Encyclopédie méthodique/Physique/ARMURE de L’AIMANT

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ARMURE de L’AIMANT. C’eſt le nom qu’on donne à deux pièces de fer de forme angulaire & réunies par des brides de cuivre ou d’argent, qu’on met autour des aimans naturels ou artificiels, pour conſerver & principalement augmenter leur vertu magnétique. L’aimant naturel brut ne porte que de la limaille de fer, quelques petits clous, ou tout au plus un poids de quelques onces ; mais lorſqu’il eſt revêtu de ſon armure, il peut porter un poids d’un grand nombre de livres. On en a même vu qui, étant armés portoient une maſſe cent fois plus peſante que lorſqu’ils étoient nuds. Il en eſt de même des aimans artificiels.

Les procédés qu’on ſuit en divers endroits pour armer les aimans, diffèrent entr’eux accidentellement ; mais en général ils ſe réuniſſent tous dans des points principaux. M. le Monnier, médecin, a donné dans l’encyclopédie une méthode que nous allons rapporter.

[ Il eſt eſſentiel, avant que d’armer un aimant, de bien connoître la ſituation de ſes pôles : car l’armure lui deviendroit inutile ſi elle étoit placée par-tout ailleurs que ſur ces parties. Afin donc de reconnoître exactement les pôles d’un aimant, on le mettra ſur un carton blanc liſſé, & on répandra par-deſſus de la limaille de fer qui ne ſoit point rouillée, ce qui ſe fera plus uniformément par le moyen d’un tamis : on frappera doucernent ſur le carton, & on verra bientôt ſe former autour de l’aimant, un arrangement ſymmétrique de la limaille, qui ſe dirigera en lignes courbes E, E, (fig. 333.) vers l’équateur en ſuivant les lignes droites ΑΑ, BB, vers les pôles qui ſeront dans les deux parties de l’aimant où tendront toutes ces lignes droites ; mais on les déterminera encore plus préciſément en plaçant deſſus une aiguille fort fine & très-courte ; car elle ſe tiendra perpendiculairement élevée à l’endroit de chaque pôle, & elle ſera toujours oblique ſur tout autre point.

Lorſqu’on a bien déterminé où ſont les pôles de l’aimant, il faut le ſcier de manière qu’il ſoit bien plan & bien poli à l’endroit de ces pôles : de toutes les figures qu’on peut lui donner, la plus avantageuſe ſera celle où l’axe aura la plus grande longueur, ſans cependant trop diminuer les autres dimenſions.

Maintenant, pour déterminer les proportions de l’armure, il faut commencer par connoître la force de l’aimant qu’on veut armer, car plus cette force eſt grande, plus il faut donner d’épaiſſeur aux pièces qui compoſent l’armure ; pour cet effet, on aura de petits barreaux d’acier bien polis & un peu plats, qu’on appliquera ſur un des pôles de l’aimant : on préſentera à ce barreau d’acier, immédiatement au-deſſous du pôle, un petit anneau de fer, auquel ſera attaché le baſſin d’une balance, & l’on éprouvera quelle eſt la plus grande quantité de poids que l’aimant pourra ſupporter, ſans que l’anneau auquel tient le baſſin de la balance, ſe ſépare du barreau d’acier : on fera ſucceſſivement la même expérience avec plusieurs barreaux ſemblables, mais de différentes épaiſſeurs, & on découvrira facilement, par le moyen de celui qui ſoulèvera le plus grand poids, quelle épaiſſeur il faudra donner aux boutons de l’armure.

Lorſqu’on aura déterminé cette épaiſſeur, on choiſira des morceaux d’acier bien fin, & non-trempés, qu’on taillera de cette manière. Α B, (fig. 346) eſt une des jambes de l’armure, dont la hauteur & la largeur doivent être égales reſpectivement à l’épaiſſeur & à la largeur de l’aimant. B E D, eſt un bouton de la même pièce d’acier dont le plan S B D, eſt perpendiculaire à Α B : ſa largeur à l’endroit où il touche le plan Α B, doit être des deux tiers de G G, la largeur de la plaque Α B, & l’épaiſſeur du bouton S E, doit avoir la même dimenſion : enfin, la longueur BD, qui eſt la quantité dont le bouton ſera avancé au-deſſous de la pierre, ſera des deux tiers de DS, ou de SF. Il eſt néceſſaire que ce bouton devienne plus mince, & aille en s’arroudiſſant par-deſſous depuis S & D, juſqu’en E, de manière que ſa largeur en E, ſoit d’un tiers ou d’un quart de la largeur SD. Il eſt encore fort important de faire attention à l’épaiſſeur de la jambe Α B ; car ſi on la fait trop épaiſſe ou trop mince, l’armure en aura moins de force : or, c’eſt ce qu’on ne ſauroit bien déterminer qu’en tâtonnant ; c’eſt pourquoi il faudra procéder, comme on a fait pour déterminer l’épaiſſeur du bouton. On obſerve en général que l’extrémité ſupérieure C C, doit être arrondie, & un peu moins élevée que l’aimant, & que l’épaiſſeur de la plaque doit être moindre vers C C, que vers G G. On appliquera donc ces deux plaques avec leurs boutons ſur les pôles reſpectifs de l’aimant, de manière que ces deux pièces touchent l’aimant dans le plus de points qu’il ſera poſſible ; & on les contiendra avec un bandage de cuivre bien ſerré, auquel on ajuſtera le ſuſpenſoire X. (fig. 347.)

Maintenant, pour réunir la force attractive des deux pôles, il faut avoir une traverſe d’acier DΑCB, bien ſouple & non trempé, dont la longueur excède d’une ou deux lignes les boutons de l’armure, & dont l’épaiſſeur ſoit à-peu-près d’une ligne : il doit y avoir un trou avec un crochet L, afin qu’on puiſſe ſuſpendre les poids que l’aimant pourra lever.

Lorſqu’on aura ainſi armé l’aimant, il ſera facile de s’appercevoir que ſa vertu attractive ſera conſidérablement augmentée ; car tel aimant qui ne ſauroit porter plus d’une demi-once, lorſqu’il eſt nu, lève, ſans peine, un poids de 10 livres lorſqu’il eſt armé : cependant, ſes émanations ne s’étendent pas plus loin lorſqu’il eſt armé que lorſqu’il eſt nud, comme il paroît par ſon action ſur une aiguille aimantée, mobile ſur ſon pivot ; & ſi l’on applique, ſur les pieds de l’armure, la traverſe qui ſert à ſoutenir les poids qu’on fait ſoulever à l’aimant, la diſtance à laquelle il agira ſur l’aiguille, ſera beaucoup moindre, la vertu magnétique ſe détournant, pour la plus grande partie, dans la traverſe.]

Il y a une autre manière de faire une armure qui eſt plus détaillée & qui paroît meilleure à M. Briſſon : elle eſt décrite par M. Muſſchenbroeck. Eſſai de phyſique, tome I. pag. 283. La voici : Il faut commencer d’abord par chercher la figure qu’on doit donner à l’aimant. Si l’aimant qu’on veut armer, eſt une maſſe brute, il faut chercher où ſes pôles ſont ſitués, & marquer enſuite les endroits où ils ſe trouvent. Pour trouver les pôles, il faut tenir tout proche de l’aimant, une aiguille de bouſſole aimantée, & chercher les endroits qui attirent l’aiguille, avec le plus de force, vers l’aimant : dans ces endroits ſont placés les pôles. On les trouve auſſi à l’aide d’un petit morceau d’aiguille que l’on poſe ſur l’aimant ; car ſes pôles ſont aux endroits où ce petit morceau d’aiguille ſe tient de bout. Après avoir trouvé les pôles, la ligne droite qu’on conçoit paſſer par les deux pôles, eſt l’axe de l’aimant. On examine enſuite, ſi en donnant à l’aimant deux côtés parallèles, qui ſeroient perpendiculaires à l’axe, il eſt plus facile de donner à l’aimant la forme d’un cube, ou celle d’un parallélipipède (cette dernière eſt la plus avantageuſe). Lorſqu’on s’eſt déterminé là-deſſus, on commence par ſcier les côtés des pôles avec une ſcie, comme font les tailleurs de pierres, & après les avoir faits bien perpendiculaires à l’axe, on ſcie les morceaux inutiles, & les coins que l’on rejette, on polit enſuite l’aimant ſur une pierre à aiguiser avec de l’eau, juſqu’à ce qu’on lui ait donné une figure régulière.

Il faut bien ſe garder d’arrondir l’aimant en aucun endroit : l’expérience a appris que ſi on laiſſe à l’aimant ſes côtés plats, & qu’on lui donne la figure d’un parallélépipède, il attire avec plus de force ; car, en l’arrondiſſant, on perd toute la vertu qui ſe trouvoit dans le morceau qu’on a retranché. Il eſt abſolument néceſſaire de bien applanir les deux côtés des pôles, & de les bien polir, afin de pouvoir y appliquer d’autant mieux l’armure. Pour cet effet, on peut d’abord frotter ces côtes ſur une pierre plate, avec du ſable & de l’eau, & les polir enſuite ſur un morceau plat de glace de miroir, avec de l’eau & la pierre de Jutlande rougie au feu. S’il n’eſt pas poſſible de donner à l’aimant une figure régulière, ſans en trop perdre, il faut faire de ſon mieux pour le bien travailler ; il faut ſurtout chercher à conſerver, autant qu’il eſt possible, la longueur de l’axe de l’aimant ; car elle eſt d’une bien plus grande importance, & contribue beaucoup plus à la vertu de l’aimant, que ſa hauteur ou ſon épaiſſeur.

Lorſqu’on a donné à l’aimant la figure qu’il doit avoir, il faut rechercher quelle eſt ſa vertu, pour pouvoir régler, ſur cela, l’épaiſſeur de l’armure ; car plus l’aimant a de force, plus auſſi l’armure doit être épaiſſe. Pour cet effet, on met une barre de fer plate & polie ſur un des côtés des pôles, & l’on ſuſpend au bas de cette barre, un anneau de fer auquel tient un petit baſſin avec quelques poids ; ce qui ſe fait aiſément, parce que la vertu magnétique pénètre d’abord & s’inſinue dans la barre de fer : ſelon que l’on peut mettre plus ou moins de poids dans ce petit baſſin, & qu’il peut être ſuſpendu à la barre plus ou moins près de l’aimant, la vertu magnétique eſt plus ou moins forte ; l’aimant a d’autant plus de force, que le baſſin peut être attiré de plus loin.

Pour armer l’aimant, on a recherché lequel pourroit être le meilleur, ou le fer ou l’acier. L’expérience nous apprend que lorſqu’on fait une armure d’acier, après l’avoir rendu auſſi dur qu’il eſt poſſible par la trempe, il ne reçoit que peu de force de l’aimant, pour attirer le fer au-deſſous du pied de cette armure : lorſqu’on ramollit un peu cet acier, il commence à attirer davantage ; & lorſqu’on le ramollit davantage, il attire encore plus, d’où il paroît que le fer flexible eſt le meilleur, & l’effet a confirmé que l’armure doit être faite du fer le plus raffiné & le moins dur que l’on puiſſe trouver, & dans lequel il n’y ait point de paillettes.

Il faut faire l’armure de fer flexible, ſeulement en l’alongeant, ſans confondre ſes parties, ou ſans les battre l’une dans l’autre, afin que le fil du fer puiſſe rester droit. On fait, pour chaque côté des pôles de l’aimant, une armure, à laquelle on donne cette figure (fig. 348). Α B, eſt une plaque plate de fer, qui repréſente la jambe, laquelle doit être auſſi longue que l’aimant eſt haut, & avoir autant de largeur CC, GG, que l’aimant a d’épaiſſeur. Sous cette jambe, doit être placé le pied de l’armure B D S E, qui eſt un morceau de fer poſé en travers, & qui tombe à des angles droits ſur la jambe Α B ; ſa largeur DS reſtant par-tout la même, depuis le commencement B, juſqu’à ſon extrémité D S, doit être les deux tiers de la largeur de la plaque G G, & avoir en hauteur SE, autant qu’en largeur DS : ſa longueur BD, doit être les deux-tiers de ſa largeur DS. Il faut que ce pied aille en diminuant & en s’arrondiſſant ſur les côtés depuis S & D juſqu’en E ; de sorte que la largeur de ſa partie inférieure, proche de E, ne ſoit qu’un tiers ou un quart de la largeur de ſa partie ſupérieure D S. Il eſt très-important de faire attention à l’épaiſſeur de la jambe Α B ; car ſi on la fait trop épaiſſe ou trop mince, le pied B D S E attirera alors une moindre quantité de fer. Il eſt très-difficile de déterminer quelle doit être préciſément cette épaiſſeur, avant de l’avoir cherchée ; pour cet effet, il faut bien applanir le côté intérieur de la jambe Α B, de même que le côté ſupérieur B D S du pied ; enſorte qu’on puiſſe l’ajuſter exactement ſur un des côtés des pôles de l’aimant, & que la même chose ſe faſſe auſſi par-deſſous, ſans qu’il reſte entre l’armure & la pierre, aucun intervalle. Il faut alors eſſayer, avec un morceau de fer, combien de poids peut-être ſuſpendu à la partie inférieure E du pied. Après avoir tenu note de cela, de même que de la meſure préciſe de l’épaiſſeur de cette plaque Α B, on la rendra enſuite un peu plus mince ; en limant du côté extérieur, & commençant par en haut, proche de Α : après quoi, il faudra éprouver chaque fois, ſi le pied attire plus ou moins de poids qu’auparavant. En limant, de plus en plus, la jambe Α B, & en la rendant ainſi plus mince, on parviendra enfin à une certaine épaiſſeur, qui eſt celle-là même où l’aimant agit avec plus de force ; & l’on aura cette épaiſſeur requiſe, lorſqu’en la diminuant encore un peu, on s’apercevra que l’aimant commence à attirer un moindre poids. Ce ſera donc l’épaiſſeur de l’épreuve précédente à laquelle il faudra s’en tenir. On voit par-là qu’on ne peut rencontrer la juſte épaiſſeur que doit avoir la jambe Α B, qu’en faiſant de continuelles épreuves, dont on garde ſoigneuſement la note. Cette première armure, qui a ſervi à ces épreuves, ne peut plus être d’aucun uſage ; parce qu’on l’a rendue un peu trop mince par tous ces eſſais ; c’eſt pourquoi il faut ſe ſervir de la même maſſe de fer pour en faire une armure, dont la jambe ait la même épaiſſeur, que celle qu’on a trouvée auparavant être la meilleure de toutes.

On fait enſuite le haut C C de la jambe Α B un peu plus bas que l’aimant, mais cependant pas plus bas que d’un trentième de pouce. On arrondit un peu le bout proche de C C : il faut de même retrancher les angles extérieurs de toute la jambe juſqu’à l’aimant, en les arrondiſſant auſſi un peu. Si l’on n’a pas cette attention, on trouvera que la vertu magnétique ſemble ſe déterminer vers tous les angles & les coins, ce qui l’empêche de s’introduire en entier dans le pied ; ce qui eſt cependant l’unique but qu’on ſe propoſe. On a encore obſervé que les jambes doivent être plus minces en haut, & plus épaiſſes en bas près du pied.

Il eſt auſſi néceſſaire que les pieds ſoient tournés en dedans par-deſſous & tout contre l’aimant, & non pas en dehors, comme quelques-uns l’ont prétendu ; car l’expérience a appris qu’un aimant armé, dont les pieds se jettent en dehors, lève moins de fer qu’un autre aimant, dont les pieds rentrent en dedans, lorsque les jambes des deux armures sont parfaitement de la même épaisseur & de la même figure. Il faut que ces pieds ſoient tournés en dedans, quand même l’eſpace, qui te trouve entre eux, ne ſeroit pas plus grand que la longueur d’un des pieds de l’armure. L’on conçoit aiſément que cela doit être ainſi, puiſqu’un aimant attire toujours, ou agit avec d’autant plus de force, qu’il eſt plus près du fer : les pieds qui ſont tournés en dehors, s’éloignent de l’aimant, au lieu que ceux qui ſe jettent en dedans, viennent se joindre tout contre la pierre.

Pour faire tenir l’armure contre les deux côtés de l’aimant, on ſe ſert de deux bandes de cuivre E, F, (fig. 349) qui entourent l’aimant, & dont l’une E environne la partie ſupérieure, & l’autre F la partie inférieure de l’armure : & afin que les fers puiſſent être appliqués fort exactement & bien ſolidement contre l’aimant, on met dans chaque bande une vis de cuivre, qui, en tournant, preſſe les jambes contre la pierre.

Lorſqu’on veut ſuſpendre l’aimant ainſi armé, on peut le faire de différentes manières, par exemple, en attachant deux petites chevilles à tête à la bande ſupérieure E, moyennant leſquelles on fait paſſer par-deſſus l’aimant une penture de cuivre G, au milieu de laquelle on fait auſſi paſſer la queue d’un petit anneau H, qui peut tourner dans cette même penture ; de cette manière l’aimant eſt ſuſpendu au petit anneau, & tourne comme on veut.

Afin de faire voir quelle eſt la force d’un aimant armé pour attirer quelque poids, il faut avoir un fer Α B C D, appelé portant, que l’on met sous les pieds de l’armure, & auquel on ſuſpend le poids qui doit être attiré. Ce fer eſt d’une grande importance, de même que ſa figure, ſon épaiſſeur, ſa largeur & ſa longueur. Il eſt difficile de preſcrire des règles ſur cela, ſi ce n’eſt que ce fer doit être bien raffiné & fort flexible, qu’il ne doit pas être double en aucun endroit, ni fendu ou rompu. L’acier ou le fer qui eſt dur, ne vaut rien ; car un aimant, auquel est ſuſpendu un fer raffiné & ſouple, peut attirer un poids environ double de celui que ce même aimant pourroit attirer, ſi on lui ſuſpendait un morceau d’acier trempé, qui auroit abſolument la même grandeur, la même épaiſſeur & la même figure. On peut, en quelque ſorte, déterminer la largeur de fer Α B C D. Il doit être un peu plus large que la base inférieure des pieds de l’armure ; & il n’eſt pas ſi bon, lorſqu’il eſt plus étroit. Quant à la hauteur BC de ce fer, il faut chercher quelle elle doit être ; car il ſe rencontre quelques pierres, qui demandent un fer deux fois plus haut que les autres, ſans qu’on en puiſſe découvrir la raison, mais on a trouvé que lorſque le fer eſt trop bas, il n’attire qu’un poids plus léger. On a encore obſervé que ce même fer peut auſſi être trop haut. On doit donc chercher la meilleure hauteur ; en rendant un fer inutile par les épreuves que l’on en fait, & en donnant à un ſecond fer la hauteur que l’on a trouvée être la meilleure de toutes.

Ce fer Α B C D doit être de quatre ou cinq lignes plus long que la diſtance extérieure qui ſe trouve entre les pieds de l’armure ; car ſi on ne donne pas à ce fer plus de longueur que n’en a cette diſtance, de façon que ſes côtés extérieurs C B & D Α n’excèdent pas les côtés C & B des pieds de l’armure ; alors l’aimant pourra n’attirer qu’un moindre poids par le moyen de ce fer. L’on fait au milieu de la partie inférieure Α B du fer Α B C D, un trou extrêmement évaſé par dehors de chaque côté, qui va par conſéquent en diminuant de diamètre vers le milieu de l’épaiſſeur du fer, & par lequel paſſe un crochet L auquel eſt ſuſpendu un baſſin, propre à mettre le poids E qui eſt attiré par la pierre.

La ſurface ſupérieure D C de ce fer doit être liſſe & avoir des angles aigus & non arrondis ; mais les angles du côté inférieur A B peuvent bien être arrondis. Si l’on a ſoin que les extrémités D Α, C B ſoient ſeulement carrées, enſorte que le fer Α B C D demeure un parallélipipède rectangle, on pourra ſuſpendre à ce fer un poids plus peſant, que ſi on n’arrondiſſoit qu’à demi ces extrémités D A, C B : mais ſi l’on donne au fer la même figure que l’on voit ici repréſentée, (fig. 349) l’aimant pourra attirer un poids encore plus peſant. Nous ne ſaurions donner juſqu’à préſent aucune raiſon de ce phénomène ; nous nous contentons donc d’expoſer ici ce que l’expérience a appris à force de faire des épreuves & des recherches. Quelques artiſtes veulent que l’on mette aux extrémités de ce fer des tourniquets de cuivre, qui ſoient dreſſés debout, & dans leſquels les pieds de l’armure s’enchâſſent exactement, afin qu’en attirant & en levant le poids, il ne gliſſe pas à côté, & ne s’écarte pas des pieds. Ils veulent auſſi que l’on recherche avec ſoin quelles ſont les forces de chaque pôle ; & comme elles ſe trouvent ordinairement inégales, ils ordonnent que l’on diviſe ce fer en raiſon inverſe de ces forces, & que l’on faſſe le trou, dans lequel eſt ajuſté le crochet L, ſur le point où ces deux raiſons viennent ſe réunir, afin que de cette manière, chaque pied ou pôle porte un poids qui ſoit proportionnel à ſes forces. Ces deux choses ſont ingénieuſes & plauſibles dans la théorie ; mais, après les avoir miſes en pratique, on s’eſt aperçu qu’elles étoient pour le moins inutiles, & que ſouvent, elles ne valoient rien. En effet, il arrive quelquefois que l’aimant attire avec plus de force lorſque les ſurfaces plates du fer & des pieds de l’armure ſe touchent exactement, tantôt il attire de cette manière plus foiblement, tantôt avec plus de force, lorſque les coins des pieds ne font que toucher légèrement les coins du fer. Quelquefois il attire plus fortement, quand les pieds de l’armure touchent en travers les coins du fer : il y a même des cas où il faut que le trou de ce fer ſe trouve au milieu entre les deux pieds ; dans d’autres cas, ce trou doit être placé plus proche du pôle le plus foible ; & dans d’autres enfin, il faut qu’il ſoit plus proche du pôle qui a le plus de force. De quel uſage pourront donc être ici les tourniquets, & à quoi aboutira cette exacte obſervation touchant l’endroit où le trou doit être placé ? Les phénomènes de l’aimant ſont encore au-deſſus de tous les raiſonnemens humains ; & ce qui avoit paru autrefois le mieux imaginé, eſt très-ſouvent ce qui répond le moins à l’expérience : plus on prend de peine à examiner & à rechercher la nature de ces phénomènes, moins on peut les comprendre & les expliquer.

Nous nous sommes contentés d’expoſer ici la manière dont on doit armer les aimans réguliers ; d’où l’on pourra tirer quelques lumières pour ce qui concerne l’armure des aimans irréguliers.

[ Lorſqu’on préſente à un aimant armé un morceau de gros fil de fer Α B, (fig. 350) aſſez peſant pour que le bouton de l’armure duquel on l’approche, ne puiſſe pas le ſupporter, on le fera attirer auſſitôt, ſi on ajoute la traverſe G dans la ſituation que la figure le repréſente ; & ſi on ôte cette pièce, lorſque le fil de fer Α B ſera auſſi fortement attiré, il tombera auſſitôt & ceſſera d’être ſoutenu.

On a mis ſur un des boutons de l’armure une petite plaque d’acier poli de dix à onze lignes de long, de ſept lignes de large, & d’une ligne d’épaiſſeur. Cette plaque T (fig. 351), portoit un petit crochet auquel étoit ſuſpendu le plateau d’une balance ; à l’autre pied de l’armure étoit placée la traverſe G, de façon que la traverſe & la plaque ſe touchoient : on a enſuite mis des poids dans le plateau S juſqu’à ce que l’aimant ait ceſſé de ſoutenir la plaque T, & on a trouvé qu’il falloit dix-huit onces : ayant enſuite ôté la traverſe, & laiſſé la plaque toute ſeule, appliquée contre l’aimant, un poids de deux onces dans la balance a ſuffi pour ſéparer la plaque ; ce qui prouve que la proximité de la traverſe a augmenté de ſeize onces la vertu attractive du pôle auquel la plaque étoit appliquée.

Quoique l’attraction d’un aimant armé paroiſſe conſidérable, il arrive cependant que des cauſes aſſez foibles en détruiſent l’effet en un inſtant : par exemple, lorſqu’on ſoutient un morceau de fer oblong F (fig. 352), ſous le pôle d’un excellent aimant M, & qu’on préſente à l’extrémité inférieure de ce morceau de fer le pôle de différent nom d’un autre aimant N plus foible, Celui-ci enlèvera le fer au plus fort. On jugera bien mieux du ſuccès de cette expérience, ſi elle eſt faite ſur une glace polie & horiſontale. La même choſe arrive auſſi à une boule d’acier qu’on touche avec un aimant foible dans le point diamétralement oppoſé au pôle de l’aimant vigoureux ſous lequel elle eſt ſuſpendue.

Pareillement ſi on met la pointe d’une aiguille S, (fig. 353) ſous un des pôles de l’aimant, en ſorte qu’elle ſoit pendante par ſa tête, & qu’on préſente à cette tête une barre de fer quelconque F par ſon extrémité ſupérieure, l’aiguille quittera auſſitôt l’aimant pour s’attacher à la barre : cependant ſi l’aiguille tient par ſa tête au pôle de l’aimant, alors, ni la barre de fer, ni un aimant foible ne la détacheront : il ſembleroit d’abord que l’aiguille s’attacheroit à celui des deux, qu’elle toucheroit en plus de points ; mais des expériences faites à deſſein ont prouvé le contraire.

Une autre circonſtance assez légère fait encore qu’un aimant armé & vigoureux paroît n’avoir plus de force ; c’est la trop grande longueur du fer qu’on veut ſoulever par un des pôles. Il ſeroit facile de faire lever à de certains aimans un morceau cubique de fer peſant une livre, mais le même aimant ne pourroit pas ſoutenir un fil de fer d’un pied de longueur ; enſorte qu’augmenter la longueur du corps ſuſpendu, eſt un moyen de diminuer l’effet de la vertu attractive des pôles de l’aimant. C’eſt par cette raiſon que lorſque l’on préſente le pôle d’un bon aimant ſur un tas d’aiguilles, de petits clous ou d’anneaux, l’aimant en attire ſeulement ſept ou huit au bout les uns des autres ; & il eſt facile de remarquer que l’attraction du premier clou au ſecond, eſt beaucoup plus forte que celle du ſecond au troiſième, & ainſi de ſuite ; de manière que l’attraction du pénultième au dernier eſt extrêmement foible. Voyez fig. 354. ]

L’expérience a prouvé que l’armure d’un aimant augmente beaucoup ſa force attractive, ainſi qu’on l’a dit au commencement de cet article. La cauſe de cette augmentation de force, paroît être la réunion & concentration de la vertu magnétique des points voiſins de chaque pôle, & des deux pôles enſemble. Lorſqu’on a taillé un aimant, la vertu attractive de chaque côté, trop diſtribuée dans une grande ſurface, perd en intenſité ce qu’elle gagne en ſuperficie. Mais ſi on a ſoin de donner de justes proportions aux pieds de l’armure, alors cette vertu eſt raſſemblée & comme concentrée dans un eſpace moindre, & acquiert conſéquemment de la force. En réuniſſant les deux pôles, c’eſt-à-dire, la vertu concentrée des deux côtés des pôles, on augmente encore la vertu attractive. C’eſt pourquoi on met toujours des portans, des pièces de contact, Α B C D, (fig. 347 & 349) aux aimans naturels & artificiels. C’eſt au mot Magnétisme, que nous traiterons de la cauſe des phénomènes de l’aimant ; on y verra celle de l’augmentation de force par l’armure.

C’eſt à la force que donne l’armure à un aimant, qu’il me paroît qu’on doit attribuer la cauſe des phénomènes qu’on a rapportés, il n’y a qu’un inſtant, & qui ſont repréſentés dans les fig. 350 & 351. Le pôle Α ne peut ſupporter ſeul le barreau de fer Α B ; mais lorſqu’on y a mis la traverſe G, la vertu magnétique des deux pôles ſe trouve réunie, & capable conſéquemment de produire un effet plus grand. La traverſe étant ôtée, il n’y a que la force attractive du pôle Α qui agit, & comme elle eſt inſuffisante pour soutenir le barreau Α B, il n’eſt pas étonnant que celui-ci tombe.

La pratique d’armer les aimans naturels, eſt ancienne, mais ce n’eſt qu’en 1740, que M. l’abbé Nollet imagina de faire armer des aimans artificiels. Pour cet effet, il fit réunir par des ligatures de cuivre, douze lames d’acier trempé ; & à leurs extrémités, il fit attacher deux armures ſemblables à celles que l’on met aux pierres d’aimant. Cet aimant artificiel qui, avant d’être armé, n’enlevoit par le bout le plus fort, qu’une livre & demie de fer, ou à-peu-près, porta, quand il le fut, un poids de ſix livres & demie, par le moyen d’une pièce de fer qu’on mit en contact ſur les deux maſſes des armures. Il paroît que c’eſt la première fois qu’on ait réuni l’action des deux pôles d’un aimant artificiel, par une lame de fer qui communiquât de l’un à l’autre.

On augmente prodigieuſement la force attractive de l’aimant, en la réuniſſant avec la force directive, au moyen d’une armure de fer ou d’acier ; car cette armure fait converger les directions ; en ſorte qu’il ne reſte à l’aimant armé, qu’une portion des forces directives qu’il avoit étant à nu, & que ce même aimant nu, qui, par ſes parties polaires, ne pouvoit ſoutenir qu’un certain poids de fer, en ſoutiendra dix, quinze ou vingt fois davantage, s’il eſt bien armé ; & plus le poids qu’il ſoutiendra, étant nu, ſera petit, plus l’augmentation du poids qu’il pourra porter, étant armé, ſera grande ; les forces directives de l’aimant ſe réuniſſent donc avec ſa force attractive, & toutes ſe portant ſur l’armure, y produiſent une intenſité de force bien plus grande, ſans que l’aimant en ſoit plus épuiſé ; cela ſeul, dit M. de Buffon, prouveroit que la force magnétique ne réſide pas dans l’aimant, mai qu’elle eſt déterminée vers le fer & l’aimant, par une cauſe extérieure, dont l’effet peut augmenter ou diminuer, ſelon que les matières ferrugineuſes lui ſont préſentées d’une manière plus ou moins avantageuſe ; la force attractive n’augmente ici que par ſa réunion avec la force directive, & l’armure ne fait que réunir ces deux forces ſans leur donner plus d’extenſion ; car, quoique l’attraction, dans l’aimant armé agiſſe beaucoup plus puiſſamment ſur le fer, qu’elle retient plus fortement, elle ne s’étend pas plus loin que celle de l’aimant nu.

Cette plus forte attraction produite par la réunion des forces attractives & directives de l’aimant, paroît s’exercer en raiſon des ſurfaces ; par exemple, ſi la ſurface plane d’un pied de l’armure contre laquelle on applique le fer, eſt de trente-ſix lignes quarrées, la force de l’attraction ſera quatre fois plus grande que ſur une ſurface de neuf lignes quarrées, autre preuve que la cauſe de l’attraction magnétique eſt extérieure, & ne pénètre pas la maſſe de l’aimant, puiſqu’elle n’agit qu’en raiſon des ſurfaces, au lieu que celle de l’attraction univerſelle, agiſſant toujours en raiſon des maſſes, eſt une force qui réſide dans toute matière. D’ailleurs, toute force dont les directions ſont différentes, & qui ne tend pas directement du centre à la circonférence, ne peut pas être regardée comme une force intérieure, proportionnelle à la maſſe, & n’eſt en effet qu’une action extérieure qui ne peut ſe meſurer que par ſa proportion avec la ſurface. M. Daniel Bernoulli a trouvé, en effet, par pluſieurs expériences, que la force attractive des aimans artificiels de figure cubique, croiſſoit comme la ſurface, & pas comme la maſſe de ces aimans (Voyez ſa lettre à M. Trembley.)

Les deux pôles d’un aimant ſe nuiſant réciproquement par leur action contraire, lorſqu’ils ſont trop voiſins l’un de l’autre, la position de l’armure & la figure de l’aimant, doivent également influer ſur ſa force, & c’eſt, par cette raiſon, que des aimans foibles gagnent quelquefois davantage à être armés que des aimans plus forts. Cette action contraire des deux pôles trop rapprochés, ſert à expliquer pourquoi deux barres aimantées, qui ſe touchent, n’attirent pas un morceau de fer avec autant de force, que lorſqu’elles ſont à une certaine diſtance l’une de l’autre. Œpinus ; n°. 248.

Les pieds de l’armure doivent être placés ſur les pôles de la pierre, pour réunir le plus de force ; ces pôles ne ſont pas des points mathématiques, ils ont une certaine étendue, & l’on recoinnoît aiſément les parties polaires d’un aimant, en ce qu’elles retiennent le fer avec une grande énergie, & l’attirent avec plus de puiſſance que toutes les autres parties de la ſurface de ce même aimant ne peuvent le retenir ou l’attirer. Les meilleurs aimans ſont ceux dont les pôles ſont décidés, c’eſt-à-dire, ceux dans leſquels cette inégalité de force eſt la plus grande. Les plus mauvais aimans ſont ceux dont les pôles ſont les plus indécis, c’eſt-à-dire, ceux qui ont pluſieurs pôles & qui attirent le fer à-peu-près également dans tous les points de leur ſurface ; & le défaut de ces aimans vient de ce qu’ils ſont compoſés de pluſieurs pièces mal ſituées, relativement les unes aux autres ; car, en les diviſant en pluſieurs parties, chacun de ces fragmens n’aura que deux pôles bien décidés & fort-actifs. Hiſt. nat. Buffon.