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Encyclopédie moderne/1re éd., 1823/Académie (littérature)

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ACADÉMIE. {Littérature.) On désigne par ce mot une réunion de personnes qui professent les belles-lettres, les sciences on les beaux-arts. Ce terme remonte à une haute antiquité. C’est dans les retraites mystérieuses des jardins d’Académus, si favorables par la fraîcheur de leurs ombrages aux méditations de la philosophie, que le divin Platon, surnommé Le Cygne de l’académie, établit son école, rassembla ses disciples et professa sa morale sublime. La secte de cet illustre philosophe prit de là le nom de secte académique. Les sages qui adoptèrent ses doctrines furent appelés académiciens. Ce titre ne désigna pendant long-temps que les disciples de Platon, mais il fut donné par la suite à tous ceux qui firent partie des diverses sociétés savantes ou littéraires instituées sous le nom d’académies, pour étendre, à l’exemple de l’école d’Athènes, le domaine des connaissances humaines.

Les anciens, qui exprimaient leurs pensées par des allégories ingénieuses, représentaient l’académie sous les traits d’une femme d’un âge.mûr, et d’un caractère grave, la tête ceinte d’une couronne d’or et revêtue d’un voile de couleurs variées. De la main droite elle tenait une lyre, avec cette devise, Detrahit atque polit, elle retranche et polit ; et de la gauche une guirlande entrelacée de laurier, de lierre et de myrte, plantes poétiques qui faisaient allusion à la poésie héroïque, lyrique et pastorale : à la guirlande étaient suspendues deux grenades, symboles d’union. Elle était assise, au milieu d’un pays délicieux, sur un siège orné de branches d’olivier et de cèdre, emblèmes de la paix et de l’immortalité. Des livres étaient entassés à ses pieds, et les instruments de musique dont elle était entourée annonçaient que l’harmonie est nécessaire aux arts. Plusieurs académies s’établirent dans Athènes et ne purent égaler la gloire de celle de Platon ; ces académies n’étaient, à proprement parler, que des écoles où Arcésilas, Carnéade, Philon, Antiochus et d’autres philosophes moins Connus, expliquaient les différents systèmes qu’ils cherchaient, tour à tour à faire prévaloir sur ceux de leurs prédécesseurs, et qui sont tombés depuis dans un profond oubli.

Ptolémée Soter , après qu’il se fut assuré par de brillantes victoires la paisible possession de l’Egypte , voulut unir au titre de conquérant le titre plus glorieux de protecteur des lettres. 11 fonda , sous te nom de Muêéon, la célèbre académie d’Alexandrie, dans laquelle il réunit les philosophes et les savants les plus distingués de son temps, et les chargea de travailler à la recherche des vérites philosophiques et au perfectionnement des arts. -C’est par leurs soins que se forma la fameuse bibliothèque brûlée depuis par le farouche Omar. Cette académie s’honora par d’utiles travaux , étendit l’empire des sciences, et servit de modèle aux académies modernes , soit dans les formes , soit dans le but admirable de son institution. Elle s’as sociait lous les portes, tous les philosophes étrangers ; on venait de toutes les parties de la terre puiser ou déposer dans son sein de nouvelles connaissances. On s’y enrichissait iaautuellement par l’échange des pensées et des découvertes. Celte illusoire académie fut long- temps le centre de l’instruction. Ou y recueillait tous les trésors littéraires épars daas tes contrées qu’envahissait la barbarie ; elle hérita vers le temps de la décadence de la Grèce, de la sagesse du portique^ de la gloire du lycée, et brilla sur les bords du Nil, comme un phare étince* lant, d’où partaient toutes les lumières qui éclairaient alors le monde, et dont les rayons ont tr^veraé les âges et guidé les académies modernes dans la rech^cfae des clartés et des vérités nouvelles.

Rome n’eut point d’académies. Les sciences ne parurent qu^un objet secondaire et de peu d’importance aux yeux des conquérants de l’univers. Ytrgile le reconnaissait loimême p quand il disait dans TËnéide que les Romains devaient céder aux autres peuples la gloire des arts, et se borner à la gloire des armes. Les poètes et les écrivains latins se lbi : mèrent à l’école des Grecs. Aucun établissement national ne favorisa leurs progrès, ni sous la république qui les dédargnait, ni sous les tyrans qui les redoutaient* Auguste lui-même ne— récompensait dans les poètes que ses flatteurs ; les réunions des écrivains célèbres chez Mécène pouvaient seules être regardées comme une sorte d’académie, dont le bat était moins de propager la gloire des lettres que de goâter, dans les douceurs d’un commerce entièrement épicurien, les jouissances que leur doivent les esprits éclairés et délicats.

Quand le moyen fige commença à repousser les ténèbres dont plusieurs siècles d’igocMrance avaient enveloppé l’Europe » la|>assion de l’instruction devint une mode, et créa une foule de sociétés savantes qui marchèrent simultané* ment à la recherche des sciences et des arts, oubliés et presque perdu » dans les contrées mêmes où ils avaient eu le plus d’éclat. Les Gaules, éclairées par les Romains et par Julien le philosophe,. étaient retombées, sous les rois fainéants de la première race et lesïnaices du palais, dans la plus profonde ignorance : les moines y passaient pour savants lorsqu’ils savaient lire. Ils s’opposaient par politique à l’ insstruction des peuples , ce qui faisait ciKre à Gharlemagoe : «Le clergé yeut seul être «ayant , et rester seul Tinter^ > prête des sciences et des lois. § Cependant ce prince, digne de yiyre dans un siècle moins barbare, tenta de ressusciter les lettres , dont il ayait quelque connaissance » mais dont il retardait Tessor, sans s’en douter, en préférant trop exclusivement , selon les préjugés de cette époque , la littérature sacrée , qui n’est pas la meilleure , à la littérature profane. Il reprochait à Reibode, archevêque de Trèves, son admiration pour les poésies de Virgile, et lui disait qu'il aimerait mieux posséder l'esprit des quatre évangélistes que celui des douze livres de l’Enéide. Aussi eut-il la prétention d’être un habile théologien , et ne s’appliqua-t-il qu’à composer quelques cantiques , ce qui ne l’empêcha pourtant pas de fonder dans son palais même une académie consacrée à l’étude de la grammaire^ de l’orthographe, de la rhétorique , de la poésie , de Vbistoirè » de l’astronomie et des mathématiques. Cette acadé^ mie offrait plus de ressemblance avec notre institut actuel qu’avec l’université, ^dont quelques auteurs attribuèrent à lort la fondation à Charlemagne. Ce prince, qui aimait assez l’égalité pour dire aux nobles ambitieux et paresseux, «Je vois que vous comptez sur le mérite de vos aïeux , »mais apprenez qu’ils ont reçu leur récompense , et que 9 l’état ne doit rien qu’à ceux qui se rendent capables > de Iç servir et de l’honorer par leurs talents , » voulut effacer toute distinction de rang entre les académiciens,^ et exigea que chacun d’eux se choisit un nom purement littéraire , et qui ne rappelât ni sa dignité ni sa naissance. Egilbert , le plus spirituel des grands de. sa cour, prit modestement le nom d’Homère ; l’archevêque de Mayence s’appela Damœtus ; Alcuin, Albinus ; Ëginard, Calliopus ; Adélard, abbé de Corbie, Augustin ; Théodulphe se nomma Pindare ; et Charlemagne lui<-même , sans doute à cause de son goût pour la composition des cantiques , se décerna le nom de David. L’académie de Charlemagne obtint une grande célébrité ; quoiqu’elli^ ait laissé peu de monuments, elle prépara l’essor des sciences, en répandit le goût, et jeta peut — être les i premiers foiide^ ments de la langue française, idiome encore grossier, composé d’un mélange barbare du langage des Goths, du latin et du vieux gaulois. L’académie de Ghiarles soumit cette langue à des principes, et en fit une langue régulière, qui devint la langue romance. Charles voulut, contre l’usage de son temps, faire rédiger dans cette langue les hymnes, les prières et les lois ; mais le clergé s’opposa opiniâtrement à cette innovation, qui lui auipait enlevé une partie de son Influence, en lui ôtant T interprétation des lois civiles et divines, et retarda ainsi les heureux résultats que Charles espérait obtenir de la fondation de son académie, dont les travaux utiles, quoique entravés dès leur naissance par l’intérêtpersonoel 4es moines, ne furent pas moins la source des premières clartés qui se répandirent sur la France, et la préparèrent à sortir de la barbarie.

Dans le siècle suivant, Alfred le grand, roi d’Angleterre, digne émule du premier législateur français, fonda la fameuse académie d’Oxford, Vers la même époque, les Maures d’Espagne, célèbres par leur galanterie, leurs mœurs chevaleresques et leur goût pour ia poésie, la musique et les letti^s, eurent aussi des académies à Grenade et à Gordoue.

En 1325, la France vit naître à Toulouse, sous le nom d’académie des Jeux Floraux, la plus ancienne des académies qui subsistent encore aujourd’hui. Les membres de cette association littéraire prirent le nom de mainteneurs de la gaie science. Les prix que l’on décernait dans cette académie, et qui consistaient eu fleurs d’or et d’argent, entretenaient l’émulation parmi les troubadours languedociens. Cette société, que Clémence Isaqre dota de ses biens et fit son héritière, jouit encore d’qne réputation paéritée ; et presque tous les jeunes poètes, en attendant qu’ils soient dignes de se couronner des véritables lauriers du Parnasse, vont au commencement de leur carrière y disputer la violette, le souci, l’amarante, et l’églantine.

La renaissance des lettres au quinzième siècle fit éciore une foule d’académies. C’est en Italie qu’elles furent plus nombreuses : chaque ville voulut avoir la sienne. Ces académies prirent les noms les plus bizarres ou qui peignaient le mieux la passion que l’on affectait alors pour les sciences. Rome eut ses lincei, Naples ses ardenti, Parme ses insensati, et Gènes ses addormentati, noms que pourraient prendre beaucoup d’académiciens modernes. La plus célèbre de ces académies fut celle de la Crusca de Florence, qui a couvert le ridicule de son nom, qui veut dire son, et des attributs qu’elle s’est donnés, par des travaux utiles et la confection de son dictionnaire, Vocabolario degli academici délia Crusca, qui fait encore loi en matière de goût dans la patrie du Dante, de Bocace et de Pétrarque.

Sous Charles IX, le poëte Ronsard réunit à Saint-Victor les écrivains dont on admirait alors le génie. Ils formèrent une académie que Charles IX venait souvent présider ; car ce prince eut, comme Denys le tyran et Néron, avec lesquels il eut tant d’autres traits de ressemblance, la manie de faire des vers, et n’en fit comme eux que de mauvais. Cette société, renouvelée soixante ans après par Desmafets et Chapelain, devint, sous la protection du cardinal de Richelieu, l’académie française, et reçut du roi Louis XIII, en 1655, des lettres-patentes, que le parlement, qui craignait déjà les progrès des lumières, refusa de vérifier et d’enregistrer pendant deux ans.

Le chancelier Séguier fut, après la mort de Richelieu » le protecteur de cette illustre compagnie, qui réunissait tout ce que la France possédait de génies supérieurs. Elle dut bientôt une nouvelle splendeur à Louis XIV, qui la recréa pour ainsi, dire, l’établit au Louvre et la gouverna despotiquement. Ses travaux, qui consistèrent principalement, comme ceux de l’académie della Crusca, dans la confection d’un dictionnaire français, destiné à fixer le sens et l’ application des mots de la langue, la rendirent moins célèbre que les talents et la réputation de ses membres. L’académie devint bientôt la pépinière des flatteurs de Louis XIV. Les grands seigneurs eurent l’ambition d’y pénétrer, et d’y remplacer des hommes de génie ^ ce qui fit dire à Patru « que lorsqu’il se brisait une corde à la lyre » on en remettait une d’argent qui ne rendait aucun son. » Cependant Louis* Xiy voulut « à l’exemple de Charlemagne » que l’égalité entre les membres fût la première règle de l’académie ; et le cardinal d’Ëstrées, comme prince de l’église, s’étant fait apporter un fauteuil, le roi en fit donner à tous les acadéiniciens. L’abbé Bignon, pour mettre la compagnie sous la dépeudance du ministère et se rendre maître des nominations* offrit de lui accorder des jetons d’or qui auraient pu valoir 1 fioo francs de rente à chacun des membres ; maïs les plus pauvres mêmes, que leurs successeurs actuels n’ont guère imités, donnèrent le noble et inutile exemple de préférer leur indépendance à des pensions. Le n^rite ne décida pas toujours du choix des candidats : Molière ne fut point admis parce qu’il était com ; édien ; Pascal, les deux Rousseau, Diderot et plusieurs autres, furent constamment repoussés ; Corneille n^^e ne fut reçu que lorsqu’il se présenta pour la troisième fois. L’académie a cependant contribué puissamment à la prospérité des lettres ; les prix qu’elle a décernés ont enflammé les jeunes littérateurs, et l’espoir de parvenir dans son sein a sans cesse entretenu l’émulation parmi les écrivains. En 1792 l’académie fut dissoute, et rétablie en 1803, sous la dénomination de classe de la langue et de la littérature française, faisant partie de l'institut ; depuis 1815 elle a repris son ancien nom. Plusieurs membres furent alors éliminés ou nommés par ordonnance

  • Saa6 discuter l’éqoîtéde cette mesure, nous nous

borneroas à.feire observer que Louis XIV même lais^ à la mort le droit des éliminations, et à l’académie l’ap^ parence de la liberté dans ses choix> Depuis cette époque, les nominations, faites quelquefois sous l’influence de l’esprit de parti, n’ont pas toujours eu l’approbation générale. Le fauteuil est regardé comme le bâton de maréchal des littérateurs. On a vu souvent donner ie bâton à des généraux qui q valent mal fait, mais rarement à des généraux iqui n’avaient rien fait. Si l’académie ne revient à cet égard aux principes d’équité de Patru, si elle ne remonte sa lyre qu’avec des cordes d’argent, elle finira par perdre sa considération, sa gloire ; et sa devise, à l’immortalité, ne sera plus qu’un vain mot.

Les académies des sciences, des inscriptions et belleslettres, de peinture et de sculpture, et celle d* architecture, dont les noms désignent assez la destination, se sont réunies à l’académie princij^ale, sous le titre de classes, et n’en forment plus qu’une seule appelée V Institut^ foyer de sciences et de lumière, destiné à renouveler la gloire de la fameuse académie d’Alexandrie, et à la surpasser par ées bienfaits.

Parmi les académies étrangères qui rivalisent avec la nôtre ou marchent du moins sur ses traces, on cite surtout la société royale de Londres^ et les académies de Berlin, de Madrid et de Pétersbourg.

On appelait jadis académie VécoXe oh l’onfapprenait à monter à cheval et d’autres exercices militaires. Ce nom, qui désignait du teïnps de Platon l’école de la sagesse et de la morale, a été donné aux lieux infâmes où l’on joue sur une carte ou sur un dé sa fortune et son honneur. Académie, en terme de peinture, est une figure entière dessinée d’après un modèle.

L’Opéra a reçu le titre d’académie royale de musique. Autrefois, quand Louis XIV figurait dans les divertissements de sa cour et montait sur le théâtre, les gentilshommes et les demoiselles nobles avaient le privilège de pouvoir chanter l’opéra sans déroger. Ce. privilège s’explique aisément. E. D.