donc un trait de sagesse d’employer les hommes aux choses qu’ils aiment. Le dégout amene la négligence, la paresse & toutes sortes d’abus.

De la promptitude dans l’expédition des affaires.

Il est des départemens, des colleges, des bureaux dont on loue l’exactitude & la célérité. On n’y est jamais rebuté ; on y trouve des chefs en état de parler à chacun de l’affaire qui le concerne. On y reçoit toujours des réponses satisfaisantes, lors même qu’elles sont défavorables. Mais il en est d’autres où les affaires languissent, où les moindres commis sont inabordables, où l’on éprouve des délais sans fin, des difficultés sans nombre, où l’on vous donne des raisons pitoyables, & ensuite des décisions mal vues & contraires aux principes d’une bonne administration. Ces derniers bureaux ont des maximes qui favorisent la négligence, l’injustice même, & dont on s’écarte rarement. D’abord on ne fait presque pas attention aux affaires dont les parties intéressées ne sollicitent pas l’expédition : malheur donc à celui qui compte trop sur le zèle des ministres de l’autorité ! On l’oublie, s’il est assez simple pour croire que l’administration s’en souviendra lorsqu’il n’a pas soin de se montrer. On dit froidement & on le pense : s’il importoit à cet homme de voir la fin de son affaire, il la solliciteroit… Mais s’il la sollicitoit seroit-il sûr de l’obtenir ? Point du tout ; car une autre maxime que l’on suit aussi exactement, c’est qu’il faut employer tour-à-tour la douceur & la rudesse, pour se délivrer des solliciteurs importuns. La meilleure manière de s’en délivrer, seroit de faire prononcer sur leur sort. Ces lenteurs insupportables pour les particuliers, ne manquent guères de causer de justes plaintes.

Un ministre est l’homme du peuple, l’homme de l’état, l’homme de chaque particulier. L’affaire du moindre citoyen le regarde, comme si c’étoit la sienne propre, puisqu’il s’en est chargé en entrant dans le ministère ; & si par sa faute, elle traîne en longueur, il manque au particulier, à l’état & à lui-même. S’il est digne de sa place, il se fera un devoir, un honneur de la remplir dans toute son étendue, de partager ses soins entre toutes ses fonctions, sans en dédaigner aucune. Il animera par la rapidité de son travail, celui des subalternes. Il sera toujours au courant ; aucune requête, aucune plainte, aucun mémoire ne restera dans les bureaux ou entre ses mains, que le temps nécessaire pour être lu, examiné, répondu, expédié avec la promptitude qu’on doit attendre d’une administration diligente & active. L’ordre dans les affaires en accélère beaucoup l’expédition ; un esprit éclairé, expérimenté, qui voit d’un coup d’œil toutes les faces d’un objet, qui saisit le vrai point de la question la plus embrouillée, & se décide d’après des principes invariables, la hâte encore davantage. Un chef de bureau qui connoît à fond son département, expédie plus d’affaires en un jour que n’en pourroit finir en un mois un commis dépourvu de lumières ; celui-ci est embarrassé à chaque cas nouveau, ne se décide qu’à tâtons, est souvent obligé de revenir sur ses pas. Il est donc très-important que les emplois supérieurs & inférieurs de l’administration soient remplis par des hommes instruits, laborieux, actifs & intégres. Sans cela on ne peut espérer qu’il y ait jamais de l’ordre dans les affaires, de la sagesse dans la direction, de la célérité dans l’expédition.

Affaires étrangères. On donne le nom d’affaires étrangères à tous les intérêts qu’un prince, une république ou un autre corps politique peut avoir à traiter, à discuter avec les autres puissances. La politique extérieure des états n’étoit pas à beaucoup près aussi compliquée autrefois qu’elle l’est aujourd’hui. Les grands intérêts des peuples se décidoient presque toujours par la force des armes & rarement par la voie de la négociation. Chaque état n’avoit guères à traiter qu’avec ses voisins ; les connoissances géographiques étoient si imparfaites, qu’on ignoroit souvent jusqu’au nom des peuples éloignés. On apperçoit cette ignorance dans toutes les histoires anciennes. Tacite, le meilleur politique de son temps, Tacite qui avoit parcouru la plus grande partie de l’Allemagne, dit qu’au-delà de la mer baltique, il n’y a point de terres au nord[2] ; il ne soupçonnoit pas même l’existence de ces contrées que nous appellons Dannemarck, Suède, Norwege, Laponie, Livonie, Finlande, &c.

Les Romains envahirent tout ; mais ce fut par des travaux militaires, par le courage & la constance, plutôt que par une conduite douce, ingénieuse & sage, fruit des réflexions du cabinet. Tout leur systême politique se réduisoit à attaquer les peuples les uns après les autres, à augmenter leur puissance de celle des vaincus, & à soutenir avec intrépidité les revers de la fortune. Ils durent leurs succès à leur discipline militaire, à la foiblesse, aux vices du gouvernement des autres nations, au hasard. Nos meilleurs auteurs jugeant des motifs par les effets, prêtent aujourd’hui à ces Romains des vues profondes, des combinaisons ingénieuses & des principes invariables. On attribue à la prévoyance, à l’habileté des chefs de la république, & à l’excellence de leurs maximes d’état des événemens que la fortune seule ou l’enchaînement secret des choses humaines ont produit. On trouve toutes ces belles choses dans les historiens modernes ; mais lorsqu’on ouvre les annales de Rome, on n’y voit qu’un peuple intrépide & heureux, qui d’une année à l’autre multiplioit ses usurpations par la force de son caractère. Quoi qu’il en soit, les Romains ne prévirent pas que leur puissance trop étendue & trop colossale détruiroit infailliblement la liberté & ensuite l’état. Cette faute capitale avouée de tout le monde, annonce peu de progrès dans l’art de la politique.

C’est l’étendue des domaines de la république qui permit à César d’asservir son pays. Nous voyons en Europe des monarchies & des républiques qui subsistent depuis plus de douze siècles ; & il y a lieu de croire que la durée de l’empire romain auroit été très longue, s’il avoit eu pour bornes la mer adriatique, la mer de Grèce, la mer d’Italie & les Alpes. Arcadius & Honorius partagèrent l’empire, & l’une de ces portions formoit encore une monarchie très-puissante & très-rédoutable.

Pendant la décadence & après la destruction de l’empire romain, on vit sortir de ses débris plusieurs états de moyenne grandeur. Il sembloit que les peuples de l’Europe, délivrés du joug des empereurs romains, rentroient dans leurs droits naturels. Charlemagne rassembla quelques parties éparses de ce vaste corps, & en composa une espece de monarchie nouvelle ; mais, après l’extinction des Carlovingiens, elle fut de rechef démembrée ; & depuis cette époque l’Europe se trouve partagée en différens royaumes, républiques, principautés & autres états indépendans, qui se soutiennent par leurs armes ou par leur politique. On conçoit qu’il faut plus de lumieres, d’art & de prudence, pour ménager les intérêts de tant de puissances à-peu-près de force égale, que pour faire valoir ceux d’une monarchie unique, dont les sujets sans cesse armés remuoient tout au gré de leurs volontés. Il n’est pas si aisé d’entretenir dans un mouvement toujours égal une piece de méchanique composée de ressorts délicats & cachés, que de faire agir une machine immense qui se meut, & qui entraîne tout par sa propre force. L’inégalité de puissance, qui subsiste aujourd’hui entre les divers états de l’Europe, les mariages qui réunissent les grandes maisons, les alliances & la parenté, la découverte de l’Amérique & les progrès du commerce compliquent davantage la politique, & la rendent plus difficile.

À mesure que l’empire romain tomboit en ruine, les arts & les sciences disparoissoient, & faisoient place à la barbarie. Cette barbarie générale, jointe à l’émigration des peuples, & à l’empire des Goths & des Vandales, bannit de l’Europe l’art de la politique ; il ne se montre que chez les peuples civilisés. Mais lorsque dans le XVe & XVIe siècles, l’esprit humain reprit ses droits, les arts & les sciences furent rappellés de leur exil ; on fit mille découvertes utiles, on trouva la boussole, on perfectionna la navigation, on établit les postes, on inventa l’imprimerie, on imagina les gazettes & les autres papiers publics, le commerce s’accrut, & les nations européennes formèrent entre elles des liaisons étroites. Cependant les négociations n’étoient pas fort en vogue. Les puissances s’envoyoient des ambassadeurs lorsqu’elles avoient des intérêts à discuter. Ces ambassadeurs faisoient un compliment ridicule prononçoient une froide harangue sur les affaires, examinoient bien ou mal la situation de la cour rivale, & ils rapportoient la guerre ou Ia paix à-leur maître. Le cardinal de Richelieu fut le premier qui reconnut la nécessité d’une négociation permanente avec les principales puissances de l’Europe, & même des autres parties du monde. Il en introduisit l’usage, & depuis ce temps un souverain reçoit chaque semaine de ses ministres dans les cours étrangères des dépêches qui l’instruisent de tout ce qui se passe dans les autres états.

Un ministre des affaires étrangères, & tous ceux qui sont employés dans ce département doivent donc, 1o. connoître exactement leur pays, sa situation locale, ses ressources & sa foiblesse, ses droits, ses prétentions, ses intérêts naturels, passagers, ses alliances & autres engagemens, &c ; 2o. savoir quelles sont les vues du souverain, ses intentions, le but général qu’il se propose, ses maximes politiques, ses dispositions à l’égard des autres puissances, & ainsi du reste ; 3o. avoir des instructions sûres sur les autres états de l’Europe, sur leur puissance ou leur foiblesse, sur leurs desseins véritables ou apparens, &c ; 4o. faire une combinaison si sage de tous ces différens objets, qu’il en puisse résulter le systême le plus avantageux à l’état dont on conduit les intérêts ; 5o. diriger toutes les démarches qu’on fait auprès des autres puissances, toutes les négociations qu’on entame avec elles, vers le but principal de ce systême ; 6o. être instruit de bonne heure de toutes les démarches, menées, desseins & arrangemens politiques des autres puissances, pour régler sa conduite sur la leur, seconder leurs efforts, s’ils nous sont favorables, & les prévenir, lorsqu’ils peuvent nous nuire.

C’est au département des affaires étrangères à dresser les instructions & les lettres de créance pour les ministres que le souverain envoie dans les autres cours, à recevoir leurs dépêches, à y répondre, & à les guider dans toutes leurs négociations ; à inventer les chifres[3], à informer les envoyés de son pays des nouvelles générales & politiques de toute l’Europe, pour les mettre au fait de ce qui se passe ailleurs ; à projetter & rédiger les préliminaires & les traités de paix, les trêves, les traités d’alliance offensive & défensive, les traités de subsides, les ligues ou associations, les conventions au sujet des frontieres & des limites, les pactes de famille, &c ; à dresser & publier les déclarations de guerre & de toutes les entreprises à main armée, les pièces justificatives, les répliques qu’on veut communiquer au public ; à entamer & diriger les négociations pour les mariages des princes & princesses ; à dresser les contrats de ces mariages, & les faire signer ; à notifier aux cours étrangères la naissance, les mariages, la mort des princes, & tout ce qui arrive d’intéressant dans la famille du souverain ; à régler tout ce qui peut être compris sous le nom de cérémonial : il faut ajouter, en Allemagne, aux fonctions de ce département, la direction des affaires très-compliquées qu’on porte à la diete de l’empire.

On doit distinguer du style d’affaires, le style de chancellerie, qui est un tissu d’expressions & de phrases bizarres & surannées. Toutes les chancelleries modernes de l’Europe ont conservé une partie du vieux langage de leur nation, pour s’en servir dans les diplômes, patentes, lettres de noblesse, lettres de grace, brevets, chartes & autres pièces publiques. Des gens qui ont sans doute l’esprit très-fin, trouvent dans ce style je ne sais quoi d’expressif & de nerveux : il faut en convenir, ces locutions, souvent obscures, équivoques, & toujours ampoulées, ne sont point propres aux affaires, & elles ne séduisent personne. Comme la noblesse & la clarté de l’expression devroient faire le caractère & l’ornement de ces sortes de pièces, il semble que le style le plus naturel, le langage le plus usité conviendroient mieux, parce que c’est celui qu’on entend le plus aisément. Je sais qu’on conserve ces vieilles formules parce qu’elles sont anciennes ; & qu’il seroit dangereux de laisser chaque ministre imaginer un nouveau protocole. Mais enfin, aujourd’hui que les langues modernes sont fixées, il seroit bon de traduire les anciennes formules en style pur ? & s’il est permis de le dire, il paroît comique de voir de nos jours une affaire sérieuse écrite en gaulois, & énoncée en termes que le temps a rendu burlesques. Tant que cet usage subsistera, on doit l’étudier & s’y conformer.

Un objet moins frivole est la connoissance & l’observation exacte des titres & qualifications que les souverains se donnent les uns aux autres, & qui sont presque toujours fondés sur des traités & des conventions. Chaque cour, chaque puissance a une étiquette qu’elle suit à cet égard, & dont les commis ou secrétaires du département des affaires étrangères ne doivent jamais se départir. Il faut déposer aux archives un recueil de formulaires pour ces sortes de titres, & s’il est possible, y ajouter les mots du traité ou de la convention qui en fait une loi. Il est des cours qui n’acceptent des lettres, mémoires, &c. que lorsqu’ils sont écrits en certaine langue. Tout cela ne doit être ni ignoré, ni négligé par ceux qui travaillent aux affaires ; & nous traiterons de tous ces points du cérémonial, sous les titres qui leur sont propres. Voyez les articles Homme d’état, Négociateur, Politique, &c.

  1. Voyez le Livre allemand intitulé : le maître & le serviteur, ou traité des affaires.
  2. Voyez le livre de Moribus germanorum.
  3. Voyez l’article Chifres & Déchifrer.