Encyclopédie méthodique/Mathématiques/Gnomonique

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GNOMONIQUE, science des cadrans solaires ; qui comprend aussi la manière de tracer les cadrans par la lune & par les étoiles.

Les grecs & les latins donnoient à cette science les noms de Gnomonica & Sciaterica, le premier vient de ces noms, gnomon, & le second de σκία, ombre, à cause qu’ils distinguoient les heures par l’ombre d’un gnomon. Quelques-uns l’appellent Photosciaterica, de φωι, lumière, & σκία, ombre » parce que c’est quelquefois la lumière même du soleil qui marque les heures ; comme quand le cadran au lieu d’un stile porte une plaque percée d’un trou. Elle est appellée encore Horographia, parce que c’est proprement l’art d’écrire sur un plan donné, l’heure qu’il est. D’autres la nomment Horologiographia, parce que les cadrans s’appelloient autrefois horologia ; nom que nous avons depuis transporté aux horloges à roues & à pendules ; on les appelloit aussi Sciateria.

On ne sauroit douter de l’antiquité des cadrans. Celui d’Achaz remonte à l’an 775 avant l’an vulgaire, ou au-moins à l’an 75I. Voyez If. xxxviij. 8. Reg. IV. 20. 11. Invocavit itaque Isaias propheta Dominum & reduxit umbram per lineas quibus jam descenderat in horologio Achaz retrosum decem gradibus. Voyez aussi les Réflexions critiques de M. Bullet sur la philosophie de l’histoire, chez Hérissant, 1774, & l’explication des cadrans des anciens, par Martini, en allemand, publiée en 1777, à Leipsick, 144 pages in-8.°, ouvrage rempli d’érudition.

Hérodote nous dit que les grecs avoient appris des babyloniens l’usage du pole ou gnomon. Diogène Laërce attribue l’invention des cadrans à Anaximandre, Pline à Anaximène de Milet, qui vivoit 579 ans avant Jesus-Christ-(Pline II, 76.) Vitruve fait mention de plusieurs cadrans des anciens (l. ix. c. 9.) le cadran en demi-cercle creux, ou hémicycle, avoit été imaginé par Berose le chaldéen. Le disque d’Aristarque étoit vraisemblablement un cadran horizontal, avec son limbe relevé tout autour, afin d’empêcher les ombres de s’étendre trop loin. Vitruve dit qu’il fit le scaphen ou hémisphère creux, Eudoxe fit l’araignée, qui est ou une partie de l’astrolabe (fig. 230.) ou l e cadran horizontal, qui marque les arcs des signes & par-là ressemble un peu à une toile d’araignée, Scopas de Syracuse fit le plinthium ou lacunar, espèce de carreau ou de plateau, qui étoit à Rome dans le Cirque de Flaminius. Théodose & André trouvèrent le cadran qui pouvoit servir à tous les climats de la terre ; c’étoit peut-être un cadran équinoxial. Patrocle trouva le pelecinon, (en forme de hache), probablement le cadran horizontal ou les lignes transversales qui marquoient les signes & les mois, étant serrées vers le milieu, & élargies vers les côtés, avoient la forme d’une hache à deux côtés. Dionysiodorus fit le cône, & Appollonius le carquois (pharetra). Les cadrans en carquois sont peut-être les cadrans verticaux orientaux ou occidentaux, suivant Baldus. Vitruve ajoute que plusieurs auteurs avoient écrit sur les cadrans portatifs. Voyez Baldus Lexic. Vocabul. Mitruv. Les cadrans ne furent connus des romains que fort tard : dans le tems des 12 tables, on ne marquoit que le lever & le coucher du soleil. Le premier cadran solaire qui parut à Rome, suivant Pline, fut construit par les soins de Papirius Cursor, 366 ans avant Jesus-Christ : ce cadran, selon quelques-uns, fut placé au temple de Quirinus, ou près de ce temple : selon d’autres, dans le capitole, ou auprès du temple de Diane, sur le mont Aventin ; mais il indiquoit mal les heures. L’an 263, M. Valérius Messala étant consul, apporta de Sicile un autre cadran, qu’il éleva sur un pilier proche les Roslra, ou de la tribune aux harangues : mais comme il n’étoit pas fait pour la latitude de Rome, il n’étoit pas possible qu’il marquât l’heure véritable. Cependart on s’en servit pendant 99 ans, jusqu’à ce que l e censeur Q. Marcius Philippus en fit construire un plus exact. Pline VII. 60.

En 1746, l'on trouva en Italie, sur le mont Tusculum, un cadran semblable à celui de Berose, c’est-à-dire, tel que le décrit Vitruve, hemicyclium ercavatum ex quadrato ab Enchymacho succisum. Le P. Zuzeti fit graver ce cadran, & publia dans l’article XIV d’un Journal des érudits, une dissertation à ce sujet. Peu d années après, on découvrit


deux autres cadrans antiques, l’un de marbre de Paros, l’autre de marbre travertin : le pape Benoît XIV les fit placer dans le Vatican, & l’on y mit une inscription. Un de ces cadrans paroît avoir été fait pour l’élévation du pôle de Memphis. Les romains avoient apporté de l’Egypte. Voyez l’ouvrage intitulé… D’una antica villa sul dosso del Tusculo, e d’un antico orologio à sole tra le rovine della mede sima differtazioni due, dal P. Zuzzeri, Vinezia 1746 ; & le P. Boscovich : Giornale de’letterati, per l’anno 1746, art. 14.

En 1762, l’on trouva, dans les excavations de Civita, un ancien cadran de marbre fait pour l’élévation du pôle de 42 degrés, il contient simplement une portion d’arc de cercle correspondant à l’équateur, au-lieu que les autres cadrans précédens contiennent, outre cet arc, les demi-cercles des deux tropiques. Il y a un de ces cadrans dont le stile a la forme d’un Priape.

M. le Roy, dans son ouvrage, intitulé : les ruines des plus beaux monumens de la Grèce, raconte qu’il a vu sur le roc méridional de la citadelle de la ville d’Athènes, un cadran hémicycle, c’est-à-dire, semi-circulaire, qui est à peu-près semblable à ceux que nous venons d’indiquer.

Les anciens faisoient, comme nous, des cadrans portatifs : on trouva, en 1755, dans les excavations d’Herculanum, à Portici, un petit cadran de cuivre argenté, qui ressemble assez exactement à un jambon suspendu perpendiculairement par le moyen d’un anneau. Le Pitture di Ercolano, Tom. III, pag. 337, not. 130. La figure est dans Martini. L’on y voit les concavités, les convexités, en un mot les inégalités de la surface des jambons ordinaires. Il y a d’un côté un stilet un peu long & dentelé, qui fait environ la quatrième partie du diamètre de cet instrument. L’une des deux superficies, qu’on peut regarder comme la surface supérieure, est toute couverte d’argent, & divisée par douze lignes parallèles qui forment autant de petits quarrés un peu creux ; les six derniers quarrés, qui sont terminés par la partie inferieure de la circonférence du cercle, contiennent les lettres initiales de chaque mois, disposés de la manière suivante :

J U. M A. A V. M A. F E. J A.
J U. A V. s E. O C. N O. D E.

La façon dont sont disposés ces mois, est remarquable en ce qu’elle est en boustrophédon, la première ligne allant de droite à gauche, la seconde de gauche à droite pour faire correspondre les mois, comme Avril & Septembre, où le soleil se trouve à-peu-pres à la même hauteur dans certains jours correspondans : mais cette correspondance n’a guère lieu que dans les deux premières moiriés de chacun de ces mois : dans les quinze derniers jours d’avril, le soleil est plus haut que dans les derniers de septembre, il en est de même des autres.

Ainsi, l’on a marqué la longueur de l’ombre pour chaque mois dans les différentes heures du jour, qui sont désignées par des lignes courbes qui coupent les perpendiculaires. La ligne courbe la plus basse désigne midi, &c. au-dessous de cette ligne, on voit les premières lettres de chaque mois ; par exemple, IA. FE. MA., &c, c’est-à dire, januarius, februarius, maitius, &c. La plus courte des lignes perpendiculaires marque le terme de l’ombre dans toutes les heures du 21 décembre ; & la plus longue des lignes perpendiculaires désigne la longueur de l’ombre dans toutes les heures du jour, le 21 du mois de juin. L’on y ajoutoit sans doute une espèce de stile ou de curseur le long de la ligne horizontale qui est au sommet de ce cadran, comme dans la figure 275, & l’on faisoit avancer ou reculer ce stile dans chaque mois, afin qu’il marquât l’heure par l’incidence de son ombre, ou de son point lumineux ; mais l’on n’a pas pu recouvrer ce stile, & l’on ne voit pas comment on pouvoit le faire mouvoir d’une manière solide sur ce jambon. Ce petit cadran est formé sur le même principe que nos cadrans cylindriques ; mais les nôtres sont plus justes & plus commodes, parce qu’ils sont tracés sur une surface unie. (M. Valet, de Grenoble, Supplement de l’Encycl. tom. 3).

On peut voir encore la description d’un cadran ancien, par le pere Baldini. Saggi di disserrazioni lette nell’Academia di Cortona, T. III, diss. 7. Il y en a plusieurs de figurés dans le Livre de Martini que j’ai cité.

La Gnomonique est entièrement fondée sur le mouvement diurne de la sphère, de sorte qu’il est nécessaire d’avoir appris les élémens de l’astronomie sphérique, avant que de s’appliquer à la théorie de la Gnomonique ; mais il y a des pratiques faciles à entendre pour tout le monde, & que nous avons expliquées au mot cadran, de manière à les mettre à-portée de tous les curieux qui ne veulent pas s’occuper de démonstration.

La Gnomonique ordinaire est la science des cadrans solaires, mais il y a des auteurs qui l’ont considérée dans une plus grande généralité, en cherchant les moyens de tracer non-seulement les heures & les signes du zodiaque, mais encore les verticaux, les azimuts, les hauteurs, les maisons célestes, les points qui se levent & qui se couchent, les heures de divers pays, &c. Dans ce sens, la Gnomonique est la science qui enseigne à représenter sur une surface donnée, l’apparence de tous les points, lignes & cercles de la sphère, suivant une projection qui suppose l’œil au centre de tous les mouvemens célestes, & que l’on appelle projection Gnomonique. Ce n’est point une projection de même espece que la projection orthographique dont


se servent les astronomes, ou la projection stereographique des géographes ; celle dont on fait usage en Gnomonique, donne les intersections des cercles horaires & des parallèles diurnes, avec un plan qui passe par le centre de la sphère, mais qui a une direction quelconque, car il y a des cadrans placés dans tous les sens.

On trouve, dans le Traité des horloges du pere Alexandre, pag. 276, un catalogue des auteurs qui ont écrit sur la Gnomonique, depuis Sébastien Munster, & Oronce Finé ; le premier dans son ouvrage, intitulé : Compositio Horologiorum, Basileœ, 1531, donna la description de toutes les espèces de cadrans solaires, mais sans s’occuper de la théorie & des démonstrations ; le Livre d’Oronce Finé, intitulé : de Horologiis solaribus, parut à Paris en 1531.

Federicus Urbinus s’occupa de la théorie, mais d’une manière très-obscure. Maurolycus y suppléa dans ses opuscules, en 1575.

Clavius est le premier qui ait fait un traité vaste & complet de Gnomonique, en 1581 ; il en démontre toutes les opérations suivant la méthode rigoureuse des anciens géomètres, mais d’une maniére assez compliquée. Salomon de Cats publia son ouvrage en 1624, & Welperus en 1625. Sturmius en 1672, publia une nouvelle édition de la Gnomonique de Welperus, à laquelle il ajouta une seconde partie en entier, sur les cadrans inclinans & réclinans, &c. En 1728, on réimprima ce niême ouvrage avec les additions de Sturmius ; & on y ajouta une quatrième partie qui contient les méthodes de Picard & de la Hire, pour tracer de grands cadrans ; ce qui compose un des meilleurs ouvrages & des plus complets que nous avons sur cette matière, suivant le témoignage de Wölf.

Le pere de Challes, dans son grand cours de Mathématiques, donna une très-bonne Gnomonique. Picard publia une méthode pour faire de grands cadrans, en calculant les angles des lignes horaires.

Le traité d’Ozanam est court, il parle de beaucoup de cadrans ; mais en peu de mots ; ses démonstrations sont abrégées, & par conséquent obscures ; les principes sont peu détaillés, il s’occupe peu de la pratique, en sorte qu’il n’est suffisant, ni pour les amateurs de la théorie, ni pour ceux de la pratique.

La Gnomonique de la Hire contient un grand nombre de méthodes graphiques très-générales, pour les cadrans inclinés, avec des démonstrations élégantes, mais difficiles ; nous en avons rapporté quelques-unes, il n’employoit que les points d’ombre.

Le cours de Mathématiques de Wolf contient une Gnomonique facile & assez complete.

Le Gnomonique par Deparcieux, 1741, in-4o, ne traite principalement que des cadrans verticaux, & cela par une seule méthode qui est celle du calcul des hauteurs, dont il donne un long détail pour tous les cas, à l’usage des personnes qui n’ont aucune pratique du calcul ; il emploie aussi les points d’ombre à la manière de la Hire.

L’ouvrage de Rivard, publié en 1746, contient aussi un grand nombre de détails & de pratiques pour les cadrans verticaux dans tous les cas, & par toutes les méthodes possibles, avec des démonstrations claires & commodes ; mais ce n’est là qu’une partie de la Gnomonique.

Pour les cadrans de différentes formes, on peut consulter Bion. Usages des instrumens de Mathematiques, 1752, in-4.

La Gnomonique pratique par Dom Bedos, 1774, in-8.°, contient de grands détails pour construire facilement & exactement les principales espèces de cadrans, mais sans démonstrations.

Pour moi, dans celle que j’ai mise en abrégé au mot cadran, j’ai essayé de réunir plus brièvement la théorie & la pratique, une théorie plus simple que dans certains auteurs, une pratique plus usuelle que dans les autres, l’on y verra en abrégé toutes les méthodes & toute la Gnomonique, mais en détail, les choses susceptibles d’applications ; enfin, c’est l’abrégé d’un ouvrage plus considérable que j’espere publier.

Gnomonique reflexe, Gnomonique rompue, est celle qui enseigne à construire des cadrans par réflexion ou par réfraction. (D. L.)